jeudi 9 juin 2022

    JDR Mania : Monster of the Week : épisode pilote ou comment je mène pour une partie...

    Un article particulier pour ce mois-ci puisqu’il ne sera pas question de ma chère Ethel Arkady, mais d’un de mes hobbies : le jeu de rôle. Je le pratique à présent de manière presque professionnelle en menant des parties courtes dans le cadre d’une animation en bibliothèque. Les circonstances de celles-ci impliquant un public de néophytes, de sexes et d’âges différents, j’ai gambergé pour tirer la substantifique moelle d’une séance de JDR en moins de trois heures, création de personnages incluse.

    Ce compte rendu est l’aboutissement de mes nombreux tâtonnements. En le rédigeant, j’ai réalisé que ma manière d’appréhender le résumé avec introduction des règles et les choix qui en ont découlé a suivi la méthode de Johan Scipion, l’auteur de Sombre.

    Et que puis-je dire, sinon que j’approuve cette manière d’aborder la matière d’une partie pour en extraire les éléments les plus pertinents. Je lui tire donc mon chapeau dans ce prologue.
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    Les Contes de l'Oculus
    Semi-Campagne MTOW : 
     
    Épisode Pilote :
    Libertalia !


    Dans le cadre de cette animation en bibliothèque publique, je cherchais un jeu avec des règles épurées afin de ne pas perdre de temps. Pas question de plancher sur les équations à deux inconnues typiques des mastodontes du genre comme Pathfinder ou Advanced Dungeons & Dragons. Je m’adresse à des néophytes, des gens qui souhaitent passer un bon moment, pas à des nerds drogués aux tableurs Excel [1]. Au départ j’avais choisi Tranchons & Traquons qui émule AD&D mais dont les règles sont bien dégraissées. Pour m’assurer une marge de manœuvre, j’avais établi deux scénarios déjà rodés par plusieurs parties [2].

    Meneur de Jeu minimaliste, je m’appuie surtout sur ma capacité à improviser et à construire des PNJs à fortes personnalités. Rien dans les manches, le moins d’annexes et autres aides de jeu sur la table, car ce sont parfois les pires ennemis d’un rythme soutenu : on les cherche, on ratiocine sur tel ou tel détail… Je préfère limiter les distractions. Pas de musique sauf parfois, au début un peu John Carpenter pour se mettre dans l’ambiance et du bon vieux Power metal quand les uppercuts valsent. C’est rythmé et cela donne le ton pour une séance de bourre-pifs.
     
    Depuis ma découverte de Sombre, mais aussi de Meute, mon casting d’antagonistes se compose de minuscules cartes que je garde sous les yeux, accessibles à tous moments de la partie. En outre, tout PNJ possédant des caractéristiques chiffrées a sa vie entre les mains des joueurs. Même si c’est un informateur important. En cas de décès inopportun, j’improvise une sortie par le haut pour mes joueurs.
     
    Les jets de dès fonctionnent pour une scène. Pour les combats les joueurs doivent absolument avoir coordonné leur stratégie AVANT celui-ci. Chez moi, un magicien n’a pas le temps de fouiller dans son livre en pleine bataille. Un combat, et c’est essentiel dans ma façon de maîtriser, doit être aussi bref que violent !

    Cependant, même pour des One-Shot, la construction des personnages demande au moins 10 à 15 minutes, si tout va bien. Ce qui, multiplié par le nombre de joueurs, prend entre 30 et 40 minutes. Donc beaucoup trop de temps pour une animation occasionnelle de trois heures, grand maximum. J’ai donc opté pour des prétirés, inspirés par les créations d’anciens joueurs. Reste que les règles de T&T ne me permettaient pas d’arriver à la fin des scénarios, ce qui causait parfois un peu de frustration d’une part et d’autre part une certaine fatigue intellectuelle. Répéter ad nauseam un même canevas s’avère vite lassant.

    Pour palier à ses inconvénients  je n'avais que deux options : soit Sombre et son minimalisme, soit un Powered by the Apocalypse, termes englobant des règles génériques éourés. Si Sombre fonctionne très bien, la plupart de mes joueurs veulent incarner des aventuriers et non des victimes de films gore, même si cela demeure très amusant. J’avais également envie de proposer un format « campagne ouverte » [3] pour les plus fidèles. Mon choix s’est donc orienté, avec quelques appréhensions, vers Monster of the Week. Les livrets de personnages, très complets, mais possédant assez de matière pour une improvisation féconde m’ont convaincue de passer le cap.

