mardi 8 janvier 2019

    Cinoche P comme Pourri (?) : Alita : Battle Angel (Robert Rodriguez & James Cameron, 2019)

    AVERTISSEMENT : Ceci n’est qu’un avis que vous n’êtes en aucune manière obligé de partager. Mon humble but ici est de proposer une lecture de mon ressenti. Si d’aventure vous vous sentez l’âme d’un justicier en déposant une pêche dans la section des commentaires, sachez que cela ne me fera pas changer d’avis et que vous perdrez votre temps. En vous remerciant pour votre compréhension… 

    Toutes les images appartiennent à leurs créateurs et je ne les ai mises ici qu'à titre d'exemple pour appuyer ma démonstration., Je vous encourage d'ailleurs à découvrir le manga d'origine, dans sa première traduction, bien plus brut de décoffrage.

    Clinquant & brillant : tout ce qu'il ne faut pas faire...


    Allez, je vais faire un peu de publicité ! C’était si gentiment demandé.

    L’invitation était imprévue, mais comme j’ai apprécié le manga Gunnm de Yukito Kishiro lors de sa première sortie en livre – ce qui ne me rajeunit pas – et que ma compagne m’avait alléché par une bouffe aux frais de la princesse, pourquoi pas ?

    Et nous voilà, traversant une ville sous un ciel si bas que les canards se sont pendus pour être accueillis par une charmante hôtesse du multiplexe locale qui en a profité pour nous donner quelques objets promotionnels aussi esthétiques que vains. Mention spéciale à la pseudo main de Fatima couverte de slogans pour têtes blondes prépubères en pleine crise de dermatite séborrhéique dont je n’ai absolument pas pané le rapport avec le film, mais passons.

    La petite collation fut fort sympathique et elle méritait à elle seule le déplacement. L’équipe du multiplexe a été aux petits soins pour nous – après tout, n’étions-nous pas les agents publicitaires les moins bien payés du monde – et entre ceci et les coupes de mousseux distribués avec une largesse étourdissante, nous avons vite fini la soirée dans un état second. À un tel point que j’ai presque oublié les quelques échantillons que nous avons visionnés, car la félicité digestive était un soulagement par rapport aux douloureuses minutes que nous nous sommes vues infligées.

    Passé une séance d’auto congratulations énamourées toutes hollywoodiennes entre le producteur et son réalisateur, nous eûmes droit à quelques séquences introduites par des cartons indiquant les enjeux principaux. Et...

    Il est indispensable ici de séparer le bon grain – trop rare – de l’ivraie – fourni avec une prodigalité foisonnante – par ces morceaux disparates de métrage.

    Dans la catégorie des choses appréciables, on retiendra :

    Christopher Waltz bouffe l’écran et éclipse ses petits camarades. C’est le type d’acteur qui peut sauver le pire des infects nanars par sa présence charismatique et le velouté de sa diction parfaite.

    — Les « grands yeux » de l’héroïne éponyme passent crème et sont justifiés par son origine aussi martienne qu’antique. La fameuse Vallée dérangeante trouve donc toute son application dans le cadre de la fiction et renforce la singularité synthétique du personnage. C’est un choix esthétique qui peut surprendre, mais qui se défend plutôt bien. Le mélange bâtard entre l’animation par ordinateur et la prise de vue directe eût pu être une excellente idée, en parfait accord avec un récit dans lequel la chair et le métal s’épousent en d’orgiaques monstruosités.

    Toutefois, il m’est impossible de juge de la consistance du scénario avec ces quelques morceaux. Tout au plus puis-je déduire que des choix ont été faits dans la trame du manga et qu’ils ne me paraissent ni pires, ni meilleurs que d’autres. Les deux cinéastes ont compris qu’adapter c’était trahir et que les deux œuvres mèneront des existences différentes et pourront s’enrichir l’une l’autre.

    Ajoutons, pour rendre à César ce qui appartient à César, que ce caméléon stylistique de Robert Rodriguez a adopté une mise en scène à la « James Cameron », tant l’influence de l’un se ressent sur l’autre.

    Ce n’en est que plus bénéfique pour le résultat final puisque les tics les plus exaspérants d’un réalisateur à la carrière en dents de scie sont largement atténués. Les quelques moments d’action regorgent d’idées visuelles sympathiques – j’ai un faible pour la cyborg équipée de bras évoquant les pinces des mantes religieuses et sa façon de bouger calquée sur celle de l’insecte, c’est bien vu et original – et ne manquent pas de rythme. En dehors du redondant ralenti pour iconiser le personnage principal, c’est vif et énergique. Là-dessus je ne peux que tirer mon chapeau. Le dynamisme des planches de Yukito Kishiro a bien été synthétisé pour le grand écran.

