vendredi 23 juin 2017

    Cinoche B comme Bon... : Logan de James Mangold (2017).

    Ce n'était pas gagné d'avance que le film me plaise, d'autant que j'y ai été avec ma compagne sur un gros coup de tête, sans savoir à quel sauce j'aillais être cuisiné. Sachant qu'en prime, les charmants hôtes de Kinépolis Belgium ont tous faits pour me pourrir la séance avec leurs haines des sacs, puisque j'embarque toujours au moins un livre pour esquiver la lobotomie publiciste que nous inflige les multiplexe.

    Une affiche au look rétro parce que merde, ça le fait plus...

     Prologue.

    Premier plan. Un homme dort, ivre mort dans une voiture dont les banquettes et le plancher sont jonchés de cadavres de bouteilles. De lui, nous ne percevons que quelques détails épars, ses chaussures, ses habits défaits. Deuxième plan. Le cadre est rempli par des bottes d'inconnus nerveux. Ils sont en train de dépouiller la limousine de l’ivrogne. La porte s’ouvre. Le conducteur titube, enjoint d'une voix rauque aux gangsters de bien vouloir partir. Cette demande ne recevra qu’un coup de feu pour toute réponse. Alors que les malfrats retournent à leurs affaires comme si de rien n’était, l’homme se relève. Dommage pour eux, cet individu est en partie immortel et possède des griffes d’adamantium sous la peau… Le sang ne tarde pas à couler et les membres tranchés à valser. En une séquence, parmi une des plus belles caractérisations réussies avec celle des Aventuriers de l’Arche Perdue, James Mangold expose ses intentions esthétiques pour les deux heures à venir…

    1. Synopsis.

    Logan nous conte le voyage chaotique d’un Wolverine fatigué, souffrant d’un long empoissonnement suite à l’application d’adamantium sur ses os pour en faire une arme vivante. L’intoxication a pris des proportions telles que même son pouvoir de régénération est saisi de folie : ses plaies se ferment de manière anarchique, ses griffes ne sortent plus aussi bien qu’antan. En attendant une mort, désormais inéluctable, Logan prend soin d'un Charles Xavier en bout de course dont les crises de sénilité peuvent annihiler des centaines de personnes. Les deux vieillards sont flanqués d’un troisième larron, Caliban qui possède le don de débusquer les autres mutants et qui a fui une mystérieuse corporation tentaculaire pour se réfugier dans le trou à rats qui leur sert de demeure. Leurs routes erratiques croisent celle de Laura, une Mexicaine caractérielle d’une dizaine d’années dont les bras et les jambes dissimulent des griffes similaire à celles de Logan. Laura a été exfiltrée d’un programme d’armes vivantes mis au point par les anciens employeurs de Caliban. Et les actionnaires, en appelant à leur milice privée, sont bien décidés à récupérer chaque centime de leur investissement… Acculés par la firme et ses mercenaires, Logan, Xavier et Laura débutent une fuite en avant vers un ailleurs imaginaire.

    2. Le Cinéma est Politique !

    Logan s’avère être la surprise de l’année et la preuve que l’on peut réaliser un film de super-slip sans user d'une imagerie clinquante. Bénéficiant d'un traitement épuré, Jame Mangold évite le recours aux « destructions porn », devenu la norme dans le moindre blockbuster générique. Simple, mais non simpliste, le scénario trace sa route collant de près à nos héros en évacuant le superflu. C’est une fuite en avant, un road-movie matinée de cyberpunk [1] auquel nous assistons. Ce canevas à priori rachitique fournit pourtant assez de matière aux auteurs pour décrire la dégénérescence programmée des États-Unis dont les territoires, comme un miroir de l'organisme souffreteux de Logan, subissent une détérioration accélérée [2]. Il est amusant de constater que – dans ce genre aussi formaté – James Mangold parvient à glisser à intervalles réguliers des critiques acerbes à l'ambiance politique délétère de ce début de millénaire. Dans l’encéphalogramme plat du cinéma grand public actuel, revoir une démarche de créateur intègre apporte un supplément de plaisir au cerveau.

