dimanche 26 février 2023

    Les Aventures d'Ethel Arkady : Les Céruléens - couverture 02 (avec Syzygy)

    Après une interminable gestation, j’en ai enfin fini avec la couverture des Céruléens, dont l’artiste Syzygy a réalisé le crayonné. J’avoue que je ne suis pas mécontent de cette illustration qui possède une ambiance bizarre due à son aspect allégorique. Je poste ici le récit avec et sans les titrages pour vous en donner une petite idée. Le roman me demandera encore un peu de travail avant d’être mis en vente, mais la fin se rapproche à grands pas.  

     

    Voici un court extrait du premier chapitre de cette nouvelle histoire :
     
    « À la terrasse d’un restaurant familial aux allures de chalet, Ethel Arkady dégustait une épaisse pièce de viande barbotant dans son hémoglobine. Elle admirait les nuages qui s'émiettaient en lamelles duveteuses contre les cimes sculptées en éperons tranchants. Le vent lui apportait un air hyalin qui dissipait les émanations de la ville, éveillant au creux de son ventre des élans de prédateur. La forêt de pins s'offrait à elle en un grand cirque et les ombres de la canopée lui susurraient à l'oreille la promesse de sanglantes courses. En plein songe de prochaines chasses haletantes, elle piqua une nouvelle bouchée. 

    Les lieux majestueux lui rappelaient ses innombrables pérégrinations entre le Wyoming et le Dakota, en d’autres temps. Par ricochet, cela éveillait en elle le souvenir de Josh Derringer. Elle était aveugle à l’époque de leur rencontre et seules ses mains avaient gravées les traits de son amant au bout de ses doigts. Hélas, ceux-ci s’évaporaient, avalés par le lent écoulement des décennies. 

    Elle s'était mise au vert dans la cabane de Rattle Snake, après les événements qui l’avaient conduite à fuir Los Angeles, pour se concentrer sur ce qu'elle souhaitait accomplir, maintenant qu'elle avait mené sa quête vengeresse à son terme. D’autres questionnements, plus angoissants, pointaient sous la surface de ses pensées. Cette présence qui la squattait, toujours à quelques encablures de sa conscience, un spectre mordoré qui ne se manifestait qu’à l’extrême limite de son champ de vision. Elle espérait capturer cette « entité » qui l’habitait et la dompter ! Peut-être que cette créature, quoi qu’elle soit, posséderait des réponses au sujet des régulières pertes de mémoire qui trouaient ses souvenirs ?

    Elle dilapidait son temps en balades interminables sur les cimes voisines, profitant d’un soleil clément pour s’offrir de longues siestes avant de redescendre à la nuit tombée. Parfois, elle accompagnait Rattle-Snake dans des parties de chasse intenses, lorsque la pleine lune agitait de manière trop insistante le loup en lui. Elle se dévêtait pour traquer avec lui un cerf-mulet, un wapiti ou un simple couple de lièvres à raquette. Les proies de bonne taille étaient l’occasion d’orgies sanglantes au cours desquelles les deux prédateurs glissaient dans un délire lubrique. L'âme sœur de Rattle, la hackeuse Erzé, ne se formalisait pas de ces étreintes, car il lui arrivait de s’acoquiner à la féline en de lascives caresses quand son compagnon partait pour ses travaux nocturnes. Ainsi, son séjour s’éternisait en un songe agréable, à l’abri de la civilisation humaine. Arkady apaisait son tourment entourée par des individus avec qui elle partageait une saine amoralité païenne.

    Picorant son assiette, elle attendait une vieille connaissance qui, quoique de sinistres mémoires, avait réussi l’exploit de la dénicher dans cette enclave. Arkady se demandait si elle ne devait pas féliciter sa mystérieuse correspondante avant de l'occire pour de bon. Elle avait presque achevé sa pièce de chair gargantuesque lorsqu’une ombre se pencha sur elle, la coupant dans sa contemplation des montagnes millénaires.