    Pour le reste…
    Arf…
    Le Cyberpunk en 2018…

    Je vais juste m’attacher à l’esthétique du film, à ce que son langage me dit de la compréhension qu’il a eue de ce courant de la science-fiction que j’affectionne particulièrement puisque ces thématiques entrent souvent en résonance avec mes propres préoccupations. Et tel qu’il est présenté pour le moment, le film n'en retient pas grand-chose.

    La relief, gadget marketing s’il en est, était-elle nécessaire ? Et puis cette photographie clinquante, clinique, à l’opposé de ce qu’on attend d’un métrage dont le sujet est, faut-il le rappeler, les aventures d’une cyborg qui se bat dans un endroit qui se nomme LA DÉCHARGE, sous l’ombre d’une citée suspendu dans l’espace qui y déverse ses innombrables déchets.

    Des junkies se cachent dans cette image, seras-tu les trouver ?

    Tiens, puisqu’on en parle, le lumpenprolétariat qui se tasse sous la férule dictatoriale de Zalem est le plus souvent constitué d’êtres crasseux, malades, ou reconstruis avec des pièces cybernétiques parfois bricolées. De pauvres hères qui se défoncent en permanence pour fuir une névralgie quotidienne entre deux greffes indispensables à leurs survies. Les chirurgiens sont souvent des charlatans, obligeant ceux qui ne peuvent pas payer à pratiquer le vol d’organes ou de moelle épinière. Et quand on est trop impécunieux pour s’offrir une dose, on absorbe la drogue par décapsulage express de la boîte crânienne. En résumé cet univers est un enfer glacial peuplé de monstres où se rassemblent les pires tares de l’espèce humaine… On est assez loin des minets à gueule de gravure de mode qui hantent les quelques minutes que j’ai pu visionner.

    Vous pourriez penser que je chipote, mais un choix esthétique, même insignifiant en apparence, génère un message. Et avoir remplacé la population de la DÉCHARGE par une cohorte d’adolescents sortant d’une énième saga de « Young Littérature » lambda en dit beaucoup sur la non-compréhension des thématiques du manga et plus largement du genre cyberpunk. Ce qui constitue un paradoxe cocasse, puisque c’est James Cameron qui aura donné ses plus beaux cauchemars pelliculés à ce style avec son Terminator[1]…

    Car outre la quête du héros ma foi assez classique dans laquelle à l’air de s’inscrire la trame principale du scénario, les enjeux de Gunnm se concentrent sur la question du rapport au corps et de son influence sur notre esprit. En cela le cyberpunk côtoie souvent le body-horror avec ses abominations cancéreuses et sa chair martyrisée. Et des monstruosités, il y en a dans les aventures de Gal… euh… Alita : de la cervelle étalée sur le bitume en passant par des transformations immondes et de pures visions d’horreur malsaine. Un éventail de terreurs intimes qui — derrière le lustre des combats d’arts martiaux — sert le propos du récit avec une admirable intelligence et le distingue sans effort de ces voisins de palier.


    Une scène du manga qui m'aura bien marqué...

    Pour le dire autrement : pour être fidèle à l’esprit de l’œuvre de Yukito Kishiro et en extraire la substantifique moelle, il eût fallu salir tout ce qui est présent à l’écran. Les acteurs auraient dû avoir des trognes sortant tout droit d’un tableau de Bosch, des maladies de peau à vous donner envie de vous gratter jusqu’au sang, des prothèses rouillées... Nous aurions dû voir des junkies agoniser dans d’interminables apoplexies dans les caniveaux boueux de la DÉCHARGE. Eussent-ils été attachés à leurs sujets, les auteurs auraient adopté une esthétique gore, à la limite de la complaisance putassière. Pourquoi ? Car la chair meut en sous-texte le récit et impose sans cesse sa loi paradoxale.

    Mais voilà, mettre sur pieds un film implique de se frotter à des financiers, et même si j’imagine que le producteur n’a pas de souci de portefeuille, il faut s’assurer un retour sur investissement, donc fabriquer une marchandise soigneusement calibrée, qui rentre dans les cadres étroits de la mode cinématographique contemporaine pour attirer un chaland de moins en moins enclin à payer son écu en ces temps de crise. Du coup on aseptise, on repeint, on colmate… On réduit la valeur d’une œuvre séminale à un ersatz rabougri par l’idée que l’on se fait du goût de la foule.

    Exit donc les gueules cassées, l’ultra-violence décomplexée et les visions d’horreur et place à un ripolinage en règle. On ravale la façade, cachez-moi ses disgracieuses verrues que je ne saurai voir ! Et comme cet état d’esprit contrevient aux grandes interrogations qui irriguent la saga d’origine, je crains que ce film ne soit qu’un ratage de plus dans la longue liste des pellicules clinquantes dont ne cesse de nous abreuver l’usine à rêves ces dernières années.