    Dès l’ouverture, on nous présente un Logan esclave, comme d’autres galériens bien réels eux, de l’überisation du travail « Ton patron dans ta poche ». Réduire à ce pitoyable expédient notre héros nous donne une idée vertigineuse de sa chute sans qu’il ait besoin de se lancer dans un résumé des épisodes précédents. Le métier de chauffeur de limousine constitue également un alibi idéal pour démarrer l’intrigue, cette fonction facilitant l’accessibilité et les rencontres. Exit les bases rutilantes et autres « Thunder Room » de pacotilles. L’école de Xavier n’est plus qu’un souvenir lointain. Nos protagonistes squattent une ancienne citerne pourrissante abandonnée là par une multinationale japonaise, car « l’investissement n’était plus profitable », dixit le mercenaire en chef, renvoyant avec cette pique narquoise notre trio à leur condition de clodo. Évoquons aussi les clients de l’hôtel-casino, pantins à peine plus actifs que des crashs-tests dummies, se camant au bandit-manchot. Parfaits symboles d’une civilisation obsédée par la gadgetisation à outrance et le culte de Mammon.

    Le premier acte – se déroulant aux alentours du Nouveau-Mexique – nous présente un sinistre mur faisant office de frontière. La plupart des personnages que croisent nos héros paraissent soient endormis – les badauds de l’hôtel – soit antipathiques comme cette matrone adepte de la délation. Les rares coups de main viendront de la part d’autres marginaux, laissés pour compte de la modernisation forcée de l'Amérique, réfractaires à l'überisation et pratiquants religieux [3]. En plus de ces rencontres, et outre leurs ennemis, notre trio s'accrochera avec des camions autonomes, fonçant en aveugle sur la route et dont le seul dispositif de sécurité est un avertisseur sonore. Un animal ne s’écartant pas à temps de la trajectoire de l’engin automatisé à toutes les chances de se faire écraser. Cette mécanique bornée se retrouvera dans les titanesques moissonneuses batteuses fauchant sans se fatiguer des champs de maïs OGM. L’un des personnages révèle à Logan que ces étendues agraires stériles servent à fabriquer le sirop inverti, un sucre dont l’industrie alimentaire est friande et [4] entraînant une forme de dépendance assez nette, en même temps qu'une perte de la sensation de satiété. McDonald et de nombreuses boîtes raffolent de ce produit. À l'inverse du spirituel et de l'humain, l'automatisation à outrance est présentée ici comme un phénomène néfaste dont l'influence s'exerce à la fois de manière visible — les mercenaires — et de façon plus souterraine, elle est une omniprésente menace à l'arrière-plan.

    Le deuxième acte enfonce encore le clou de l'allégorie sur les méfaits de la marchandisation mécaniste avec la découverte des conditions de naissance de Laura et des autres jeunes mutants. Enfants élevés en laboratoire dans le seul but de faire d’eux des « machines » de guerre, ils sont considérés comme des produits déficients dont il est aisé de se débarrasser. Dans ce monde anticipé asphyxiant, toute existence est calculée à l’aune de son utilité mercantile [5]. Entre la marchandisation des corps – envisagé comme de simples denrées – et l’apparition d’un clone de Logan « décérébré », autant dire que le scénariste-réalisateur n’y va pas avec le dos de la cuillère sur sa critique du libéralisme outrancier. Ce n’est pas non plus un hasard si les mercenaires qui poursuivent assidument nos héros ont des membres mécaniques. Quelque-soient leurs opinions – certaines tirades désabusées de leurs chefs face à la réelle dangerosité de Logan, Laura et Charles Xavier sont tout à fait recevables – ce sont des agents du système – symbolisé par leurs prothèses robotisées – et donc mus par le même nihilisme chaotique que les bolides télécommandés.

    L’introduction du personnage du savant Zander Rice — sorte de docteur Mangele un poil caricatural – si elle entérine les positions prises par le cinéaste, demeure à double tranchant et menace souvent de faire sombrer le film dans le grotesque. L'idée du double de Logan par exemple fleurète avec une thématique de série Z, mais dans le cadre du récit elle instille une métaphore pleine de sens, Logan combattant son monstre intérieur : le Wolverine, cette incarnation de l’arme biologique « parfaite » que le complexe militaro-industriel a vue en lui. Cette réserve mise à part, ce chercheur dévoyé matérialise à merveille une science sans conscience, contaminé par les impératifs économiques, ne se préoccupant plus guère des conséquences de l’utilisation de son savoir.


    Une ambiance de film d'horreur...

