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    dimanche 9 août 2020

    Le Cyberpunk n'est pas un programme d'Avenir !

    Cela faisait un moment que je n’avais pas pris le temps de composer un article pour la toile. Les actualités anxiogènes des derniers mois[1] ont quelque peu bousculé nos habitudes et m'ont amené à des réflexions auxquelles je souhaitais donner une forme structurée. Sous couvert de survoler un mouvement artistique que j'affectionne, ce texte sera libre comme l'oiseau ! C’est d’ailleurs l'ultime espace de liberté qui nous reste ! Je disserterai donc sur mes appétences littéraires, en tentant de fourrer mes observations dans le torrent de la culture science-fictionnelle. 

    Shadowrun par Larry Elmore

    1/Pourquoi j’ai aimé le Cyberpunk.

    Il y de cela des années, j’ai adoré le cyberpunk. Inclassable, mélangeant la SF la plus exigeante avec un brassage réjouissant de genres connexes. Tout cet attirail ne pouvait que faire sens devant mes yeux esbaudis de lecteur et de cinéphage adolescent. Pensez donc : le polar copulait avec l’espionnage industriel ; le futur apocalyptique, éclairé aux néons fluo de Mario Bava, n’en finissait pas de pourrir avec élégance ; Keanu Reeves remplaçait Humphrey Bogart dans une version du Faucon Maltais où le MacGuffin aurifère était substitué par une danseuse androgyne dopée aux nano-techs, le tout côtoyant des cyborgs, des corps rapiécés, en kit, remontés grâce aux opérations d'émules de Frankenstein chromés sous perfusion de nazisme. Une esthétique dantesque d’urbex mutagène, hanté par des créatures dont les identités en métamorphoses constantes questionnaient les limites de l’humanité.

    Tout devenait possible dans un cauchemar labyrinthique dont les dédales se démultipliaient dans les réseaux autoroutiers et informatiques. Putain ! Qu'est-ce que c’était diantrement cooool ! Surtout pour quelqu’un qui se droguait autant à la SF qu’à l’horreur. Parce que les meilleurs auteurs ayant œuvré au sein de cette déclinaison particulière de la SF n’oubliaient jamais l’épice de l’ultra-violence, n’hésitant jamais à verser le premier sang dans des éruptions gores impressionnantes. En même temps comment peut-il en être autrement quand les principales thématiques de ces récits fonctionnaient sur la fin de la frontière entre l'organique et le mécanique, sur la mutation constante de l'individu et la prédation capitaliste acharnée ? S’il y a un genre qui nous a avertis à de nombreuses reprises des écueils politiques et idéologiques que nous risquions de rencontrer dans un futur (trop) proche, c’est bien celui-là ! En phase avec ce qui nous attendait, les auteurs cyber – s’ils n’ont pas été des prophètes – ont néanmoins tirés toutes les sonnettes d’alarme.

    Mais je sens que vous n’êtes pas convaincu, n’est-ce pas ?

    Eh bien ! Nous allons détailler cela…

    Spider Jerusalem par Geoff Darrow
     2/Pourquoi je ne peux plus écrire de Cyberpunk!

    Dans mes débuts d'écrivain, j’avais rédigé une trilogie cyberpunk sur fond de lycanthropie. C’était naïf – j’étais jeune –, mais que dire, sinon que toutes mes obsessions étaient là, puisque le genre me parlait mieux que n'importe quel autre. Je n’ai jamais achevé ces trois romans qui m’ont pourtant pris plus d’une bonne décennie. Je ne les finirai jamais. La voix des personnages s'est tue depuis dans ma tête. Je peux dater cette dissolution aux alentours du 11 septembre 2001. Depuis ces attentats prophétiques, notre réalité me semble avoir basculé dans une mauvaise production fauchée aux allures de cyberpunk, sans pour autant en avoir la classe. Au lieu de Strange Day (Kathryn Bigelow), on se tape le remake dopé aux hormones CGI de Atomic Cyborg (Sergio Martino). Le manque de goût total.

