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    vendredi 30 octobre 2020

    Les Années Fléaux (d'après Norman Spinrad)

    Les récents événements m’invitant à penser que « Winter is Coming » et au pas de charge, j’en profite donc pour déterrer une vieillerie rester dans mes cartons. Cette BD en quatre planches a été réalisée en 2003, dans le cadre d’un atelier. Elle adapte de manière très infidèle l’excellente nouvelle Les Années Fléaux de l’auteur visionnaire – un peu trop à mon goût, pour être honnête – Norman Spinrad. Parce qu’au train où nous fonçons vers le mur, j’ai la sensation que nous nous préparons à un futur immédiat en forme de dysenterie. 

    Cliquez sur les images pour la lecture !

     

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    Postface :

    Nos Années Fléaux

    Ou quand la réalité rejoint la fiction...

    Les autorités aux manettes s’accommodent de jouer les pompiers pyromanes. Après tout, ne goûte-t-on pas à notre tour à la fameuse Stratégie du Choc théorisée par les Chicago Boys et déployée dans les pays du tiers-monde pour évincer les régimes un peu trop à gauche aux goûts de l'Oncle Sam ? C’est à notre tour de danser une tarentelle infinie, comme un Troupeau Aveugle, vers le ravin de nos illusions qui est juste là, devant vous !

    Nécron1er se fait Néron devant l’incendie de Rome et ne change rien à ses habitudes de pervers narcissique et toute l’Europe suit ce pâle ersatz de Patrick Bateman sous cocaïne avec un bel ensemble. Depuis Mars, ce n'est qu'une suite de mesures complètement ineptes, saupoudré d’un matraquage médiatique à même de briser les esprits les plus résistants. Impossible de passer outre cet égrégore terrifiant qui s’impose dans tous les cerveaux au quotidien. Aussi émergente soit-elle, cette maladie actuelle aurait nécessité, je ne sais pas, peut-être, par exemple, d’agrandir les capacités d’accueil des hôpitaux tout en revalorisant les métiers de la santé. Ou d’ouvrir ces foutus numerus clausus. Rien ne sera fait en six mois, avant la reprise des hostilités grippales. Vous êtes surpris par autant d’incompétence ? 

    Pas moi !

    Il est à craindre que les maigres bénéfices de mesures au mieux abracadabrantesques dont l’efficacité reste encore à démontrer n’aboutissent à la destruction rapide de toutes nos institutions et à un appauvrissement généralisé dont je me demande si, au final, il ne fera pas plus de dégâts que le virus en lui-même. Parce que, à ce train, on se précipite vers une crise économique d’une ampleur jamais connue et à côté de laquelle, celle de 1929 ressemblera à un conte de fées repeint par la palette sirupeuse de l’oncle Walt.

    Donc, je vous invite à lire le mode d’emploi du « monde de demain » que nous propose Norman Spinrad dans les Années Fléaux, entre paupérisation extrême, fléaux endémiques et remise au goût du jour du crimepensée cher à Orwell. Autant dire que je plains sincèrement les générations futures qui vont se coltiner un monde auprès duquel Mad Max fera figure d'aimable blague.

    Humanity Sentenced to Burn !

    dimanche 9 août 2020

    Le Cyberpunk n'est pas un programme d'Avenir !

    Cela faisait un moment que je n’avais pas pris le temps de composer un article pour la toile. Les actualités anxiogènes des derniers mois[1] ont quelque peu bousculé nos habitudes et m'ont amené à des réflexions auxquelles je souhaitais donner une forme structurée. Sous couvert de survoler un mouvement artistique que j'affectionne, ce texte sera libre comme l'oiseau ! C’est d’ailleurs l'ultime espace de liberté qui nous reste ! Je disserterai donc sur mes appétences littéraires, en tentant de fourrer mes observations dans le torrent de la culture science-fictionnelle. 

    Shadowrun par Larry Elmore

    1/Pourquoi j’ai aimé le Cyberpunk.

    Il y de cela des années, j’ai adoré le cyberpunk. Inclassable, mélangeant la SF la plus exigeante avec un brassage réjouissant de genres connexes. Tout cet attirail ne pouvait que faire sens devant mes yeux esbaudis de lecteur et de cinéphage adolescent. Pensez donc : le polar copulait avec l’espionnage industriel ; le futur apocalyptique, éclairé aux néons fluo de Mario Bava, n’en finissait pas de pourrir avec élégance ; Keanu Reeves remplaçait Humphrey Bogart dans une version du Faucon Maltais où le MacGuffin aurifère était substitué par une danseuse androgyne dopée aux nano-techs, le tout côtoyant des cyborgs, des corps rapiécés, en kit, remontés grâce aux opérations d'émules de Frankenstein chromés sous perfusion de nazisme. Une esthétique dantesque d’urbex mutagène, hanté par des créatures dont les identités en métamorphoses constantes questionnaient les limites de l’humanité.

    Tout devenait possible dans un cauchemar labyrinthique dont les dédales se démultipliaient dans les réseaux autoroutiers et informatiques. Putain ! Qu'est-ce que c’était diantrement cooool ! Surtout pour quelqu’un qui se droguait autant à la SF qu’à l’horreur. Parce que les meilleurs auteurs ayant œuvré au sein de cette déclinaison particulière de la SF n’oubliaient jamais l’épice de l’ultra-violence, n’hésitant jamais à verser le premier sang dans des éruptions gores impressionnantes. En même temps comment peut-il en être autrement quand les principales thématiques de ces récits fonctionnaient sur la fin de la frontière entre l'organique et le mécanique, sur la mutation constante de l'individu et la prédation capitaliste acharnée ? S’il y a un genre qui nous a avertis à de nombreuses reprises des écueils politiques et idéologiques que nous risquions de rencontrer dans un futur (trop) proche, c’est bien celui-là ! En phase avec ce qui nous attendait, les auteurs cyber – s’ils n’ont pas été des prophètes – ont néanmoins tirés toutes les sonnettes d’alarme.

    Mais je sens que vous n’êtes pas convaincu, n’est-ce pas ?

    Eh bien ! Nous allons détailler cela…

    Spider Jerusalem par Geoff Darrow
     2/Pourquoi je ne peux plus écrire de Cyberpunk!

    Dans mes débuts d'écrivain, j’avais rédigé une trilogie cyberpunk sur fond de lycanthropie. C’était naïf – j’étais jeune –, mais que dire, sinon que toutes mes obsessions étaient là, puisque le genre me parlait mieux que n'importe quel autre. Je n’ai jamais achevé ces trois romans qui m’ont pourtant pris plus d’une bonne décennie. Je ne les finirai jamais. La voix des personnages s'est tue depuis dans ma tête. Je peux dater cette dissolution aux alentours du 11 septembre 2001. Depuis ces attentats prophétiques, notre réalité me semble avoir basculé dans une mauvaise production fauchée aux allures de cyberpunk, sans pour autant en avoir la classe. Au lieu de Strange Day (Kathryn Bigelow), on se tape le remake dopé aux hormones CGI de Atomic Cyborg (Sergio Martino). Le manque de goût total.