    3. Violent Logan.

    Le film de James Mangold s'efforce à fabriquer un antidote à la surenchère de destruction, apanage du genre super-slip très discutable. Son approche  de la violence – pourvu que l’on s’intéresse à ses enjeux – est viscérale. Le réalisateur insiste sur son impact, n’hésitant pas un instant à faire basculer son métrage dans les ornières du gore. Dans une interview [6], le cinéaste confirme le sentiment qui était le mien à la vision, soit que son excessive brutalité n’est pas présente uniquement pour donner un cachet « adulte » à son œuvre afin d'épater la galerie, mais bien pour développer un propos. Dégoutté par l’aspect « inoffensif » qu'arbore les actes extrêmes dans le super-slip, transformant les corps humains en balles de caoutchoucs pouvant défoncer des murs de briques, l’auteur opte pour une démarche inverse dans laquelle le moindre coup entraîne de lourdes conséquences, à la fois physique, mais aussi psychologique. En ce sens, la citation du western Shane de Georges Stevens (1953) mettant en exergue les séquelles de la violence sur le court comme le long terme trouve tout son sens.

    La férocité inhérente à la nature de Logan, qui l’a condamné à être marginalisé, le suit comme une malédiction durant tout le métrage. Cela explique le choix d’une mise en scène sèche, à la fois peu démonstrative – le cinéaste se débrouille souvent pour détourner son objectif –, mais aussi terrifiante dans les quelques plans qui laisse entrevoir le résultat des coups portés : membres tranchés, geyser de sang, têtes coupées et éventrations sont au rendez-vous. Ce refus des conventions du super-slip permet à James Mangold, de nous offrir un moment d'ironie dramatique en jouant sur nos habitudes de spectateur lorsque la limousine en fuite ne parvient pas à défoncer une grille métallique.

    La violence, dans Logan, contamine les relations sociales lesquelles – à de rares exceptions près – sont marquées par le sceau de la bêtise, de la brutalité et/ou de la duplicité de la plupart des protagonistes. Rien que les quelques clients qui se partagent les sièges de la limousine de Logan nous sont antipathiques, oscillant dans un rapport de pure subordination – patron capricieux d’un jour, – et de mépris total, telle cette horde de dindes fêtardes. On ne loupe pas non plus les délateurs zélés, comme cette rombière à l’œil torve et la lippe molle, épiant les moindres faits et gestes des personnages avant de finir par appeler les autorités pour quelques piécettes, entraînant la mort de l’infirmière de Laura.

    Les quelques moments de répit dans cet univers de brutes épaisses et bornés se trouveront lors de deux rencontres significatives, d’une part avec la très pieuse famille afro-américaine dont chacun des membres s’avère très bien caractérisé à coups de petits détails discrets – ce qui nous emmènera à éprouver un peu plus d’empathie pour ces gens, et préparera d’autant mieux le terrain pour la vague de folie qui suivra – puis chez les « enfants perdus », bref interlude de paix avant un ultime déchainement de fureur.

    Mais la soif de sang n’est pas présente que chez les antagonistes. Nos héros – même s’ils servent d’ancrage dans le récit – demeurent des êtres façonnés par la violence. Même malade, Logan conserve quelques traces de Wolverine et la manière dont il découpe les malfrats en quelques secondes sans plus y penser donnent déjà une idée du peu de crédit qu’il accorde à la vie humaine [7]. Charles Xavier, à cause de sa vieillesse, est devenu une bombe mentale à retardement capable d’occire plusieurs personnes à des kilomètres à la ronde. Quant à Laura, elle apparaît dès le début comme un animal indompté dont la propension au massacre le dispute à l’absence de scrupules de ses poursuivants. Ce que les quelques scènes la présentant démontreront, la cadrant comme une créature menaçante fonçant avec férocité sur ses proies.

    La monstruosité de Logan éclate dans deux séquences : d’une part lors de l'attaque de l’hôtel, et d’autre part dans le premier climax se déroulant dans la ferme. La scène de l’hôtel nous offre l’occasion d’éprouver un peu de sympathie pour les antagonistes. Ceux-ci, bloqués par une crise de Charles Xavier, voient débouler vers eux un Logan résistant aux ondes mentales du vieillard. Le mutant dégaine les griffes et progressent inexorablement vers ses ennemis pour les occire les uns après les autres en leur perçant le crâne. Impuissant, les mercenaires contemplent la mort fondre sur eux. James Mangold s’attarde sur les regards terrifiés des hommes épinglés sur place tandis que le fauve se dirige vers eux, inversant l’objet de notre affect. Nous avions identifié ces soldats comme « les méchants » – et nous les avions relégués dans la case des individus à écharper sans plus y revenir – sauf que la cruauté de cette scène nous rappel que ce sont aussi des êtres de chair. En quelques cadrages bien sentis, James Mangold inverse notre référentiel : qu’éprouveriez-vous en voyant arriver sur vous ce monstre griffu alors que vous êtes conscients, mais paralysés ? Les actes de Logan et Laura se chargent alors d’une toute autre résonnance, nous offrant un grand moment de cinéma horrifique.

