mardi 19 décembre 2023

    Les Aventures d'Ethel Arkady : Pornopolis : Éclair Fulgurant

    Dans ce chapitre, Ethel Arkady, tombant de Charybde en Scylla, atterrit tout droit dans les bras visqueux d’un vieil ennemi qui entend bien lui faire rendre gorge. Malgré sa situation préoccupante, elle a réussi à atteindre le cœur de Pornopolis, découvrant un décor chargé d’une histoire qui s’affiche dans sa statuaire symbolique. 

    Les différentes figures présentent dans cette pièce possèdent chacune une fonction précise qui se reflètent dans les ailes du bâtiment. Cet endroit possédant une atmosphère mystérieuse, MakuZoku et moi-même avons recherché des modèles s’éloignant un peu de l’influence hellénistique que je souhaitais pour le labyrinthe des désirs qu’est le bordel d’Himiko.

    C’est MakuZoku qui m’a aiguillé sur les étranges des ruines de Göbeckli Tepe, lesquelles paraissent sortir des rêves fiévreux d’un artiste opiomane. Exactement ce que je voulais pour ce lieu aussi inquiétant qu’énigmatique. L’intégrale de l’image étant interdite pour les personnes mineures, vous pourrez l’admirer sur le second site consacré aux illustrations plus « corsés ».

     


    vendredi 24 novembre 2023

    Les Aventures d'Ethel Arkady : ParkAdy ! (en collaboration avec Tom Larret)

      

    Novembre est là. Le temps du chocolat chaud et des longues soirées d’hiver. Un temps pour les histoires, et ça tombe bien, puisque j’en ai commis une avec Tom Larret. Nos deux mondes ont, l’espace d’un moment, fusionné.

    Après avoir abandonné Ethel Arkady dans les limbes à la fin de l’Œil & la Griffe, je cherchais un moyen de la réintégrer dans sa réalité. Et pourquoi ne pas passer par les Malicieuses Parques de Tom ? Ainsi, nous avons confronté nos personnages autour d’un univers de fantasy satirique qui sera l’enjeu d’une âpre négociation.

    Nous vous souhaitons une très bonne lecture !

    Au contraire de son habitude, Cétoine poussa un soupir d’aise en constatant la prévisible absence de Réduve dans leur bureau. Son compère n’y avait pas encore fichu les pieds, se réjouit-elle devant l’ordre étonnant qui régnait sur les lieux.
    Incunables et parchemins se dressaient, alignés sur une bibliothèque vitrée, dans un agencement presque cohérent. Les volumes ou carnets moins fragiles s’empilaient à des hauteurs modestes sur l’immense table de travail, classés par thématiques. La Parque, saisie la veille d’une irrépressible urgence de rangement, admira une nouvelle fois son œuvre. Elle esquissa un pas précautionneux sur le plancher, ravie. Son large pied n’écrasa ni reste de nourriture, ni page volante, ni clou rouillé, ni rongeur endormi, rien. Une fois au centre de la pièce, elle hocha la tête pour elle-même, les poings sur les hanches. Parfait. Une place pour chaque chose, et chaque chose à sa place. Voilà qui leur servirait de devise, désormais. De l’organisation, de la rigueur, de l’efficacité. Il faudrait sans doute lutter contre les impulsions pétulantes de son binôme. Son sourire s’élargit ; des occasions supplémentaires de claques dans le museau ! Oui, à présent, tout se déroulerait avec mandales et rectitude.
    — Toinoune, belle, douce, gracieuse Toinoune !
    Réduve s’était coulé par la porte dans un entrechat. Un saut de biche le précipita sur Cétoine, puis un demi-plié, une glissade et un grand jeté le portèrent, tourbillonnant, sur le bureau. Alors que ses pas de danse emportaient les soigneux entassements de livres, il revint en mazurka vers sa complice bouillante. Il lui saisit un bras qu’il colla d’autorité ses ses propres reins, avant de se renverser vers l’arrière, son mollet frôlant l’oreille de la Parque. Sa main dessina une ample arabesque, étalant une traînée de doigts grasse sur la vitre de la bibliothèque derrière eux.
    — Ah, Toinoune ! Aah !
    Réduve s’écrasa au sol dans un piaillement. D’un geste brusque, Cétoine avait reculé son coude, privant le valseur exalté de son seul soutien.
    — J’aurais pu me fendre le crâne, pleurnicha-t-il, avachi sur le plancher. Je me suis fendu le crâne !
    Elle leva les yeux au ciel ; une immense crevasse sanglante lézardait en effet la chevelure bleuâtre de son comparse, vomissant une bouillie de cervelle parsemée d’éclats d’os. Elle l’attrapa par le col pour le remettre sur pied, en grommelant :
    — Arrête tes bêtises, tu veux ?
    La Parque asséna une calotte sur l’épouvantable blessure, qui se referma aussitôt dans un glougloutement vexé.
    — Ici, il ne peut rien t’arriver. Par contre, si tu ne te calmes pas, je nous précipite dans le premier univers venu où je te collerais à loisir des tartes à tous les fruits et légumes de la création. J’exige de l’ordre, de la discipline, de la prévoyance !
    — Tu as plus que raison, futée Toinoune, car figure-toi que nous sommes promus à de hautes responsabilités que nous devrons assumer avec de l’ordre, de la… euh… de… de la vaseline et de la providence !
    — Non ! lui hurla-t-elle en pleine face, sa mâchoire désarticulée prête à engloutir le Sbire efflanqué de la Destinée. Ordre, discipline, prévoyance !
    — C’est ça que je voulais dire, glapit-il. Surtout avec notre nouvelle nomination.
    Elle se détendit par degrés, relâchant son complice, de nouveau frétillant. Quelques pas l’amenèrent au bureau dévasté par les cabrioles de Réduve ; elle s’appuya d’une fesse contre le bois, les bras croisés.
    — Dis-moi. Mais calmement. Fréquence vocale stable, attitude corporelle fixe. À la première stridulation, à la première gesticulation, tu bouffes mes articulations.
    — Ah, la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir !
    Réduve s’immobilisa face à elle, les mains jointes, un immense sourire fiévreux démentant sa posture compassée.
    — Je serais tenté de te l’annoncer en alexandrins, mais je ne te trouve pas très réceptive à mon âme d’artiste aujourd’hui. Alors voilà. Nona nous confie une mission de la plus haute importance, une entreprise primordiale qu’elle nous estime seuls en mesure de mener à bien, une tâche si exigeante qu’elle ne peut être attribuée qu’à l’élite des Parques, la fine fleur du Destin, la crème de…
    — Nona t’a déblatéré tout ça ? Ça ne lui ressemble pas.
    — Non, bien sûr. Elle m’a juste dit : « Toi, là, avec l’autre, allez récupérer l’Opale de Feu avant qu’elle soit détruite et que ça saute bordel ». Mais je comprends le sous-texte de son discours managérial. Elle ne veut pas que nous nous sentions trop flattés…
    — Ça ne risque pas, grinça Cétoine en abandonnant la table pour arpenter la pièce. Une mission de recouvrement d’artefact ! Pfff ! N’importe quelle Mâne à peine centenaire pourrait s’en charger.
    Le rictus de Réduve déchira de plus belle sa face osseuse.
    — Il y a moyen de se faire une Élue.
    — Une… non, non, Réduve, ça n’est pas la mission. Nona n’a pas ordonné d’atomiser les protagonistes, seulement de ramener le truc de Feu en sûreté ici.
    — C’est vrai.
    Le Parque osa un sautillement.
    — Mais. Mais, mais, mais, mais… Si nous attendons un peu… Jusqu’à ce que l’Élue ait l’Opale de chose entre les mains… On sera bien obligés de lui concasser les vertèbres pour s’en emparer, non ?
    Cétoine s’arrêta net, les sourcils foncés.
    — Risqué. Si elle détruit l’Oral de Pneu dès qu’elle l’a ?
    — Ils ne font jamais ça. Ils attendent le plus possible parce que ça met de la tension dramatique. Allez, Toinoune. Une Élue ! Une Élue ! Turlututu, mets ton tutu !
    Dans un virevoltant saut de basque, le Parque rallia la bibliothèque. Il en extirpa un énorme volume à la couverture outremer, où scintillait entre ses doigts un titre d’or. Les seuls mots que Cétoine parvenait à lire balayèrent ses hésitations. Intégrale : la Prophétie de…

     

