mardi 15 mai 2012

    La BD de Reportage en Question

    Après une très longue absence dû autant à un boulot accru qu'à un monstrueux déménagement (je ne m'en suis pas encore remis d'ailleurs), j'ai très peu posté depuis deux mois et mes nombreux projets en ont pâti. Autant dire que je vais m'y remettre sous peu avec la suite de la nouvelle, et d'autres petites choses. En attendant, une nouvelle critique BD sur un phénomène de plus en plus à la mode mais que je trouve un poil limité...

    GAZA 1956, EN MARGE DE L’HISTOIRE/JOE SACCO

    Pour bien réfléchir autour de la bande-dessinée de reportage, il est important de se poser la question du médium. Est-ce que, à notre époque, la BD est le médium le plus approprié pour rendre compte un événement donné dans toute sa complexité ? Ne vaut-il pas mieux parfois une bonne fiction des familles pour pouvoir embrasser une culture, un événement….



    Non pas que certaines BD de journalisme manquent d’un dessin approprié ou d’un propos mais je m’interroge sérieusement sur la pertinence de celles-ci. La BD journalistique n’a rien à voir avec les anciennes illustrations exécutées par des artistes besogneux pour les quotidiens du 19ème siècle. (comme dans des quotidiens comme "l’assiette au beurre" ou "l’illustration" ). Même si Joe Sacco se rapproche un peu de cette démarche, on doit avouer à la lecture que son œuvre est un peu maladroite.
    

    Je m’explique.

    L’auteur décrit un événement oublié de la guerre du Moyen-Orient (le massacre d’une centaine de Gazaouis en 1956) en appliquant à la BD des méthodes de recherche journalistique. Joe Sacco se réclame d’une BD novatrice, qui serait selon lui ancrée dans la Vérité. Hors cette approche du sujet va induire une maladresse contenue dans la nature même du dessin qui n’est que subjectivité. Poser un trait sur sa feuille de papier traduit déjà une intention et un état d’esprit de manière encore plus vive qu’un simple texte, lequel pourra avoir l’apparence d’un compte-rendu sec. (ce qui n’est jamais vraiment le cas nous sommes d’accord.) Le postulat de départ de Joe Sacco ne tient pas une seule seconde face à une analyse minimale de la chose.

    Prenons la photographie par exemple.

    Lorsque les premières photos de reportage apparurent dans les quotidiens, l’opinion publique perçut cette technique comme un la représentation définitive de la Réalité. Hors n’importe quelle photographie est, au sein de la presse, choisie selon des critères très précis. L’angle de prise de vue, les filtres utilisés pour tirer l’image, le grain de l’émulsion chimique….  sont autant d’artifices qui induisent une sensation, un sentiment et donc de la subjectivité. N’importe quelle photo de reportage trahit les intentions conscientes et inconscientes de son auteur et donc LA vérité (si tant en est qu’il y en ait une). Pourtant, une photo est bien plus « objective » dans sa représentation du réel qu’un dessin…
    

    Dans ce cas, comme nous le voyons bien, le présupposé de l’objectivité ne tient pas une seule seconde quand on emploie un médium comme la BD.

    Joe Sacco, en recherche d’authenticité, va jusqu’à se mettre en scène en train de faire les recherches pour son livre, dans un bel accès d’autosatisfaction. Or cette mise en abîme pour le moins gratuite écorche un peu plus un récit trop fouillé, se perdant dans des considérations souvent inutiles. Alors certes, toute cette sombre histoire mérite bien 500 pages mais doit-on forcément souffrir des doutes de son auteur devenant LE personnage central de l’histoire ?

    
    Joe Sacco dans sa propre BD....

    Professer une attitude d’auteur sérieux et remplis de doute (que je ne remets pas forcément en cause) tout en employant LE moyen d’expression le plus subjectif de tous, cela interpelle un peu. L’auteur confesse s’être documenté à l’aide de photos et avoir conçu ses dessins en utilisant ce support, ce qui amène à se poser la question de savoir si la BD était le seul moyen de raconter cette tranche d’histoire et si oui, pourquoi ne pas en tirer une fiction qui aurait eu le mérite de :

    1 – Nous plonger au beau milieu de l’histoire.

    2 – Nous faire oublier toute les lourdeurs narratives dont se rend régulièrement coupable Joe Sacco.


    Au-delà de tout intérêt porté aux événements historiques, malgré un découpage parfois intéressant, les nombreuses tergiversations que l’auteur nous impose finissent par élimer notre bonne volonté de lecteur. Personnellement il m’a fallu 15 longs jours pour venir à bout de ce pavé là où une BD se lit en 30 minutes (disons une semaine pour les énormes pavés…).

    Las, l’auteur avoue ne pas être arrivé à retirer tout le potentiel horrifique du drame qu’il dissèque en long, en large et en travers. Une conclusion prenant la forme d’un tel aveux d’échec a de forte chance de rester en travers de la gorge de nombres de lecteurs (dont votre serviteur). Comme pour se dédouaner, Joe Sacco nous offre donc en toute fin une rapide mise en scène en focalisation interne du calvaire d’une des victimes. Cela ne marche pas.