    Qu’on en juge :

    Comme dans Tous à Zanzibar (John Brunner) – qui n’appartient que de manière connexe au genre, mais en a influencé l’esthétique avec ses conurbations tentaculaires. Et à l'image des phénomènes décrient dans le roman, ne sommes-nous pas confrontés à une pollution endémique allant de pair avec une surpopulation citadine. Les villes se muent en un cloaque pathogène d’où surgissent des exaltés explosant dans des attentats sanglants auxquels plus personne ne prête attention. Les événements, aussitôt arrivés sont noyés dans un flot constant d'actualités qui nous transforment en zombies possédant la capacité de concentration d'un poisson rouge atteint d'Alzheimer.

    Transmetropolitan (Warren Ellis & Darick Robertson) décrit une guerre informative tournant autour d'une campagne électorale outrancière impliquant des candidats grotesques et une web-télé dont toutes les émissions ne sont que des publicités abrutissantes que nos propres chaînes de télévision s’efforcent d’imiter avec de plus en plus de réussite. Dans cet antre du mensonge, le journaliste punk Spider Jérusalem – alter-ego du scénariste Warren Ellis – se démène pour trouver des pépites de vérité dans la boue, s’exposant à la vindicte des forces de police aux méthodes expéditives chapeautée par un président baptisé « le Sourire ». Ce VRP des multinationales mono-expressif possède une conscience politique inexistante et un bras prompt à écraser toutes formes de manifestation sociale. La richesse thématique de ce formidable comics au ton libre restera inégalée, et peux fournir une allégorie affutée aux temps que nous traversons. Nombre de sujets abordés s’appliquent à notre merveilleuse époque, par exemple l’émergence de notre grand commandeur, Nécron 1er. À cette exception près qu’ils nous manquent désespérément un salopard brillant comme Spider Jérusalem pour dévoiler cette fraude démocratique qui se sent pousser des ailes d'aigles depuis que nous nous sommes masqués…

    Et puisque je parle de fascisme, et de nazis donc, sautons à pieds joints dans la mare brune du point Godwin pour y patauger comme des porcs dans leurs auges, bienheureux et au chaud. Selon un des auteurs précurseurs du genre, le génial et paranoïaque Philip K. Dick, le nazis n’ont jamais disparu avec la fin de la guerre. Tels des garçons qui venaient du Brésil, les SS n’ont cessé de nous hanter, nous collant, rien qu’à leur ’évocation, une frousse de tous les diables : des boîtes de jeu vidéo chient sous elle dès qu'une simple swastika apparaît dans le coin droit de l’image. Elles s'autocensurent en répandant dans leurs gesticulations grotesques des gouttes de sueur âcres et huileuses. Les œuvres de Phil sont habitées par les spectres du troisième Reich, que ce soit dans l’uchronie Le Maître du Haut-Château, dans Simulacre ou même le très glauque et paranoïaque Substance Mort, ils sont là, entre les lignes. Alors bien sûr, tout cela pourrait prêter à sourire, mais… ce serait oublié que des multinationales[2], toujours prospères et affichant une vertu publique de bon aloi, ont collaboré sans vergogne pour la croix gammée sans que personne ne s’en émeuvent outre mesure aujourd'hui. Phil a raison : les nazis ont remporté la guerre idéologique. Ainsi les méthodes de management positiviste déployées par les entreprises allemandes ont-elles déteint dans les open-spaces des grandes corporations qui appliquent avec zèle les commandements d’un petit bureaucrate SS. Libre d’être enchaîné à son travail, dans un darwinisme social béat, le salarié contemporain n’a même plus les mots pour désigner son aliénation. Les glissements sémantiques permanents – dénoncés par Frank Lepage – qui s’opère sur la langue française, remplacent peu à peu par ce qu’on a malicieusement appelé « l’anglais des connards » nous empêche de nommer les choses, et donc d'en avoir la pleine conscience. Mix entre les méthodes managériales des nazis et celles décrites dans le visionnaire 1984 (Georges Orwell), notre réalité va plus que jamais ressembler à un grand lavage de cerveau collectif organisé par des bureaucrates anonymes et des éditocrates télévisuels crachant leurs venins à longueur d'éditos débiles. Attendez-vous dans les années qui viennent à voir la sécurité sociale démantelée à coups de campagnes visant à « responsabiliser » les malades – ce qui sous-entend que si ta santé vacille, c’est de ta faute ![3]

    Internet, la toile 2.0 est devenue un lieu de combat dont les étincelles mettent le feu à des existences autrefois tranquilles. Pour une simple phrase, une saillie d’humour un peu noir et vous pouvez du jour au lendemain vous retrouver à la rue, contaminée par une lèpre morale. Personne ne vous portera secours, car le châtiment de la foule avide de sang est implacable et contagieux.[4] Notre oueb 2.0 est parvenu à des sommets d'abominations que même William Gibson, le père fondateur de l’esthétique cyberpunk, a été incapable d’anticiper. Pourtant, ces conséquences délétères ont été cartographiées par certains auteurs. Bien sûr, le territoire est sans cesse mouvant, les spasmes sinusoïdales qui l’agitent mutagènes, mais de Vidéodrome (David Cronenberg) où l’homme fusionnait avec le monde « vidéo » – sous la dénomination duquel il faut dénicher une allégorie du web en devenir – en passant par le très « trash-metal » Les Synthérétiques de Pat Cadigan, sans omettre Sur l’onde de Choc de John Brunner (encore), ces fictions ont pressenti avec plus ou moins de justesse l’émergence du Réseau. Ces auteurs propulseront au rang de personnage charismatique le hackeur, cet être androgyne au QI de 383, nageant dans la mer de données de la « la Matrice » comme on l’appelait avant que les Wachowski ne s’approprient le terme comme des sagouins. Mais entre les Anonymous, les associations de tous poils décidées de réduire au silence la moindre voix dissidente, et les citoyens anonymes qui – faute d’avoir un vrai pouvoir politique![5] se déchargent de leurs frustrations sur d’autres pauvres types dans une explosion de bonnes consciences et de morales dégoulinantes… la figure héroïque du Hacker a pris une sacrée torgnole dans le museau ! On est plus proche d’un matin de gueule de bois, après avoir repeint sa chambre à la gerbe que du glamour hollywoodien, pour le moment.