    Céruléa chevauchait droit vers le sud depuis quatre semaines. Les mèches de cheveux blonds, qui dépassaient de son heaume relevé, dansaient dans le vent du crépuscule. La plaine verte avait laissé la place à une toundra balayée par des souffles brûlants provenant du désert. Les journée suffocantes succédaient aux nuits trop fraîches, harassant les aventuriers. Malgré la fatigue, Céruléa insistait pour poursuivre son chemin. Les deux lunes n’avaient pas atteint leurs zéniths, ce qui signifiait qu’elle avait encore le temps de neutraliser l’Opale de Feu. Que celle-ci vienne à éclore, et le terrifiant Roi Lynx régnerait à jamais ! Elle se tourna, avisant la progression de ses compagnons. Ils traînaient la patte, comme d’habitude !
    Nyx arriva en premier à sa hauteur. D’un naturel ombrageux, trait commun à nombre de magiciens, il abritait son visage dans les plis anthracite de sa cape de jade. Ses impénétrables yeux gris se portèrent vers sa visière alors qu’il se postait à son niveau. Il tira des fontes de sa selle une longue-vue. Il visa l’horizon dans lequel le soleil se fondait, cédant la place aux lunes.
    — Nous arrivons, bredouilla-t-il. Tu sais que nous devons agir le plus tôt possible, sinon le Roi Lynx nous…
    — Je le sais ! Céruléa tourna son visage dans sa direction. Je vous attends tout le temps, moi ! Qu’est-ce que tu crois, Nyx ? La prophétie dit qu’il faut que l’on soit cinq, on est cinq. Mais j’aurais été plus rapide si je ne devais pas m’occuper sans arrêt de vous.
    Kartafilia arriva sur sa gauche. Elle portait encore sa capeline de velours bleue, piquetée de fleurs de lys, symbole de leur merveilleux pays. Elle posa une main gantée de cuir, mais rassurante, sur le bras de fer de son amie de toujours. Sa peau d’ébène resplendissait dans les derniers éclats du jour.
    — Allons, tu es si impatiente. Nous savons que tu es l’Élue, ne t’inquiète pas. Et tu nous as tous sauvés à un moment ou à un autre. Alors, on te suivra jusqu’au bout !
    Derrière elles, Chonar, personne de petite taille de Glasfor, montait sur son hippotame ; Maelynn de l’Est, son arc toujours prêt à cracher des traits mortels et Ïjrqzkcv, la mystérieuse femme des profondes jungles Erzéliennes, approchaient. Malgré leurs différences, elles avaient toutes soutenu l’élue avec une dévotion exemplaire. Elles se tinrent silencieuses, le temps que Céruléa s’entretienne avec Nyx sur la dernière étape de leur quête. La magie était loin d’être la tasse de thé de Céruléa, mais elle en savait à présent autant – voire peut-être plus – que Nyx au sujet de l’Opale. Elle possédait la farouche intuition qu’elle accomplirait les bons gestes et qu’elle scanderait les bonnes incantations une fois sur place. Cette connaissance circulait dans son sang du fait de sa nature de femme et d’Élue.
    Après un moment, Céruléa les embrassa de son regard magnétique, les accrochant dans les étoiles vertes qui pétillaient au centre de ses yeux. Rutilante dans son harnois de fer blanc, elle inspira, prête à les motiver d’une harangue. Elle serra l’Opale qui se trouvait au fond du havresac qu’elle portait toujours à sa gauche. De la main droite, elle empoigna la hampe de sa bannière, levant le gonfanon en direction des lunes qui brillaient tels les yeux smaragdins du Roi Lynx. Elle lui lançait un défi, car elle savait qu’à cette heure, il l’observait par l’intermédiaire des astres verdâtres. La flamme coincée dans le cristal palpita entre ses doigts comme un rongeur blessé. Bientôt, songea Céruléa, je t’enverrai dans les abysses.
    — Vous m’avez tous accompagnés jusqu’ici ! Je vous en suis reconnaissante, mais nous ne devons pas relâcher nos efforts, car la Justice dépend de nous. Nous représentons le dernier bastion de la Rébellion, mais nous allons réussir ! Nous portons les espoirs des habitants de notre bien-aimée Lohay, et c’est avec leurs forces spirituelles que nous donnerons l’hallali à la terrible dictature du Roi Lynx ! Ne doutez pas de moi, et n’oubliez jamais que nous sommes les Cinq qui brillent dans les ténèbres. Ce soir, nous annulons l’apocalypse !
    Elle avait appuyé sur la dernière remarque, et alors que ses camarades lui adressaient un holà, prêts à la suivre une fois de plus dans ses aventures. Elle plaça la bannière dans les lanières qui la maintenaient contre le cheval, puis elle envoya un signe de la main à ses compagnons avant de foncer. Ils galopaient en direction du Temple Oublié pour détruire l’Opale, quand une étoile chuta du firmament, projetant des étincelles jaunes, rouges, magenta et d’autres couleurs qui n’existaient pas alentour. Un spasme tordit les nuages, puis un éclat lumineux plongea droit sur leurs objectifs. Céruléa soupçonnait une tentative désespérée du Roi Lynx pour la contrecarrer avec sa magie impie. Elle tira l’épée de son fourreau en hurlant un cri de guerre, prête à en découdre avec ses ennemis.
    La bise entoura les cinq rebelles de sa poigne d’acier, mais Céruléa n’en avait cure. Elle repéra les dix ormes entre les branches desquels avaient poussé des stalactites de gel formant comme des miroirs dans lesquels se reflétaient – disait-on – les péchés de ceux qui ne possédaient pas le cœur assez pur. Raison pour laquelle, les hommes n’étaient pas autorisés à franchir un certain seuil, sous peine de disparaître dans leurs propres saletés spirituelles. Au centre de la déclivité trônait un bassin d’eau recouvert d’une impénétrable couche de glace immémoriale. Certaines sorcières prétendaient que la différence de température vertigineuse était due à la porosité de cet endroit au milieu duquel se rencontraient de multiples plans d’existences. Peut-être était-ce le cas, on racontait tant de choses sur ce lieu, mais Céruléa n’avait pas le loisir de réfléchir plus avant.
    En dépassant la crête de la colline pour descendre la pente douce qui menait aux ormes gardiens, aussi tordus que des mains de vieillard arthritique, elle remarqua que la glace était brisée. Une créature exsudant une sorte de brouillard s’extirpa de l’onde bouillonnante. Les volutes gommaient ses traits, mais en dépit de sa modeste taille, elle possédait toutes les caractéristiques des séides du Roi Lynx : longues oreilles, mufle félin et griffes aiguisées. Enragée, elle se jeta sur Céruléa. La vitesse ahurissante de l’ennemi écarta le voile de brume qui recouvrait son corps, révélant alors une chose absurde : c’était indubitablement une femme ! Or, aucun être produit par les sortilèges du Roi n’appartenait à ce sexe, car seuls les hommes étaient corruptibles. Céruléa leva le bras, tirant à fond sur les rênes de sa monture pour jauger cette situation inédite, mais ses diligents compagnons avaient agi, portés, comme d’habitude, par leurs mâles défauts.
    Maelynn avait décoché un trait en direction de l’ennemi. Céruléa aperçut les yeux de la féline, le premier d’obsidienne, le second de la même teinte smaragdin que ceux du Roi, puis elle « vibra ». La flèche, au lieu de lui percer le cœur, lui traversa l’épaule. Blessée, la créature se jeta sur Céruléa avec une promptitude ahurissante. Un bras de bois s’enroula autour du cou de la chevaleresse, puis elle vida les étriers. Tournoyante, prisonnière des muscles d’acier de son adversaire, elle exécuta un demi-tour pour contempler le second trait de Maelynn et la boule de feu de Nyx qui fonçaient droit sur elle. La diabolique apparition se servait d’elle, l’Élue divine, comme d’un vulgaire bouclier…


