Le jeu de rôle de Julien Moreau place au cœur de ses intrigues moult monstres issus du terroir français. Et Dieu ! que cela fait du bien au médium de traîner ses guêtres en nos belles contrées pour les repeindre aux couleurs de l’horreur. Une bonne occasion d’installer à la table une ambiance digne des contes aux coins du feu tout en redécouvrant quelques légendes « bien d'chez nous » qui, malgré tous leurs attraits, n’ont guère eu les honneurs d’une mise en avant dans la culture populaire française[1]. Dans certains cas, le chauvinisme, c’est le bien !
Publié par John Doe éditions, le livre de règle ne paye pas de mine avec son format comics et l’ensemble paraîtra bien maigre aux vieux briscards rôlistes qui ne jurent que par les cales-meubles de plus de 500 pages e,n quadrichromie. Ce serait faire une erreur que de passer à côté de la richesse narrative et ludique proposée par cet ouvrage prêt-à-jouer en quelques heures de lectures. Cerise sur le gâteau, un écran de jeu et quelques scénarios sont inclus avec le livre de base. Un travail soigné et appréciable que certaines grosses locomotives, s’appuyant un peu trop sur leurs réputations, gagneraient à imiter.
Dans Meute les joueurs incarnent une meute – forcément – de loups-garous, vivant dans les cantons français, et en proie aux affres qu’implique cette condition. Nos chers lycanthropes – renommés Neuris – partagent leurs corps humains avec un esprit « lupin » immortel, ce qui permet aux personnages de traverser plusieurs époques au sein d’un unique scénario. Autre changement avec l’image d’Épinal ancré par le cinéma, nous n’avons pas affaire ici aux énormes brutes de Werewolf : l’Apocalypse[2], mais à des loups un peu plus grands que la normale.
Cet état d’âme double n'est pas que l'apanage de nos Neuris ! D’autres créatures comme les séduisantes et dangereuses Vouivres, les Dames Blanches, des Ogres et même ce messager de la mort qu’est l’Ankou sont affublés d'une condition similaire. De simples humains se retrouvent ainsi investis par une légende locale qui se manifeste dans sa chair, aboutissant parfois à des métamorphoses terrifiantes. La volonté d’inscrire tout ce bestiaire dans une logique dramaturgique cohérente participe au charme de ce jeu. Mais ce n’est pas la moindre de ces qualités, puisqu’outre ces adversaires, les plus gros défis qui attendent les joueurs consistent en la cohabitation des deux facettes de leurs personnalités[3], mais aussi dans la gestion des conflits internes à l'intérieur de leur meute. Ce qui, mine de rien, peut s’avérer bien plus complexe que ce que l’on subodore.
Cette notion de groupe est, à l’inverse de pas mal de jeu de rôle où les rapprochements entre les personnages se font parfois à la va-comme-je-te-pousse, parce que le scénario l’exige, travaillé de fond en comble. Elle trouve ici sa justification narrative dans de nombreuses règles, de la désignation d’un « Alpha » qui deviendra le chef de la Meute en passant par le lien de Meute.
Ce fameux « lien de Meute » permet à tous les joueurs de piocher des dès supplémentaires dans un pot commun pour augmenter ses chances de réussites lors d'un combat ou d'une épreuve complexe. Les joueurs définissent d'abord les liens qui unissent les personnages entre eux, ceci à l’aide de quelques propositions elliptiques, mais judicieuses. Au maître de jeu d'user de ces amorces de conflits pendant la partie. Ce qui offre à mes yeux deux bonus non négligeables : d'une part, l’entretien de ce lien posera des difficultés quand les personnages seront sous-pression, d’autre part, meute oblige, cela atténue l’effet « Tous dans le Mini-Van ! » qui peut intervenir de manière inopportune. Ainsi, la torsion de la vraisemblance au sein de la narration est moins violente. Il est plus logique que toute la Meute se déplace pour un événement capital qui touche l’un d’eux, que lorsqu'il s’agit d’un groupe d’aventuriers ou d'investigateurs qui viennent juste de se rencontrer il y a à peine quelques jours dans une auberge crasseuse. Cette notion est renforcée par le fait qu’outre la classique fiche de personnage, les joueurs bénéficient d’une fiche de Meute qu’ils pourront remplir au fur et à mesure des parties et qui leur conférera d'appréciables avantages.