    Et en parlant de politique, on ne passera pas sur les guerres qui éclatent partout où se trouvent les matières premières nécessaires au maintien de notre civilisation. Des théâtres des opérations marqués par l’irruption de drones-suicides, bombardant les « ennemis de la liberté », en tout bien, tout honneur. Une mécanisation des batailles qui courent dans toute la littérature cyberpunk, de même que le déplacement des conflits dans quelques pays éloignée de notre occident. Sans parler du basculement des pôles de pouvoir, le cyber ayant depuis longtemps prophétisés l’essoufflement de l’Europe et des USA au bénéfice de l’axe asiatique, Chine et Japon en tête des favoris pour la domination mondiale. De William Gibson, en passant par Cablé + de Walter Jon Williams au jeu de rôle bien délirant Shadowrun, il semble que cette projection ne fut pas sans quelques justesses. Mais on pourrait aussi digresser sur l’affaiblissement des États-nations aux profits des multinationales, déroulant ainsi le tapis rouge pour une société cauchemardesque où toutes les idéologies auront été brisées sur l’autel d’un darwinisme social effréné, pur. Une abomination que même Ayn Rand n’eût pas fantasmée dans ses pires visions. Une monde fait de VRP multicartes au visage lisse de banquier d’affaires, à l’image du cyborg modèle « Terminator idéologique » qui hante les couloirs de l’Élysée, sans même parler de la belle bande de mutants hystérisés qui l'accompagnent. Une parfaite secte se donnant tout entière aux Dieux Profit, n’hésitant jamais à marcher sur l’échine et les cadavres de leurs administrés au pas de l’oie. Qu’importe les sacrifices ! Il faut que les Actionnaires, les Hérauts de cette religion, puissent faire bombances dans leurs coffres opulents, situés quelque part, dans les îles Caïmans.

    Keith Parkinson : Ambush
    3/Le Cyberpunk n’est pas un programme d’avenir…

    Je pourrais disserter pendant des pages et des pages sur le cyberpunk, en reprenant par exemple le concept du réseau qui a été exploité de manière allégorique par J.G.Ballard dans l’Île de Béton, ou des jonctions entre le cinéma gore et le cyberpunk, celui-ci célébrant les noces de la chair et de l’acier – ce qu’a exalté David Cronenberg dans des films comme Scanners ou Crash (adapté de l'excellent roman de Ballard, tout se recoupe…) —, de l’apport de Keanu Reeves qui est devenu LE visage du cyberpunk — au point de se retrouver dans le jeu vidéo adapté du jeu de rôle éponyme. Sachant que les deux cultures ludiques se sont mutuellement phagocytées, l’on savourera toute l’ironie de l’histoire, et pas mal d’autres choses encore... Reste que ce très court texte n’avait pas pour ambition de disséquer un sous-genre de la SF passionnant, mais plutôt de montrer en quoi celui-ci avait été un formidable laboratoire de prévisions futuristes qui se sont, hélas, avérées assez juste, à quelques détails dramaturgiques près... Car les auteurs se doivent de ménager le spectacle pour fasciner son audience, n’est-ce pas ? Et si je vous encourage à compulser les ouvrages ou les films sus-cités, ce n’est bien évident pas en tant que tables de la loi, mais plutôt comme une piste de réflexion et également pour s'extraire du temps éternel dans lequel les rézosocio nous maintiennent.

    Pour ma part, il m’est très délicat d’écrire du cyberpunk à notre époque. D'une part, le genre exige une culture scientifique et technique très poussée – bon OK ! dans le cas de Shadowrun, on va dire que nous en sommes à du bon vieux techno bla-bla basique –, mais aussi parce que l’effort que cela me demanderait ne pourra jamais être à la hauteur de l’absurdité complexe du monde dans lequel nous voguons. D’autre part, comme mes commentaires acides plus hauts l’indiquent, le réel ne me permet même plus de m’amuser avec certains concepts, tant ceux-ci ont été dévoyés par la médiocrité de nos contemporains. Et c’est la pire chose qui puisse arriver à une idée. Aussi je laisse volontiers les oripeaux du genre derrière moi, en espérant que d’autres pourront en maintenir la flamme, mais si je crains que celle-ci ne se soit asphyxiée par les vapeurs de méthane de notre smog de pollution.

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    [1] – Non que je veuille minimiser l’épisode de la bière mexicaine, mais il va bien falloir s’avouer que l’action des médias a été pire, que celle de notre gouvernement d’androïdes à la programmation cognitive défaillante. Pour flamber le propane de la panique, il y a foultitudes de candidats, l’allumette dans les pognes. Pour éteindre l’incendie en revanche, il n’y a plus personne. Tant que ça fait vendre du papier et du temps de cerveau disponible, l'information sera toujours traitée de manière indigne et cynique. Peu leurs chauds que des vies soient en jeu…

    [2] – On a les offuscations que l’on peut, à la hauteur de notre culture car il faut quand même se souvenir que tous ces gens qui ploie le genou devant le progressisme 2.0 ont pactisé avec l’Allemagne conquérante et ces alliés, sans pour autant être tondus à la libération, à l’inverse de milliers d’innocentes humiliées publiquement. IVM créera les premiers ordinateurs pour le comptage des prisonniers des camps de la mort ; Lolac-Cloac poussera la cynisme jusqu’à inventer Fantac, une boisson pour les nations de l’Axe ; Hugo Foss a dessiné les uniformes des SS, etc… L’argent n’a pas d’odeur, ni d’idéologies, ni de morale. Et si ces compagnies affichent actuellement une allégeance de façade à des mouvements humanistes, souvenez-vous, toujours, que cela n’est que gesticulations vulgaires et hypocrisie bourgeoise à son maximum. Une corporation ne connaît que le darwinisme social comme valeur cardinale.

    [3] – Anecdotes amusantes : dans mon deuxième roman : ExXode (qui est empreint de mon bouillonnement adolescent, et donc illisible), j’avais tout de même prévu que l’âge de la retraite serait remonté à 80 ans. L’avenir dira si j’avais raison…

    [4] – A ce sujet l’essai de Jon Ronson : La Honte ! révèle les horreurs de ce que l’on a appelé : la Cancel Culture (la culture de l’interdiction dans la langue de Molière) dont les rouages ressemblent à tous les phénomènes de Bouc Émissaire (les plus courageux peuvent se plonger dans La Violence et le Sacré de René Girard pour saisir la dynamique de ce fait social). Grosso-modo, ce phénomène implique que la personne « Interdite » est privée de tous ses droits. Elle n’est plus considérée comme un humain à part entière, mais comme une chose que l’on peut détruire à volonté, tout cela sous le voile d’agir « pour le Bien ». C’est le même schéma mentale que ceux qui meuvent les tueurs en série ou les purges ethniques. Je ne vois là-dedans nul bien, mais une profonde perversion de l’esprit humain.