    — Veux-tu bien remuer un peu cet affriolant postérieur, Réduve ? grommela Cétoine, les doigts crispés sur sa jupe immaculée pour ne pas s’empêtrer dans son fatras de dentelles. Je sais que le périmètre d’arrivée entropique nous l’a bien défoncé, mais c’est une raison de plus pour l’activer.
    — J’arrive, j’arrive.
    Le Parque, lui aussi enroulé dans une robe de neige étincelante, la tête drapée de la même gaze pailletée, virevolta jusqu’à sa compagne en roucoulant :
    — Laisse-moi profiter un peu. Dans quel autre univers est-il possible de gambader entre crevasses et racines avec des stilettos de douze ? Hein ? Hein ?
    Il lui saisit les poignets, pour exécuter avec elle une ronde de sautillements aériens, leurs talons aiguilles rebondissant sur la terre desséchée de la toundra.
    — J’admets que c’est marrant, concéda Cétoine hors d’haleine. Mais, hormis cette aisance cordonnière extraordinaire, ce monde possède des particularités moins sympathiques. Comme une accélération temporelle brutale.
    — On est à combien ? glapit le Sbire de la Destinée, soudain livide.
    — D’après mes calculs, le ratio horaire local frise une bonne centaine à l’unité.
    — Tu veux dire qu’une heure ici vaut…
    — Cent heures Parques, oui. Un décalage comme nulle part ailleurs.
    Réduve, paniqué, tâta son visage à moitié dissimulé par le taffetas.
    — Je vais vieillir cent fois plus vite !
    — Tu. Ne. Peux. Pas. Vieillir, lui ânonna une Cétoine attendrie. Mais l’Ovale de Vieux peut toujours péter, alors arpentons ce menaçant panorama en escarpins et en toute hâte. Notre outil non plus ne tiendra plus bien longtemps.
    Il opina, dégageant la fiole attachée à son cou par une longue chaîne pour l’exhiber bien en évidence sur son corsage. Une ultime bénédiction que les Dieux envoyaient à leur Élue, une huile sainte que seuls les êtres d’exception pouvaient effleurer, prétendraient-ils. Une simple onction protégerait Céruléa contre les sortilèges les plus blasphématoires de son ennemi. Cétoine et Réduve avaient réclamé comme outil le contenant, une adorable bouteille minuscule du cristal le plus pur, striée de fils d’or, pour étayer leur mensonge. Le contenu, en revanche, partait d’une recette toute personnelle. Quinze secondes après l’application, les premières démangeaisons apparaîtraient. Ce mélange acide rongerait la peau et l’os frontal pour atteindre le cerveau en moins d’une minute. Les deux Séides du Sort espéraient que leur victime ne se badigeonnerait qu’avec quelques gouttes. Ainsi, au lieu de liquéfier les méninges de l’Élue, leur cocktail, en toute simplicité, provoquerait une douleur assez atroce pour la pousser à un suicide aussi impromptu que spectaculaire.
    Dans leurs robes de prêtresses éthérées, dont les étoffes liliales, les strass éblouissants et les voiles semi-mystérieux imitaient à la perfection l’accoutrement standard de toute muse bienveillante gardienne de Prophétie, les deux Parques filèrent avec la bise vers le Temple Oublié, accrochant les rayons lunaires sur leurs jupons diaphanes.
    Réduve se faufila le premier entre les ormes biscornus, poussant un sifflement admiratif.
    — La déco est splendide !
    D’un doigt taquin, il agaça la stalactite le plus proche, bouleversé par la proximité du Suppôt de la Providence. De gluantes larmes verdâtres, alourdies de péchés, en suintaient déjà.
    — J’aime particulièrement la guirlande d’entrailles, commenta-t-il en désignant un intestin, enroulé avec un goût artistique tout à fait contemporain, autour d’une branche outrée. Une touche colorée et vive dans un ensemble nature et tradition, une pointe d’audace sur un classique intemporel.
    — On me’c’ra l’ch’a même ‘ans le ‘ureau, lui promit Cétoine tout en dégageant les plis de gaze que la course avait fourrés dans sa bouche. Mais pas le même bordel.
    Elle fronça les sourcils, feuilletant en pensée les pages de l’Intégrale, pour y retrouver une description du temple. On l’y évoquait étrange, mystique, hors du temps, doué d’une âme propre, avec accès PMR et d’une conception éco-responsable, mais nulle mention de membres arrachés ou de chairs carbonisées dans les écrits qu’elle parcourait.
    — Quelque chose ne va pas, gronda-t-elle, perplexe.
    Son comparse ne l’écoutait pas. Il se coulait avec grâce vers le bassin central, le flacon bien en vue sur sa robe, à la recherche de l’Élue. Au pied d’un orme, il distingua une forme en mouvement, auréolée d’un double rai de lune. Une créature se tenait agenouillée près du tronc millénaire, serrant contre elle un compagnon inconscient, la tête baissée, sans doute pour lui murmurer quelques paroles d’apaisement durant son ultime voyage.
    — Quelque chose ne va pas, répéta Cétoine en le suivant avec davantage de circonspection.
    À l’arrivée des Parques, les deux longues oreilles triangulaires de leur vis-à-vis s’étaient dressées. Désormais, un mufle félin se pointait vers eux, étudiant leurs odeurs incongrues, alors qu’une lueur smaragdine lançait des éclats inquiétants dans leur direction. Le cadavre que la fauve maintenait à portée de ses crocs s’affaissa au sol.
    — Tu dramatises tout, pépia Réduve sans s’arrêter, le bras tendu vers la silhouette prête à bondir. Regarde-moi comme il est choupi…
    — Réduve !
    — Oups, pardon. Regarde-moi comme iel est choupi·ne·s dans une perspective respectueuse, non-oppressive et aromantique.
    — Ne t’approche pas ! Cette bestiole n’a rien à faire dans cet univers et…
    — Alors on pourra la ramener avec nous ! S’iiiil te plaît !! En plus elle a bobo la tite bouboule de poils ! Même si cela ne porte en rien atteinte à sa dignité fondamentale, à ses capacités objectives ou à son droit imprescriptible à l’auto-détermination, hein. Viens faire un câlin à Tonton Duduve, minou, minou…