    Qu’on en juge :

    Comme dans Tous à Zanzibar (John Brunner) – qui n’appartient que de manière connexe au genre, mais en a influencé l’esthétique avec ses conurbations tentaculaires. Et à l'image des phénomènes décrient dans le roman, ne sommes-nous pas confrontés à une pollution endémique allant de pair avec une surpopulation citadine. Les villes se muent en un cloaque pathogène d’où surgissent des exaltés explosant dans des attentats sanglants auxquels plus personne ne prête attention. Les événements, aussitôt arrivés sont noyés dans un flot constant d'actualités qui nous transforment en zombies possédant la capacité de concentration d'un poisson rouge atteint d'Alzheimer.

    Transmetropolitan (Warren Ellis & Darick Robertson) décrit une guerre informative tournant autour d'une campagne électorale outrancière impliquant des candidats grotesques et une web-télé dont toutes les émissions ne sont que des publicités abrutissantes que nos propres chaînes de télévision s’efforcent d’imiter avec de plus en plus de réussite. Dans cet antre du mensonge, le journaliste punk Spider Jérusalem – alter-ego du scénariste Warren Ellis – se démène pour trouver des pépites de vérité dans la boue, s’exposant à la vindicte des forces de police aux méthodes expéditives chapeautée par un président baptisé « le Sourire ». Ce VRP des multinationales mono-expressif possède une conscience politique inexistante et un bras prompt à écraser toutes formes de manifestation sociale. La richesse thématique de ce formidable comics au ton libre restera inégalée, et peux fournir une allégorie affutée aux temps que nous traversons. Nombre de sujets abordés s’appliquent à notre merveilleuse époque, par exemple l’émergence de notre grand commandeur, Nécron 1er. À cette exception près qu’ils nous manquent désespérément un salopard brillant comme Spider Jérusalem pour dévoiler cette fraude démocratique qui se sent pousser des ailes d'aigles depuis que nous nous sommes masqués…

    Et puisque je parle de fascisme, et de nazis donc, sautons à pieds joints dans la mare brune du point Godwin pour y patauger comme des porcs dans leurs auges, bienheureux et au chaud. Selon un des auteurs précurseurs du genre, le génial et paranoïaque Philip K. Dick, le nazis n’ont jamais disparu avec la fin de la guerre. Tels des garçons qui venaient du Brésil, les SS n’ont cessé de nous hanter, nous collant, rien qu’à leur ’évocation, une frousse de tous les diables : des boîtes de jeu vidéo chient sous elle dès qu'une simple swastika apparaît dans le coin droit de l’image. Elles s'autocensurent en répandant dans leurs gesticulations grotesques des gouttes de sueur âcres et huileuses. Les œuvres de Phil sont habitées par les spectres du troisième Reich, que ce soit dans l’uchronie Le Maître du Haut-Château, dans Simulacre ou même le très glauque et paranoïaque Substance Mort, ils sont là, entre les lignes. Alors bien sûr, tout cela pourrait prêter à sourire, mais… ce serait oublié que des multinationales[2], toujours prospères et affichant une vertu publique de bon aloi, ont collaboré sans vergogne pour la croix gammée sans que personne ne s’en émeuvent outre mesure aujourd'hui. Phil a raison : les nazis ont remporté la guerre idéologique. Ainsi les méthodes de management positiviste déployées par les entreprises allemandes ont-elles déteint dans les open-spaces des grandes corporations qui appliquent avec zèle les commandements d’un petit bureaucrate SS. Libre d’être enchaîné à son travail, dans un darwinisme social béat, le salarié contemporain n’a même plus les mots pour désigner son aliénation. Les glissements sémantiques permanents – dénoncés par Frank Lepage – qui s’opère sur la langue française, remplacent peu à peu par ce qu’on a malicieusement appelé « l’anglais des connards » nous empêche de nommer les choses, et donc d'en avoir la pleine conscience. Mix entre les méthodes managériales des nazis et celles décrites dans le visionnaire 1984 (Georges Orwell), notre réalité va plus que jamais ressembler à un grand lavage de cerveau collectif organisé par des bureaucrates anonymes et des éditocrates télévisuels crachant leurs venins à longueur d'éditos débiles. Attendez-vous dans les années qui viennent à voir la sécurité sociale démantelée à coups de campagnes visant à « responsabiliser » les malades – ce qui sous-entend que si ta santé vacille, c’est de ta faute ![3]