    Attention ! Ça va piquer un peu...
    Le climax se déroulant dans la ferme joue avec plusieurs thématiques inhérentes au fantastique pour parvenir à ses fins. D’une part, c’est une séquence qui rappelle que la sauvagerie de Logan infecte tous ceux qui l’approchent. Une malédiction qui jouxte la figure du loup-garou et qui s'incarnera dans son clone décérébré, lequel massacrera la famille qui aura eu la malchance d’accueillir le trio de fuyard. J’ai signalé le brio avec lequel le cinéaste parvient à brosser en quelques détails les membres de la maison et ce soin n’avait rien de gratuit. Outre le jeu d’acteurs très juste qui rend encore plus prégnante l’existence de cette communauté, cette patiente description avait pour unique but de nous confronter à la mort de tous ces gens des lames du Wolverine. Le clone, en croquemitaine impassible, remplit sa mission avec une brutalité inouïe, mettant au tapis moult slashers. Vous vous demandiez ce que donnerait un représentant du genre dans lequel le tueur en série masqué et increvable zigouillerait des personnages auxquels vous vous étiez attachés plutôt que les sempiternels ados mous du bulbe ? James Mangold nous offre cette séquence sur un plateau d’argent. Avec ruse, le cinéaste déjoue nos attentes – oui, nous souhaitions assister à un spectacle sanglant –, mais pas de cette manière ! En plus de concevoir trois enjeux dans une même scène – la pitoyable mort de Charles Xavier, l’enlèvement de Laura et le massacre de la famille – James Mangold fignole un combat aussi symbolique que destructeur, opposant Logan à Wolverine. Et nous savons très bien que le premier à peu de chance d’en réchapper entier.

    La violence contamine tout les êtres qu’elle touche, que ce soit au travers de l’intoxication qui épuise Logan – le décomposant petit à petit – que les jeunes mutants, lesquels ne sont pas en reste, lorsque pourchassés et acculés, ils finiront par montrer des dents et utiliser leurs pouvoirs de manière létale. Si les autres films de la franchise X-Men nous épargnaient des visions apocalyptiques, ce n’est pas le cas ici. Encore une fois, l’ambivalence voulue par le réalisateur tourne à plein rendement puisque les capacités surnaturelles infligent d'imposantes mutilations aux adversaires. Les enfants perdus s’uniront pour martyriser le chef des mercenaires avec un sadisme qui renvoie directement à la mort de l’antagoniste de l’Échine du Diable de Guillermo Del Toro. Enfants que le réalisateur n’épargne pas, ainsi Laura est-elle harponnée dans le thorax tandis que d’autres sont exécutés sans état d’âme. Un acte radical qui était — jusqu'à ce film — l'apanage de minuscules productions horrifiques... Que de tels événements puissent être montrés face caméra, sans esquive stylistique, en dit plus long sur l'ahurissante carte blanche qui a dû être âprement négociée en coulisse que n'importe quels plans gore. La violence, surtout lorsqu’elle est exercée contre des mineurs, est un des tabous les plus lourds du cinéma hollywoodien…

    Au final, le cinéaste se joue de nous – nous espérions un film bourrin –, mais en travaillant à tisser un fort lien l’empathique avec les personnages, en les ancrant dans un monde tangible, l'auteur décuple l’impact de ses combats. Et si ces quelques scènes ne durent que quelques intenses secondes, elles ont été préparées avec minutie en amont pour que leurs puissances en soient accrues. Le réalisateur travail le super-slip en le dotant d’une gravité que n’avaient pas les autres représentants du genre. Symbole d’une bestialité à fleurs de peau, Logan/Wolverine était sans nul doute le protagoniste idéal pour questionner notre rapport à la violence. James Mangold s'avère souvent plus roublard dans cet exercice réflexif que les métrages pontifiants de Michael Haneke, car à l’inverse du cinéaste autrichien adulé par la critique cannoise, le réalisateur de Logan respectent son publics.

