samedi 27 avril 2013

    La Bibliothèque des Ombres : Serge Brussolo, l'écrivain Stakhanoviste.

    En ce mois d'Avril, après un festival fantastique bruxellois de qualité variable, il est temps de se plonger dans les livres. Cela faisait quelques temps que je n'avais plus complété cette rubrique et l'alibi du fantastique me donne l'occasion de vous faire découvrir l'un des écrivains qui m'a le plus influencé, avec H.P.Lovecraft, Stephen King et quelques autres. Place donc a un monstre littéraire bien français dont la faconde n'a rien à envier à celle des auteurs classiques.... 


      
    Tenue en piètre estime par la plupart des critiques, la littérature de genre a souvent été ostracisée dans l’Hexagone. Dans les années 60-70 quelques auteurs enragés et prolifiques changèrent la face du genre en abordant de front des thématiques pessimistes ou revendicatives. Dans ce groupe on rencontre des noms tels que Joël Houssin, Jean Pierre Andrevon, Jean Rollin ou Pierre Pelot. Serge Brussolo va faire partie de ce peloton d’écrivains aux œuvres nihilistes qui connaîtront le succès. Alors en pleine expansion, le  fantastique et la science-fiction lui fournissent les armes les plus adéquates pour explorer ses sujets de prédilection : la folie humaine sous toutes ses incarnations ainsi que l’enfermement physique et psychologique. Écrivain prolifique de plus de 150 romans, Serge Brussolo a aussi été directeur de collection pour les éditions Denoël et a parfois publié sous les pseudonymes de Kitty Doom, Akira Suzuko, D.Morlock et Zeb Chilichote.


    Serge Brussolo débute aux éditions Fleuve-Noir dans la défunte collection Anticipation. Ces ouvrages de poche, souvent relégués dans les franges les plus basses de la littérature de gare deviendront avec le temps une des meilleures fenêtres sur l’imaginaire hexagonal. Le jeune Brussolo rentre en compétition avec des professionnels chevronnés et produira ses grands textes dans des conditions de vie impossible, composant ses récits dans les mêmes mansardes que celles de ses premiers héros sans le sou. Sa vision impitoyable, sombrement mécaniste, de l’humain aura peu d’écho dans la littérature francophone. Il n’y a pas de grandiloquence dans les sentiments exprimés, les histoires d’amour se résument à de simples coïts dénués de sens qui renvoient les personnages à leur prison mentale.





    Le dyptique formé par Le château d’Encre et Ma vie chez les Morts constitue une œuvre atypique dans la carrière de l’écrivain, utilisant la narration en focalisation interne, une exception dans sa bibliographie foisonnante. Le premier relate un huis clos étouffant qui suit un petit garçon observant la lente décrépitude de sa mère dans la psychose. Le jeune garçon se coule dans les fantasmes de sa mère par jeu, partageant sa logique défaillante avec une candeur désarmante. L’irruption d’un agent de l’extérieur dans leur château précipitera le drame. L’élément fantastique, la couture des ombres, n’est là que pour conférer un aspect onirique et paradoxalement financier, à une histoire qui bascule très vite dans l’atroce et le merveilleux. 


    Traitant du mythe de morts-vivants, le second tome plante son décor dans une base de l’armée américaine située en plein désert. Dans une chaleur suffocante, une femme en fuite et son garçon David Sarella, nom récurrent de tous les héros de Brussolo, doivent surveiller tout un camp d’expérimentations humaines ratées, les fameux morts-vivants. Si le thème du zombie intéresse Brussolo, c’est pour mieux le détourner : les créatures sont totalement pacifiques, immortelles et apathiques ! Déjà mortes, elles n’accordent aucune importance à ce qui les entoure. Seul David coincé entre sa mère à moitié dérangée et le cagnard du désert viendra apporter un peu de vie dans la routine desséchée des zombies. Pour l’auteur, les revenants feront de meilleurs parents que sa génitrice ou son père putatif, une redoutable brute. Ces récits figurent parmi les plus sombres et les plus efficaces de Brussolo tant l’enfermement et la folie suintent de chaque paragraphe.






    Brussolo se régale de l’imagerie des romans-feuilletons en utilisant des techniques de narrations tel que les personnages récurrents ainsi que la poétique des titres à rallonge. Il pervertit cet univers littéraire en usant de leurs structures simples pour construire des mondes originaux. Balançant dans une temporalité indéterminée, il confronte des protagonistes psychotiques à un environnement extrême qui modèle des religions délétères et des règles de société absurdes. Son style procède par métaphores grandiloquentes et inversion de logiques. Ainsi les objets quotidiens sont-ils sortis de leurs contextes pour devenir des armes comme dans L’homme aux yeux de Napalm et sa fête de Noël corrompue par une mystérieuse entité extra-terrestre métamorphosant chaque élément de ses festivités en autant de pièges mortels.






    Dans le cycle de La planète des Ouragans, les héros doivent survivre au milieu des cyclones qui agite la planète Santäl mais aussi aux aberrations mentales que ces conditions de vie démentes génèrent chez les autochtones. Certaines sectes obligent leurs membres à peser le poids de leurs déjections, d’autres construisent des maisons blindées. Dans la capitale en ruine des musiciens dont les mélodies apaisent les douleurs des victimes des typhons se suicident lentement, du poison coulant de leurs instruments…


    Enfer vertical en approche rapide, récit minimaliste et impitoyable décrit par le menu les possibilités infinies de la logique humaine pour torturer son prochain. Dans ce roman, Brussolo commente de façon clinique les conséquences d’une ignoble expérimentation sociologique faite sur des prisonniers. Pour quel observateur cynique ses examens sont-ils menés… L’écrivain se contentera de le suggérer préférant titiller l’imagination de son lecteur.