    Vêtue d’une veste d’aviateur en cuir et d’une casquette à l’effigie des Rockies du Colorado, la nouvelle venue avait troqué son ancienne canne-épée contre un automatique d'un calibre imposant, comme en attestait la bosse provoquée par le holster d’épaule. Seul indice de son allégeance au Dieu des humains, une minuscule croix d’argent reposait sur les globes de ses seins proéminents sertis dans une chemise blanche. Ses cheveux couleur de blé coulaient en une masse ondulante autour d'elle. Une mèche couverte de poussière, témoin de la sénescence qui la taraudait, en voisinait une seconde à sa gauche qui portait de discrets reflets céruléens. Elle dissimulait son regard de tueuse aguerrie derrière d’épaisses lunettes à verres miroirs qui dévoraient son visage avenant.

    Elle s’assit en face d’Arkady. Ses lèvres pâles, ornées de rides, esquissèrent un sourire de connivence. Les carreaux des lorgnons reproduisirent en dédoublés le mufle de la féline qui se léchait les babines de sa langue rêche, recueillant les ultimes gouttes de sang de son festin. La femme glissa son jean usé dans le fauteuil de bois grinçant, puis posa ses rangers militaires râpées jusqu'à la corde sur la table en signe de provocation. Elle croisa devant elle des mains ornées de mitaines de cuir clouté.

    — Ça va comme tu veux, Ark’ ?

    Arkady leva vers elle l’émeraude sertie dans son orbite droite. La gauche, dissimulée sous un chiffon crasseux, abritait une Pierre de Dragon, terrible artefact de pouvoir que la féline répugnait à utiliser. Elle lorgna un instant l’étrangère. »

    samedi 18 février 2023

    Les Chroniques de Yelgor : chant deuxième : La Nuit du Fer-Vivant : La Mer d'Herbe

    Cette deuxième illustration de MakuZoku pour les Chroniques de Yelgor nous offre une Allytah dans sa prime jeunesse, avant que le temps et ses duels successifs ne l’abîment. Je suis satisfait de ce panorama présentant une partie de ce monde très particulier. Ce second tome sort de l’Auberge de la Noctule pour explorer plus en profondeur l’univers étrange de Yelgor, dans lequel insectes géants et proto-dinosaures s’ébattent joyeusement. Cette ouverture me donne l’occasion d’inventer toute une flore et une faune en me référant à ce que j’aime : la préhistoire et l’entomologie.

    Je vous propose aussi l’extrait mis en image, bien qu’à l’inverse de la première aventure que j’ai livrée dans ces pages, celui-ci soit tronqué. En effet, je m’attarde bien plus sur les différents éléments qui composent cet univers. De cette complexité foisonnante résultent des chapitres bien plus longs qui passeront mal sur le Oueb. Je pense à vos mirettes, chers lecteurs !

    Ce qui fait que la suite des aventures d’Allytah et de ses compagnons ne sera disponible que sur papier et en mode liseuse. Néanmoins, il me reste encore beaucoup de chemin avant que le récit n’aboutisse. D’ici là, et à moins qu’une bombe thermonucléaire ne mette un terme à nos existences, je continuerai de vous présenter un aperçu de l’avancée des travaux.

    [...]

    Nous cheminâmes longtemps dans l’interminable plaine qui n’était ponctuée que de quelques courtes dénivelées herbeuses. Ce morne paysage m’engourdissait les nerfs. J’étais habituée à la diversité des montagnes volantes couronnées de pics acérés et aux parois aiguisées par les vents de mon pays. Wärwülf nous guidait dans des sentes à peine esquissées qui trouaient la vastitude saturnienne. Nous nous reposions près de sources cristallines jaillissant à proximité des rares coteaux qui imprimaient des vaguelettes dans cette platitude. Ces rus étaient entourés de haies et de talus composés d’arbres malingres, d’imposantes fougères et de quelques sigillarias. À notre soulagement, nous ne croisâmes plus de cicandelles, ni d’autres prédateurs des plaines. Je redoutais les tyranides laineux qui chassaient en meute. D’après notre Hyksos, ceux-ci entraient dans la période des amours, et pour le moment, ils ne se sustentaient pas. Ces dispositions ne tarderaient pas à changer dans quelques lunaisons. Aussi nous accélérâmes le pas, tout à nos ruminations funestes.

