samedi 18 février 2023

    Les Chroniques de Yelgor : chant deuxième : La Nuit du Fer-Vivant : La Mer d'Herbe

    Cette deuxième illustration de MakuZoku pour les Chroniques de Yelgor nous offre une Allytah dans sa prime jeunesse, avant que le temps et ses duels successifs ne l’abîment. Je suis satisfait de ce panorama présentant une partie de ce monde très particulier. Ce second tome sort de l’Auberge de la Noctule pour explorer plus en profondeur l’univers étrange de Yelgor, dans lequel insectes géants et proto-dinosaures s’ébattent joyeusement. Cette ouverture me donne l’occasion d’inventer toute une flore et une faune en me référant à ce que j’aime : la préhistoire et l’entomologie.

    Je vous propose aussi l’extrait mis en image, bien qu’à l’inverse de la première aventure que j’ai livrée dans ces pages, celui-ci soit tronqué. En effet, je m’attarde bien plus sur les différents éléments qui composent cet univers. De cette complexité foisonnante résultent des chapitres bien plus longs qui passeront mal sur le Oueb. Je pense à vos mirettes, chers lecteurs !

    Ce qui fait que la suite des aventures d’Allytah et de ses compagnons ne sera disponible que sur papier et en mode liseuse. Néanmoins, il me reste encore beaucoup de chemin avant que le récit n’aboutisse. D’ici là, et à moins qu’une bombe thermonucléaire ne mette un terme à nos existences, je continuerai de vous présenter un aperçu de l’avancée des travaux.

    [...]

    Nous cheminâmes longtemps dans l’interminable plaine qui n’était ponctuée que de quelques courtes dénivelées herbeuses. Ce morne paysage m’engourdissait les nerfs. J’étais habituée à la diversité des montagnes volantes couronnées de pics acérés et aux parois aiguisées par les vents de mon pays. Wärwülf nous guidait dans des sentes à peine esquissées qui trouaient la vastitude saturnienne. Nous nous reposions près de sources cristallines jaillissant à proximité des rares coteaux qui imprimaient des vaguelettes dans cette platitude. Ces rus étaient entourés de haies et de talus composés d’arbres malingres, d’imposantes fougères et de quelques sigillarias. À notre soulagement, nous ne croisâmes plus de cicandelles, ni d’autres prédateurs des plaines. Je redoutais les tyranides laineux qui chassaient en meute. D’après notre Hyksos, ceux-ci entraient dans la période des amours, et pour le moment, ils ne se sustentaient pas. Ces dispositions ne tarderaient pas à changer dans quelques lunaisons. Aussi nous accélérâmes le pas, tout à nos ruminations funestes.

    Jehan avait mal pris nos explications et hypothèses, ne voyant dans cette conjonction de vies brisées que la main du destin aveugle. Une idée à laquelle j’eusse souscrit, si je n’avais eu la connaissance fâcheuse de certains événements. Ces réflexions me ramenaient aux cuves qui me hantaient encore. Les rares éodes de sommeil que je grappillai me plongeaient dans des transes mémorielles dont je m’éveillai en hurlant. Ces cauchemars abominables écharpaient mon âme – si une telle chose existât – et mon corps, prisonnière de ces effroyables tubes de souffrance. Catsmyr m’aidait à repousser ces visions d’agonies, mais au plus nous avancions, au plus mes terreurs nocturnes gagnaient en puissance. Le manque de repos me minait, émoussait mes réflexes et mes forces. Catsmyr m’épargna une mort stupide quand je versai dans une des fondrières traîtresses qui constellaient la plaine. Ces trous boueux, dissimulés par les herbes hautes, étaient capables d’aspirer dans leurs profondeurs une monture et son cavalier en quelques respirations.

    Après plusieurs jours de ce voyage monotone, Wärwülf revint de son inspection très circonspect, car la piste de nos ennemis s’effilochait, comme s’ils n’avaient jamais existé. Nous pressentions un mystère, mais nous demeurions incapables de le résoudre. Nous tournâmes en rond pour rassembler de nouveaux indices, mais les dernières empreintes de leurs présences se dissipaient vite, à mesure que la végétation couchée par les chariots et les tricks se régénérait. Nous en conclûmes que nous nous retrouvions livrés à nous-mêmes. Néanmoins, la brève vision de Skadi dans l’orbe émeraude du sigil nous confirmait qu’ils se dirigeaient vers la Tour, qui demeura notre principal objectif. Ce mystère nous taraudait et nous nous murâmes un moment dans une humeur bilieuse. Seul Catsmyr se révéla d’une fréquentation plus avenante que mes compagnons et nous partagions, avant de nous endormir, les suppositions les plus folles.

    En accostant la cime d’une colline plus élevée que la moyenne, nous eûmes une vue zénithale sur le panorama. En dehors de ces ponctuations arboricoles, je ne distinguai rien dans cette étendue uniforme que les vents ballottaient de droite et de gauche, mais notre Hyksos reconnaissait la moindre variation de teinte des graminées et ils les nommaient dans une vingtaine d’appellations gutturales. Alors qu’il nous donnait une leçon, la cime des plumaces trembla en cadences, puis celles des rares popsus et lishophore malingres, comme si des mains invisibles en agitaient les troncs. Nous ressentîmes bientôt des trépidations sous les pattes de nos montures qui devinrent nerveuses. Catsmyr manqua de verser à terre, son squalcrâne piaffant de panique. Il se dressait presque à l’horizontale, ses pattes antérieures griffant le vent, pour désarçonner son cavalier. Je descendis de la mienne, accompagnée par Jehan, et nous tînmes sa longe. Je le caressai en émettant des sons de gorges rauques qui rassérénèrent le squalcrâne paniqué. Pendant tout cet épisode, mon bras gauche se lançait parfois à l’assaut de la poignée de mon sabre, comme mû par une volonté propre.

    Une odeur de végétation pourrissante nous enveloppa. Les tremblements s’accentuèrent et enfin des têtes oblongues émergèrent de l’océan vert. Elles se juchaient sur d’imposants corps grisâtres à la peau parcheminée. Ces créatures mugirent en chœur, puis les interminables gorges se penchèrent vers nous, arrachant avec des dents aciculaires les feuilles des arbustes en une seule bouchée. Leurs immenses yeux glissèrent sur nous sans nous voir. Leurs jambes colossales constellaient la plaine de cratères météoritiques. Elles soufflaient par des évents situés sur une proéminence de graisse, au sommet de leurs crânes. Ces animaux plus anciens que le monde dégageaient un sentiment de puissance inouï. Leurs queues fouettaient l’air en permanence, chassant les parasites ailés qui les harcelaient avec insistance. Le plus grand de ces nobles herbivores mugit, la forme serpentiforme de son coup se découpant dans le soleil couchant. Sa longue note, grave, nous étreignit de sa mélancolie sans âge. Ses semblables l’accompagnèrent, formant un concert d’étranges cornes de brume. Quelques jeunes passèrent près de nous, leurs membres encore malhabiles tremblotant sous le poids de leurs abdomens gargantuesques. Ils grognèrent en croisant les squalcrânes qui caquetèrent une réponse incompréhensible. Il s’écoula un siècle avant que le troupeau de djoros ne s’estompât dans la plaine, l’écho de leurs cris se dissipant dans le vent.

    [...]

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