dimanche 16 août 2020

    Bibliothèque des Ombres : Sombre, le jeu de rôle dont vous êtes la Victime !

    Comme toutes mes tables au club ont été pulvérisées façon puzzle par madame Kauvide et ses sbires – le roi Nécron 1er et son fidèle Varan –, je n’ai plus eu l’occasion de jouer depuis quelques mois. C'est donc l'occasion de vous présenter l’œuvre du sieur Johan Scipion qui est d’une agréable fréquentation et que je vous encourage à pratiquer, si ce n'est séance tenante, au moins dès que l'on pourra, n'est-ce pas....

    Sombre promet la peur « comme au cinéma »[1]. C'est-à-dire émuler d'abord les survivals des seventies, ce genre bourrin par excellence, souvent très chargé au niveau de la symbolique politique. Une caractérisation étrange, mais qui correspond très bien aux objectifs que se donne l’auteur de cette publication qui fait office d’OVNI dans le microcosme rôlistique. Ainsi les personnages-joueurs sont-ils virés de leurs podiums de héros pour devenir des putains de victimes ! Des victimes, oui, mais des victimes qui se battent et qui en chient.

    Aux origines il y avait Kult, autre jeu de rôle d’horreur s’inspirant des obsessions développées par Clive Barker dans les Livres de Sang et Hellraiser[2]. Donc au programme, sexe, torture et créatures aux désirs charnels impies en mode BDSM de l’extrême. Soit la panacée pour les amateurs du genre. Hélas pour génial et impressionnant que soit cet univers, assez large pour durer des décennies, il était noyauté par un système de jeu symptomatique des années 90 : bourré de statistique dans les coins, avec une fiche de personnage lardé de détails dont, au final, on se foutait complètement étant donné l'incroyable létalité des parties. Ce qui revenait à passer des heures carrées à remplir des colonnes de chiffres, avec de « sombres secrets » et autres amorces narratives pour les mettre à la poubelle après 10 minutes. Si pour moi la création des personnages-joueurs est une porte ouverte sur un univers, une sorte de sas comme l'est un générique de film, cet aspect de Kult n’était pas le mieux pensé.

    Aussi Johan Scipion a-t-il empoigné le taureau par les cornes pour débarrasser l’horreur rôlistique de sa pire tare : les règles touffues. Pas de gras ici. Une fiche minimaliste qui donne au joueur quelques traits, une phrase lapidaire en guise de caractérisation et une jauge psychique et physique qui baissera très, très vite. Grâce à cette prise en compte des attritions qu’encaissent les personnages, les parties tournent rapidement au pugilat, les infortunés protagonistes pétant les plombs dans la grande tradition d’un huis clos zombiesque à la George A. Romero.

    On le voit, l’auteur a étudié son jeu lors de multiples parties et en a peaufiné tous les aspects, privilégiant la vivacité du récit aux corsets de la simulation à tout crin. L’improvisation est un moteur fécond de Sombre : à partir d’un simple canevas archétypal, car l’horreur n'a qu'un nombre de déclinaisons restreintes, il est tout à fait loisible de dériver dans plusieurs directions et ambiances. Ce qui fait la véritable beauté du genre, ce sont les innombrables torsions que l’on peut appliquer à son schéma narratif à priori anémique. Halloween de John Carpenter et Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper racontent une histoire très similaire et pourtant les deux films sont différents dans leur exécution – magistrale – et ne procure pas le même genre d’angoisse au spectateur. La seule « faiblesse » que l’on pourrait trouver à cette proposition élégante est qu’il faut un maître de jeu qui ait un peu de bouteille, qui soit apte à improviser avec éloquence. Cela demande aussi des joueurs capables de lâcher leurs Aïe-Phone pour se concentrer sur l’ambiance. Une bonne partie d’horreur, comme un film du même acabit, ça se mérite !