    [5] – On ne va pas se mentir : changer de président tous les cinq ans pour n’avoir que la continuation de la même mauvaise comédie, c’est à ça qu’on reconnait une bonne vieille république bananière.

    mardi 25 avril 2017

    Philosophie de Comptoir 02 : Attention ! Coup d'état et Macronnades en vue !

    Ces élections françaises qui ont eu lieu ce week-end ensoleillé d’avril 2017, pour furent aussi lamentables qu’historiques. Je m’explique.

    Et il y en a encore des tas comme ça... Quand la préférence (nationale ?) devient aussi voyante, on se fout un peu de notre gueule...

    D'une part, l’on a eu un candidat proposant une refonte de notre république – celui que j’appellerais la Merluche – et, tout aussi important, prennait en considération un environnement qui ne va pas en s’améliorant grâce à cette bonne vieille anthropocène. La Merluche s’est aussitôt attiré la haine caricaturale des éditocrâtes et autre laquais d’or. Même le grand, Joan Sfar, l'aristocrate de la BD que le monde nous envie, est sorti de sa cachette pour nous la jouer en mode propagande des années 30 avec bolcheviques un couteau entre les dents. En étant honnête deux secondes, de communisme, il était très peu question chez Merluche. Néanmoins, les intentions étaient bonnes, mais dérangeantes — surtout pour une certaine forme de commerce — pour une partie de nos maîtres. Il ne fallait pas laisser la moindre chance de passer le cap du second tour à cet histrion !

    En ce sens, la politique de la terre brûlée du duo Hollandouille et Hamon [1] s’est révélée très efficace. Stupide certes, mais efficace. Autant le dire aux gauchistes de tous poils : le parti socialiste est mort, définitivement. François Hollandouille et sa clique de gauchiasses [2] l’ont atomisé et éparpillé aux quatre vents. Même l’idée de socialisme a été anéantie par un quinquennat dont la plus infime décision était frappée du sceau de l’extrême-droite. Pour l’arrivé du F. Haine au pouvoir, on a eu l’entraînement…

    LOL !

    De l’autre l’on a eu au mieux des paltoquets falots, au pire des opportunistes totales. Ah ! Le feuilleton navrant de François Fion le châtelain enchaîné à ses casseroles. Mais ce n’était rien comparé au battage médiatique entourant le retour de l’hyper-président 2.00. Emmanuel Micron, sorte de clone de François Hollandouille et de Nico l’agité. Surfant comme un psychopathe en rut – l’homme pourrait donner son visage au Patrick Bateman d’American Psycho de Brett Easton Ellis dans un remake fantasmé – sur les cicatrices encore à vif du règne de Nico-Napoléon-en-petit, ce politicien véreux a reçu la bénédiction des Dieux médias. En coulisse, il n’est que le masque de Glodman-Sachs, J.P.Norgan et autres banques d’affaires hautement toxiques. Soit le parfait VRP automatique de la finance mondialisée.

    Au final, le scénario était écrit depuis longtemps en une prophétie auto-réalisatrice, à longueur d’éditos et d’émissions télé durant lesquelles le traitement partial des candidats était tellement visible que cela en devenait grotesque. Crachant des mots de manières aléatoires – j’aimerais qu’on m’explique QUI arrive à comprendre les discours de Micron ? – Emmanuel Micron s’est taillé un costard royal, enchaînant les meetings basés sur du vent. La nouvelle de son accession au second a entraîné une copieuse éjaculation des boursicoteurs du CAC 40.

    Hey Paul... On va parler de ton avenir dans la boîte...

    Évidemment, face au second challenger – l’omniprésente Marine La Peine – Emmanuel Micron va gagner, c’est là aussi écrit comme dans un scénario dirigiste de mauvais jeu de rôle téléguidé par un MJ bourré. Sauf que… Sauf qu’à force d’en parler, les médias ont créé un golem tant ils ont contribué à sa dédiabolisation. Ce qui me conduit à considérer que la victoire de Micron n'est pas encore actée. Nous ne sommes plus en 2002 et la donne politique a changé depuis ce lointain passé. La plupart des journalistes et des commentateurs ont deux décennies de retard sur les événements, mais je crains que le présent ne les rattrape par une ironie du sort assez dangereuse, quoique réjouissante sur l'instant…

    En dehors des authentiques nœuds intellectuels, je ne connais aucun être humain sain d'esprit capable de choisir entre la peste et le choléra. Même à droite, je ne les vois pas adhérer à Micron, celui-ci étant un rot émanant directement du dernier gouvernement. D'autre part, il n'est pas certains que ceux qui ont voté à « gauche » enfin, je veux dire socialiste, reporte leurs voix sur le roquet qui n’aura gagné que par forfait. À ce stade, et à moins de comptabiliser les bulletins blancs, je crains que le calcul des banquiers ne soit caduc. Cela étant, le milieu des affaires – comme nous l’apprend l’histoire – s’accommode très bien des régimes fascistes. En ce sens, la Peine est pour eux moins nocive – car tournée vers un passé déjà mort et enterré depuis des décennies – qu’un Merluche plus conscient qu’un cap doit être franchi à l’orée de ce nouveau millénaire [3].

     Les crevards, je suis là ! Ça va chier !
    Pour ma part, cette comédie, ce sera sans moi. Mais je nous souhaite bien du courage parce nous allons de toute façon encore perdre cinq ans.
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    [1] – Une insupportable Valls médiatique en 49.3 temps : Hamon appelle la Merluche à le rejoindre. Hamon et ses multiples revers de vestes, son programme improvisé en direct des plateaux n’est pas un seul instant crédible. La Hollande sort donc de sa prostration pour nous avertir des dangers que représente « le communisme » de la Merluche. La meilleure publicité que notre mérou vindicatif pouvait avoir de la part de la tanche encore aux commandes. Par contre est-ce qu’Hamon a fait le moindre geste en voyant poindre la catastrophe ? Ou n’était-il pas parti prenante – peut-être à son corps défendant – du scénario de la Hollande pour mettre sur le trône son clone ? Mystère ! Toujours est-il que le résultat est là. Je félicite le machiavélisme de la Hollande qui se dissimule sous une apparence de bonhommie affable.

    [2] – Vocable de l’extrême-droite, je sais… Mais cela défini tellement bien ce que je pense très sincèrement de la bande de bras cassés et de girouettes médiocres s’étant disputé le pouvoir ces dernières années. C’est bien simple : ils ont réussi à faire encore pires que leurs prédécesseurs, que ce soit économiquement ou socialement.

    [3] – Sans compter sur la participation aux débats d'un nouvel attentat, qui pointe son nez de la manière la plus opportune du monde...