Les règles, limpides, utilisent avec des dés à six faces, lesquels paraîtront moins intimidants aux néophytes. Quelques attributs : Dominance – « la volonté », bien qu’il s’agisse plutôt d’un « mesmérisme » animal – Le Corps et l’Esprit servent pour tous les jets. Les points distribués par le joueur à la création du personnage correspondent aux nombres de dès lancés. La difficulté est indiquée par le nombre de succès à obtenir sur un jet. Bien sûr, le Lien de Meute permet de grossir sa poignée de dès, de même que la métamorphose ajoute un modificateur en certaines circonstances – la baston ou le pistage par exemple – ce qui est loin d'être négligeable. Pour autant Meute est un jeu d’horreur et les personnages n’ont qu’une faible jauge de point de vie – et des malus à chaque blessure – aussi l’attitude consistant à foncer dans le tas, et discuter après, est-elle déconseillé !
Une autre jauge, et non des moindres, est celle de révélation du Loup. Ainsi plus le personnage reçoit de stimuli susceptibles de réveiller son alter ego lupin, et plus son état physique se dégrade : yeux jaunes, griffes et canines saillants, force et sens qui augmentent de pair avec sa rage. Ce qui amène à des situations intéressantes, d’autant plus lorsque l’on doit s'infiltrer de manière discrète dans un environnement hostile. En revanche si le livre de base indique que la métamorphose peut s'opérer rapidement, j’avoue ne pas être très fan de cette option esthétique. Je reste lié à une transformation graduelle – qui demande au moins une dizaine de minutes – avec craquement de peau, vertèbres qui se déplacent et autres manifestations horrifiques. Le passage de l’homme au loup n’est pas de tout repos ! Et ne négligeons pas non plus l’effet saisissant de celle-ci sur un quidam de notre époque, bardé de certitudes.
Outre les règles, le livret de base offre un cadre de campagne – le Gévaudan, bien sûr ! – où faire évoluer vos loups-garous (pardon, Neuris) – le livre inventorie aussi quelques adversaires coriaces pour donner du fil à retordre à votre meute. Outre les monstres dont j’ai déjà parlé plus haut, l'ennemi le plus retors demeure l'homo sapiens. Les Druides avides de pouvoir et les organisations occultes gouvernementales — tels les « Chaperons Rouges » — titilleront les nerfs de votre meute. En revanche, je dois noter ici que je goûte moins les Basajaunak – des sortes d’ours-garou – dont l’auteur fait des bouseux dégénérés, d’extrêmes droites, d’une façon qui me paraît un peu trop caricaturale. Alors, je sais, ce n’est qu’un univers fictif, néanmoins, j’avoue ne pas être à l’aise pour mettre en scène ce genre de personnages. Non que je répugne à utiliser un bon vieux facho des familles comme antagonistes, cependant quand trop d’archétypes s’agglomèrent ensemble, j’estime que l’on glisse vers la gaudriole, ce qui n'est pas le but ici.
Je dois également confesser être moins convaincu par les « Mémoires », ces scénarios dans le scénario. Non que l’idée ne soit pas élégante, mais je dois avouer que ces épisodes me renvoient à ma propre ignorance de l’histoire de France, et donc, à moins de compulser une documentation fournie avant chaque partie, je demeure incapable d’improviser une séquence, d'autant plus si elle fait appelle à des descriptions ou des notions précises que je ne possède pas. Cet écueil, je l’ai déjà ressenti avec d’autres jeux français – comme Pavillon Noir ou Miles Christi – où l’érudition et l’amour des auteurs pour les époques explorées suppurent de toutes les pages avec un luxe de détails ahurissants, mais où le simple MJ se retrouve vite noyé dans cette profusion. Je confesse une certaine appréhension à jouer avec l’histoire, de peur de prendre trop mes aises et de faire un anachronisme, ce qui dans un jeu qui trouve tout son sel à être mener en campagne, s’avère pour le moins problématique. Une date fausse, un détail mal vu, et toute l’intrigue s'écroule comme un château de cartes. Donc oui, je suis très, très rétif à user des Mémoires. Je me sens plus à l’aise dans le présent continuel de la narration rôlistique, sans cette épée de Damoclès au-dessus de ma cervelle. Je suis loin d'être un spécialiste en la matière, et mes connaissances lacunaires risqueraient de m'entraîner sur les territoires de l'image d'Épinal, ce que je me refuse !