    Monster of the Week émule les séries TV de type « Aventure-Surnaturel » [4]. Ce format me permet de gérer la semi-campagne : les joueurs incarnant les agents d'une agence non gouvernementale, je justifie la présence ou l’absence de leurs personnages par le biais de la fiction. Cela m’offre aussi le luxe non négligeable de donner de l’expérience aux joueurs les plus fidèles.

    Ces Comptes Rendus (CR), m’assureront un mémorandum de ce qui a été accompli durant les sessions.

    Précaution :

    Je n’ai pas pris de note, certains événements ne correspondront donc pas tout à fait à ce qu’il s’est déroulé durant la partie. Je signalerai tous les apartés techniques, et les choix narratifs par des italiques. En ce qui concerne le scénario, pour des raisons pratiques, j’ai opté pour un huis clos, ce qui limite le risque de dispersion pour ce premier essai.

    J’ai géré les trois actes avec un chronomètre comme ceci : une heure d’exposition ; une heure d’enquête ; une heure de baston et 30 min de clôture de séance, à la grosse louche.

    Le résultat ayant dépassé mes espérances, je pense que je pourrais étoffer les épisodes suivants d’un quatrième acte et d’une séquence pré générique afin de laisser encore plus de respirations pour les personnages.

    Pour me faciliter la tâche, ce monde ressemble à celui que j’ai conçu pour les Aventures d’Ethel Arkady, avec les mêmes caractéristiques. Pas besoin de me référer à un épais grimoire pour vérifier tel ou tel point de l’univers : j’en suis l’architecte.

    Les Personnages Joueurs (PJ) travaillent pour l’Oculus, une puissante ONG, dans un passé proche, Pré-COVID [5]. Pour une raison ou une autre, tous sont liés à l’Agence, bien que certaines justifications n’aient pas encore émergé dans la partie. À mener l’œil sur le chronomètre [6], je n’ai pas eu le temps de le leur demander. Cependant, et à ma grande satisfaction, certains ont ajouté de petits éléments que j’utiliserai contre eux lors des épisodes suivants.

    L’Oculus règle les problèmes qui surviennent entre les humains et ceux que l’on nomme « les faëries », terme qui englobe autant les fées, que les vampires, les loups-garous, et tout ce qui, d’une manière générale, appartient au monde surnaturel. Dans la courte présentation, j’ai introduit l’Area 51 [7], une zone sinistre qui sert à parquer les individus les plus rétifs et les plus dangereux à la « Pax Oculus ». Une petite graine pour plus tard…

    Pour le moment, j’ignore tout des objectifs de l’Oculus. Nous verrons bien ce qui émergera au fur et à mesure de la partie. J’utiliserai les suggestions des joueurs à la volée.

    Avant même de distribuer la moindre fiche de personnage, je démarre la fiction in media res, histoire de plonger mes joueurs dans le bain, puis j’intercale la création de personnages. Les règles minimales de MOTW m’offrent cette opportunité, j’en profite !
     
     
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    Équipe :

    (les noms des joueurs ont été changés)
     
    Laurent est le scientifique fou, Whiper
    Vêtu d’un costume trois-pièces usé, les cheveux blancs, c’est l’archétype du genre, le Docteur frappadingue dans toute sa splendeur. Tout juste débauché par l’agence, il se balade toujours avec ses gants chirurgicaux, des pots stériles pour prélever des échantillons et un laboratoire minimal tenant dans une valise.

    Marc est Le Professionnel, John Carpaccio
    Une quarantaine d’années, haut front, calvitie avancée. Il porte le costume trois-pièces des ronds-de-cuir de l’Agence. C’est un homme affairé qui est sans cesse en contact avec le Directeur Adjoint, Gabe Bartelos.

    Sophie est Le Monstre, Robin

    Détail assez rare pour être souligné, mais la joueuse incarne un homme. Taciturne, poilu, peu amène, Robin est un loup-garou employé pour servir de force de frappe par l’Agence. Pour lui, c’était soit accepter le job, soit finir dans l’Area 51 ; une suggestion bien trouvée de la joueuse. Ce n’est pas un lycanthrope lunaire, mais une de ses espèces capables de se métamorphoser à volonté, encore que nous n’ayons pas tout à fait mis au point toutes les modalités du personnage. Un élément à creuser si Sophie revient lors d’une prochaine séance…

    Jonathan est L’Élu du Destin, Matt

    Un jeunot d’une vingtaine d’années, tiraillé entre son don pour l’élimination des monstres et son envie de vivre loin de tout ce tumulte. Il a été repéré par l’Agence qui lui a fait une offre que l’on ne refuse pas. Pour le moment, j’ignore encore tout de ses rapports avec ses supérieurs, ce qu’il pense de son don, ni à qui il le doit. Nous trouverons tout cela dans le cadre des parties.