    Une dernière pour la route. Bateman Style's...
     
     

    mardi 27 septembre 2016

    Philosophie de Comptoir : La carotte poivrée dans l'oignon

    Ouverture d’une nouvelle rubrique de ce blog qui me permettra de me lâcher sur un sujet ou un autre. D’habitude, ma crémerie c’est la fiction, mais parfois il faut sortir de sa zone de confort. Je ne me prétends pas journaliste, sociologue ou quoi que ce soit en –ogue… mais certains événements, certaines personnes ont le don de déclencher des réactions épidermiques chez moi ! Cet espace navigant entre humour noir et recherche de sens est un domaine dans lequel je ne mâcherais pas mes mots. Il y aura moult apartés, grossièretés et pis encore… Amateurs de poneys roses et de sorcières mignonnes, passez votre chemin !



    1. L’Origine du mal.

    Un opportuniste – appelons-le Pandor – a signé avec un célèbre éditeur, que nous renommerons Panama Jack, un album jeunesse qui a envahi les bacs. Jusqu’ici rien que de très logique, mais les choses se gâtent quand on connaît les termes du contrat.

    Selon sa propre légende, Pandor aurait présenté l’embryon de cette BD à plusieurs éditeurs qui auraient refusé, faisant saigner son pauvre petit cœur. Ni une, ni deux le bonhomme passe à l’autopublication sur le Oueb 2.3.4.5 – comme beaucoup d’autres artistes, dont votre serviteur – et il rencontre un phénoménal succès outre-Atlantique. Au passage, celui-ci utilise des bénévoles pour corriger et traduire sa BD en plusieurs langues… La solidarité 2.00 m’arrache des larmes de crocodile ! Le bougre arrive à vivre du mécénat de ses lecteurs de manière confortable pour pouvoir pratiquer son activité à plein temps – petit détail à se mettre sous l’oreille pour la suite.

    Comme beaucoup d’autres personnes, Pandor use d’une licence créative, mais — à la différence de ce blog où j’interdis quiconque d’employer mes travaux à des fins commerciales — notre ami, lui, a laissé son ouvrage libre de droits. Tant qu'on le crédite, n’importe qui peut prendre ses images pour les vendre. Sans qu'il n'ait son mot à dire, ni qu'il n’y touche un kopek. Vous avez bien lu. Pandor explicite sa démarche en développant de l’argument de la pub – gratuite – qu’il reçoit de son œuvre. Pour lui, tous les prolongements annexes de son Webcomics ne sont que des produits dérivés. Ce qui en dit long sur l’esprit mercantile dans lequel est conçue cette « œuvre ».

    J’ignore — et à ce stade je m’en fous — si Pandor a fait appel à Panama Jack pour inonder le marché francophone ou si celui-ci, par l’odeur du succès alléché, l’a contacté. Toujours est-il que ni une, ni deux, l’harpagon des livres signe avec Pandor pour un album tiré à la hauteur d’une bagatelle de 10.000 exemplaires.

    Le chiffre donne une idée de l’indicible bêtise de la chose… Mais en plus Pandor, croyant dur comme fer à sa petite morale égotiste — typique de cette génération née avec une cuillère en argent dans la bouche — est rétribué de 350 $ par mois, considérant Panama Jack comme un mécène. Un choix qui a fait hurler les auteurs de BD professionnels qui bouffent déjà du foin à longueur de temps. De nombreuses personnes sont venues essayer de dialoguer, parmi elles du beau linge (Boulet, le scénariste Thierry Gloris et quelques autres…), mais Pandor campe sur ses positions dans une posture quasi autistique, balayant tous les arguments raisonnables avec un cocktail de chiffres et de moraline indigeste.

    Pour Pandor, Panama Jack ne lui offre que le service de « l'impression ».

    Comment t’expliquer, le demi-sel ?

    Ton accord c’est du caca en barre et ça fout tout le monde dans la panade. À part Panama Jack... qui doit en crever de rire à s’en faire exploser la panse ventrue.

    Ma tronche à l'annonce de cette arnaque...

    2. Du rôle de l’éditeur.

    Ça peut surprendre, mais un éditeur n’est pas un imprimeur. Voilà.

    Quelques minuscules recherchent sur le net — puisque tu aimes ça, Pandor — suffisent pour en avoir la preuve.

    Les premiers éditeurs étaient aussi des imprimeurs et des libraires puisque souvent le dépôt de vente était situé près des rotatives. Mais les deux professions sont distinctes. Au fur et à mesure des mutations du métier, le patron de l’imprimerie se mua en éditeur et les deux fonctions se sont scindées.

    Actuellement, l’éditeur fait un parie sur la viabilité de son poulain et il le diffuse pour que les potentiels lecteurs puissent avoir accès à son œuvre. Ce faisant, il apporte une plus-value au travail de l’auteur en l’aidant à revoir sa copie. Il est son premier public critique, celui qui lui donnera un recule nécessaire pour peaufiner son ouvrage.

    Ensuite, l’éditeur propose un service de révision pour éviter les fôtes d’aurtografes. Il fait le maquettage pour que le livre que vous retrouverez dans votre libraire soit agréable à vos petits yeux ébahis. Enfin, il assure la promotion du produit fini et le défend becs et ongles contre les diatribes de la presse. Éventuellement, il paye aussi la traduction pour la diffusion sur le marché étranger. Tout ceci n'est que théorique et valable dans un monde fait de miel, d'abeilles toutes douces et de merveilleuses licornes.

    Sur l’œuvre de Pandor quel aura été le travail de Panama Jack ?

    Il s’épargne d’entrée de jeu les risques puisqu’il sait déjà que l’œuvre possède un lectorat, prêt à passer à la caisse de surcroît. De plus, la logique de Pandor est tellement tordue qu’elle en devient flippante. Je cite un de ces commentaires :

    « Donc ce buzz, dit-il la vérité ? En partie, oui, c’est pour ça que ça marche. Il est possible à n’importe qui de faire des produits dérivés de […], de façon commerciale, en suivant un ensemble de règles de la Creative Commons Attribution permissive que j’ai établies. [Panama Jack] qui imprime à 10 000 exemplaires mon webcomic n’est qu’un produit dérivé à mes yeux (comme déjà dit). Pour faire un parallèle, je le considère comme si j’avais un film et qu’ils imprimaient la figurine du héros. Rien de plus. Nous avons eu une collaboration que je décris en anglais sur le blog de […] J’en suis satisfait, c’est super cool un premier album imprimé, mais cliquez sur le bouton « HD » sur le site de […], et vous y aurez plus de détails, plus de couleurs que dans l’album imprimé. Ma BD principale, mon support de choix n’est pas l’album de Glénat. Ce n’est pas le média principal de […]. D’autres projets suivront comme l’éditeur allemand […] qui vient de rejoindre le mécénat de […], le livre de la […] ou une édition régionale en breton de […]. Ce n’est que le début, le projet n’a que deux ans et je ne compte pas tout ça comme un manque à gagner. Je n’y vois que les effets positifs de personnes qui utilisent la base de ressources que j’ai créée, avec respect, dans les règles qui me conviennent pour créer plus de valeur autour de la série. Et ça fonctionne. »