    Ethel Arkady, déboussolée, avisa les nouveaux venus. Elle avait à peine débarqué du néant entre les mondes, échappant à des Chiens de Tindalos, qu’une cinglée en armure rutilante et toute sa bande l’avaient assaillie façon « charge des Valkyries. » Elle n’avait eu qu’une demi-seconde pour réagir, alors même que l’intolérable souffrance qui entourait son corps ne s’était pas encore dissipée. Une flèche avait filé vers son cœur. Grâce à ses réflexes de survie aiguisés par plus de cent cinquante ans de batailles, elle avait esquivé le projectile qui s’était planté dans son épaule droite, juste au-dessus de son bras de bois. La plaie saignait abondamment, mais elle avait connu pire.
    Les événements s’enchaînaient à un rythme vertigineux depuis qu’elle avait abandonné le Hibou dans les Lénouaches. Elle possédait une certitude cependant : quelque chose l’avait attirée ici. Elle ressentait les radiations d’une force familière : une graine de Sekhmet. Elle en aurait pleuré ! La perte de celle-ci lui tapait sur le ciboulot plus qu’elle ne le subodorait. Insupportable, railleuse, dangereuse, elle avait longtemps détesté la déesse, et pourtant, elle savait maintenant qu’elles s’appartenaient l’une à l’autre. Elle n’avait pas encore cherché l’objet. Voyager entre les plans ça creusait l’estomac et les cadavres de ses adversaires lui avaient offert un festin aussi improvisé que nécessaire.
    Et maintenant, pour en rajouter une couche, deux illuminés en robe à paillettes, hauts talons, entourés d’une aura coruscante se dirigeaient vers elle. Ils sautillaient comme des sauterelles dans un champ de blé. La grande asperge aux cheveux gris, aux seins opulents, compulsait un livre, son front plissé par la réflexion. À ses yeux aux sclérotiques noires et aux iris de flammes, Arkady en conclut qu’elle appartenait à l’ordre des faëries. Mais quelle espèce ? La femme leva sa main blafarde en direction du second personnage qui tentait… de l’amadouer ? Non ! Ce n’était pas possible ! L’idiot possédait à peu près sa taille, des cheveux céruléens aux reflets azur, un habillage ridicule de fée comme sa comparse, un regard orange et or incrusté de traviole dans un visage allongé. Il portait un corsage hors de propos sur lequel ballottait une fiole luisant d’une redoutable façon. Du poison, de l’explosif ? Peu lui importait. Elle lui fonça dessus.
    Une tempête alezane s’empara de Réduve. Son cou fut compressé dans l’étreinte d’un bras d’acier. Des serpents velus emprisonnèrent ses jambes. Il sentait aussi les seins de la créature dans son dos. Il n’avait jamais croisé un tel phénomène, mais les griffes de kératine sous sa gorge l’incitèrent à ravaler ses traits d’esprit. L’haleine de sang et de charnier de la féline lui souleva l’estomac. Elle embrassa du regard Réduve et Cétoine, puis elle feula : — Okay, les caves, c’est quoi le deal ? Vous voulez crever comme les abrutis, là ?
    Arkady pointa les cadavres qu’elle avait disséminés alentour, mais une décharge électrique froide s’insinua dans ses articulations. Elle grogna. Le bras de bois avait juste esquissé un minuscule mouvement. Putain de chevaliers à la con ! Malgré la douleur, elle tenait Réduve si proche d’elle que la robe de celui-ci épongeait l’hémorragie.
    — Toiiiinoune ! Y’a comme un C.O.U.A.C !
    Alors que son comparse lançait des piaulements à vriller l’âme, les orbites caves de Cétoine balayaient le décor avec frénésie, désespérée par la disparition de l’artefact exigé par Nona.
    — Qu’est-ce que vous foutez, gronda la féline en contemplant Cétoine, serrant un peu plus le cou du Parque dans un accès de colère. Vous tenez vraiment à ce que je tue cet empaffé ?
    Un nouveau piaillement suraigu lui hérissa le pelage, ramenant vers eux l’attention de la Séide du Sort.
    — Pas de panique, mon grand, lança cette dernière à son acolyte terrorisé. Elle fait partie des P.E.P.I.N.S, à mon avis. Chère Madame, si vous voulez bien m’accorder un petit instant ?
    Sans attendre sa réponse, elle s’avança vers le cadavre de Maelynn qu’elle retourna d’un coup d’escarpin.
    L’œil smaragdin d’Arkady s’arrondit alors que la Parque fouillait parmi les lambeaux de la compagnie, s’échinant à la recherche de quelque chose. Arkady bloqua la respiration de Réduve en serrant les doigts.
    — Le temps… Je ne pense pas que votre ami en ait beaucoup. Pour la dernière fois, vous êtes qui ? Qu’est-ce que vous foutez là ? Où est-ce que je suis ?
    En direction des décombres qu’arpentait Cétoine, Arkady ressentait une aura familière, une trace de feu, un soupçon de flammes…
    Ses griffes pénétrèrent dans la peau du Parque. Des rigoles de sang longèrent le cou fin de Réduve.
    — Répondez ou il est cuit !
    — Veux-tu bien arrêter tes bêtises, toi ? gronda Cétoine pour le prisonnier. Tu sais bien que les Consultants Occasionnels des Univers en Autonomie Contrôlée ne se laissent pas prendre à tes illusions de vilain Parque.
    — Je ne serais donc pas cru… mais suis-je pour autant cuit ? pouffa Réduve alors que les éraflures de sa gorge se refermaient, les filets de sang s’évaporant sous la paume de son assaillante.
    — Je ne pensais pas que les Prestataires Externes en Paramétrage Inter-planaire de Niveau Inférieur auraient envoyé aussi quelqu’un pour l’Aval de Nœud, ajouta la Parque en arrachant l’artefact des entrailles de Céruléa.
    Arkady resta circonspecte devant la régénération de son otage. Elle n’arrivait pas à identifier sa nature : il empestait bien le cadavre, mais son cœur battait, à l’inverse de celui des vampires. Elle exécuta un difficile mouvement de son autre bras en grimaçant de douleur, puis un stylet de bois perça l’épaule de Réduve.
    Son hurlement tarauda les quatre oreilles à sa portée, arrachant un sursaut à Cétoine qui faillit lâcher le Cristal gluant qu’elle serrait dans sa main.
    — Le problème avec les indépendants, c’est la coordination inter-services, soupira-t-elle. Un manque de communication régulière, faute de référents fixes à même d’assurer la transmission des mises à jour…
    — Le manque de communication est en train de me démembrer, bêla Réduve, sidéré par la blessure que lui avait infligée la griffe de bois.
    — C’est peu professionnel, je te l’accorde. Probablement un esprit d’émulation un chouille extrême.
    L’impatience gagnait la féline. Elle agrandit un peu plus le trou dans l’épaule de Réduve pour feuler :
    — Bon ! J’entrave rien à ce que vous dites les deux connards, mais vous allez jacter sinon je le défonce façon puzzle. Ça vous va ? Et tant que tu y es, toi…
    Elle pointa Cétoine de son bras.
    — Tu vas me donner cette pierre !
    — Si vous tenez à jacter, vous feriez mieux d’épargner le spécialiste ès verbiage, riposta Cétoine, insensible à la douleur de son binôme. Quant à l’Étale à Queue, je regrette, mais c’est notre mission en tant que Parques, Séides du Sort, Sbires de la Destinée, Suppôts de la Providence, Architectes de la Fortune, créatures de l’éther fascinantes et magnétiques…
    — Des Parques d’attraction, en quelque sorte, compléta le blessé.
    — Réduve et moi travaillons au service de régulation des ficelles narratives, dans la spécialité fiction littéraire.
    — Oui, c’est précis. Nous sommes des Parques à thème.
    — Et ceci, elle brandit le cristal au museau d’Arkady, nous a été réclamée par notre supérieure.
    Cétoine fourra l’artefact dans son décolleté avec un rictus bravache pour la féline.
    — Supérieure qui n’a jamais vu l’Aval Crasseux et le foutra au débarras sans même le regarder, nuança Réduve, horrifié par la plaie bien réelle qu’Arkady creusait dans son corps, d’ordinaire inaltérable.
    Arkady jaugea les deux Parques. Son œil noir lui collait une migraine de tous les diables. Elle ne saisissait qu’un mot sur trois, mais elle avait à peu près compris ce qu’étaient ses deux interlocuteurs.
    — Vous voulez parler de Nona, Decima, Morta ? J’les connais. J’ai passé un pacte avec elles, il y a de cela… Je ne sais plus. Peu importe. En tout cas, j’suis pas dans leur viseur ! J’ai négocié un pacte de non interférence avec mes intérêts… donc… Peut-être que vous avez tout intérêt à m’écouter !
    — Un manque de coordination vertical, pour le coup, couina Réduve. Les petites magouilles de la hiérarchie retombent toujours sur le pauvre prolétaire innocent.
    Cétoine se balança d’un talon sur l’autre, dépitée. La présence incongrue de la féline l’agaçait presque autant que les jérémiades de son binôme, balayant ses ambitions d’ordre, de discipline, de prévoyance. D’un claquement de doigts, la Parque pouvait quitter cet univers détraqué, abandonnant Réduve aux tortures de leur opposante, déposer l’Opale de Feu sous le nez de Nona puis rejoindre son bureau, bien rangé jusqu’à la fin des temps. Tentant, s’avoua-t-elle.
    Pendant qu’elle tergiversait, Arkady hocha la tête devant la réaction de Cétoine. Par sa posture, elle se doutait que la femme hésitait à foutre le camp. Un sourire tordit ses babines. Si cette garce se moquait bien de son collègue, elle craindrait sûrement la colère de ses patronnes :
    — Avant de vous barrer en abandonnant votre… machin à une mort horrible entre mes griffes, j’espère que vous courez vite ! Si vos patronnes apprennent que je suis dans le coup et que vous vous êtes débinés, ça va être moche. Selon les décrets, je ne suis pas censée être là !
    — Voilà qui change tout, approuva Cétoine, tout à coup radieuse. Parce que si vous n’êtes pas censée être là, je suppose que vous ne savez pas non plus comment en partir. Moi si, et comment y revenir, avec quelques-unes de vos connaissances. Je confirme, les patronnes en colère, c’est aussi moche que… que… que cette coiffure, là.
    Elle désigna le hérisson bleu canard de Réduve, qui tremblait d’effroi sur la tête de son possesseur.
    — Alors, si vous avez vraiment envie de dépiauter quelque chose, vous pouvez me le tailler bien dégagé derrière les oreilles, et puis on s’arrange ?
    — Toi ta gueule, gronda la féline à l’attention de Réduve, agrandissant un peu plus le trou dans l’épaule. Tu piailles trop pour moi… Et les oiseaux de ton genre, j’en fais mon p’tit déj. Bon, toi…
    Elle pointa Cétoine d’un doigt.
    — … Tu peux me renvoyer chez moi, avec la pierre. Et vos patronnes ne vont y voir que du feu. En échange…
    Elle cogna une griffe contre sa Pierre de Dragon dans laquelle tourbillonnait l’égrégore, enfermé dans les facettes du cristal.
    — Je te donne ça. C’est une aberration karmique. Je suis sûre que Decima sera contente d’avoir cette saleté !
    La Parque agrandit son sourire pour Arkady. Les sévices de cette aimable intruse calmeraient le primesautier Réduve pour un petit siècle au moins. Plus intéressée par l’opportunité de voir dompter les ardeurs de son binôme que par l’éclat charbonneux incrusté dans l’orbite de la féline, elle se frotta les mains.
    — Pourquoi pas ?
    — Mais oui, mais oui, approuva l’imprudent prisonnier en se tortillant. C’est très joli, cette Fière d’Estragon. Decima va a-do-rer.
    — Alors, beugla Arkady, c’est quoi votre réponse, petites parques ? Je fatigue à tenir celui-là, et je l’égorgerai bien pour m’épargner un peu de peine…
    — Comme je vous comprends, avoua Cétoine pour couper court aux protestations outrées de Réduve. J’y ai déjà songé moi-même, mais il se montre malgré tout assez doué pour récolter de la Plus-value Fatalité.
    Les deux Suppôts de la Providence frissonnèrent à ces mots, avant qu’elle ne reprenne :
    — Donc, si vous me rendez mon séide idiot, avec la Bière au Gardon en offre de bienvenue, la Vocale à Bœufs est à vous. Je vous l’emballe et je vous renvoie chez vous ? Mais pas de coups bas…
    — Pourtant, je veux danser la salsa…
    — La vocale à… Je ne comprends pas un traître mot de ce que vous bavez ! Vous parlez de la Pierre que vous possédez, celle qui contient la Flamme ? Si c’est ça, ouais, je vous cède l’une pour l’autre. Plus le crétin dont je ne saurai que faire. Bon…
    Elle ouvrit sa main de chair devant les deux Parques.
    — Envoyez-moi ça, mais pas d’entourloupe…
    Cétoine projeta l’Opale de Feu en l’air, la rattrapant tout soudain.
    — Je vous la lancerai si vous me lancez la vôtre. Ce n’est pas que je sois méfiante, mais j’adore le squash.
    De ses doigts décharnés fusèrent d’ignobles vers gluants, qui s’étirèrent jusqu’à Réduve, le recouvrant tout entier à l’exception d’un épi bleuâtre dardé hors du crâne.
    — D’ordinaire, il est assez mal vu de ligoter ses collègues, expliqua-t-elle. En dehors des séjours de team building, j’entends. Mais je vous le saucissonne pour preuve de ma bonne foi.
    — Et parchqu’elle chait que chaime bien, marmonna son binôme au travers de la gangue d’insecte qui l’immobilisait.
     Arkady souleva un de ses sourcils broussailleux devant ce sortilège. Elle nota pour elle-même de ne pas sous-estimer la Parque. Le gamin demeurait un âne bâté, mais Cétoine lui poserait quelques problèmes en cas d’affrontement direct. Pour en rajouter, s’arracher la Pierre de Dragon lui promettait de sacrées souffrances. Elle se cassa un doigt de bois qui repoussa aussitôt pour se le mettre dans la bouche. Elle tâta les bords de son orbite, infiltra des radicelles dans les interstices qui séparaient le cristal de sa chair et tira, tira, tira. Des craquements retentirent dans son crâne et une névralgie ignoble étendit sa toile de givre autour de son cerveau. Elle mordit dans le bâton qu’elle avait calé entre ses dents pour ne pas hurler. Des décharges électriques froides lui traversaient tout le corps. L’ondée chaude de son sang qui giclait hors de l’ouverture qu’elle avait creusée imbiba son torse, ses seins. Elle ne voyait plus rien du côté droit. A bout de souffle, elle s’ancra dans la terre d’une garde d’escrime, lorgnant les deux Parques, haletante.
     — V… Voilà… Une offrande pour… Cette vieille conne de… Decima ! Maintenant, donnez-moi l’autre…
    C’était le moment le plus dangereux. Elle avait calculé trois angles d’attaques contre la Parque, mais l’ignoble douleur ralentirait ses mouvements de manière conséquente.Les flammes écarlates rugirent un instant au fond des orbites de Cétoine. Peut-être y avait-il moyen de conserver les deux artefacts, ainsi que Réduve effondré aux pieds de la féline qui ahanait, la Pierre de Dragon luisante au creux de sa main griffue. Non ! Ordre, discipline, prévoyance ! Elle avait eu son quota d’aléas pour la mission. Bien que la tête empaillée d’Arkady eût fait un effet splendide sur le petit guéridon à gauche en entrant dans le bureau, une attaque sournoise entraînerait trop de complications. Un frisson secoua les vers qu’elle avait invoqués ; l’un d’entre eux rampa le long du corps de Réduve, ondulant vers l’adversaire. La Parque envoya l’Opale de Feu vers l’orme biscornu, dans un tir nonchalant. Arkady s’empara de l’orbe ignescente sur un soupir de soulagement. Elle avait bien capté le mouvement menaçant, aussi se hâta-t-elle de loger la pierre dans son orbite qui s’y incrusta de manière parfaite, comme si cet endroit avait été conçu pour la sertir. Arkady arracha ensuite la flèche qui lui traversait l’épaule sans presque sourciller. Son sang bouillonnait sous la chaleur de la Flamme. Le rugissement sans âge de Sekhmet – ou quel que soit son nom dans cette dimension – parcourut son corps en une exultation jouissive qui lui hérissa la crinière et lui humidifia les cuisses.
     — Bienvenue à la maison, ronronna-t-elle à l’intention de l’orbe.
     Son attention revint sur Cétoine et ses vers. Elle claqua des doigts de sa main de bois et des étincelles mordorées en jaillirent.
     — Maintenant, j’attends à ce que vous me rameniez chez moi, comme convenu…