    Internet, la toile 2.0 est devenue un lieu de combat dont les étincelles mettent le feu à des existences autrefois tranquilles. Pour une simple phrase, une saillie d’humour un peu noir et vous pouvez du jour au lendemain vous retrouver à la rue, contaminée par une lèpre morale. Personne ne vous portera secours, car le châtiment de la foule avide de sang est implacable et contagieux.[4] Notre oueb 2.0 est parvenu à des sommets d'abominations que même William Gibson, le père fondateur de l’esthétique cyberpunk, a été incapable d’anticiper. Pourtant, ces conséquences délétères ont été cartographiées par certains auteurs. Bien sûr, le territoire est sans cesse mouvant, les spasmes sinusoïdales qui l’agitent mutagènes, mais de Vidéodrome (David Cronenberg) où l’homme fusionnait avec le monde « vidéo » – sous la dénomination duquel il faut dénicher une allégorie du web en devenir – en passant par le très « trash-metal » Les Synthérétiques de Pat Cadigan, sans omettre Sur l’onde de Choc de John Brunner (encore), ces fictions ont pressenti avec plus ou moins de justesse l’émergence du Réseau. Ces auteurs propulseront au rang de personnage charismatique le hackeur, cet être androgyne au QI de 383, nageant dans la mer de données de la « la Matrice » comme on l’appelait avant que les Wachowski ne s’approprient le terme comme des sagouins. Mais entre les Anonymous, les associations de tous poils décidées de réduire au silence la moindre voix dissidente, et les citoyens anonymes qui – faute d’avoir un vrai pouvoir politique![5] se déchargent de leurs frustrations sur d’autres pauvres types dans une explosion de bonnes consciences et de morales dégoulinantes… la figure héroïque du Hacker a pris une sacrée torgnole dans le museau ! On est plus proche d’un matin de gueule de bois, après avoir repeint sa chambre à la gerbe que du glamour hollywoodien, pour le moment.

    Et en parlant de politique, on ne passera pas sur les guerres qui éclatent partout où se trouvent les matières premières nécessaires au maintien de notre civilisation. Des théâtres des opérations marqués par l’irruption de drones-suicides, bombardant les « ennemis de la liberté », en tout bien, tout honneur. Une mécanisation des batailles qui courent dans toute la littérature cyberpunk, de même que le déplacement des conflits dans quelques pays éloignée de notre occident. Sans parler du basculement des pôles de pouvoir, le cyber ayant depuis longtemps prophétisés l’essoufflement de l’Europe et des USA au bénéfice de l’axe asiatique, Chine et Japon en tête des favoris pour la domination mondiale. De William Gibson, en passant par Cablé + de Walter Jon Williams au jeu de rôle bien délirant Shadowrun, il semble que cette projection ne fut pas sans quelques justesses. Mais on pourrait aussi digresser sur l’affaiblissement des États-nations aux profits des multinationales, déroulant ainsi le tapis rouge pour une société cauchemardesque où toutes les idéologies auront été brisées sur l’autel d’un darwinisme social effréné, pur. Une abomination que même Ayn Rand n’eût pas fantasmée dans ses pires visions. Une monde fait de VRP multicartes au visage lisse de banquier d’affaires, à l’image du cyborg modèle « Terminator idéologique » qui hante les couloirs de l’Élysée, sans même parler de la belle bande de mutants hystérisés qui l'accompagnent. Une parfaite secte se donnant tout entière aux Dieux Profit, n’hésitant jamais à marcher sur l’échine et les cadavres de leurs administrés au pas de l’oie. Qu’importe les sacrifices ! Il faut que les Actionnaires, les Hérauts de cette religion, puissent faire bombances dans leurs coffres opulents, situés quelque part, dans les îles Caïmans.