     Dans le souci de continuer sa gamme, et pour explorer d’autres possibilités, Johan Scipion a ainsi diversifié son jeu en plusieurs sous-déclinaisons qui ont toutes leur utilité en fonction de ce que vous cherchez à faire vivre à vos joueurs. Vous voulez initier en douceur vos proches à la pratique rôlistique ? Le très minimaliste Sombre 0 est fait pour vous, avec quelques scénarios pas piqués des hannetons. Personnellement, j’ai mené plusieurs fois Deep Space Gore, Toys Scaries & Les Grimmies avec une indéniable réussite auprès de parfaits étrangers, en convention et en soirée ludique dans les bibliothèques.

    Trois scénarios aux ambiances différentes qui évoquent autant les Alien-like qui pullulaient dans les années 80 que le très bizarre et barré Dolls de Stuart Gordon, en passant par une inspiration contes de fées gore. Soit que du velours en ce qui me concerne. Les conseils de maîtrise qui remplissent les pages du magazine sont d’ailleurs excellents et il est recommandé de les potasser avant de mener la partie. Ces histoires courtes m'ont permis de multiplier les parties en un temps record, à l’inverse d’autres systèmes beaucoup plus chronophages. Alors certes, on y perd un peu en immersion – quoiqu’avec de bonnes descriptions, on peut s’en sortir –, mais l’amusement et là, et l’horreur demeure, pour le moment, un genre dont l’évocation fait toujours appel à un imaginaire collectif puissant pour sauter au-dessus des pénibles présentations d’univers. Je n’en ai tiré que des personnes qui ont apprécié l’expérience et qui n'ont, pour une grosse majorité, jamais touché un seul livre de gidéaire de leurs vies. J’ai même testé certains de ces scénarios avec des têtes blondes qui se sont assez vite prises au jeu, au point de se faire parfois de belles vacheries, m’offrant quelques parties mémorables.

    Le numéro 9 se penche sur les actionner-horrifiques, dans la droite descendance d’Aliens de James Cameron ou le Vampires de John Carpenter. Une variation « Sombre Max » que je n’ai pas encore eu l’occasion de tester, mais dont je gage que je trouverai bien le moyen de le maîtriser à un moment ou à autre. Il faut dire que Johan Scipion nous présente un scénario redoutable d'efficacité qui reprend la partie centrale de la nouvelle L’Appel de Cthulhu de Lovecraft, ce qui fait plaisir à l’amateur de Lovecrafteries que je suis. L’horreur mêlée au bourrin m’a toujours paru une excellente option, d’autant plus que les armes à feu ou tranchantes font rarement dans la dentelle. Donc oui, trois fois oui ![3]

     Mais un de mes fascicules préférés restent le 8 : son décor archétypal de slasher et sa cohorte d’idées de scénario en font un puits d'inspiration sans fond. Vous pourriez passer toute une année à utiliser le même décor sans en éprouver de lassitude tant les itérations proposées sont variées et amusantes. Le système minimal « 0 » appliqué à ce type de récit – difficilement transposable en jeu de rôle, du fait que les protagonistes ne sont que de la chair à boogeyman – est un coup de génie. De fait, le scénario A Man after Midnight est un exemple de rigueur et de sobriété d'écriture. 0 oblige, les personnages ont une durée de vie extrêmement limitée et les rencontres avec l’émule de Jason Voorhes sont aussi courtes que sanglantes. Cela demande bien sûr de grandes capacités d’improvisations et de descriptions de la part du MJ — en particulier sur les meurtres spectaculaires qui sont l’apanage du genre —, mais en poussant le concept à fond, avec un tirage au sort de personnages qui ne dépareilleraient pas dans le camp de vacance de Cristal Lake, on tient là une pépite ludique bien fendarde.

    Les Hors-série qui complètent la collection apportent un lot conséquent de nouvelles techniques, de scénarios et de suggestions qui en font de toute façon une acquisition d'agrément pour vos parties, si celle-ci tourne en rond.

    La plume de l’auteur est agréable, nerveuse, sèche, à l'image du cinéma qu'il cherche à émuler. Tout au plus lui reprocherais-je un emploi un peu trop fréquent d’anglicisme. Si certains critiques du milieu rôliste, dont le BHL de la discipline, champion du monde de la sodomie de drosophiles, pour reprendre la dénomination consacrée par l’auteur de Sombre lui-même, ce sont gaussés du format minimaliste du jeu, sa concision et son absence d’univers ne sont pas des défauts à mes yeux. 