    Jehan avait mal pris nos explications et hypothèses, ne voyant dans cette conjonction de vies brisées que la main du destin aveugle. Une idée à laquelle j’eusse souscrit, si je n’avais eu la connaissance fâcheuse de certains événements. Ces réflexions me ramenaient aux cuves qui me hantaient encore. Les rares éodes de sommeil que je grappillai me plongeaient dans des transes mémorielles dont je m’éveillai en hurlant. Ces cauchemars abominables écharpaient mon âme – si une telle chose existât – et mon corps, prisonnière de ces effroyables tubes de souffrance. Catsmyr m’aidait à repousser ces visions d’agonies, mais au plus nous avancions, au plus mes terreurs nocturnes gagnaient en puissance. Le manque de repos me minait, émoussait mes réflexes et mes forces. Catsmyr m’épargna une mort stupide quand je versai dans une des fondrières traîtresses qui constellaient la plaine. Ces trous boueux, dissimulés par les herbes hautes, étaient capables d’aspirer dans leurs profondeurs une monture et son cavalier en quelques respirations.

    Après plusieurs jours de ce voyage monotone, Wärwülf revint de son inspection très circonspect, car la piste de nos ennemis s’effilochait, comme s’ils n’avaient jamais existé. Nous pressentions un mystère, mais nous demeurions incapables de le résoudre. Nous tournâmes en rond pour rassembler de nouveaux indices, mais les dernières empreintes de leurs présences se dissipaient vite, à mesure que la végétation couchée par les chariots et les tricks se régénérait. Nous en conclûmes que nous nous retrouvions livrés à nous-mêmes. Néanmoins, la brève vision de Skadi dans l’orbe émeraude du sigil nous confirmait qu’ils se dirigeaient vers la Tour, qui demeura notre principal objectif. Ce mystère nous taraudait et nous nous murâmes un moment dans une humeur bilieuse. Seul Catsmyr se révéla d’une fréquentation plus avenante que mes compagnons et nous partagions, avant de nous endormir, les suppositions les plus folles.

    En accostant la cime d’une colline plus élevée que la moyenne, nous eûmes une vue zénithale sur le panorama. En dehors de ces ponctuations arboricoles, je ne distinguai rien dans cette étendue uniforme que les vents ballottaient de droite et de gauche, mais notre Hyksos reconnaissait la moindre variation de teinte des graminées et ils les nommaient dans une vingtaine d’appellations gutturales. Alors qu’il nous donnait une leçon, la cime des plumaces trembla en cadences, puis celles des rares popsus et lishophore malingres, comme si des mains invisibles en agitaient les troncs. Nous ressentîmes bientôt des trépidations sous les pattes de nos montures qui devinrent nerveuses. Catsmyr manqua de verser à terre, son squalcrâne piaffant de panique. Il se dressait presque à l’horizontale, ses pattes antérieures griffant le vent, pour désarçonner son cavalier. Je descendis de la mienne, accompagnée par Jehan, et nous tînmes sa longe. Je le caressai en émettant des sons de gorges rauques qui rassérénèrent le squalcrâne paniqué. Pendant tout cet épisode, mon bras gauche se lançait parfois à l’assaut de la poignée de mon sabre, comme mû par une volonté propre.

    Une odeur de végétation pourrissante nous enveloppa. Les tremblements s’accentuèrent et enfin des têtes oblongues émergèrent de l’océan vert. Elles se juchaient sur d’imposants corps grisâtres à la peau parcheminée. Ces créatures mugirent en chœur, puis les interminables gorges se penchèrent vers nous, arrachant avec des dents aciculaires les feuilles des arbustes en une seule bouchée. Leurs immenses yeux glissèrent sur nous sans nous voir. Leurs jambes colossales constellaient la plaine de cratères météoritiques. Elles soufflaient par des évents situés sur une proéminence de graisse, au sommet de leurs crânes. Ces animaux plus anciens que le monde dégageaient un sentiment de puissance inouï. Leurs queues fouettaient l’air en permanence, chassant les parasites ailés qui les harcelaient avec insistance. Le plus grand de ces nobles herbivores mugit, la forme serpentiforme de son coup se découpant dans le soleil couchant. Sa longue note, grave, nous étreignit de sa mélancolie sans âge. Ses semblables l’accompagnèrent, formant un concert d’étranges cornes de brume. Quelques jeunes passèrent près de nous, leurs membres encore malhabiles tremblotant sous le poids de leurs abdomens gargantuesques. Ils grognèrent en croisant les squalcrânes qui caquetèrent une réponse incompréhensible. Il s’écoula un siècle avant que le troupeau de djoros ne s’estompât dans la plaine, l’écho de leurs cris se dissipant dans le vent.

    [...]