    Keith Parkinson : Ambush
    3/Le Cyberpunk n’est pas un programme d’avenir…

    Je pourrais disserter pendant des pages et des pages sur le cyberpunk, en reprenant par exemple le concept du réseau qui a été exploité de manière allégorique par J.G.Ballard dans l’Île de Béton, ou des jonctions entre le cinéma gore et le cyberpunk, celui-ci célébrant les noces de la chair et de l’acier – ce qu’a exalté David Cronenberg dans des films comme Scanners ou Crash (adapté de l'excellent roman de Ballard, tout se recoupe…) —, de l’apport de Keanu Reeves qui est devenu LE visage du cyberpunk — au point de se retrouver dans le jeu vidéo adapté du jeu de rôle éponyme. Sachant que les deux cultures ludiques se sont mutuellement phagocytées, l’on savourera toute l’ironie de l’histoire, et pas mal d’autres choses encore... Reste que ce très court texte n’avait pas pour ambition de disséquer un sous-genre de la SF passionnant, mais plutôt de montrer en quoi celui-ci avait été un formidable laboratoire de prévisions futuristes qui se sont, hélas, avérées assez juste, à quelques détails dramaturgiques près... Car les auteurs se doivent de ménager le spectacle pour fasciner son audience, n’est-ce pas ? Et si je vous encourage à compulser les ouvrages ou les films sus-cités, ce n’est bien évident pas en tant que tables de la loi, mais plutôt comme une piste de réflexion et également pour s'extraire du temps éternel dans lequel les rézosocio nous maintiennent.

    Pour ma part, il m’est très délicat d’écrire du cyberpunk à notre époque. D'une part, le genre exige une culture scientifique et technique très poussée – bon OK ! dans le cas de Shadowrun, on va dire que nous en sommes à du bon vieux techno bla-bla basique –, mais aussi parce que l’effort que cela me demanderait ne pourra jamais être à la hauteur de l’absurdité complexe du monde dans lequel nous voguons. D’autre part, comme mes commentaires acides plus hauts l’indiquent, le réel ne me permet même plus de m’amuser avec certains concepts, tant ceux-ci ont été dévoyés par la médiocrité de nos contemporains. Et c’est la pire chose qui puisse arriver à une idée. Aussi je laisse volontiers les oripeaux du genre derrière moi, en espérant que d’autres pourront en maintenir la flamme, mais si je crains que celle-ci ne se soit asphyxiée par les vapeurs de méthane de notre smog de pollution.

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    [1] – Non que je veuille minimiser l’épisode de la bière mexicaine, mais il va bien falloir s’avouer que l’action des médias a été pire, que celle de notre gouvernement d’androïdes à la programmation cognitive défaillante. Pour flamber le propane de la panique, il y a foultitudes de candidats, l’allumette dans les pognes. Pour éteindre l’incendie en revanche, il n’y a plus personne. Tant que ça fait vendre du papier et du temps de cerveau disponible, l'information sera toujours traitée de manière indigne et cynique. Peu leurs chauds que des vies soient en jeu…

    [2] – On a les offuscations que l’on peut, à la hauteur de notre culture car il faut quand même se souvenir que tous ces gens qui ploie le genou devant le progressisme 2.0 ont pactisé avec l’Allemagne conquérante et ces alliés, sans pour autant être tondus à la libération, à l’inverse de milliers d’innocentes humiliées publiquement. IVM créera les premiers ordinateurs pour le comptage des prisonniers des camps de la mort ; Lolac-Cloac poussera la cynisme jusqu’à inventer Fantac, une boisson pour les nations de l’Axe ; Hugo Foss a dessiné les uniformes des SS, etc… L’argent n’a pas d’odeur, ni d’idéologies, ni de morale. Et si ces compagnies affichent actuellement une allégeance de façade à des mouvements humanistes, souvenez-vous, toujours, que cela n’est que gesticulations vulgaires et hypocrisie bourgeoise à son maximum. Une corporation ne connaît que le darwinisme social comme valeur cardinale.