    Isabelle est L’Expert de l’Agence, Carrathar.

    Costume réglementaire, rompu aux sciences dures autant qu’occultes, l’agent Carrathar est l’une de ses têtes bien pleines et bien faites dont s’enorgueillit l’agence. Son efficience dans le domaine de la déduction et du surnaturel accomplit des merveilles, mais sa curiosité maladive le jette au-devant de graves dangers. À bricoler avec des forces qui nous dépassent, on se brûle !

    Les Antagonistes :

    Ne sachant sur quel pied danser (tout public ? Adultes ?) j’ai opté pour des antagonistes capables de susciter autant le comique que le sinistre, le chaud que l’effroi, donc une bonne vieille bande de pirates fantômes pour bien planter l’ambiance de notre « série » virtuelle. J’ai puisé ceux-ci dans L’île au Trésor de Stevenson ainsi que dans la série TV Black Sails [8].

    Réveillés par les recherches de l’archéologue Sophie Sainclair, mes pirates fantômes désirent remettre la main sur le parchemin qui entérine la constitution de la « République Pirate de Libertalia ».

    Mon groupe d’antagonistes se compose d’Anne Bonny, du capitaine Charles Vane et de quelques matelots aussi anonymes que supplémentaires si les PJ se montrent trop chanceux. Je leur confère 3 PV. Ils infligent 2 de dégâts avec leurs sabres d’abordage qu’ils matérialisent à volonté. Ils empruntent les traits d’un vivant en le noyant. Les PJ trouveront de l’eau salée dans leurs poumons.

    J’avais pensé à une variation plus gore dans laquelle les pirates auraient arraché la peau de leurs victimes pour la revêtir, laissant derrière eux des cadavres écorchés, mais la table a opté pour une série tous publics. Dommage pour moi. Leurs 3 PV limiteront la durée des combats, un échange de coups, deux grands maximum, car une passe d’armes ne demande qu’une seconde, même moins. Je veux installer une partie nerveuse, mettre les joueurs sous le rouleau compresseur d’un ping-pong de questions-réponses endiablées. De plus, ces fantômes sont les « hommes de main » du scénario, pas l’antagoniste principal.

    Le Capitaine Flint & son navire le Walrus sont plus coriaces. Avec 15 PV pour le Capitaine, et 40 pour le Walrus, ce sont des adversaires presque impossibles à tuer, d’autant que les PJ ne sont pas armés. Tous les canons du Walrus sont prêts à envoyer par le fond le paquebot de tourisme des PJ. Le Capitaine Flint fait 4 points de dégâts avec son sabre. Il est capable d’occire les PJ en deux coups. Cette difficulté m’aurait servi de garde-fou, histoire de faire comprendre aux PJs qu’une confrontation directe ne les avantagerait pas. Mieux vaut louvoyer avec le Capitaine.

    Pour en rajouter dans l’horreur de la situation, les fantômes ressuscitent en 1D6 rounds, tant qu’ils restent dans un environnement aqueux.

    Point faible : En eux-mêmes, les pirates fantômes sont une force invincible. La présence du parchemin les ancre dans notre réalité. Tant que les PJ n’ont pas compris que seule sa destruction entraînera l’annihilation des fantômes, ceux-ci reviendront sans cesse. Cependant, les PJs possèdent plusieurs leviers pour réussir : d’une part, les fantômes ne savent pas ce qu’ils cherchent, ils sont juste poussés par un vague souvenir qu’il leur manque quelque chose d’important, d’autre part, en cas de confrontation désastreuse, j’avais prévu de faire intervenir les nombreuses règles de vie des pirates pour sauver mes joueurs. Rendu sur le pont du Walrus, il ne reste plus que la ruse pour se tirer d’affaire…
     
     

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    Fiction :

    Avant de débuter, je demande sur quel mode nous jouons : série mainstream ou production luxueuse, et parfois putassière dans son exploitation de la violence et la fesse, à la HBO ? La tablée opte pour le mainstream. J'en prends acte.
     
