mercredi 1 mai 2013

    Comment la Bit-lit émascule le cinéma fantastique.... part 1.


    À l’occasion de la fin de l’adaptation de la saga Twilight au cinoche, exécutons un retour en arrière pour se livrer à quelques observations sur les métamorphoses subies par l’archétype du vampire à travers ses exemples cinématographiques. Bien que le terme de Bit-Lit s’applique surtout aux nombreux romans qui ne cessent, grâce à Milady, de truster les rayons fantastiques des libraires, ce genre est parvenu au cinéma ainsi que dans les séries télé à une transcendance grotesque dont Twilight demeure l’aboutissement.


    Une très belle affiche des années 80...



    En ôtant sa férocité au vampire pour le transformer en un éternel adolescent qui zone sur les bancs des lycées depuis 500 ans, les auteurs œuvrent dans une logique étrange et lourde de sens qui enlève à une figure puissante de la mythologie horrifique toute l’odeur de souffre qui la caractérisait. La transgression symbolique que représente le Vampire, agent des forces du chaos, moteur essentiel de tout bon récit d’horreur est ramené au stade de vulgaire bluette sentimentale. Même Harlequin s’est mis à dévider du pseudo-vampire dans ses collections.

    Mais d’abord, de quoi parle-t-on ? Le vampire existe dans de nombreux récits et légendes. Toutes les civilisations possèdent leur hématophage, cannibale à l’occasion. Les premières manifestations connues du vampire se cristallisent autour de superstitions qui établissent les caractéristiques du personnage. Au cours du 10ème siècle de nombreux enterrements prématurés furent à l’origine du mythe. La tradition orale les déforma en autant de phénomènes angoissants, qui eurent d'horribles répercussions : de malheureux inhumés vivants se faisant défoncer la cage thoracique par des paysans en pleine paranoïa surnaturelle. D’autres pistes telles que la présence de tueurs en séries meurtrissant la population ont pu participer à l'ampleur de la légende. Au plus fort de la vague vampirique, l’église va s’emparer de la légende et formera même ses inquisiteurs à la chasse au revenant. Le vampire sera admis dans les encycliques. Du côté de la science on peut noter qu’une maladie génétique a pu contribuer au développement du mythe : la porphyrie. Dans sa forme la plus grave les victimes redoutent les rayons du soleil qui brûlent leur peau et l’ail leur est proscrit [1]…

    Il est impossible de parler de vampirisme sans citer les deux romans qui l’ont popularisé de manière internationale et dont les adaptations en films ne se comptent plus : Carmilla de Sheridan le Fanu et Dracula de Bram Stocker [2]. 

    Publié en 1871, Carmilla installe toute la mythologie vampirique avec son héroïne candide qui deviendra la proie des désirs saphiques et sanguins de la comtesse.

    Six ans plus tard, l’auteur Bram Stoker se lance sur les traces du mythe en compilant une volumineuse documentation. Il pousse plus loin le concept du vampirisme en la cristallisant dans la figure du noble roumain décati : Vlad l’Empaleur alias Dracula qui restera l’un des vampires les plus célèbres. Inquiétant, mais charismatique, le vampire de Stoker est doté d’une force herculéenne et de nombreuses faiblesses qui vont faire école. Roman de son siècle, Dracula peut se lire comme l’irruption de la sauvagerie de l’inconscient dans la très coincée époque victorienne. Bien que les hommes parviennent à terrasser le monstre aux termes d’un âpre combat, son ombre s’étendra durablement sur les esprits.

    Ces deux récits fonctionnent de manière similaire, bien que Carmilla choisisse une approche tout en douceur alors que Dracula fait résonner toutes les orgues de l’horreur et de l’aventure. En dehors des caractéristiques générales du revenant, qui seront malmenés au cours des adaptations, l'une d'entre elle restera, jusqu’à nos jours tout du moins, presque inchangée : la consonance sexuelle

    Dans l’Angleterre victorienne bourgeoise et pudibonde, le vampire symbolise le violeur ultime qui tue sa victime en l'amenant à la jouissance interdite sans avoir recours au coït ! [3] Une créature chez qui Eros et Thanatos dansent un grand ballet pernicieux. La perversité dont il est empreint se répand parmi ses proies qui se relèvent alors de leurs tombeaux pour contaminer les proches parents… Les écrits concernant les vampires se classent dans la catégorie des histoires dans lesquelles le mal vient de l’extérieur, ce qui produit les rejetons les plus effrayants du fantastique ou les pires [4]….