    — J’aurais quand même bien voulu la garder moi, la tite bouboule de poils, pleurnicha Réduve alors qu’un vortex de néant aspirait Arkady, se refermant sur elle en une fraction de seconde. Je suis sûr que j’aurais pu lui apprendre à être gentille.
    Cétoine le débarrassa de ses liens d’un souffle, avant de le remettre sur pieds.
    — Certainement. Mais qu’est-ce qu’on se serait fait chier, après !

    dimanche 8 octobre 2023

    Les Aventures d'Ethel Arkady : Pornopolis : La Sorcière de l'Ouest

    Après un mois de septembre difficile à cause de problèmes médicaux, je reviens tout doucement à mes activités artistiques habituelles. Il me reste beaucoup de travail en retard dur la table, dont une courte BD autour d’Arkady, mais j’avancerais ceci avant la fin de l’année.

    Ce coup-ci, voici une nouvelle illustration de MakuZoku qui est devenu un abonné de ma coriace féline… qui offre cette fois un visage à une de ses antagonistes la plus pugnace : La Sorcière de l’Ouest. Bien qu’humaine, celle-ci réussira à capturer Arkady à en faire son esclave (ce que je raconterais dans : « Le Manoir aux Mille Miroirs », toujours en cours de rédaction.). Navigant dans les eaux saumâtres de la haute finance, ce qui lui confère des moyens matériels impressionnants auxquels s’ajoutent sa froide intelligence et son parfait sadisme saphique. Une combinaison redoutable qui mettra Arkady à rude épreuve. Le personnage qui apparaît sur cette image n’est autre que le « démon » familier de la Sorcière : « Donald » de son patronyme vernaculaire.

    Comme cette illustration s’inscrit dans le cadre de Pornopolis, je vous redirige vers le site idoine pour la version complète.


    dimanche 20 août 2023

    Les Chroniques de Yelgor : Capitaine Allytah !

    Dans le troisième tome des Chroniques de Yelgor, j’ai prévu d’explorer le passé de notre chère  Allytah dans la piraterie. Je n’ai pas encore eu l’occasion de mettre en scène des pirates. Ce sera désormais chose faite, d'autant plus que le cadre « fantaisistes » des Chroniques me soulage au niveau de la documentation. Je garde le thème, sans pour autant me perdre dans une recherche que je n’aurais guère le temps d’accomplir. 

    Comme les Chroniques sont illustrées, et que chaque volume comporte une carte blanche donnée aux artistes qui collaborent avec moi, c'est au tour de MakuZoku de créer une scène que j’intégrerais au récit. Et il s’est surpassé !

    La réalisation de cette illustration coïncide avec une période pendant laquelle je sombrai lentement, mais sûrement dans le trente-sixième dessous d’un début de dépression, agrémenté de quelques difficultés supplémentaires dans mon travail civil et ma vie de famille. C’est dans ces conditions pénibles que je reçois le magnifique portrait d’Allytah par MakuZoku. Et je ne sais pas comment expliquer cela, mais ce dessin m’a aidé à passer le cap de ce moment délicat. Voir quelque-chose sur lequel on planche depuis quelques années, prendre corps, ça améliore le moral, mais il n’y a pas que ça : l’expression du personnage, son air à la fois haineux et désespéré, amplifié par la sensibilité du crayon parle à mon esprit fracassé, me raconte une histoire. C’est comme si Allytah elle-même me susurrait de ne pas la suivre dans son enfer que je n’y survivrai pas !

    J’ignore le pourquoi du comment, c’est la magie de l’Art. Cela marche sur moi, et je dois une fière chandelle à MakuZoku. J'ai toujours considéré l’art comme une forme de communication qui possède son propre pouvoir, et cette expérience consolide cette intuition… [1]. En certaines occasions particulières, il soigne les âmes éreintées et si ce n’est pas sa fonction première, cela n’en demeure pas moins une de ses plus hautes qualités, mais encore faut-il pour cela que les œuvres soient inspirantes...