    Nous débutons par un large panoramique durant lequel nous survolons les Bahamas, près de New-Providence. Cette référence n’est pas innocente puisque nous allons parler de pirate.

    Palmiers, mer d’huile et cocotiers complètent la carte postale. La caméra virtuelle se rapproche du HMS Diamant, un paquebot pour touristes fortunés possédant cinq étages. Nous accompagnons la foulée sportive d’un groupe de personnes sapées en costume trois-pièces et cravates assorties qui traversent les coursives.

    Je ne connais pas encore leurs visages ou leurs noms, et pour cause : nous n’avons pas fait les fiches de personnages !

    Je décris les noms qui s’affichent à l’écran en même temps. Producteur, directeur de la photographie… Nous sommes dans une série après tout. Tout ce beau monde s’installe dans une salle de réunion. Difficulté supplémentaire pour cette première mission : étant officiellement en vacances et au sein d’une croisière touristique, les agents n’ont pas accès à leurs artilleries habituelles.

    Une astuce pour raccourcir le temps de création des personnages, la course à l’armement rôliste m’agaçant dans sa tendance à s’éterniser. Autant retirer toutes tentations de ce type dans le cadre de ce premier essai. Si les joueurs souhaitent des armes, ils les ramasseront en cours de partie. Après tout, les coursives regorgent de haches d’incendie & autres ustensiles aux possibilités multiples.

    Je demande qui veut jouer « Le Professionnel », puisqu’il est le coordinateur entre l’agence et l’équipe. Les Pros rédigent les rapports, distribuent les bons et les mauvais points… Ce sont les yeux et les oreilles de l’Agence où que se trouvent ses collaborateurs. En tant que tels, ils bénéficient aussi d’accès à certaines informations confidentielles que n’ont pas à connaître les agents de terrain, mais c’est un rôle un peu ingrat, je l’avoue. C’est Marc qui s’en charge puisqu’il a déjà tâté du JDR. Cela m’arrange bien, je pourrai compter sur lui pour rappeler les joueurs à l'ordre le cas échéant.
     
    Je lui accorde le seul aparté de la partie : son supérieur Gabe Bartelos, le Directeur Adjoint, n’a pas offert cette luxueuse croisière à ses rookies par pure bonté d’âme. Ils sont là pour solutionner un mystère, mais Bartelos est du genre blagueur et il n’a fourni aux agents qu’un maigre dossier. En gros, c’est un test grandeur nature : à eux de se débrouiller pour clôturer cette affaire de la manière la plus discrète possible. « Pas de vague », c’est le slogan de la Maison…

    Ce sera le seul aparté que j’aurai avec un joueur : je n’aime pas le procédé qui a tendance à diluer l’attention. À isoler mes personnages-joueurs, je cours le risque d’abuser de leur patience avec des tête-à-tête qui s’éternisent. Au contraire, si je maîtrise en direct les séquences où les personnages sont séparés, j’encourage les autres à participer avec des suggestions.

    Retour à la partie. Les personnages s’assoient à la table de réunion pour le briefing. Une certaine Sophie Sainclair, Dr. d’archéologie qui a la manie de tousser, les attend. Elle tient une chemise de cuir à la main.

    Je profite que tous sont enfin entrés dans la scène pour distribuer le casting. J’explique en gros les règles sans aller dans le détail. J’omets quelques points qui me chiffonnent pour porter toute mon attention sur le jeu des questions-réponses. L’absence de la section « armes » me fait gagner un temps précieux, mais rendra les combats plus rugueux, aussi j’accorde aux joueurs tout ce qu’ils me demanderont en matériel d’enquête, même si cela tord un peu le réalisme. Durant la partie personne ne m’a repris sur la question de la crédibilité, ce qui est bon signe : la fiction fonctionne !

    L’agent Carpaccio se lance dans le briefing avec le peu d’éléments que je lui ai fournis : depuis une quinzaine de jours, des paquebots de tourisme disparaissent aux alentours. Ceux-ci sont retrouvés déserts, comme s’ils avaient subi un naufrage plus de trois siècles auparavant à en juger par la rouille qui les mange.

    Les joueurs n’ont pas eu le loisir de résoudre ce petit mystère : en fait les passagers sont capturés par le Capitaine Flint qui leur donne le choix entre rejoindre son équipage ou mourir. Les deux options s’équivalent, mais pas pour le fantôme qui est prisonnier de son propre « temps ».