Autre léger bémol, Meute appartient pour moi à la catégorie des jeux d’horreur, avec certes une ambiance bien à lui et très appréciable. Horreur oblige, les joueurs – même s’ils sont avantagés par leurs natures particulières – auront fort à faire pour se tirer des ennuis, ce qui passe par une prise en compte de leurs survies probables, d’autant que la jauge de points de vie est très, très basse. Ce qui pose un souci quand le jeu gagne à être mené en campagne pour laisser aux conflits internes le temps de mûrir. Cette double contrainte exigera souplesse et travail en amont au MJ pour ménager la tension dramatique, sans sacrifier les personnages.
À l’inverse d’un Sombre qui fait dans le One-Shot pur et dur et où les personnages-joueurs valent moins que le papier qui a servi à imprimer leurs fiches, Meute demande une plus grande implication émotionnelle, ce qui fait quelques frictions avec le système punitif. Au MJ d'être magnanime dans la gestion des dès, ne pas être excessif sur les conséquences d'un échec critique et surtout de s’interroger sur l’utilité dramatique de la mort d'un personnage-joueur. Dans ce sens, les règles auraient gagné à inclure la notion de « chance » ou « d’héroïsme », à l’instar de Barbarians of Lemuria ou Tranchons & Traquons pour compenser la létalité des affrontements. Ceci étant dit, je parle ici de joueurs impliqués dans la partie. Dans le cas inverse, rien de plus aisé que de vous débarrasser d'importuns sur un « malheureux » jet de dès…
Les illustrations d’Olivier Sanfilippo & Pierre Legay parviennent à convoquer à la fois le serial « à la française », une atmosphère cotonneuse qui n’est pas sans évoquer le visuel des films de vampires de Jean Rollin, avec une couche bienvenue de pourrissement qui sublime cette atmosphère vénéneuse. De quoi mettre vos joueurs dans l’humeur idoine.
Évidemment, programmer une campagne n'est pas chose aisée pour le moment, mais la lecture de l’ouvrage demeure agréable, l’habile plume de Julien Moreau entoure son univers d’une ambiance à nulle autre pareille qui éveillera quelques images, quelques scènes dans votre imaginaire. De quoi patienter en attendant des jours meilleurs !
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[1] — En dehors de l’improbable Pacte des Loups de Christopher Gans qui, en mélangeant tatane, combat d’épées filmées comme du wu-xia-pan débridé et monstres en CGI encore très imparfaits, illustrait la geste de la Bête du Gévaudan ; La Bête de Walerian Borowczyk qui reprenait le même mythe sur un mode porno-fantastique ; Litan de Jean-Pierre Mocky qui nous baladait dans l’ambiance morbide d’un village perdu dans les ardennes, ou Dead End de Jean-Baptiste Andrea et Fabrice Canepa qui transvasait la Dame Blanche aux États-Unis – là où était le budget, en somme… — on ne peut pas dire que les légendes de nos terroirs aient inspiré les cinéastes français de la génération d'après-guerre, ceux-ci préférant singer leurs homologues américains pour nous jeter à la face de pâles photocopies des maîtres outre-Atlantique, sans même songer aux viviers qui hantent nos campagnes… Ou quand c’est le cas, on se retrouve souvent en face du syndrome « Scooby-Doo », le fantastique s’effaçant pour une solution en mode polar, démystifiant instantanément tous les élans lyriques ultérieurs…
[2] – Aucune acrimonie dans cette remarque : j’ai commencé à faire le maître de jeu avec ce Werewolf. Reste que l’approche entre celui-ci et Meute est très différente, Werewolf possédant tout de même un côté hypertrophié et « bigger than life » avec en sus une pincée de caution morale aux exactions de nos monstres favoris : « l’écologie » ! Un élément qui fait déraper les scénarios sur une notion de « justicier vert », transformant très vite nos gloumoutes préférées en super-héros. Altération observée à ma table, et ceci malgré de nombreuses tentatives de recadrages pour conserver une ambiance horrifique qui me paraissait plus de mise. En somme, Werewolf fait dans le spectaculaire, là où Meute se veut plus intimiste… Enfin, toutes proportions gardées, évidemment… On parle quand même de loups démesurés capables d’arracher la gorge à un malandrin au petit-déjeuner !
[3] – Je me suis d’ailleurs demandé – sans avoir eu le temps de l’essayer – s’ils ne valaient pas mieux, pour augmenter cette notion de tension entre les deux personnalités des personnages, redistribuer les personnalités des loups de manière éclatée autour de la table. Ainsi, le joueur A joue le loup du joueur C, le joueur B joue le loup du joueur D, le joueur C joue le loup de A, etc… Ce qui décuplerait les conflits au sein même des personnalités des joueurs. J’ai vraiment hâte de tenter cette variante !
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