    Personnellement, je souhaiterais un doigt de cauchemar, surtout lorsque ceux-ci sont pétris de questionnements philosophiques. Parfois un bon choc esthétique, ça ouvre les yeux !

    Oh ! Le spectacle est sûrement au rendez-vous, certes ! La réalisation soignée fait bien son boulot. C’est beau. C’est un peu le problème… Derrière l’emballage très cliquant, ce qui se laisse deviner ne parvient pas à dépasser le stade du scénario hollywoodien lambda avec sa quête hérité de Joseph Campbell, son histoire d’amour niaise – un tic de James Cameron depuis son célèbre naufrage de trois heures – et son héroïne combative, très à la mode parce que : allô, on est en 2018 (bientôt 19) [2], quoi ! Outre les oripeaux arrachés au cadavre du cyberpunk, rien ici ne correspond à une œuvre qui prend à bras le corps ses sujets adultes.

    De quelques manières dont on l’aborde, le cyberpunk, comme tout autre thème de l’imaginaire ne supporte pas la demi-mesure, les approches tièdes. Il faut plonger ses mimines créatives dans la poésie du macabre, quitte à sacrifier au passage une audience grand public qui, de toute façon et contrairement aux calculs cyniques de studios, ne se déplacera pas pour ce type de spectacle.

    Si vous êtes en manque de cyberpunk, vous devez chercher des productions moins fournies en billets verts dématérialisés, mais dont les esthétiques ne rentrent pas en contradiction avec le sujet qu'elles illustrent. Car si le film de Rodriguez s’emploie à être très « cyber », je constate avec amertume son déficit de « punks », pourtant légion dans le manga.

    Prenez donc le temps de faire un tour chez le chef-d’œuvre de Popaul Verhoeven : RoboCop (1987) dont ni le propos politique, ni les questionnements sur la survivance de l’identité dans un corps étranger n’ont jamais été aussi bien traités, le tout à travers une violence exacerbée, point d'orgue d'un chemin de croix électronique d'un représentant exemplaire du cyberpunk.

    Confrontez-vous au Tetsuo (Shin'ya Tsukamoto ,1998) dont la brutalité et le tournage sans le sou donnent tout son sens au mot « punk ». Un film d’ailleurs adoubé par le fer de lance du genre : William Gibson.

    Enfin, n’oublions pas le crépusculaire Hardware (Richard Stanley,1990) et son robot meurtrier qui se nourrit de son environnement ou encore le dépressif Passé Virtuel (Josef Rusnak, 1999) et son exploration glaçante des terres numériques ou le très récent Logan (James Mangold, 2017), western futuriste poisseux illustrant la déréliction des mythes américains…

    Et des titres comme ça on pourrait en citer par paquet de douze, ne serait-ce que la carrière de David Cronenberg qui a tourné durant toute une époque autour de l’idée du mariage entre la chair et l’acier… Des pellicules exceptionnelles, dans lesquelles l’absence de moyen se transforme en force esthétique mise au service d'un récit, d'une métaphore ou juste d'un coup de boule dans ta chetron.

    Et je ne parle même de la pelleté de films japonais qui utilisent le cyberpunk à la perfection, oscillant de la perfection d’un Ghost in the Shell (Mamoru Oshii, 1995) à l’agressivité hystérique et fauchée d’un Pinocchio 964 (Shozin Fukui, 1991).

    Que l’on soit simple curieux ou cinéphile, il y a largement de quoi faire plutôt que de payer son écot pour ce qui ne sera en fin de compte qu’un simulacre de cinéma.
     
    Et du coup, mon gore craspec, je m'assois dessus ?

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    [1] – Un James Cameron qui aura déjà été la tête pensante d’une série pouvant être considérée comme un quasi « brouillon » des aventures de Gal… Alita : Dark Angel. Contexte cyberpunk blafard, bien plus efficace dès les premières images que celui ripoliné du film à sortir, héroïne créée pour être une guerrière invincible, et mentor scientifique à la chevelure en pétard… L’influence du manga de Yukito Kishiro est patente dans le moindre photogramme. Il ne manquait plus qu'une réalisation à la hauteur des ambitions de la série, las ! Tout cela est dans les clous d'une certaine médiocrité télévisuelle assez commune. 

    [2] – Ceux qui sont déjà venus ici savent que je n’ai absolument RIEN contre le fait de mettre en scène des femmes en tant que personnage principal dans des fictions (cf. ma chère Ethel Arkady). Par contre, le faire par pur calcul opportuniste bien glaireux, cela m’insupporte au plus haut poing.

    1 commentaire:

    1. J'en suis sorti dépité... Le film est bien si on se détaché de l'œuvre original... 2 pêches : un univers trop clair par rapport au manga et des choix scenaristiques complètement dégueux pour les connaisseurs. Au point que je peux voir un 2 mais pas plus sans se détacher totalement de l'œuvre originale.

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