    D’autre part, certains témoins ont aperçu un brouillard opaque qui ne respectait pas le sens du vent avant que les navires ne disparaissent. Ceci pour une première partie de la mission, la seconde consistant à escorter miss Sainclair jusqu’à New Providence. Celle-ci se plaint qu’une présence menaçante, mais indistincte s’attache à ses pas.

    Les agents apprennent que le Dr. Sinclair travaille sur la restauration de la constitution de la République Pirate de Libertalia, qui comporte la signature de tous les boucaniers les plus connus, de Barbe Noire en passant par Anne Bonny & Jack Rackham. La chemise de cuir contient le fameux parchemin. Le Dr. Sainclair compte bien exposer sa découverte dans tous les musées du monde. Toute à sa passion, elle abandonne les agents pour s’enfermer avec sa relique, insensible aux charmes des Bahamas.

    Les agents possèdent peu de renseignements à se mettre sous la dent. C’est pourquoi, avant même que la réunion ne soit ajournée, ils sont appelés par le médecin de bord, lequel a reçu une sinistre livraison : Marie Noam, femme de chambre de son état, s’est écroulée devant sa collègue, noyée. Ses poumons sont remplis d’une eau saline. Détail intéressant obtenu par Robin le lycanthrope : la victime dégage une légère odeur d’ammoniaque. Les agents souhaitent l’autopsier. Je le leur accorde. Whiper – sur un jet réussi – découvre une fine pellicule verdâtre présente sur tout le corps. À ce stade, nos agents rament. Ils décident donc de se séparer [9]. Robin, le loup-garou, l’agent Carpaccio et Matt l’élu interrogent plus en profondeur le Dr. Sainclair tandis que les deux intellos du groupe se concentrent sur l’analyse de la noyée.

    Les trois agents dérangent le docteur qui préférerait poursuivre sa restauration du parchemin, mais elle accepte de répondre à leurs questions. Un revirement d’attitude dû à un jet de charme plus que réussi de la joueuse incarnant Robin. Du coup, je décide que Sainclair tombe amoureuse du lycanthrope. On verra si cet arc se développera dans la suite. Malheureusement, elle leur révèle rien de plus que ce qu’elle a dit durant le briefing. En revanche, elle s’excite sur l’histoire des pirates du XVIIe-XVIIIe siècle. Là aussi, j’y vais à la grosse louche de noms célèbres et d’anachronismes.

    En fin d’entretien, Robin renverse un peu de coca sur le précieux parchemin. L’accident fait péter les plombs à Sainclair qui vire les personnages hors de sa loge.

    Un échec critique, mais j’ai oublié ici de donner un point d’expérience à la joueuse, dans le flux du dialogue. De même que j’ai outrepassé les questions prérédigées des livrets, leur préférant le naturel de la conversation. Une fois que je suis lancé dans une impro, elle me prend toutes mes ressources mentales, d’autant que je me démène physiquement pour animer les scènes, mimer les attitudes des PNJ, donc parfois les règles passent à la trappe…

    Je reviens aux autres membres de l’équipe. L’heure du dernier tram avance aussi, je monte la pression d’un cran : un nouveau mort atterrit dans l’infirmerie. L’Enseigne de 1er Classe John Marchand s’est noyé lors d’une inspection de la salle des machines. Son collègue raconte aux agents une histoire similaire à celle de la femme de chambre. Carrathar se rend, seul, à l’endroit où l’enseigne a croisé son sinistre destin. Whiper poursuit ses analyses et découvre que la pellicule aqueuse verdâtre qui enduit les deux cadavres n’est autre que de l’ectoplasme. Le navire est hanté.

    L’agent Carpaccio, de son côté, va voir le capitaine. Il discute des derniers événements afin tâter le terrain du côté des officiers. Celui-ci n’a pas de grandes révélations à faire sur l’enseigne décédée. Je profite néanmoins de cette occasion en or pour placer l’apparition du brouillard qui talonne le paquebot.
     
    Arrivé à ce stade, je considère qu’il reste une heure aux joueurs pour résoudre cette énigme. En temps réel !