    Car plus qu’un genre, l'horreur est surtout une ambiance, une manière de raconter des histoires. Pas d’univers ici (ou de « lore ») complexe et fouillé, mais plutôt une série de déclinaisons dans des environnements différents qui toutes reposent sur une même tonalité. Que ce soit des polars sanglants, un émule d’Alien dans l’espace ou une chasse aux cultistes dans les bayous de Louisiane, l’horreur est une épice narrative qui met l’accent sur la mortalité et le côté sale de l'existence. Une sous-culture carnavalesque et cathartique qui n’a eu de cesse de nous présenter un miroir déformant de nos pires tares et donc une saine manière de ricaner. Et c’est ça qui est bon !

    En conclusion, Sombre est une de ses pépites – avec Tranchons & Traquons – qui réinvente le loisir en le dégraissant de ses innombrables tableaux de statistiques pour aller droit à l’essentiel. Pécuniairement à la hauteur des bourses les plus maigres, ce jeu est une excellente porte d’entrée dans ce loisir particulier, que l’on soit des vieux briscards ou des nouveaux venus.

    Chapeau bas, monsieur Johan Scipion.

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    [1] — Ça aussi ça risque de bientôt disparaître, merci à tous ceux qui ont plébiscité les chiasses culturelles de l’Oncle Nickey qui a dorénavant un monopole encore jamais vu sur l’ensemble de la production américaine et donc mondiale. Il va être de plus en plus difficile d’échapper aux pets puritains de la compagnie aux oreilles rondes, à ses étrons numériques colorés à la diarrhée de CGI, à son idéologie hypocrite sur coulis de fumiers opportunistes et à son révisionnisme historique venu tout droit du fond de la plus profonde cuvette de chiottes repeintes par un Hitler qui se serait drogué aux laxatifs. Mais bon, vous l’avez tous voulu, hein ?

    [2] — Si vous ne l’avez jamais lu, c’est l’occasion de parfaire votre culture horrifique !

    [3] — Je m’excuse ici auprès des gens sensibles et des associations vertueuses qui prétendent imposer une manière de jouer et de décrire, désolé, mais une lame de sabre ça tranche, une épée ça transperce et une salve de mitraillette ça coupe un homme en deux. Autant dire que tout cela est sale, que ça pisse le sang et que ça en fout partout. Sans parler des cris d’agonies des victimes. Alors, vous pouvez en rester à vous branler l’occiput en titillant des points de vies, personnellement je préfère pratiquer le gore dans tous mes jeux de rôle, tout au moins si combat il y a. Cela ajoute un supplément de crédibilité que n'auront jamais des super-héros en caoutchouc-mousse qui traverse du béton sans une égratignure. Parce qu’un corps humain, même bien entraîné contre une surface en granit, ça fait juste un cadavre explosé, les organes étalés aux alentours, et les os surgissant d’un magma de tissus détruit. Ni plus, ni moins

    dimanche 9 août 2020

    Le Cyberpunk n'est pas un programme d'Avenir !

    Cela faisait un moment que je n’avais pas pris le temps de composer un article pour la toile. Les actualités anxiogènes des derniers mois[1] ont quelque peu bousculé nos habitudes et m'ont amené à des réflexions auxquelles je souhaitais donner une forme structurée. Sous couvert de survoler un mouvement artistique que j'affectionne, ce texte sera libre comme l'oiseau ! C’est d’ailleurs l'ultime espace de liberté qui nous reste ! Je disserterai donc sur mes appétences littéraires, en tentant de fourrer mes observations dans le torrent de la culture science-fictionnelle. 

    Shadowrun par Larry Elmore

    1/Pourquoi j’ai aimé le Cyberpunk.