    Gravure tirée du roman Carmilla.


    Comme toutes les créatures fantastiques, le vampire se présente comme un élément menaçant la société. Leurs natures transgressives nous offrent des passerelles vers une face plus redoutable de l’inconscient. Le duel entre les forces de la raison et de la religion et de leur antagoniste constitue l'enjeu du récit. Aucun vampire, pas même Dracula, ne peut être considéré comme humain. Dans certaines versions ils ne possèdent pas d’âme ou leurs toxicomanies à la jouissance perverse [5] d’autrui les opposent à une société raisonnable qui ne doit sa survie que par l’établissement de tabou à ne pas franchir. Cette règle d’or maintient la fascination que nous éprouvons pour ces monstres parfois pathétiques, mais toujours dangereux. 

    La consommation de sang frais, élément fondateur du mythe, demeure un symbole sacrilège dans les variantes européennes du vampire, car il singe la coutume eucharistique : le partage du sang et du corps du Christ symbolisé par le pain et le vin. [6] Cette composante religieuse sera abordée de différentes manières par les auteurs, mais persistera dans l’approche du personnage, même dans ses versions les plus déformées. L’assimilation de l’autre comme moyen de traverser les âges réveille les vieilles superstitions qui professent que l'absorption de la chair d'un homme permet de s'approprier sa force. Le vampire fait sienne les forces vivent de ses victimes. Son cannibalisme surgit des mythes archaïques, antérieurs au christianisme. Antonia Bird se souviendra des mythes primordiaux dans son excellent film Vorace avec un anthropophage dont les pouvoirs renvoient directement au vampirisme.



    On peut effectuer un rapprochement sémantique entre les tueurs en séries et le vampire puisque ceux-ci n’en seraient que des versions plus « réalistes ». La comtesse Erzébet Bathory qui sacrifie de jeunes filles pour se baigner dans leurs sangs et ainsi conserver sa beauté à travers les âges n’agit-elle pas comme un vampire ? Le docteur Hannibal Lecter du Silence des Agneaux ne pourrait-il pas être un autre visage de Dracula, le surnaturel en moins ? La fascination et le mesmérisme qu’il exerce sur ses victimes relèvent presque du fantastique tant cette caractéristique est devenue, sous la plume des scénaristes, outrancière. A l’inverse de la réalité des tueurs en série, à la fois complexe sordide et pathétique, leurs avatars hollywoodiens appartiennent à un fantasme dont certains traits découlent de l’archétype du vampire.

    Au tournant des années 1990-2000, poussé par des métamorphoses dues à la culture populaire, le vampire change imperceptiblement. Deux idées surgissent simultanément dans les fictions. La première ajoute de l’empathie envers le monstre qui n’est plus l’élément perturbateur du récit mais son moteur. On va décrire la réalité quotidienne du vampire ainsi que ses états d’âme. La seconde idée consiste à considérer que les vampires ne sont plus uniques mais s’organisent en microsociété. C’est dans La Chronique des Vampires qu’Anne Rice popularise ces idées de façon définitive dans l’imaginaire populaire. Ces principes se transmettrons à d'autres ethnies fantastiques comme les loups-garous, les sorciers etc...