    Le brouillard s’étale sur les radars et il se rapproche inexorablement. C’est aussi le boxon dans les coursives : les gens deviennent agressifs. je souligne ce détail, car j’y vois une logique : les pensionnaires de la première classe ont été volés par des malandrins spectraux. Les deux « fantômes » qui ont pris les traits des noyés dévalisent les richissimes voyageurs. Possédant le corps et l’identité de la femme de chambre et de l’enseigne, ils passent inaperçus… Mais pas leurs rapines, ce qui énervent tout ce beau monde. La présence des pirates fantômes échauffe les esprits. Les agents, avec leur entraînement, sont immunisés à ces « émanations » spirituelles, les quidams de base, non !
     
    Les passagers se métamorphosent peu à peu en antagonistes – assez faibles – et ils gagnent en dangerosité à mesure que le Walrus se rapproche...

    Au milieu de ce chaos, jouant des poings et de son agressivité de garou, Robin rejoint vers le Dr. Sainclair pour la ramener vers la salle de réunion. Les événements se précipitent et le lycanthrope craint pour l’intégrité physique de l’archéologue. Le Dr. Sainclair est justement occupée à restaurer la signature du capitaine Charles Vanes.
     
    Depuis le début, je me demandais comment les fantômes apparaissaient, voilà une manière qui me vient dans la narration : le nettoyage du Dr. Sainclair fait apparaître les noms des signataires, entraînant leur apparition dans la réalité, et eux-mêmes appellent leurs matelots à l'aide...

    Robin repère une légère odeur d’ammoniaque sur une femme de chambre, fragrance qui correspond à celle des spectres. Il se jette donc sur le fantôme qui dégaine un sabre d’abordage. Coup magistral de Robin qui écharpe le fantôme aqueux. Je décris une forme qui devient visqueuse, puis se métamorphose en flaque d’eau saline.

    Les griffes du loup-garou frappent fort : 3 points de dégâts. Un second round, alors qu’il ne reste plus qu’un point de vie au fantôme, me paraît être une perte de temps. Je préfère en rester sur le succès de la joueuse. Les personnages sont peut-être des rookies dans les rouages de l’agence, mais ce ne sont pas des nuls, loin là. Autant le montrer aux joueurs.  
     
    Robin se frais un chemin dans les coursives où l’on s’écharpe et rejoint la salle de réunion. Elle croise l’agent Carpaccio de retour du pont.

    Dans la salle des machines, Carrathar trace un pentacle pour en apprendre un peu plus sur la menace surnaturelle. Elle est entraînée par une vision panoptique en dehors du paquebot. Dans un travelling aérien, elle traverse le brouillard pour apercevoir le trois-mâts « le Walrus », avec à sa proue le capitaine Flint réduit à l’état de squelette qui beugle à ses matelots un « À l’abordage » terrifiant.

    Le résultat des dés me confère le droit d’infliger un contrecoup au sort de devination. En plus de sa vision, elle a invoqué sans le vouloir le capitaine Charles Vane.

    Prenant naissance dans une flaque due à une fuite, Charles Vane s’équipe d’un sabre d’abordage rouillé et charge l’agent. Carrathar souhaite communiquer avec le fantôme belliqueux, mais avant qu’elle n’ait achevé sa manœuvre, le spectre la frappe. Malgré sa blessure à l’épaule, Carrathar entre en contact mental avec le capitaine. Jouant sur son affect et sa traque du parchemin, elle passe un pacte avec lui grâce à un zeste de tromperie de bon aloi.

    Le jet à demi-réussi d’Isabelle me confère la possibilité de lui mettre des bâtons dans les roues, et cela m’arrange d’attacher Charles Vane au pas de notre agent pour le climax qui se précipite.

    De Charles Vane, les joueurs tirent les enseignements suivants : les fantômes pirates recherchent « Libertalia », leur « utopie » et ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour la récupérer. Tout le monde décide de se retrouver dans la salle de réunion, alors même que Matt joue des coudes pour se frayer un chemin dans la foule de plus en plus agitée.

    le Dr. Sainclair, Robin & l’agent Carpaccio atteignent la salle malgré la paranoïa qui se déchaîne dans les coursives. La présence du parchemin attisant les fantômes, un pirate se matérialise derrière l’agent Carpaccio et l’agresse. Robin s’interpose, encaisse une blessure avant de mordre à pleines dents le boucanier, le tuant en un coup. Sur ces entrefaites, Whiper, Carrathar et le fantôme de Charles Vane arrivent sur les lieux.