    Il y de cela des années, j’ai adoré le cyberpunk. Inclassable, mélangeant la SF la plus exigeante avec un brassage réjouissant de genres connexes. Tout cet attirail ne pouvait que faire sens devant mes yeux esbaudis de lecteur et de cinéphage adolescent. Pensez donc : le polar copulait avec l’espionnage industriel ; le futur apocalyptique, éclairé aux néons fluo de Mario Bava, n’en finissait pas de pourrir avec élégance ; Keanu Reeves remplaçait Humphrey Bogart dans une version du Faucon Maltais où le MacGuffin aurifère était substitué par une danseuse androgyne dopée aux nano-techs, le tout côtoyant des cyborgs, des corps rapiécés, en kit, remontés grâce aux opérations d'émules de Frankenstein chromés sous perfusion de nazisme. Une esthétique dantesque d’urbex mutagène, hanté par des créatures dont les identités en métamorphoses constantes questionnaient les limites de l’humanité.

    Tout devenait possible dans un cauchemar labyrinthique dont les dédales se démultipliaient dans les réseaux autoroutiers et informatiques. Putain ! Qu'est-ce que c’était diantrement cooool ! Surtout pour quelqu’un qui se droguait autant à la SF qu’à l’horreur. Parce que les meilleurs auteurs ayant œuvré au sein de cette déclinaison particulière de la SF n’oubliaient jamais l’épice de l’ultra-violence, n’hésitant jamais à verser le premier sang dans des éruptions gores impressionnantes. En même temps comment peut-il en être autrement quand les principales thématiques de ces récits fonctionnaient sur la fin de la frontière entre l'organique et le mécanique, sur la mutation constante de l'individu et la prédation capitaliste acharnée ? S’il y a un genre qui nous a avertis à de nombreuses reprises des écueils politiques et idéologiques que nous risquions de rencontrer dans un futur (trop) proche, c’est bien celui-là ! En phase avec ce qui nous attendait, les auteurs cyber – s’ils n’ont pas été des prophètes – ont néanmoins tirés toutes les sonnettes d’alarme.

    Mais je sens que vous n’êtes pas convaincu, n’est-ce pas ?

    Eh bien ! Nous allons détailler cela…

    Spider Jerusalem par Geoff Darrow
     2/Pourquoi je ne peux plus écrire de Cyberpunk!

    Dans mes débuts d'écrivain, j’avais rédigé une trilogie cyberpunk sur fond de lycanthropie. C’était naïf – j’étais jeune –, mais que dire, sinon que toutes mes obsessions étaient là, puisque le genre me parlait mieux que n'importe quel autre. Je n’ai jamais achevé ces trois romans qui m’ont pourtant pris plus d’une bonne décennie. Je ne les finirai jamais. La voix des personnages s'est tue depuis dans ma tête. Je peux dater cette dissolution aux alentours du 11 septembre 2001. Depuis ces attentats prophétiques, notre réalité me semble avoir basculé dans une mauvaise production fauchée aux allures de cyberpunk, sans pour autant en avoir la classe. Au lieu de Strange Day (Kathryn Bigelow), on se tape le remake dopé aux hormones CGI de Atomic Cyborg (Sergio Martino). Le manque de goût total.

    Qu’on en juge :

    Comme dans Tous à Zanzibar (John Brunner) – qui n’appartient que de manière connexe au genre, mais en a influencé l’esthétique avec ses conurbations tentaculaires. Et à l'image des phénomènes décrient dans le roman, ne sommes-nous pas confrontés à une pollution endémique allant de pair avec une surpopulation citadine. Les villes se muent en un cloaque pathogène d’où surgissent des exaltés explosant dans des attentats sanglants auxquels plus personne ne prête attention. Les événements, aussitôt arrivés sont noyés dans un flot constant d'actualités qui nous transforment en zombies possédant la capacité de concentration d'un poisson rouge atteint d'Alzheimer.