    Dès lors le fantastique se pervertit peu à peu en urban-fantasy. Des communautés surnaturels évoluent au sein des humains. La fiction nous rappelle de manière caricaturale que les effets de la globalisation agissent sur l’inconscient et nous pousse à nous regrouper en petites cellules rassurantes. Le fantasme des sociétés secrètes, également en œuvre, donne à chacune des créatures du répertoire horrifique ses sectes, ses règles de vie, ses repaires… Sans réellement de concertation, mais avec une évidente volonté d’aplanir la production pour plaire aux nouveaux lecteurs, les récits s’uniformisent dans ce sens. Le loup-garou ou le vampire deviennent trop communs, plus assez inquiétants puisqu’ils ne symbolisent plus la transgression d’un tabou. Même si la notion de meurtres reste présente, elle n’est plus qu’un sous-texte souvent évacué par les auteurs, et ce, jusqu’à l’insipide et insupportable Twilight, la dernière excroissance dégénérée de cette évolution. Toujours est-il que Dracula et Carmilla, traverseront les époques pour perdurer jusque maintenant bien que parfois sous des formes profondément dénaturées. 

    Après cette introduction, je vous propose un petit survol cinématographique durant lequel nous observerons cette évolution à travers l’un des médias les plus populaires de notre temps. Je ne parlerais ici que des films que j’ai vus, le nombre des productions vampirique étant astronomique [7] !!

    1 - Les débuts du cinéma et la Hammer Film.

    1922 : Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau.



    Adaptation officieuse de Dracula, le métrage met l’accent sur l’aspect monstrueux de la créature des ténèbres, rompant ainsi avec le roman qui fait rajeunir le comte au fur et à mesure de son absorption de sang. Murnau, précurseur, filme le vampire le plus répugnant de l’histoire du cinéma. Le personnage, renommé le comte Orlok pour l'occasion. Le vampire de Murnau sème la désolation non seulement pour ses victimes directes, mais aussi pour les personnes qui vivent dans la région qu'il infecte. Réalisé dans un noir et blanc à couper le souffle, remplit de plans audacieux ce film conserve, comme beaucoup de ses confrères muets, une étonnante modernité.



    Exécutons un long saut temporel durant lequel nous esquivons le Dracula de Tod Browning, que je n’ai pas vu. Je ne parlerais pas non plus de Vampyr de Carl Theodor Dreyer tout comme son voisin de palier, La Marque du Vampire du même Tod Browning, sinistre pantalonnade dont le scénario est atteint du « syndrome Scooby-doo » [8] 

    1958 : Le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher.



    Tournée entièrement en studio, cette œuvre demeurera une pierre angulaire pour bons nombres de sagas vampiriques dans lequel après le hongrois Bela Lugosi, Christopher Lee campe le redoutable comte en lui injectant tout son charisme. Sa prestation fait de lui l’une des plus terrifiantes incarnations de Dracula. La société de production anglaise Hammer frappe fort et démontre au passage que l’Angleterre n’a alors rien à envier aux productions américaines. Il se dégage de toutes les créations du studio une ambiance à nul autre pareil dans laquelle l’humour noir se marie à merveille aux situations horrifiques.

    Le réalisateur Terence Fisher met à profit les décors de carton-pâte pour emballer des séquences presque oniriques, injectant une dose d’érotisme dans son histoire [9]. La violence, souvent hors champ, choquera le public des années 50. Terence Fisher se permettra quelques plans sanguinolents qui feront grincer les dents de la censure. Pour mieux créer une atmosphère d’angoisse, le réalisateur limite la présence de Dracula à l’écran au strict nécessaire, optimisant l’impact de ses apparitions pour les transformer en moment de malaise et de terreur. 

    À ce comte effrayant il faut opposer un acteur possédant un charisme capable de l’égaler. Dans le camp adverse, Peter Cushing, autre pilier du studio anglais, va composer un Abraham Van-Helsing fanatique, un puritain de la meilleure eau que rien ne détournera de sa mission purificatrice. Le chasseur de Vampire deviendra une figure souvent malmenée rarement bien exploitée. Peter Cushing donne un ton unique à cet archétype en le dépeignant sous les traits d’un homme susceptible de commettre les pires atrocités pour parvenir à ses fins.



    1966 : Dracula, Prince des ténèbres de Terence Fisher.



    Quelques années plus tard, la Hammer récidive avec un opus encore plus radical dans ses débordements et ses innovations. Doté d’une photographie magnifiant les clairs-obscurs, le film reprend la trame du premier en exhumant le comte par l’intermédiaire d’un de ses zélateurs. Un petit groupe de voyageurs goûtant aux charmes de l’accueil transylvanien investira une antique demeure, le manoir de Dracula, pour devenir les proies désignées du mal. 