    La jeune Laura (Dafne Knee) et ses crises de rage aussi lycantropiques que celles de son ainé...

    4. Méta.

    On peut déplorer cette manie qu’ont les derniers films hollywoodiens à faire de la citation d’œuvres antérieures un passage obligé. Il faut pourtant ici reconnaître que James Mangold le fait avec classe et toujours pour servir son propos. Si l'emploi du western Shane s'impose de lui-même, la pensée de l’auteur s'étend à d'autres sphères artistiques, incluant les comics et même Shakespeare dans leurs cheminements.

    Personnage issu d’un comics, Logan est le héros d’un film qui montre des comics, sans être l’adaptation d’aucun d’entre eux. En le rendant « réel », le scénariste fait des bandes-dessinées un compte-rendu d'une l’histoire passée sans que nous sachions comment celles-ci se sont produites. Les BD subliment le passé sans tenir compte de la réalité crasseuse que celui-ci peut présenter, ce que les choix esthétiques du réalisateur ne cessent d’exacerber. La poussière, la crasse et la décrépitude participent pour beaucoup à l’ambiance malade du film. D’autre part, ces quelques fascicules revêtent une importance cruciale pour la jeune Laura dont l’affreuse captivité l’aura coupé de toute culture et donc de tout roman personnel. N’ayant eu que peu d’aperçus du monde extérieur, élevé hors-sol, elle se raccrochera aux illustrés comme d’autres à la foi. Ce parallèle est rendu prégnant par la séquence se déroulant durant le repas de famille [8]. Même si Logan n’a de cesse de ridiculiser la confiance aveugle de sa pupille, l’on devine que cet avatar civilisationnel est pour elle un point d’ancrage, un de ses éléments qui lui apporte une once de spiritualité.

    Le cinéma ajoutera une couche supplémentaire de bagage à Laura, dont elle usera durant l'homélie finale, ne possédant pas d’autre référent pour marquer cette étape de sa vie. Il est à noter qu’alors que l'univers du film nous représente une humanité 2.0, ce sont un vieux fascicule de BD vintage et un antique film des années 50 qui servent de corpus culturel aux héros, comme si l’ère numérique ne produisait que des œuvres évanescentes, à l’obsolescence immédiate.

    La référence à Shakespeare est moins évidente, mais d’une part le scénario de Logan fonctionne comme un drame shakespearien et d’autre part – , et ce, même si le personnage existe bel et bien dans les comics – Caliban est un patronyme tout droit issu de la dernière pièce du barde anglais : la Tempête. Dans ce récit, Caliban est un monstre – symbolisant souvent la violence, la terre et la mort – esclave du magicien Prospero. Il n’est pas très difficile de deviner une analogie avec le rapport trouble qu’entretiennent le mutant éponyme et le docteur Zander Rice. Une relation de subordination insupportable qui s'achèvera par un explosif suicide.

    Littérature, bande-dessinée et cinéma nourrissent l’œuvre de James Mangold de manière habile puisque chaque élément possède une charge parabolique rentrant en résonance avec la trame du scénario, à l’inverse d’autres productions bêtement métatextuelles [9].

    5. Le Syndrome MCU.

    Il faut néanmoins soulever, dans l’accueil critique qui a été fait au film, un paradoxe qui devient de plus en plus prégnant dans la pop-culture actuelle. Le spectateur ne goûte plus un long métrage comme un tout, mais comme l'énième épisode d’une interminable série. Alors que jusqu’à l’aune des années 2000, les œuvres cinématographiques étaient vues comme des objets complets, l’influence croissante du Marvel Cinématic Univers nous a conditionnés à considérer qu'un film ne soit qu’un fragment d’une narration géante, particule infime d'une gigantesque mosaïque dont les différentes pièces s’assembleraient avec une parfaite symétrie. Ce qui appauvrit la qualité des unités qui la composent la grande-œuvre puisque celles-ci deviennent des épisodes coûteux – souvent médiocres – d’une saga dont la finalité est toujours retardée, repoussant les enjeux du récit dans un avenir nébuleux, et donc l’intérêt que l’on éprouve au visionnage. Manne à billets verts pour spectateurs crédules, cette méthode asphyxie le 7e art.