    Reconnaissons que Joe Sacco se débrouille graphiquement et qu’il posséde les moyens de mettre en scène SA reconstitution. L’ensemble aurait donc gagné à être épuré, l’auteur n’aurait pas dû faire l’impasse sur le choix d’un point de vue, quitte à combler les trous noirs laissés par l’histoire en utilisant son imagination.
    Est-ce vraiment important de savoir si les soldats étaient 40 ou 35 ?? ….

    Une fiction aurait eu le mérite de nous impliquer dans la vie des personnages. On aurait pu s’accrocher à eux et donc charger les silhouettes d’encre de chine de notre compassion….
    Ce choix qui me rend si perplexe peut s’expliquer par un rejet de plus en plus embarrassant d’une part de l’intelligentsia de refuser tout bienfait à la fiction car TOUT aurait été écrit (ou dessiner, comme vous voulez…). Le réel et le présent ne seraient donc devenus l’Alpha et l’Oméga de tout art narratif de qualité. Maintenant et ici deviendrait donc le seul et morne horizon de tout auteur, condamné à tourner en rond autour de son nombril. Cette approche d’un cynisme évident appauvrit considérablement les œuvres actuelles tout en affichant un souverain mépris pour le lecteur lambda (deuxième effet kiss-cool).

    L’AFFAIRE DES AFFAIRES/LAURENT ASTIER ET DENIS ROBERT.


    Un effet que nous retrouvons dans L’Affaire des Affaires, œuvre qui, quoique moins maladroite, manifeste toujours cette volonté de vouloir nier la fonction cathartique de la fiction. Le récit fonctionne mieux, sans doute grâce à un graphisme plus énergique mais on se sent peu à peu gagner par un ennui morose. La faute à une histoire complexe dont les tenants et aboutissants, même s’ils sont graves, ne sont que maladroitement mise en valeur.



    On aurait pu se passer des longues séquences d’atermoiements de son auteur, lesquelles alternent avec quelques métaphores bien plus efficaces que toutes les circonlocutions légales dont nous abreuve jusqu’à la nausée le héros/scénariste. En effet, en laissant de temps à autre les coudées franches à son dessinateur ce qui donnent lieux à quelques bonnes planches qui nous font rentrer de plein pied dans le domaine de l’illustration, ou du strip caricatural acerbe telle qu’on en faisait dans les journaux satiriques du 19ème siècle.


    En dehors de ces fulgurances qui prouvent encore une fois qu’un dessin vaut mieux que de longues explications, Denis Robert nous expose d’interminables tunnels de dialogues redondants tour en nous assommant à coups de philosophie de comptoir. Pas forcément le meilleur moyen de s’attirer les bonnes grâces du lecteur.

    On se dit alors que le rythme n’a pas été pensé et que les auteurs ne ce sont pas posés la question de la pertinence du support BD pour leurs histoires. Non pas que la BD doive forcément se cantonner à la fiction mais il faut bien comprendre qu’elle est un médium de communication rapide. Le dessin et le texte doivent se compléter et il faut qu’il y ait une adéquation entre la narration écrite et dessinée pour que cela fonctionne correctement. Les japonais l’ont particulièrement bien compris et leurs mangas informatifs n’oublient jamais la place importante de la dramaturgie dans leurs processus (ce qui explique aussi leurs succès, voir les « Gouttes de Dieu » consacrés à l’œnologie.)


    C’est d’autant plus dommageable que les auteurs avaient ici matière à bâtir un excellent suspens en prenant soin de préparer un montage adéquate tout en nous épargnant de longues scènes de dialogues absolument rébarbatives. Je pense que son auteur, en particulier Denis Robert, s’est improvisé scénariste sur le tas, sans prendre en compte les spécificités de la BD. Alors certes, l’appétence du public français pour le linge sale politique (et dieu sait qu’il y en a) a joué en faveur de son auteur mais cela ne fait pas oublier une construction bancale.


    Je pense que cette voie, tout du moins comme elle est envisagée pour le moment, c’est-à-dire sur des phénomènes de mode évanescent, comporte en elle les germes de sa propre destruction. Finalement ce ne sont pas les sujets qui sont en cause de l’échec de la BD de reportage envisagé en occident (je ne parlerais pas du côté asiatique car ils ont une manière de faire autrement plus performante de ce point de vue.) mais bien la manière de traiter le sujet. Tout se passe comme si les auteurs ne peuvent pas se séparer de leurs imposants égos et que celui-ci devait forcément phagocyter le sujet.

    Que ce soit Joe Sacco ou Denis Robert, les choix de mises en scènes desservent le propos. Si les deux auteurs, journaliste de formation à la base, ont d’indéniables qualités dans leurs domaines respectifs, il est important de remarquer que devenir un auteur de BD demande de s’entraîner tous les jours. Il ne s’agit pas ici de faire du journalisme mais de raconter une histoire par le biais de personnages. Quelque-soit la notoriété gagnée par un journaliste, cela ne fait pas de lui un bon auteur de BD.