     


    ___________________________________________

    [1] – Un peu hors sujet, mais je parle bien ici de l’IA « artistique ». Beaucoup d’encre a coulé à ce sujet, et je n’ajouterais pas grand-chose, à part peut-être cette pensée : je considère que toutes les formes d’art contiennent, en leurs seins, une forme de magie dans le sens ou chacune aborde une dimension différente de l’expérience humaine ; en ce sens, l’IA appliquée au secteur artistique – en plus d’être du vol pur et simple de propriété intellectuelle – pose un problème philosophique assez grave : comment une série d’algorithmes peut-elle dire quoi que ce soit sur l’existence humaine ?

    lundi 10 juillet 2023

    Les Aventures d'Ethel Arkady : Les Céruléens

     Après plus de six mois passés sur la couverture (garantie sans IA !) dont la colorisation m'aura explosé les orbites, quelques semaines d'ultimes révisions, j’ai enfin achevé les Céruléens. Cette histoire intervient juste après l'affaire du Vitallium, que j'ai aussi révisé dans la foulée.

    Malgré le fait qu’il s’agisse d’une aventure plus courte d’Ethel Arkady, le roman m’aura demandé plus d’efforts que je ne pensais lui en allouer. Au départ, cela devait être une récréation entre deux interminables sagas (Adélaïde & Pornopolis, toujours en court), mais j’ai bien cogité sur le sujet, risquant parfois ma santé mentale.

    À ce propos, je signale aux éventuels curieux qu’il vaut mieux être un lecteur mature pour aborder le roman. Et j’insiste à tel point sur le terme, que je demande à passer directement par ma pomme pour se le procurer.


     
     Extrait : 
    « Les têtes anonymes des étudiants qui l’observaient, installés derrière leurs pupitres se délectaient par anticipation d'assister à la mise au pilori de la retardataire. D’autres se ratatinaient, se racornissaient sur leurs fauteuils pour ne pas être choisis par la maîtresse. »

    dimanche 2 juillet 2023

    Dessin du Dimanche : Personnages de Gidéaire !

    Après trois mois sans poste, ce blog sent la poussière ! J’ai eu pas mal de soucis personnels qui m’ont tenu un peu éloigné de celui-ci, bien que je continue d’écrire sur le côté. Du coup, histoire de m’aérer l'esprit, j’ai repris quelques parties de jeu de rôle, profitant de celle-ci pour me remettre au dessin.

    Voici quelques personnages réalisés en suivant plus ou moins les instructions des joueurs, mais en les adaptant à la sauce. Pour la technique, je pose un léger encrage au feutre, puis je finalise aux crayons de couleur. Je propose un portrait en pied par session, et donc le défi que je relève ici consiste à élaborer une image avec toutes les spécificités que l'on m'aura indiquées.

    Je n’étais pas vraiment un grand amateur des crayons de couleur, mais les derniers que j’ai achetés (sur un coup de tête) possèdent un côté « gras », ce qui me permet de superposer plusieurs couches. J'avoue que pour le moment, mes compagnons de jeu sont enthousiasmés de ces essais brossés entre deux batailles. Et le dessiner me manquait, ne trouvant guère l'occasion de me concentrer dessus à la maison.


     
    Un changement de technique pour Harfang des Neiges, un personnage pour une autre campagne que j’ai achevée cette année et qui en aura bavé sous la houlette d’un MJ sadique, mais dont j’ai aimé suivre les pérégrinations. Ici, j’ai ajouté quelques corrections numériques, puis j’ai traité le tout pour en faire une sorte « d’imitation de gravure », parce que cela m’amusait.


     

     

    samedi 8 avril 2023

    Les Chroniques de Yelgor : La Bande Annonce !

    Une nouvelle publication Yelgorienne : 

    Après plus de six mois, la bande-annonce pour le premier roman et l’amorce du second est enfin terminée. La vie moderne étant constituée d’impondérable, il s’est parfois écoulé de longs laps de temps entre la réalisation de chaque plan, mais cette maturation à bénéficié au rendu final, même si la compression du Tube ne lui rend pas hommage. La vidéo possède une meilleure qualité sur la page Fesse-de-Bouc des Chroniques



    Les différents illustrateurs ont conférés une patine inédite à ce monde qui demeure distinct de la saga Arkady. Que ce soit MakuZoku, Didizuka ou Duarb Du, je les remercie pour leur contribution à ce récit tentaculaire.

    Le choix de la musique, étape cruciale pour la réalisation d’un court-métrage, fût-il aussi modeste que celui-ci, n’a pas été sans douleur. Un temps, je me suis perdu dans le labyrinthe des compositions libres de droits. Entre les sous Hans Zimmer et autre aberrations auditives, je pensais cette traque vaine, jusqu’à ce que les arpèges cosmiques du groupe Etrange envahissent mes esgourdes.
     

    Pratiquant un métal instrumental, c’est-à-dire sans chansons, celui-ci s’est avéré idéal pour mes sessions d’écriture matinale, leurs sarabandes parfois endiablées, parfois mystérieuses conférant un tempo à mes mots. Elles accompagneront sûrement les aventures d’Allytah tout au long de la rédaction du second tome. Aussi, après avoir acquis le second album, dont les différentes pistes réussissent à supplanter celles du premier en termes de complexité sonore, je leur ai demandé si je pouvais utiliser une section de leur musique et ils ont eu l’extrême amabilité d’accepter, mettant un terme à une harassante et agaçante quête.

    J’avais songé au morceau Titan du premier album, tout en impressionnante rythmes martiaux accompagné par des bruits de pistons, mais celui-ci se déploie sur la longueur en un air toujours changeante. Astralis, avec son ouverture pleine de puissants rifts énergiques supportés par une batterie prise de spasmes, fonctionnait mieux pour le montage, d’autant plus que la mélodie connaît des silences abrupts, des virages sonores acrobatiques qui voisinent d’autres ponctuations dans lesquelles prélever un échantillon s'avérait plus commode. 
     
     

    Je remercie Etrange pour leurs amabilités. J’espère que le résultat final rend justice à leurs compositions. Je vous recommande chaudement la fréquentation de ce groupe dont les deux albums proposent une périple cosmique dans un univers à mille lieues du nôtre.

    dimanche 26 mars 2023

    Cinoche P comme Pourris : Avatar 2 : la voie de l'eau de James Cameron (2023)

    Après un moment à bosser d’arrache-pied sur Ethel Arkady ou les Chroniques de Yelgor, il est temps d’exécuter un minuscule pas de côté pour rédiger de nouvelles critiques de films, mais dans un format un peu moins formel, plus libre et plus rapide que celles que j’ai déjà produites. Depuis la fin du confinement, j’ai retrouvé le chemin des salles obscures, et je pense qu’il est utile de jeter un regard dans le rétroviseur sur ce que j’y ai vu.


    À tout seigneur, tout honneur, jugeons sur pièce la dernière cathédrale cinématographique du Grand Jim, la ©Révolution Copernicienne qui nous apprendra comment l’on réalise des films à l’aune des années 2020, alors même que les IA sont en passe de remplacer les artistes[1]. D’une durée astronomique Avatar 2 propose un spectacle total, en 3D 400 THX 6.2 de mon cul, avec une myriade de détails et de biens belles vignettes, ma bonne dame, qu’elles sont magnifiquement poétiques ! Pouet, pouet !

    Alors, non ! Juste non ! Ce film est une insulte à l’intelligence humaine. Si je ne cracherais pas sur la réalisation qui vaut mieux que le moindre plan pondu par un « yes-man ! » de chez Disney, je ne m’extasierais pas non plus sur celle-ci. Elle ne comporte que peu de plans signifiants, se contentant d’illustrer de manière besogneuse le scénario. C’est le strict minimum syndical ce qu’on attend d’un réalisateur comme Cameron. Pour le reste, les thèmes exploités dans le récit ne dépareilleraient pas dans un western du Duke, avec cette bonne vieille moraline ricaine assénée au marteau-piqueur avec la légèreté d’un quinze tonnes bourré à la Kronenbourg. Hésitant comme un étudiant encore hébété par sa soirée de picole entre différentes voix narratives – sans en retenir aucune – le film ne répondra à AUCUNE des questions qu’ils posent lui-même, vous rotant des TGCM à la gueule en guise d'explication.

    Les beaux esprits qui s’accrochent à cette ©Révolution avec l’énergie du désespoir tente de transformer cette informe masse de plastique en un chef-d’œuvre ne contemple au fond que la déshérence morbide de leur idole passée. À l’évidence, et depuis une bonne vingtaine d’années, le cinéma de Cameron est rentré dans un coma avancé. Le premier Avatar recyclait déjà des pans entiers de sa filmographie dans un vomi de couleur fluo usant de ces Schtroumpfs comme de jouet dans des décors puant le silicone à plein nez. Ce nouvel opus entérine cette chute.