    Si l’on considère que les films doivent se faire suite, il est sûre que ce Logan a dû largué beaucoup d'amateurs de super-slip sur le chemin. Il faut dire que James Mangold et son scénariste ne s’embarrassent guère de la continuité imposée, nouvelle « poule aux d'or » des exécutifs hollywoodiens. Logan se débarrasse d’un revers de main de toute la mythologie X-Men. Ce n’est pas ce qui intéressait les auteurs. Car oui ! Ici l’on parle d’une œuvre d'auteur, et pas d’un quelconque produit torché à la va-vite par un « Yes-man ! » affichant une volonté artistique proche du néant. James Mangold prend les thématiques du comics à bras le corps, mais les transpose dans son propre univers, teinté d’un fort parfum de poussière, de sang et de colts fumants. Parce que, à l’aune des différents films de son réalisateur, il ne fait nul doute que celui-là, bien plus que son premier effort sur la franchise, est marqué par sa sensibilité.

    Outre la violence endémique, on retrouve le goût de Mangold pour les antihéros vieillissants [10] ou en marge de la société, souvent contrebalancés par des opposants aussi ambigus qu’eux [11]. En bref, le réalisateur a apporté dans le monde des super-slips ses thématiques, son style, mettant l’accent sur les fragilités de protagonistes prisonniers d’un système déshumanisant, au lieu de se plier à un cahier des charges épais comme une centaine de bibles. Plutôt que d’attaquer le film sur un point qui n’a jamais été sa pierre d'achoppement – raccrocher les wagons d’une saga – je préfère célébrer celui-ci comme étant une vraie vision d’auteur sur un personnage emblématique.

    Par sa violence viscérale, ses nombreuses zones d’ombres, Logan s’impose pour moi comme l’unique adaptation des X-men valables. L’idée magnifique rampante à l’intérieure de la kitschitude des comics de Chris Claremont – aussi illisibles aujourd’hui que du Blake & Mortimer — ne pouvait trouver meilleur terreau qu’un grand western flamboyant n’hésitant jamais à verser dans la cruauté pour appuyer son propos.

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    [1] — Les amateurs du jeu de rôle Shadowrun apprécieront d’ailleurs le principal antagoniste de l’affaire, un « monsieur Johnson » onctueux au possible, campé par Boyd Holdbrook.

    [2] — Par un « fait exprès » amusant, ce film avec son image sépia et ses paysages déglingués hume tellement la déréliction que l’étape suivante paraît être celle d’un monde à la Mad Max… Un rapprochement pas si innocent que cela puisque le réalisateur avoue avoir été inspiré par la Fury-Road de Georges Miller...

    [3] — À propos du bénédicité : alors que ce passage aurait pu m’extraire de la fiction, je n’y ai vu qu’une opposition passive – peut-être inconsciente – des personnages au matérialisme aride qui les cerne. D’où le fait que cette scène m’ait moins gêné aux entournures, car elle s’inscrit dans un contexte, dans laquelle tous les rapports humains ont été remplacés par la brutalité aveugle de l’économie de marché.

    [4] — Vous retrouverez certainement cette petite mignardise sur la liste des ingrédients de votre nourriture industrielle…

    [5] — On notera ici une légère facilité scénaristique avec ce témoignage recueilli sur Aïe-Phone qui comporte effets de montage et de mise en scène difficile à avaler si la prise de vue a été faite de manière clandestine.

    [6] — in Mad Movies n°305.

    [7] — On pourrait rétorquer que les voleurs ont ouvert le feu en premier, mais la réplique de Logan si l’on y réfléchit à froid, est encore plus psychotique de par l’ampleur des blessures qu’il inflige et de son acharnement.

    [8] — Il y a dans Logan une dichotomie sympathique entre la foi, les objets qui la symbolisent et son importance – les êtres reposant sur un terreau culturel fécond deviennent plus humains que les adeptes du dogme libéral – et de sa relative inutilité face à la brutalité. La religion ne sauve pas la famille lorsque le clone de Logan les attaque. De même que la BD ou la poupée de Wolverine ne sont que des fétiches et n’ont de valeurs que celle qu’on leur donne.

    [9] — Comme l’infect Deadpool qui s’appuie sur des références « geek » pour dérouler son gore décérébré…

    [10] — Sylvester Stallone en vieux flic simplet témoin de la corruption endémique régnant dans sa petite ville dans l’excellent Cop land.

    [11] — Le face à face tendu et moralement ambigu entre le fermier handicapé interprété par Christian Bale et le bandit de grand-chemin incarné par Russel Crowe dans le très bon remake de 3h10 pour Yuma.

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