    Transmetropolitan (Warren Ellis & Darick Robertson) décrit une guerre informative tournant autour d'une campagne électorale outrancière impliquant des candidats grotesques et une web-télé dont toutes les émissions ne sont que des publicités abrutissantes que nos propres chaînes de télévision s’efforcent d’imiter avec de plus en plus de réussite. Dans cet antre du mensonge, le journaliste punk Spider Jérusalem – alter-ego du scénariste Warren Ellis – se démène pour trouver des pépites de vérité dans la boue, s’exposant à la vindicte des forces de police aux méthodes expéditives chapeautée par un président baptisé « le Sourire ». Ce VRP des multinationales mono-expressif possède une conscience politique inexistante et un bras prompt à écraser toutes formes de manifestation sociale. La richesse thématique de ce formidable comics au ton libre restera inégalée, et peux fournir une allégorie affutée aux temps que nous traversons. Nombre de sujets abordés s’appliquent à notre merveilleuse époque, par exemple l’émergence de notre grand commandeur, Nécron 1er. À cette exception près qu’ils nous manquent désespérément un salopard brillant comme Spider Jérusalem pour dévoiler cette fraude démocratique qui se sent pousser des ailes d'aigles depuis que nous nous sommes masqués…

    Et puisque je parle de fascisme, et de nazis donc, sautons à pieds joints dans la mare brune du point Godwin pour y patauger comme des porcs dans leurs auges, bienheureux et au chaud. Selon un des auteurs précurseurs du genre, le génial et paranoïaque Philip K. Dick, le nazis n’ont jamais disparu avec la fin de la guerre. Tels des garçons qui venaient du Brésil, les SS n’ont cessé de nous hanter, nous collant, rien qu’à leur ’évocation, une frousse de tous les diables : des boîtes de jeu vidéo chient sous elle dès qu'une simple swastika apparaît dans le coin droit de l’image. Elles s'autocensurent en répandant dans leurs gesticulations grotesques des gouttes de sueur âcres et huileuses. Les œuvres de Phil sont habitées par les spectres du troisième Reich, que ce soit dans l’uchronie Le Maître du Haut-Château, dans Simulacre ou même le très glauque et paranoïaque Substance Mort, ils sont là, entre les lignes. Alors bien sûr, tout cela pourrait prêter à sourire, mais… ce serait oublié que des multinationales[2], toujours prospères et affichant une vertu publique de bon aloi, ont collaboré sans vergogne pour la croix gammée sans que personne ne s’en émeuvent outre mesure aujourd'hui. Phil a raison : les nazis ont remporté la guerre idéologique. Ainsi les méthodes de management positiviste déployées par les entreprises allemandes ont-elles déteint dans les open-spaces des grandes corporations qui appliquent avec zèle les commandements d’un petit bureaucrate SS. Libre d’être enchaîné à son travail, dans un darwinisme social béat, le salarié contemporain n’a même plus les mots pour désigner son aliénation. Les glissements sémantiques permanents – dénoncés par Frank Lepage – qui s’opère sur la langue française, remplacent peu à peu par ce qu’on a malicieusement appelé « l’anglais des connards » nous empêche de nommer les choses, et donc d'en avoir la pleine conscience. Mix entre les méthodes managériales des nazis et celles décrites dans le visionnaire 1984 (Georges Orwell), notre réalité va plus que jamais ressembler à un grand lavage de cerveau collectif organisé par des bureaucrates anonymes et des éditocrates télévisuels crachant leurs venins à longueur d'éditos débiles. Attendez-vous dans les années qui viennent à voir la sécurité sociale démantelée à coups de campagnes visant à « responsabiliser » les malades – ce qui sous-entend que si ta santé vacille, c’est de ta faute ![3]