    Par où commencer ? Pandor considère que le seul support viable de sa BD c’est le Web. Pourquoi pas, je n’ai rien à lui reprocher. Par contre, imprimer en 10.000 exemplaires une BD au rendu laxiste en pure connaissance de cause exprès me laisse songeur…

    Une BD c’est du papier — des arbres — de la couleur et de la colle. Ce sont des gens qui empaquètent, une distribution et des libraires en fin de chaînes qui doivent gérer des bacs déjà pleins à craquer…

    Enfin, et tout aussi important à mes yeux, un album relié c’est pérenne. C’est pour ça que moult scribouillards – ne prenez pas la mouche, je m'inclus dans le lot – tentent l’édition classique. Bien traité, un livre se conserve très longtemps ! [1] Ses pages ne se corrompent pas et même si votre électricité disparaît, vous pouvez toujours en profiter. Néanmoins le papier à un coût humain et écologique. Et donc, tous ces efforts et quelques arbres ont été mis au service d’une BD — mal imprimé —, qui sera considéré par son auteur comme un vulgaire flyer de MJC [2].

    Et j’ai très envie de demander à ceux qui encouragent ce mec :
    C’est ÇA l’avenir de la BD que vous défendez ?
    Vous vous foutez de ma gueule ?

    Mon ami le loup-garou est emballé à cette idée...

    Le nombre d’exemplaires de cette pantalonnade est atterrant pour une première publication. En général, le tirage pour un premier album d'un jeune dessinateur atteint un millier d'exemplaires — estimation à la louche en étant très, très optimiste — avec une couverture médiatique qui se résume souvent à peau de zob.

    Ajoutons au dossier déjà bien lourd que Panama Jack possède assez de puissance financière pour assurer lui-même la gestion du stock et la diffusion ce qui est logiquement le travail d’un autre intermédiaire dans l’écosystème du livre : le diffuseur. L’économie substantielle que fait Panama Jack sur les droits d'auteurs ET de diffuseur lui permet de rogner sur les droits d'auteurs et de baisser le prix de l'album. Dans un élan de générosité qui arracherait des larmes à Roger Corman il propose la BD à un très petit prix 9,99 €. Même si inférieur à la moyenne pour une BD [3], c’est très cher pour un flyer…

    Et des gens pourtant très intelligents défendent cette magouille !
    Vous pétez un câble, les gars !
    Vous n’avez pas honte ?

    Ah ! Et au fait, j’ai juste une question… Si ta BD est si géniale, Pandor, pourquoi est-ce qu'on a refusé ton projet ? Parce que jusqu’à preuve du contraire, les petits chats et les sorcières façon Miyazaki, ce n’est pas une thématique sujette à polémique, n’est-ce pas ?

    Tes interlocuteurs n’auraient-ils pas cerné, au-delà de la technique virtuose issue de l’animation, une certaine paresse intellectuelle, Pandor ? Tu vois, il y a des éditeurs qui sont des rats en affaire, mais d'autres possèdent assez d’éthique pour te dire non, et dans la foulée te pousser à réfléchir, te remettre en question avec un bon coup de pied au cul.

    Que tes petits Mickey fonctionnent sur le Web c’est une chose, que cela soit mérite un écrin de papier (à la ramasse) pour te faire une obscène pub géante en est une autre…


    Les vieux de la vieille ne lui disent pas merci...

    3. Les Auteurs de BD, ces doux rêveurs en voie de disparition…

    Réveillez-vous ! On vous le dit, l’avenir c’est le crowdfunding. L’éditeur ? Ce n’est qu’un imprimeur !

    Bon.

    De par mon parcours pluridisciplinaire, j’ai croisé moult personnes sur ma route dont des créatifs. Nombre de connaissances, lointaines ou proches tâtaient du crayon – souvent avec un talent insolent – et se posaient des questions pertinentes sur l'art. Nombre d’entre eux n’ont même pas eu ne serait-ce que l’ombre d’une chance qu’éclore comme ils le méritaient. Vous pouvez me rétorquer qu’ils n’avaient qu’à être meilleurs, à croire en eux, car quand on veut, on peut !

    Sauf que non.

    Mais avant de démêler cet imbroglio, retournons quelques décades en arrière, à une époque où le monde de la BD n’était pas bouché par des kikoolols adeptes des préceptes de Saint-Shônen (la volonté plus forte que tout… Mon cul sur la commode !)

    1/ Dans les débuts de la BD francophone, celle-ci paraît sous forme de magazine [4] et les auteurs sont payés à la planche. Plusieurs magazines de BD ont vécu jusqu’à la fin des années 80 qui est, grosso-merdo, le moment ou ça a commencé à déconner grave. Plusieurs de ses journaux ont mis la clé sous la porte tandis que les ventes chutaient. Bon, eux c’est la vieille garde, la crème. Des artistes au sens noble du terme qui en avaient dans le pantalon et qui ont bousculé les conventions d’un jeune média qui en avait besoin. On pourrait citer en vrac Goscinny, Greg, Franquin, Gotlib, mais aussi la bande de Metal Hurlant qui a contribué à la reconnaissance de la BD en tant qu’art à part entière grâce à des monstres graphiques comme Moebius, Druillet, Caza, F’murr… Ce système de paiement à la planche perdure en Italie, au Japon et aux États-Unis. Cette méthode est bancale, mais permet aux plus besogneux de croûter plus ou moins décemment.

    2/ C’est à la fin des années 80 — la datation n’est pas précise, mais cet article n’a pas la prétention de refaire l’histoire de la BD, juste d’expliciter un contexte — que la publication en journal, sauf cas rares, cesse. Les BD seront désormais imprimées sous forme d’album. Autrefois l’album demeurait la récompense pour les séries qui passaient le crash-test de la parution en magazine. L’avantage de l’album est que vous possédez le récit complet (encore que…) L’inconvénient pour les auteurs est que ceux-ci doivent faire un dossier éditorial qui comprendra des planches, des recherches, des découpages… Déjà un bel investissement d’énergie sans avoir la certitude d’être publié. Et quand bien même signent-ils pour un premier recueil, qu’il faut recommencer les démarches d’un projet à l’autre, en admettant que l’album se vende bien. Rappelons aussi pour approfondir le contexte que le ou les auteurs d’un album vivent d’une avance sur droit pendant la confection du bousin. Avance sur droit qu’ils doivent rembourser si l’ouvrage se plante en librairie. De quoi logiquement décourager n’importe qui de vouloir foutre ne serait-ce qu'un pied dans ce marigot.