    Brussolo créé un lien étroit entre l’environnement et le développement mental de ses protagonistes. Les religions, ne profitant qu’à ceux qui les professent, ne sont que des illusions cruelles qui asservissent l’individu. Dans ce contexte ses héros toujours aux franges de la société ne peuvent pas échapper au poids des traditions et à leurs fantasmes. Impitoyable, l’écrivain les broie pour les projeter dans la mort ou la folie.



    Durant les années 90, Brussolo jette son dévolu sur des histoires d’horreur et des séries noires. Dans ses meilleurs opus, les protagonistes sombrent dans des délires grotesques, incapable de distinguer la réalité des suppositions de la paranoïa. Boulevard des banquises combine les deux thématiques dans un superbe récit vénéneux contenant toutes les obsessions de son auteur : une romancière crève-la-faim est envoyée par son éditeur dans la lointaine ville de Götterdhal pour en établir un guide touristique. Plongée dans une ville aussi malsaine que froide, elle découvrira que les fondateurs de la cité furent autrefois de redoutables naufrageurs exécutant depuis des siècles une impossible rédemption à base de rituels masochistes. Dans cet univers de cauchemar, hanté par des créatures éthérées, l'héroïne aura fort à faire pour conserver sa santé mentale. Si Brussolo délaisse volontiers une intrigue un peu lâche, il se concentre sur une ambiance délétère, nous conviant à partager les horribles explorations de sa protagoniste.






    Ce déploiement de psychoses en tous genres flirtant ouvertement avec des atmosphères fantastiques trouve une forme d’équilibre dans La maison de l’Aigle, un ouvrage se classant dans les tentatives de Brussolo pour intégrer la littérature générale. La démence nazie et la pathologie artistique s’unissent en la personne d’un peintre illuminé et génial. L’obsession pour la chair de l’artiste se répercutera sur sa modèle recrutée de force qui sera « sculptée » avec des techniques chirurgicales…



    Fasciné par le corps humain et ses déformations, Brussolo utilise souvent le gore dans ses récits. Les visions hallucinées abondent au gré des histoires. Les malheureuses victimes du Docteur Squelette sont la proie d’hypertrophies osseuses. Des sculpteurs incompétents subissent des amputations indolores dans les Inhumains. L’héroïne des Fœtus d’Aciers voit ses dents exploser en croisant des momies incassables. Les métamorphoses lycanthropiques peuplent de manière récurrente son œuvre, comme dans Les Bêtes ou Cauchemars à Louer qui confronte son héros de 12 ans à l’ignoble régression animale de ses parents.






    Ses séries noires, pour les meilleurs, reposent sur des huis clos ou l’humanité des personnages est tiraillée par la paranoïa. Mais la puissance de ses textes fantastiques ou de science-fiction est atténuée par l’obligation de fournir une intrigue et une solution aux mystères exposés. Brussolo excelle dans l’art de la description fantasmagorique, tissant des ambiances poisseuses propices à l’explosion de tous les possibles mais il se heurte à des difficultés pour greffer ses visions dérangeantes dans l’univers réaliste des énigmes. Cela aboutit souvent à des récits déséquilibrés dont l’installation demeure plus prenante que la résolution. Tous ses polars ne sont pas à jeter et certains titres restent des leçons d’efficacité que feraient bien d’appliquer les scribouillards psychologistes parisiens. La chambre Indienne et son héroïne traquée par un amant machiste et psychopathe ou La Route Obscure et sa SDF paumée proposent une tonalité inédite à un genre sclérosé qui répugne à exploiter les parias du vingtième siècle en lieu et place des sempiternels avocats, policiers, ou médecins légistes…



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    Brussolo se fourvoie à travers ses tentatives de littérature générale à coup d’intrigues indigestes. La Moisson d’Hiver et ses pécores menacés par une bombe à retardement constituent un exemple de grande fatigue d’écriture. Même si d’autres opus comme Hurlemort et Les Ombres du Jardin se révèlent d’agréables lectures, ils n’en ont pas pour autant la rage et la bile noire des débuts de carrière.



    Avec sa série de polars historiques l’écrivain s’offre une alternative intéressante à l’univers étriqué de la série noire contemporaine. Explorant aussi bien l’Égypte des pharaons, les terres des Vikings que le moyen-âge, un de ses champs de bataille préférée, Brussolo utilise son style à plein rendement en tirant profit des frayeurs des personnages pour ciseler des visions dantesques. Les délires religieux lui prodiguent la possibilité de se délecter de la peinture d’inquisiteurs puritains, de moines en proie aux affres de l’obsession de la pureté et de victimes soumises. 






    Brussolo s’est essayé à la littérature jeunesse, mais celle-ci ne semble pas lui convenir. La technique descriptive de l’écrivain se simplifie jusqu’à l’absurde. Certaines intrigues paraissent bâclées, rédigées uniquement dans le but de payer les factures. Seule sa série Peggy Sue et les Fantômes contient quelques morceaux de bravoures horrifiques qui renvoient aux meilleurs ouvrages de la période Fleuve-Noir mais le ton stagne dans un second degré pesant qui désamorce souvent le côté horrifique des situations. Peut-être les exigences éditoriales du secteur jeunesse ne lui laissent-elles pas suffisamment de marges de manœuvre pour que son ton empreint de fatalisme et d’humour noir, ne se développe correctement ?






    C’est ce que semble confirmer son accord récent avec les éditions Bragelonne qui accepte de publier les versions non-censurés de certains romans adolescents de l’auteur dont le cycle des sentinelles d’Almoha. C’est chose faite avec la publication de l’intégrale du premier volume La Muraille Interdite…



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