    Internet, la toile 2.0 est devenue un lieu de combat dont les étincelles mettent le feu à des existences autrefois tranquilles. Pour une simple phrase, une saillie d’humour un peu noir et vous pouvez du jour au lendemain vous retrouver à la rue, contaminée par une lèpre morale. Personne ne vous portera secours, car le châtiment de la foule avide de sang est implacable et contagieux.[4] Notre oueb 2.0 est parvenu à des sommets d'abominations que même William Gibson, le père fondateur de l’esthétique cyberpunk, a été incapable d’anticiper. Pourtant, ces conséquences délétères ont été cartographiées par certains auteurs. Bien sûr, le territoire est sans cesse mouvant, les spasmes sinusoïdales qui l’agitent mutagènes, mais de Vidéodrome (David Cronenberg) où l’homme fusionnait avec le monde « vidéo » – sous la dénomination duquel il faut dénicher une allégorie du web en devenir – en passant par le très « trash-metal » Les Synthérétiques de Pat Cadigan, sans omettre Sur l’onde de Choc de John Brunner (encore), ces fictions ont pressenti avec plus ou moins de justesse l’émergence du Réseau. Ces auteurs propulseront au rang de personnage charismatique le hackeur, cet être androgyne au QI de 383, nageant dans la mer de données de la « la Matrice » comme on l’appelait avant que les Wachowski ne s’approprient le terme comme des sagouins. Mais entre les Anonymous, les associations de tous poils décidées de réduire au silence la moindre voix dissidente, et les citoyens anonymes qui – faute d’avoir un vrai pouvoir politique![5] se déchargent de leurs frustrations sur d’autres pauvres types dans une explosion de bonnes consciences et de morales dégoulinantes… la figure héroïque du Hacker a pris une sacrée torgnole dans le museau ! On est plus proche d’un matin de gueule de bois, après avoir repeint sa chambre à la gerbe que du glamour hollywoodien, pour le moment.

    Et en parlant de politique, on ne passera pas sur les guerres qui éclatent partout où se trouvent les matières premières nécessaires au maintien de notre civilisation. Des théâtres des opérations marqués par l’irruption de drones-suicides, bombardant les « ennemis de la liberté », en tout bien, tout honneur. Une mécanisation des batailles qui courent dans toute la littérature cyberpunk, de même que le déplacement des conflits dans quelques pays éloignée de notre occident. Sans parler du basculement des pôles de pouvoir, le cyber ayant depuis longtemps prophétisés l’essoufflement de l’Europe et des USA au bénéfice de l’axe asiatique, Chine et Japon en tête des favoris pour la domination mondiale. De William Gibson, en passant par Cablé + de Walter Jon Williams au jeu de rôle bien délirant Shadowrun, il semble que cette projection ne fut pas sans quelques justesses. Mais on pourrait aussi digresser sur l’affaiblissement des États-nations aux profits des multinationales, déroulant ainsi le tapis rouge pour une société cauchemardesque où toutes les idéologies auront été brisées sur l’autel d’un darwinisme social effréné, pur. Une abomination que même Ayn Rand n’eût pas fantasmée dans ses pires visions. Une monde fait de VRP multicartes au visage lisse de banquier d’affaires, à l’image du cyborg modèle « Terminator idéologique » qui hante les couloirs de l’Élysée, sans même parler de la belle bande de mutants hystérisés qui l'accompagnent. Une parfaite secte se donnant tout entière aux Dieux Profit, n’hésitant jamais à marcher sur l’échine et les cadavres de leurs administrés au pas de l’oie. Qu’importe les sacrifices ! Il faut que les Actionnaires, les Hérauts de cette religion, puissent faire bombances dans leurs coffres opulents, situés quelque part, dans les îles Caïmans.

    Keith Parkinson : Ambush
    3/Le Cyberpunk n’est pas un programme d’avenir…

    Je pourrais disserter pendant des pages et des pages sur le cyberpunk, en reprenant par exemple le concept du réseau qui a été exploité de manière allégorique par J.G.Ballard dans l’Île de Béton, ou des jonctions entre le cinéma gore et le cyberpunk, celui-ci célébrant les noces de la chair et de l’acier – ce qu’a exalté David Cronenberg dans des films comme Scanners ou Crash (adapté de l'excellent roman de Ballard, tout se recoupe…) —, de l’apport de Keanu Reeves qui est devenu LE visage du cyberpunk — au point de se retrouver dans le jeu vidéo adapté du jeu de rôle éponyme. Sachant que les deux cultures ludiques se sont mutuellement phagocytées, l’on savourera toute l’ironie de l’histoire, et pas mal d’autres choses encore... Reste que ce très court texte n’avait pas pour ambition de disséquer un sous-genre de la SF passionnant, mais plutôt de montrer en quoi celui-ci avait été un formidable laboratoire de prévisions futuristes qui se sont, hélas, avérées assez juste, à quelques détails dramaturgiques près... Car les auteurs se doivent de ménager le spectacle pour fasciner son audience, n’est-ce pas ? Et si je vous encourage à compulser les ouvrages ou les films sus-cités, ce n’est bien évident pas en tant que tables de la loi, mais plutôt comme une piste de réflexion et également pour s'extraire du temps éternel dans lequel les rézosocio nous maintiennent.

