vendredi 4 novembre 2016

    Une décennie (plus ou moins) au cinéma part 3 : The Bay de Barry Levinson (2013)

    Halloween est passé et bien que l’horreur ultime soit à venir – attendons de voir qui va hériter des cendres des États-Unis entre une Va-en guerre et un Redneck qui ne déparerais pas dans la famille Tronçonneuse – penchons-nous sur ce film qui vaut le détour tant par sa gestion d’un genre qui n’aura pas laissé d’impérissable chef-d’œuvre à la postérité que par son intelligence d’écriture…


    La petite histoire des origines de The Bay mérite d’être évoquée : Barry Levinson est contacté par des producteurs pour réaliser un documentaire sur la Baie de Chesapeake dans le Maryland, une zone portuaire en apparence idyllique dont la vie sous-marine a été réduite à néant par une vaste pollution industrielle. Devant ce phénomène pour le moins interpellant, le cinéaste de 70 printemps part sur un coup de sang et le projet mutera en une fiction horrifique à charge contre la négligence humaine dont la virulence du propos n'aurait pas dépareillé dans un classique rageur de la fin du 20ème siècle.

    D’emblée, les grands studios sont évacués de la liste des producteurs potentiels. Les noirs desseins de Levinson – pourtant un habitué des films familiaux – ne peuvent trouver leurs pleins développements que dans un micro-budget. Le cinéaste se dirigera vers les auteurs de Paranormal Activity qui lui laisseront les mains libres si celui-ci respecte le style found footage qui a fait leurs succès et leur marque de fabrique.

    La difficulté majeure de tous les films appartenant au genre du found footage repose dans la justification obligatoire de l’acte de continuer à tourner alors que la logique basique voudrait que les personnages fuient le danger. De plus, cet impératif absurde de mise en scène entraîne souvent une série de séquences syncopées qui éprouvent les nerfs et l’estomac des cinéphiles les plus cléments. 
    C'est la fête dans la petite ville...
     Partant de l’idée de faire la radioscopie d’une ville entière, Levinson arrête les transmissions dès que c'est pertinent et enchaîne sur d’autres situations à l'aide de cuts abruptes. Les caméras de surveillances qui quadrillent l'espace urbain apportent une stabilité bienvenue dans un genre dont la tendance à l'épilepsie demeure un écueil. De fait, malgré les différents formats d’images, on en vient très vite à ne suivre qu’une catastrophe polyphonique. Car le véritable protagoniste de l’histoire c’est bien cette foutue baie dont les eaux charrient une mort lente et atroce forgée de la main même de ses hôtes. Et tant pis si parfois la crédibilité du dispositif en prend pour son grade, le réalisateur remettant son exercice de style dans les rails d’une narration classique pour une dernière scène d’horreur gratiné, l’effet obtenu méritait quelques entorses à la froide logique.

    En conséquence, Levinson construit son film autour d’une mosaïque de témoignages de personnages appartenant à la charmante petite ville portuaire dont les festivités du 4 juillet 2012 vont être très salement interrompues par l’explosion d’une bombe à retardement présenté en deux temps. D'abord, les séquences d'exposition s’attardent sur les divertissements nautiques via le reportage d’une aspirante-journaliste et de son cameraman maladroit et le discours lénifiant d’un maire très fier de lui — il a réussi à faire prospérer sa cité en permettant l’installation d’un élevage de poulet en batterie, le tout saupoudré généreusement d’hormones de croissance —, ensuite le cinéaste caviarde ces moments bucoliques de morceaux choisis d'une enquête poursuivie par un activiste écologique qui révèle des montagnes de fiente à l'air libre dont le contenu peu ragoûtant se répand dans la nature sans aucun contrôle sanitaire. En arrière-fond de ces images, on aperçoit une usine de dessalement de l’eau de mer qui alimente tout le réseau potable… Comme dans tout bon film d’horreur, le scénario joue ici avec une virulente ironie dramatique puisque nous pressentons très vite les conséquences logiques et désastreuses de ce cocktail délétère… même si sa forme nous demeure encore inconnue.

    Le témoignage de la jeune journaliste via une conversation skype qui sert de fil rouge, nous conduit entre les différents acteurs et victimes impuissantes, dont une équipe d’océanographes qui découvre une infestation massive de poissons par une espèce d'isopode : le Cymothoa Exigua, un parasite dont la caractéristique répugnante est de remplacer la langue de ses hôtes[1]. Caméras de portables, de surveillance tissent une vaste toile d'événements qui saignera une bonne partie de la ville de ses habitants en quelques heures d’horreurs.

    La petite bête en question qui parasite les poissons, puis les humains dans la fiction...
    Entre les médecins de la petite clinique engorgée par un afflux de malades aux symptômes peu ragoûtants ne correspondent à rien de connu et un CDC pataugeant dans la semoule à cause de révélations à retardement – toute la chaîne de commandement des autorités maritimes en prend pour son grade – rien ne sera épargné aux citoyens de la paisible bourgade et même les enfants tombent comme des mouches. Levinson mène son jeu de massacre avec une implacable logique, les dégâts infligés au corps humain par ses isopodes mutants ne font pas dans la dentelle et certaines séquences flirtent avec l’insoutenable. L’auteur n'a pas dans son panel que le gore, en vieux routard du montage, Levinson use avec un art consommé de la suggestion, comme lorsque deux policiers trouvent un pauvre hère – hors champ – incapable d’émettre un son cohérent puisque les monstrueux arthropodes ont remplacé sa langue et dont nous ne percevrons que les gargouillements associés aux cris d'horreur des gardiens de la paix dépassés par les événements. Très vite, le long métrage amène à s'interroger sur la qualité de son eau du robinet, d’autant que l’élément aqueux est présent dans une quantité faramineuse de plans…

    Bien-sûr, le scénario évoque l’indétrônable Les Dents de la Mer avec son environnement maritime et son maire malhonnête, mais toute l’astuce de Levinson a été de s’emparer à bras le corps d’une forme de narration décousue pour en tirer le meilleur. En multipliant à l’infini les points de vue en un emboitement de poupées gigognes, Levinson esquive les discours simplistes et redistribue le poids des terribles événements sur tous les personnages. Car, plus qu’un maire — aussi véreux soit-il — ou une institution c’est tout un système et une mentalité qui est visée par les flèches du cinéaste. A l’heure où nos dirigeants signent le CETA, The Bay nous invite à réfléchir aux conséquences de nos agissements, de nos lapalissades et de notre coupable laxisme.

    En cette époque où les super-héros nous font croire en de doux rêves sucrés à notre omnipotence, exaltent les valeurs guerrières de l’homo-capitalus, The Bay est un film presque révolutionnaire par sa volonté de ne s’attacher à aucun personnage en particulier, de les prendre tous comme des échantillons d’humanité avec leurs lâchetés crasses et leurs qualités. Une véritable leçon de cinéma qui vient paradoxalement d’un style qui aura marqué les esprits par sa médiocrité inhérente.

    Un cadavre - encore pas trop amoché - dans un film qui ne fait pas dans la dentelle...
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    [1] - Détail sympathique : certaines de ses séquences ont été tournées sans trucages, la bestiole s’étant apparemment déchainée sur la poiscaille du coin, tuant des milliers d’individus…

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