    [3] – Anecdotes amusantes : dans mon deuxième roman : ExXode (qui est empreint de mon bouillonnement adolescent, et donc illisible), j’avais tout de même prévu que l’âge de la retraite serait remonté à 80 ans. L’avenir dira si j’avais raison…

    [4] – A ce sujet l’essai de Jon Ronson : La Honte ! révèle les horreurs de ce que l’on a appelé : la Cancel Culture (la culture de l’interdiction dans la langue de Molière) dont les rouages ressemblent à tous les phénomènes de Bouc Émissaire (les plus courageux peuvent se plonger dans La Violence et le Sacré de René Girard pour saisir la dynamique de ce fait social). Grosso-modo, ce phénomène implique que la personne « Interdite » est privée de tous ses droits. Elle n’est plus considérée comme un humain à part entière, mais comme une chose que l’on peut détruire à volonté, tout cela sous le voile d’agir « pour le Bien ». C’est le même schéma mentale que ceux qui meuvent les tueurs en série ou les purges ethniques. Je ne vois là-dedans nul bien, mais une profonde perversion de l’esprit humain.

    [5] – On ne va pas se mentir : changer de président tous les cinq ans pour n’avoir que la continuation de la même mauvaise comédie, c’est à ça qu’on reconnait une bonne vieille république bananière.

    mercredi 6 décembre 2017

    Bibliothèque des Ombres : Georges A. Romero : Révolution, zombies et chevalerie/Julien Sévéon (2016)


    George A. Romero a été un des plus grands cinéastes du siècle passé et peut-être un des plus incompris de son temps. Je ne peux pas parler de cet artiste sans évoquer un bref instant ma rencontre avec ces films qui m’auront marqué au fer rouge. Une vive impression partagée par l'auteur de cette monographie aussi partiale que passionnante. Il faut dire qu’à l’inverse des spectacles tièdes que nous propose à longueur de temps Hollywood, les pellicules de Romero n’ont jamais cessé d’interroger son époque et ses symboles pour mieux les détourner. Il fait partie de cette rare race de cinéaste à n’avoir jamais jeté aux orties ses convictions, tentant film après film, projet après projet de trouver un angle d’attaque qui fasse sens pour présenter un divertissement intelligent dont les soubassements, pour peu que l’on y plonge, comportaient une déconstruction en règle des mythes de notre temps que n’aurait pas renié un Roland Barthes au meilleur de sa forme.

    Innocent adolescent pré pubère, je me mangeais sur les conseils d’un ami le coup de boule esthétique de Dawn of the Dead aka Zombies dans sa version italienne. Entre les arpèges électriques des Goblin et l’ambiance de chaos, de cirques macabres et de folie furieuse – toujours imité, jamais égalé – des scènes, j’étais happé par un spectacle qui de plus possédait une étonnante profondeur. Suffisamment de fond pour que, les visions s’enchaînant, l’ensemble reste pertinent malgré le passage des ans. Plus que n’importe quel autre film, le deuxième opus des Morts-Vivants contient en filigrane une des satires les plus virulentes du capitalisme. Difficile de supporter la corvée des courses après avoir regardé ce Zombies – ce qui en rend la projection presque indispensable comme préambule à toutes critiques lucides de la société de consommation – tant l’auteur a tapé dans le mille. « Cet endroit représentait quelque chose d’important dans leurs vies », « Nous sommes eux et ils sont nous… » prophétisent les infortunés héros dans des moments de glaçantes de clairvoyance. Difficile de ne pas songer aux créatures en déambulant derrière son propre caddie, coincé dans une file de vieillards cacochymes se dandinant comme des canards. Car pour Georges A. Romero, les véritables monstres n’ont jamais cessé d’être les humains, prisonniers de leurs carcans de valeurs paradoxales, rentrant souvent en collision les unes avec les autres [1].