    S’ensuit une discussion assez âpre sur les actions à envisager : détruire le parchemin ; ce que le Dr. Sainclair refuse, malgré l’insistance de son loup-garou préféré ; ou dialoguer avec le fantôme pour en tirer le plus de renseignements ; sans surprise, Whiper et Carrathar sont adeptes de cette solution. 
     
    Je glisse à la tablée que les troubles dans le paquebot deviennent TRÈS préoccupants et que cette fois, le brouillard lèche les hublots, signe que le Walrus se rapproche.

    La séquence manque de tourner au PvP [10]. Je ne répugne pas à ce type d’affrontements, mais MOTW n’est pas taillé pour gérer ce genre de conflit. Le seul moyen d’y arriver serait de transformer des PJs en PNJs, c’est à dire ôter à un des joueurs la direction de son personnage, ce qui est extrêmement punitif. Je n’en ai pas envie pour cette partie inauguratrice, d’autant plus que les joueurs sont bien installés dans la fiction. La mayonnaise rôliste a bien pris, je suis content. J’hésite un peu, mais c’est une action de Robin qui débloque ce Mexican Stand-off en devenir.

    Sur une suggestion, et un jet réussi de Whiper, le Dr. Sainclair dévoile la constitution de Libertalia à Charles Vane. Robin, encore en mode garou, se précipite sur le fantôme. L’agent Carpaccio s’interpose. Ces trois actions se produisant de manière simultanée, les personnages se rentrent les uns dans les autres. La main squelettique de Charles Vane entre en contact avec le document, ce qui équivaut à sa restitution. Le fantôme et le parchemin explosent.

    Disparition – à la grande tristesse du Dr. Sainclair – de la constitution et des sceptres. Le brouillard se dissipe : les agents ont résolu le mystère et à part les deux morts et le butin des pirates qu’il faut rendre aux grincheux, la mission est un franc succès.

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    Succès pour le MJ également, puisque je suis en avance sur mon planning. On a le temps de se finir avec un Deep Space Gore (Sombre 0) pour terminer la soirée. À part les réserves de points que je n’ai pas comptabilisées pendant les séquences d’enquêtes, force est d’avouer que le Pbta est diablement adapté pour une partie en semi-improvisation. La structure scénaristique de l’épisode TV procédurier, si elle conditionne un peu les péripéties comme je le craignais, à l’avantage de l’efficacité immédiate. Après la première heure, mes joueurs ont bien ressenti mes coups de pression et ils ont agi en conséquence, et ceci sans que je dévoile de manière éhonté mon style de narration « contre la montre ».

    Il y aura donc d’autres parties de MOTW à la bibliothèque… Les contes de l’Oculus sont loin d’avoir dit leurs derniers mots !

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    [1] - Calmez-vous les puristes : j’ai moi-même débuté avec Warhammer & AD&D 3.5 et je sais ce que le JDR doit à ces vénérables ancêtres. Pour autant, impossible pour moi de ne pas remettre en question certains choix rédactionnels. Les tableaux d’armes, de dégâts, possèdent un aspect qui dégouttera plus d’un aspirant rôliste. Sans compter que je compose avec un facteur temporel qui me contraint à un effort d’efficacité au détriment de la simulation. Mais j’ai toujours était un maître de jeu à la sensibilité narrativiste, me défiant des fioritures qui ont tendance à ralentir le rythme d’une partie.

    [2] - Que je proposerai ici, un de ces quatre, pour ceux que cela intéresse… Après un petit travail d’adaptation.

    [3] - Soit une série de scénarios enfilés les unes sur les autres et qui, ensemble, composent une histoire plus vaste.

    [4] - Telles que Buffy contre les Vampires, Supernatural, Ash vs Evil-Dead (gros coup de cœur pour cette dernière, bien gorasse et de mauvais goûts) ou X-Files.

    [5] - Je ne tenais pas à traiter cet événement dans le cadre d’une animation tout public.

    [6] - Une habitude qui m’est venue de Sombre.

    [7] - Référence à l’excellent manga de Masato Hisa du même nom. Après tout, je maîtrise dans une bibliothèque et ça serait dommage de me priver de ces mignardises intertextuelles pour enrichir la fiction commune.

    [8] - Excellente série narrant les aventures du Capitaine Flint, entre abordage et longues discussions politiques et philosophiques autour des notions de démocraties qui sont au cœur de la vie des pirates.

    [9] - Comme dans tous mauvais scénarios d’horreur, n’est-ce pas ?

    [10] - Personnages contre personnages.