    Ce n’est pas parce que le film possède une structure en « chiasme » que ça le transforme en parangon d'intelligence. Maîtriser ce genre d’outil narratif, c’est la base pour n’importe quel aspirant écrivain. Ça n’excuse en aucun cas tous les trous dans la trame scénaristique sur lesquels je ne m'étendrai pas[2], ça serait trop fastidieux. Je signalerai juste que le film appartient au genre de la science-fiction, et que cela demande donc une rigueur de tous les instants dans l'exploitation de la logique interne du récit. Qu’en 13 ans (bordel !) personne dans la production n’ait rappelé au ©Grand Jim que les spectateurs ont besoin de règles claires, précises et que l’on réponde aux enjeux que l'introduction lance reste une éclatante preuve de paresse intellectuelle.

    Dans cet étron, tout est à chier : la musique vous scie les nerfs avec ses 250 000 cordes aussi asthmatiques, singeant les compositions de James Horner, lequel avait déjà pas mal recyclé ses plus glorieuses mélodies sur le premier épisode de cette saga, devinant peut-être que le réalisateur se muait en une caricature de lui-même ; Sam Worthington, à son habitude, livre une « performance » brillante de gnou sous prozac, tout à fait reconnaissable malgré son grimage bleu : Le vide abyssal de son regard vous hantera toute la nuit, on touche l’infini en se perdant dans cette négation de l’intelligence ; les autres acteurs déclament les pires inepties dans un surjeu constant, couverts des plus beaux effets spéciaux du monde, enfin pas un de ses personnages ne mange, ne saigne, trahissant là leur véritable nature « d’avatar » en plastoc, détaché de la contingence biologique qui est le lot du vivant. Cette artificialité eût pu être une mise en abîme terrifiante, mais cela restera un éclair de lucidité de la part du ©Grand Jim dans cette océan de vacuité.

    C’est que, film grand public oblige, et avec toutes les sensibilités exacerbées de notre époque, il ne faut froisser personne. Effaçons donc ces manifestations organiques qui sont pourtant à la base de notre vie en communauté[3]. J’aimerais aussi profiter de cet inventaire pour gloser sur le flagrant délit d’anthropomorphisme éhonté qui implique les baleines à mâchoire trifide. Ce moment de cinéma en or massif a pulvérisé le seuil de mon incrédulité à Mach 6 dans un élan de ridicule auquel même les dessins animés les plus niés de l’Oncle Walt n’ont rien à envier.

    Quant à « l’inventivité » du monde de Pandora, si foutre six pattes à des chevaux et coller une collerette à des plésiosaures est un parangon de création, je pense que la plupart des écrivains de fantasy se retournent dans leurs tombes. Il n’appartient qu’à vous d’ouvrir un livre d’Ernst Haeckel pour découvrir la pauvreté cagneuse de cet univers en carton-pâte numérique. En vérité, ce truc – j’hésite à appeler ça un film – ressemble beaucoup aux productions Marvel. Alors, comme je l'ai dit plus haut, certes pas au niveau de la réalisation, mais dans son vide thématique abyssal, son manichéisme abject, ses péripéties toutes plus téléphonées les unes que les autres, l’idiotie crispante de ses personnages, l’on retrouve la même absence d’ambition, la même atonalité un poil méprisante pour son public.

    Et pour cause, c’est que ce « truc » ©Révolutionnaire coûte le PIB d’un pays en voie de développement. Il faut se rembourser ma petite dame ! Que les actionnaires en aient pour leurs thunes. C’est d’autant plus amusant, de manière métatextuelle, que le film se vautre comme un cochon dans un écologisme d’apparat, alors que dans sa fabrication, il se situe aux antipodes de ce qu’il prêche avec une suffisance qui confine à l’insulte caractérisée. Et c’est peut-être cette hypocrisie crasse qui m’a le plus ulcéré. Cette façon sordide de se draper dans sa morale, sûre de son bon droit, qui n’appartient qu’au bourgeois, transpire par toutes les puces électroniques de cette sinistre et trop longue merde.
    ________________________________________________________ 

    [1] – plus malléables, n’ouvrant pas leurs gueules, qui s’en plaindra ? Sûrement pas les spectateurs habitués aux scripts pourris de chez Marvel.

    [2] – pour la bonne bouche, je citerai tout de même ces séquences ahurissantes ou les antagonistes ont TOUTES les cartes en main, les personnages dans leurs viseurs, mais laissent passer l’occasion parce que ça convient au réalisateur ! Du ©Génie !

    [3] – La plus simple des méthodes pour tisser des liens entre êtres humains consiste souvent à se réunir autour de gueuletons. Un élément que le film occulte, puisque pas un de ces personnages n’est incarné.

    dimanche 26 février 2023

    Les Aventures d'Ethel Arkady : Les Céruléens - couverture 02 (avec Syzygy)

    Après une interminable gestation, j’en ai enfin fini avec la couverture des Céruléens, dont l’artiste Syzygy a réalisé le crayonné. J’avoue que je ne suis pas mécontent de cette illustration qui possède une ambiance bizarre due à son aspect allégorique. Je poste ici le récit avec et sans les titrages pour vous en donner une petite idée. Le roman me demandera encore un peu de travail avant d’être mis en vente, mais la fin se rapproche à grands pas.  

     

    Voici un court extrait du premier chapitre de cette nouvelle histoire :
     
    « À la terrasse d’un restaurant familial aux allures de chalet, Ethel Arkady dégustait une épaisse pièce de viande barbotant dans son hémoglobine. Elle admirait les nuages qui s'émiettaient en lamelles duveteuses contre les cimes sculptées en éperons tranchants. Le vent lui apportait un air hyalin qui dissipait les émanations de la ville, éveillant au creux de son ventre des élans de prédateur. La forêt de pins s'offrait à elle en un grand cirque et les ombres de la canopée lui susurraient à l'oreille la promesse de sanglantes courses. En plein songe de prochaines chasses haletantes, elle piqua une nouvelle bouchée. 

    Les lieux majestueux lui rappelaient ses innombrables pérégrinations entre le Wyoming et le Dakota, en d’autres temps. Par ricochet, cela éveillait en elle le souvenir de Josh Derringer. Elle était aveugle à l’époque de leur rencontre et seules ses mains avaient gravées les traits de son amant au bout de ses doigts. Hélas, ceux-ci s’évaporaient, avalés par le lent écoulement des décennies. 

    Elle s'était mise au vert dans la cabane de Rattle Snake, après les événements qui l’avaient conduite à fuir Los Angeles, pour se concentrer sur ce qu'elle souhaitait accomplir, maintenant qu'elle avait mené sa quête vengeresse à son terme. D’autres questionnements, plus angoissants, pointaient sous la surface de ses pensées. Cette présence qui la squattait, toujours à quelques encablures de sa conscience, un spectre mordoré qui ne se manifestait qu’à l’extrême limite de son champ de vision. Elle espérait capturer cette « entité » qui l’habitait et la dompter ! Peut-être que cette créature, quoi qu’elle soit, posséderait des réponses au sujet des régulières pertes de mémoire qui trouaient ses souvenirs ?

    Elle dilapidait son temps en balades interminables sur les cimes voisines, profitant d’un soleil clément pour s’offrir de longues siestes avant de redescendre à la nuit tombée. Parfois, elle accompagnait Rattle-Snake dans des parties de chasse intenses, lorsque la pleine lune agitait de manière trop insistante le loup en lui. Elle se dévêtait pour traquer avec lui un cerf-mulet, un wapiti ou un simple couple de lièvres à raquette. Les proies de bonne taille étaient l’occasion d’orgies sanglantes au cours desquelles les deux prédateurs glissaient dans un délire lubrique. L'âme sœur de Rattle, la hackeuse Erzé, ne se formalisait pas de ces étreintes, car il lui arrivait de s’acoquiner à la féline en de lascives caresses quand son compagnon partait pour ses travaux nocturnes. Ainsi, son séjour s’éternisait en un songe agréable, à l’abri de la civilisation humaine. Arkady apaisait son tourment entourée par des individus avec qui elle partageait une saine amoralité païenne.

    Picorant son assiette, elle attendait une vieille connaissance qui, quoique de sinistres mémoires, avait réussi l’exploit de la dénicher dans cette enclave. Arkady se demandait si elle ne devait pas féliciter sa mystérieuse correspondante avant de l'occire pour de bon. Elle avait presque achevé sa pièce de chair gargantuesque lorsqu’une ombre se pencha sur elle, la coupant dans sa contemplation des montagnes millénaires.