    Pour ma part, il m’est très délicat d’écrire du cyberpunk à notre époque. D'une part, le genre exige une culture scientifique et technique très poussée – bon OK ! dans le cas de Shadowrun, on va dire que nous en sommes à du bon vieux techno bla-bla basique –, mais aussi parce que l’effort que cela me demanderait ne pourra jamais être à la hauteur de l’absurdité complexe du monde dans lequel nous voguons. D’autre part, comme mes commentaires acides plus hauts l’indiquent, le réel ne me permet même plus de m’amuser avec certains concepts, tant ceux-ci ont été dévoyés par la médiocrité de nos contemporains. Et c’est la pire chose qui puisse arriver à une idée. Aussi je laisse volontiers les oripeaux du genre derrière moi, en espérant que d’autres pourront en maintenir la flamme, mais si je crains que celle-ci ne se soit asphyxiée par les vapeurs de méthane de notre smog de pollution.

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    [1] – Non que je veuille minimiser l’épisode de la bière mexicaine, mais il va bien falloir s’avouer que l’action des médias a été pire, que celle de notre gouvernement d’androïdes à la programmation cognitive défaillante. Pour flamber le propane de la panique, il y a foultitudes de candidats, l’allumette dans les pognes. Pour éteindre l’incendie en revanche, il n’y a plus personne. Tant que ça fait vendre du papier et du temps de cerveau disponible, l'information sera toujours traitée de manière indigne et cynique. Peu leurs chauds que des vies soient en jeu…

    [2] – On a les offuscations que l’on peut, à la hauteur de notre culture car il faut quand même se souvenir que tous ces gens qui ploie le genou devant le progressisme 2.0 ont pactisé avec l’Allemagne conquérante et ces alliés, sans pour autant être tondus à la libération, à l’inverse de milliers d’innocentes humiliées publiquement. IVM créera les premiers ordinateurs pour le comptage des prisonniers des camps de la mort ; Lolac-Cloac poussera la cynisme jusqu’à inventer Fantac, une boisson pour les nations de l’Axe ; Hugo Foss a dessiné les uniformes des SS, etc… L’argent n’a pas d’odeur, ni d’idéologies, ni de morale. Et si ces compagnies affichent actuellement une allégeance de façade à des mouvements humanistes, souvenez-vous, toujours, que cela n’est que gesticulations vulgaires et hypocrisie bourgeoise à son maximum. Une corporation ne connaît que le darwinisme social comme valeur cardinale.

    [3] – Anecdotes amusantes : dans mon deuxième roman : ExXode (qui est empreint de mon bouillonnement adolescent, et donc illisible), j’avais tout de même prévu que l’âge de la retraite serait remonté à 80 ans. L’avenir dira si j’avais raison…

    [4] – A ce sujet l’essai de Jon Ronson : La Honte ! révèle les horreurs de ce que l’on a appelé : la Cancel Culture (la culture de l’interdiction dans la langue de Molière) dont les rouages ressemblent à tous les phénomènes de Bouc Émissaire (les plus courageux peuvent se plonger dans La Violence et le Sacré de René Girard pour saisir la dynamique de ce fait social). Grosso-modo, ce phénomène implique que la personne « Interdite » est privée de tous ses droits. Elle n’est plus considérée comme un humain à part entière, mais comme une chose que l’on peut détruire à volonté, tout cela sous le voile d’agir « pour le Bien ». C’est le même schéma mentale que ceux qui meuvent les tueurs en série ou les purges ethniques. Je ne vois là-dedans nul bien, mais une profonde perversion de l’esprit humain.

    [5] – On ne va pas se mentir : changer de président tous les cinq ans pour n’avoir que la continuation de la même mauvaise comédie, c’est à ça qu’on reconnait une bonne vieille république bananière.