    3/ Je ne parlerais pas des nombreuses traductions de comics et de mangas dont les mastodontes de l’édition nous inondent. D’après mes observations sur le terrain, le public du franco-belge et des BDs allochtones n’est pas le même et les lecteurs des uns glissent rarement d'un domaine à l'autre. Ensuite je n'entends pas mettre en concurrence des pays dont la sensibilité demeure différente dans l'approche du médium. En nous concentrant sur le Franco-belge, en parcourant les bacs d’une librairie, il est patent que la cadence de publication s’est accélérée jusqu’à atteindre un point limite qui a dévalué le travail fourni sur un album de BD. Combien de ses bouquins ne sont-ils là que pour permettre aux grosses boîtes d’édition de faire du remplissage linéaire ? Une BD de qualité au graphisme inventif et au scénario alerte se retrouvera noyée dans une masse informe de papier. Elle ne sera qu’un dégât collatéral pour mettre en avant un énième épisode d’un milliardaire en blue jeans.

    Avec cette surproduction — et le secteur de la BD n’est pas le seul impacté — comment les auteurs peuvent-ils vivre, puisqu’ils se partagent un public qui n'est pas en expansion. De plus, les écoles d'art forment toujours de petits nouveaux gonflés d’orgueil prés à être dépucelé avec violence par un marché saturé. Il n’est pas étonnant de voir des auteurs – parfois même de vieux briscards — jeter l’éponge.

     
    Attention, pulvérisation sociale en court !

    4. Une erreur d’interprétation.

    Dans un contexte économique dans lequel l’on instaure la loi El-Khomri, Pandor accepte un marché inique, créant un précédent qui ne jouera certainement pas en faveur des auteurs.

    D'un autre côté, les partisans du logiciel libre y voient une révolution, un signe que les choses bougent dans le bon sens. Certes, les licences libres permettent le partage d’information, elles possèdent leurs utilités et je ne renie pas le travail que certaines personnes exécutent pour déblayer le terrain. Je peux même comprendre jusqu’à un certain point leur manière de penser, mais elle ne fonctionne pas dans ce cas précis, car avec Panama Jack en scène, nous ne parlons plus d’un échange, mais de commerce.

    Et cela fausse toute la donne.

    Outre le fait que ceux qui aiment les histoires de Pandor devront passer à la caisse pour avoir l’ouvrage sous un format papier dans une qualité altérée, le côté commercial du projet implique un changement de paradigme. Pandor entraîne, qu’il le veuille ou non, tous les auteurs à sa suite. Croire que les éditeurs n’ont pas les yeux braqués sur ce phénomène relève au mieux de la naïveté, au pire du crime de félonie.

    Gangrené par la culture du gratuit, les futurs auteurs de BD ne devront-ils plus compter que sur l’hypothétique générosité — sujette aux caprices, aux modes et à l’air du temps — des internautes pour pouvoir en vivre ? Car Pandor ne jure que par des systèmes de financement en ligne. Dans certains commentaires qui entourent cette affaire, une statisticienne reprend les chiffres issus de ses sites, et ils font peur. Sur un nombre faramineux d’inscrits, seule une petite poignée arrive à faire leur beurre en marchant sur la gueule des voisins. Violence sociale, que ferait-on sans toi, ma douce ?

    Ces sites, surfant sur le Webeldorado façon Über — dont ils ne sont que la déclinaison pour les artistes — se sucrent au passage d’un pourcentage sur les donateurs. Ne leurs jetons pas l'opprobre, ce sont avant tout des entreprises, pas des organismes de charité. Les sommes captées et reversées par ce système court-circuitent les cotisations sociales et les autres dispositions de solidarité nationale [5]. Au final, nous obtenons un mécanisme encore plus exclusif que celui de l’édition normale assortie d’un individualisme inouï qui laissera pas mal de naïfs sur le carreau quand il faudra se payer les soins de santé. Ajoutons à cela que les auteurs qui dépendent de ce système sont livrés pieds et poings liés aux caprices de leurs publics qui peuvent se détourner d’eux à la moindre tocade.

    En France les études artistiques coûtent assez souvent un bras [6] et une large partie de la population ne peux pas y avoir accès même en se saignant aux quatre veines. Or cet enseignement n’est pas anecdotique, car le dessin, la mise en scène et le scénario s’apprennent comme n’importe quel autre domaine de connaissance. L’école n’est certes pas l'unique moyen d’acquérir ces techniques qui transforment un peintre du dimanche en un artisan accompli, on peut tout à fait se débrouiller en autodidacte, la montagne à gravir n'en est cependant que plus haute… Répétons-le, mais ce n’est pas parce que l’on prend un crayon en main que l’on peut se targuer d’être un artiste du jour au lendemain. Tout cela représente un coût en temps, en argent et en travail.

    Quand Pandor se donne, la gueule enfarinée, à Panama Jack avec pour seul filet de sauvetage un public qui peut l’abandonner aux premiers changements de mode, cela revient à se livrer pieds et poings liés à deux systèmes qui fonctionnent de la manière similaire. L’un possède encore la faible sécurité d’un « choix », d’une prise de risque de la part de l’éditeur tandis que le deuxième est administré par les caprices d’une foule consensuelle. Cela ne devrait pas rassurer Pandor…

    Parce que je ne suis pas certain que Panama Jack ou d’autres de son acabit attendaient de la part d’un auteur un tel renoncement à ses droits les plus basiques. Alors que toutes les actualités montrent que notre système économique cherche de plus en plus à se débarrasser de l'humain, voilà un idiot qui réalise les fantasmes des actionnaires avec un sourire étincelant.

    Je n’ai même pas envie d’épiloguer sur le fait que le bougre se félicite de s’être forgé grâce à sa force de volonté et tout le sempiternel tralala de cette caste de gens imbus d'eux-mêmes. Il retombera sur ses pattes, il a eu le temps et l'argent de se mener une porte de sortie, mais pas les autres, ceux qui rament déjà et ceux qui n’aspirent qu’à éclore.

    Non ! Les licences libres, extraites de leur contexte aux forceps comme cela a été fait ici ne sont pas une solution. Pire, elles peuvent provoquer un dangereux précédent qui va offrir une arme supplémentaire aux gros éditeurs pour accaparer des contrats à moindres frais.

    Que reste-t-il à négocier quand on retire même la paternité d’une œuvre à son auteur ?