    Plus mutique et spectral que jamais, Dracula ne sort des ombres que pour commettre ses assassinats. Cette mise en scène audacieuse devança de huit ans l’apparition des tueurs masqués de slashers movies. L’histoire s’attache en particulier une femme dont le caractère, de prude et effacé, tournera à un débordement de sensualité agressive et de sadisme lorsqu’elle se métamorphosera en vampire. Elle sera exterminée de façon brutale, que beaucoup de critiques compareront à un viol, par le père Sandor – un pâle chasseur de vampire qui remplace Peter Cushing, le seull bémol d’un film novateur par bien des aspects.




    Le succès de ces films entraînera une série de suite d’un intérêt relatif, dans lequel Christopher Lee sera condamné à répéter son rôle de Dracula, usant jusqu’à la corde son immense cape rouge. Si la Hammer exploita de manière redondante sur le personnage, elle s’intéressa à d’autres figures du bestiaire fantastique comme Carmilla dans ce qui est considéré comme une des meilleures adaptations du roman : The Vampires Lovers de Roy Ward Baker (1970)

    De son côté, Terence Fisher va signer un film de loup-garou qui constituera un des jalons dans la cristallisation de cet archétype au cinéma avec Curse of the Werewolf (1961) d’après le roman Le Loup-Garou de Paris de Guy Endore. Personnage pathétique, dévoré par sa dualité, le loup-garou y subit sa condition sans pouvoir y remédier, laissant dans son sillage une trace sanglante. Dernière curiosité d’un studio déclinant, la Hammer surfera sur les modes de l’époque en organisant un match pour le moins incongru entre mythologie vampirique et films de kung-fu dans La Légend des 7 Vampires d'Or de Roy Ward Baker et Chang Cheh (1974). Le succès relatif de cette piteuse pellicule n’empêcha pas la Hammer de sombrer corps et bien au début des années 1970…




    A suivre....
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    [1] Pour les différends renseignements de cet article, je me suis beaucoup servi de ce livre : Vampires ! une histoire sanglante/Elisabeth Campos, Richard D. Nolane - Les Moutons électriques, éditeur - 338 p. Une ouvrage exhaustif au prix abordable.

    [2Bien que le monstre apparaisse une première fois dans The Vampire de John Polidori publiée en 1819 qui a été oubliée dans les tréfonds de la littérature, probablement à cause du style trop ampoulé du médecin de Lord Byron.

    [3] Stephen King fait une longue analyse de Dracula et de sa symbolique dans son excellent essai : Anatomie de l'horreur (trouvable dans plusieurs éditions.)

    [4Le slasher et ses tueurs d'ados libidineux pour le pire ou l’univers sombres et matérialiste de Lovecraft dans lequel l’humanité n’est qu’un épiphénomène dérisoire pour le meilleur.

    [5] Un trait de caractère qui rapproche nos monstres fictionnelles de monstres bien réels, les tueurs en série. Le parallèle est établi de manière un peu plus élaboré dans  Vampires ! une histoire sanglante/Elisabeth Campos, Richard D. Nolane - Les Moutons électriques, éditeur p 120 - 163.

    [6] Ce n’est pas le cas dans des itérations exotiques du vampire, par exemple les vampires chinois, les Jiang Shi qui se délectent de l’énergie vitale des humains.

    [7Plus de 200 films rien que pour les adaptations de Dracula...

    [8] Une erreur de scénario de débutant qui consiste à expliquer à posteriori et sans aucune installation les éléments surnaturels par une rationalisation, alors que celle-ci n’est pas vraiment convaincante et massacre les efforts accomplis en amont par un ridicule achevé…. La même erreur existe en version cauchemar/rêve dont le protagoniste émerge et qui marque la fin du film ainsi que celle des idées du scénariste…

    [9laquelle paraîtra ridicule aux nouvelles générations élevées aux poses putassières de Twilight !!