    Vêtue d’une veste d’aviateur en cuir et d’une casquette à l’effigie des Rockies du Colorado, la nouvelle venue avait troqué son ancienne canne-épée contre un automatique d'un calibre imposant, comme en attestait la bosse provoquée par le holster d’épaule. Seul indice de son allégeance au Dieu des humains, une minuscule croix d’argent reposait sur les globes de ses seins proéminents sertis dans une chemise blanche. Ses cheveux couleur de blé coulaient en une masse ondulante autour d'elle. Une mèche couverte de poussière, témoin de la sénescence qui la taraudait, en voisinait une seconde à sa gauche qui portait de discrets reflets céruléens. Elle dissimulait son regard de tueuse aguerrie derrière d’épaisses lunettes à verres miroirs qui dévoraient son visage avenant.

    Elle s’assit en face d’Arkady. Ses lèvres pâles, ornées de rides, esquissèrent un sourire de connivence. Les carreaux des lorgnons reproduisirent en dédoublés le mufle de la féline qui se léchait les babines de sa langue rêche, recueillant les ultimes gouttes de sang de son festin. La femme glissa son jean usé dans le fauteuil de bois grinçant, puis posa ses rangers militaires râpées jusqu'à la corde sur la table en signe de provocation. Elle croisa devant elle des mains ornées de mitaines de cuir clouté.

    — Ça va comme tu veux, Ark’ ?

    Arkady leva vers elle l’émeraude sertie dans son orbite droite. La gauche, dissimulée sous un chiffon crasseux, abritait une Pierre de Dragon, terrible artefact de pouvoir que la féline répugnait à utiliser. Elle lorgna un instant l’étrangère. »

    samedi 18 février 2023

    Les Chroniques de Yelgor : chant deuxième : La Nuit du Fer-Vivant : La Mer d'Herbe

    Cette deuxième illustration de MakuZoku pour les Chroniques de Yelgor nous offre une Allytah dans sa prime jeunesse, avant que le temps et ses duels successifs ne l’abîment. Je suis satisfait de ce panorama présentant une partie de ce monde très particulier. Ce second tome sort de l’Auberge de la Noctule pour explorer plus en profondeur l’univers étrange de Yelgor, dans lequel insectes géants et proto-dinosaures s’ébattent joyeusement. Cette ouverture me donne l’occasion d’inventer toute une flore et une faune en me référant à ce que j’aime : la préhistoire et l’entomologie.

    Je vous propose aussi l’extrait mis en image, bien qu’à l’inverse de la première aventure que j’ai livrée dans ces pages, celui-ci soit tronqué. En effet, je m’attarde bien plus sur les différents éléments qui composent cet univers. De cette complexité foisonnante résultent des chapitres bien plus longs qui passeront mal sur le Oueb. Je pense à vos mirettes, chers lecteurs !

    Ce qui fait que la suite des aventures d’Allytah et de ses compagnons ne sera disponible que sur papier et en mode liseuse. Néanmoins, il me reste encore beaucoup de chemin avant que le récit n’aboutisse. D’ici là, et à moins qu’une bombe thermonucléaire ne mette un terme à nos existences, je continuerai de vous présenter un aperçu de l’avancée des travaux.

    [...]

    Nous cheminâmes longtemps dans l’interminable plaine qui n’était ponctuée que de quelques courtes dénivelées herbeuses. Ce morne paysage m’engourdissait les nerfs. J’étais habituée à la diversité des montagnes volantes couronnées de pics acérés et aux parois aiguisées par les vents de mon pays. Wärwülf nous guidait dans des sentes à peine esquissées qui trouaient la vastitude saturnienne. Nous nous reposions près de sources cristallines jaillissant à proximité des rares coteaux qui imprimaient des vaguelettes dans cette platitude. Ces rus étaient entourés de haies et de talus composés d’arbres malingres, d’imposantes fougères et de quelques sigillarias. À notre soulagement, nous ne croisâmes plus de cicandelles, ni d’autres prédateurs des plaines. Je redoutais les tyranides laineux qui chassaient en meute. D’après notre Hyksos, ceux-ci entraient dans la période des amours, et pour le moment, ils ne se sustentaient pas. Ces dispositions ne tarderaient pas à changer dans quelques lunaisons. Aussi nous accélérâmes le pas, tout à nos ruminations funestes.

    Jehan avait mal pris nos explications et hypothèses, ne voyant dans cette conjonction de vies brisées que la main du destin aveugle. Une idée à laquelle j’eusse souscrit, si je n’avais eu la connaissance fâcheuse de certains événements. Ces réflexions me ramenaient aux cuves qui me hantaient encore. Les rares éodes de sommeil que je grappillai me plongeaient dans des transes mémorielles dont je m’éveillai en hurlant. Ces cauchemars abominables écharpaient mon âme – si une telle chose existât – et mon corps, prisonnière de ces effroyables tubes de souffrance. Catsmyr m’aidait à repousser ces visions d’agonies, mais au plus nous avancions, au plus mes terreurs nocturnes gagnaient en puissance. Le manque de repos me minait, émoussait mes réflexes et mes forces. Catsmyr m’épargna une mort stupide quand je versai dans une des fondrières traîtresses qui constellaient la plaine. Ces trous boueux, dissimulés par les herbes hautes, étaient capables d’aspirer dans leurs profondeurs une monture et son cavalier en quelques respirations.

    Après plusieurs jours de ce voyage monotone, Wärwülf revint de son inspection très circonspect, car la piste de nos ennemis s’effilochait, comme s’ils n’avaient jamais existé. Nous pressentions un mystère, mais nous demeurions incapables de le résoudre. Nous tournâmes en rond pour rassembler de nouveaux indices, mais les dernières empreintes de leurs présences se dissipaient vite, à mesure que la végétation couchée par les chariots et les tricks se régénérait. Nous en conclûmes que nous nous retrouvions livrés à nous-mêmes. Néanmoins, la brève vision de Skadi dans l’orbe émeraude du sigil nous confirmait qu’ils se dirigeaient vers la Tour, qui demeura notre principal objectif. Ce mystère nous taraudait et nous nous murâmes un moment dans une humeur bilieuse. Seul Catsmyr se révéla d’une fréquentation plus avenante que mes compagnons et nous partagions, avant de nous endormir, les suppositions les plus folles.

    En accostant la cime d’une colline plus élevée que la moyenne, nous eûmes une vue zénithale sur le panorama. En dehors de ces ponctuations arboricoles, je ne distinguai rien dans cette étendue uniforme que les vents ballottaient de droite et de gauche, mais notre Hyksos reconnaissait la moindre variation de teinte des graminées et ils les nommaient dans une vingtaine d’appellations gutturales. Alors qu’il nous donnait une leçon, la cime des plumaces trembla en cadences, puis celles des rares popsus et lishophore malingres, comme si des mains invisibles en agitaient les troncs. Nous ressentîmes bientôt des trépidations sous les pattes de nos montures qui devinrent nerveuses. Catsmyr manqua de verser à terre, son squalcrâne piaffant de panique. Il se dressait presque à l’horizontale, ses pattes antérieures griffant le vent, pour désarçonner son cavalier. Je descendis de la mienne, accompagnée par Jehan, et nous tînmes sa longe. Je le caressai en émettant des sons de gorges rauques qui rassérénèrent le squalcrâne paniqué. Pendant tout cet épisode, mon bras gauche se lançait parfois à l’assaut de la poignée de mon sabre, comme mû par une volonté propre.

    Une odeur de végétation pourrissante nous enveloppa. Les tremblements s’accentuèrent et enfin des têtes oblongues émergèrent de l’océan vert. Elles se juchaient sur d’imposants corps grisâtres à la peau parcheminée. Ces créatures mugirent en chœur, puis les interminables gorges se penchèrent vers nous, arrachant avec des dents aciculaires les feuilles des arbustes en une seule bouchée. Leurs immenses yeux glissèrent sur nous sans nous voir. Leurs jambes colossales constellaient la plaine de cratères météoritiques. Elles soufflaient par des évents situés sur une proéminence de graisse, au sommet de leurs crânes. Ces animaux plus anciens que le monde dégageaient un sentiment de puissance inouï. Leurs queues fouettaient l’air en permanence, chassant les parasites ailés qui les harcelaient avec insistance. Le plus grand de ces nobles herbivores mugit, la forme serpentiforme de son coup se découpant dans le soleil couchant. Sa longue note, grave, nous étreignit de sa mélancolie sans âge. Ses semblables l’accompagnèrent, formant un concert d’étranges cornes de brume. Quelques jeunes passèrent près de nous, leurs membres encore malhabiles tremblotant sous le poids de leurs abdomens gargantuesques. Ils grognèrent en croisant les squalcrânes qui caquetèrent une réponse incompréhensible. Il s’écoula un siècle avant que le troupeau de djoros ne s’estompât dans la plaine, l’écho de leurs cris se dissipant dans le vent.

    [...]