    Désolé fils, mais d’autres ont réussi comme-ça, accepte de mettre ton paraphe sur tes petits dessins pour qu’on soit réglo et prend une carotte poivrée dans l'oignon ?


    La négociation du contrat d'auteur moderne...

    5. Des Licences Libres.

    Que l’on ne se méprenne pas, ce blog et sous licence libre non commerciale. Cela veut dire que je refuse que tout ce qui a été écrit ou montré ici soit vendu sur mon dos. Si contrat il y doit y avoir, je compte bien en retirer un fruit pécuniaire. Je ne méprise pas encore assez mon travail pour tendre le cul et me faire tondre. C’est parce que la mention « non-commerciale » existe que nous pouvons partager de nos talents respectifs sur la toile dans une relative quiétude, sans craindre de nous retrouver exploiter par des margoulins sans scrupules. Le système est bancal, mais au moins fournit-il une corde de sécurité.

    Les licences libres ne sont pas là pour permettre au premier éditeur fainéant de se baisser et de s’emparer de l’œuvre qui aura fait le buzz pour se sucrer dessus. Outre que l’on avait déjà connu le brouillon de cette méthode avec la vague des Blogs-girly de sinistres mémoires, voilà que l’on devrait tout céder aux grands seigneurs des livres et en être reconnaissant, car « ils ont le cœur sur la main ».

    Croire qu’internet fait office de solution miracle c’est se foutre le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Il est loin le temps de l’exploration de ce continent virtuel. Les portes se sont peu à peu fermées et les plateformes collaboratives ont vu l’émergence de société mettant en place leur web artiste, produits aseptisés pour attirer le lambda inculte.

    Avec le système du crowdfunding, il est à craindre que la création ne s’homogénéise encore plus. Les goûts et les allégeances du public sont trop volatiles et consensuels pour que l’on puisse s’appuyer sur un pareil mécénat pour construire une œuvre cohérente qui ne radote pas les derniers succès populaires du moment. Pour preuve, le style de Pandor ne reprend que des motifs déjà vu qui renvoient au Miyazaki de Totoro sans rien paner à l’essence des films qu’il imite maladroitement. Avec cette façon de fonctionner, les œuvres ambitieuses seraient balayées dans les poubelles de l'histoire. Cette méthode fabriquerait à terme un darwinisme social encore plus agressif que celui du monde de l’entreprise au profit des plus habiles à flatter leur audience en débitant en boucle les mêmes thèmes insipides.

    Le système éditorial actuel est certes perclus de défauts, mais il ne faut pas pour autant oublier que de petits éditeurs effectuent un véritable travail, défendent des auteurs qui ne sont pas forcément en adéquation avec les goûts du public. Et l'on a besoin de personnes qui sont prêtes à se mouiller pour donner naissance à des livres qui remettent en cause nos présupposés, nous fassent réfléchir. Le divertissement peut être intelligent et la BD que vous achetez pour lire dans le métro peut aussi vous parler, derrière les images et les phylactères…

    Interroger son époque, choquer, faire sens et rechercher la beauté dans la fange, c’est l’essence même de l’art. Retirez ceci de l’équation et vous n’obtenez qu’un gâchis d’énergie, de talents et au final de papier.


    Toute cette histoire me donne envie de...
    6. En guise de Conclusion…


    Il y aurait encore une pléthore de choses à rajouter. Cette affaire n’est qu’une énième goutte d’eau dans un le vase fêlé du système éditorial qui a largué depuis des siècles les amarres avec la réalité.

    Que va-t-il advenir de la tonne de papier utilisé pour concrétiser son petit rêve de gamin capricieux et égotiste ? Tout cela aboutira-t-il lamentablement au pilon ? Pandor n’a-t-il vu dans ce marché inique que son intérêt à court terme ? Au reste, puisqu’il fonctionne sous licence libre, pourquoi ne pas avoir poussé le concept jusqu’au bout et se servir des outils disponibles pour réaliser son album en impression à la demande ?

    Sans être forcément contre le système des licences libres, je m’inquiète un tantinet des dérives qui pourraient entraîner un tel précédent. Comprenons bien que rien n’est gratuit dans la vie et que tout à un coût.

    Construire une œuvre d'art nécessite une formation, une connaissance minimale de l’histoire de l’art et de la grammaire du médium que l’on choisit pour s’exprimer.

    Personne ne peut accoucher d’une BD lisible sans s’y consacrer pleinement. Les licences libres offrent certes la possibilité de se tailler une maigre fenêtre pour montrer ses travaux, mais elles ne nourriront pas son homme. Le mécénat du crowdfunding peut-être intéressant, mais son usage reste à double tranchant.

    La solution choisit par Pandor demeure épouvantable parce qu’elle créé une brèche dans le droit d’auteur dont les puissants se serviront pour accentuer la lutte entre tous pour une potentielle et éphémère audience.

    Enfin Pandor, de part son discours incohérent, sa fatuité et ses rêves de gloire est devenu l’incarnation de la mentalité de l’époque : irresponsable. Quand quelqu’un vous présente un contrat sur lequel il est écrit en lettres de sang : Sodomie Pour Tous, la décence veut que l’on dise NON ! On peut toujours dire NON ! Pandor a réussi à faire annuler un projet éditorial antérieur, refuser lui était donc possible. Sous-entendre que l’on se sert du système capitaliste pour son propre profit, de quelques manières dont l’on envisage le profit, c’est lui faire une allégeance de fait.

    ____________________________________________

    [1] Oh ! Oui ! Très longtemps ! En travaillant dans les réserves de ma bibliothèque, j’ai mis la main sur les premiers livres de poche importés par les Américains en Europe après la Seconde Guerre mondiale et même des raretés de 1800 parfaitement lisibles… Le volatil support numérique n’a pas encore atteint cette persistance aux outrages du temps (changement de format de fichiers dû aux caprices des entreprises, corruption des mêmes fichiers, plantages de la machine...)

    [2] Je n'ai rien contre les MJC, c'était pour souligner le côté grotesque de la chose.

    [3] Encore que cela reste relatif si on regarde du côté des mangas.

    [4] Dans le cadre de cet article, j’omettrais les strips qui paraissaient dans certains quotidiens qui obéissent à d’autres règles.

    [5] Pardon, je traduis en langage MEDEF : les charges sociales…

    [6] En gros deux systèmes coexistent en France : d’un côté les écoles privées dont le diplôme n’est pas reconnu par l’état mais dont le minerval coûte un rein sur E-bay par an ; de l’autre les Beaux Arts qui n’ont d’yeux que pour une approche très « art contemporain » – sur lequel il y aurait beaucoup à dire – de l’art d’où le côté technique est volontairement évacué pour se concentrer sur le concept…