    Car ce qui fait de Zombies une œuvre d’art profondément subversive c’est l’emploi du centre commercial comme lieu de piège par excellence. Plus encore que la morsure zombiesque, ce sont les illusions de l’abondance et la répétition ad nauseam des schémas ayant entraîné le déclin de la civilisation occidentale qui précipiteront les héros vers leurs inéluctables chutes. Ce seront les plus âpres au gain, les plus « conservateurs » qui se transformeront les premiers en voulant protéger leurs biens de consommation. Chez Romero c’est clair : refuser de s’adapter c’est périr. Cet axiome est présent dès le film séminal La Nuit des Mort-Vivant, mais Zombies y adjoint une vraie démarche idéologique consciente même si celle-ci se colore d'une authentique appétence de l’auteur pour des saillies d’humour noir grotesque bienvenues.

    Georges A. Romero était — avec peut-être John Carpenter [2] — un de ces rares réalisateurs à m’avoir fait comprendre à travers ses films la nature politique du cinéma et donc sa propension à la propagande. Un plan, un travelling – quelle que soit l’histoire qu’ils illustrent – n’ont de valeur que s’ils sont signifiants, que s’ils tendent vers un sens. Issu de la publicité et du documentaire – son ancien gagne-pain [3] –, Romero avait saisi la grammaire du cinéma et plus encore la manière la plus efficiente de véhiculer un message en additionnant deux plans pour restreindre le champ interprétatif. Ce n'est pas un hasard si le réalisateur portait souvent la casquette du monteur sur beaucoup de ses premières œuvres : il était conscient de la puissance des images. En opérant en véritable homme-orchestre, Romero nous refuse la satisfaction d’un onanisme mental narcissique pour nous tendre un miroir déformant, lucide, mais âpre.

    Pourtant, dans un sens, les Morts-Vivants ont toujours été l’arbre qui cache une forêt d’une grande cohérence qui n’a jamais cessé de capturer la déréliction sociale et psychologique de son pays. Si Romero a laissé une liste impressionnante de projet en friches c’est moins pour son manque de talent que pour son rejet d'un cinéma mainstream dont l'accès lui aurait coûté sa probité d'auteur. Ce qui le condamnera à l'étiquette de cinéaste spécialisé dans le gore et plus particulièrement dans le film de zombies. Ce livre permet de remettre les pendules à l'heure en explorant toutes les facettes stylistiques et thématiques de Romero. Car entre l’excellent exercice satirique qu’est Creepshow, film à sketches scénarisé par Stephen King, les errances psychotiques du vampire — mais l'est-il vraiment ? — Martin ou les aventures des doux rêveurs de Knightriders, il y a de quoi satisfaire tous les publics.

    Comme le rappel le journaliste Julien Sévéon au court de cet énorme pavé, Romero a souvent préféré les petits budgets aux fastes trompeurs des paillettes. Une dure leçon apprise sur le set de La Nuit des Morts-Vivants, premier manifeste du « gore », relecture plus crue, plus actuelle des standards de l’horreur. Un monde dans lequel la chair et les viscères sont montrés avec une certaine complaisance. Pour ce premier essai, Romero expérimente et c’est plus la présence d’une goule nue et le premier rôle joué par un noir qui provoque l’émoi dans les salles. Dans un pays où la ségrégation raciale influence encore l'ordre social, cette touche de couleur caresse une corde sensible et teinte d’une aura politique une pellicule qui ne l’était pas vraiment au moment de sa conception.

    Pour autant, cette première saillie va laisser des marques chez le Romero qui s’amusera à approfondir cette critique sociétale dans ses films. Portraits de marginaux en proie à une certaine forme de vindicte populaire, son cinéma porte toujours un regard sur les perdants du rêve américain, dissertant en creux sur une nation qui a la fâcheuse tendance à faire disparaître ce qui contredit son idéologie sous le tapis. Outre les titres déjà cités, Romero s’intéressera au féminisme dans l'onirique Season Of the Witch ou aux difficultés des paraplégiques dans l’excellent thriller Monkey Shines. Pour avoir cette liberté de ton, Romero s’entoure d’une équipe qui restera peu ou prou la même à travers les années et, une fois familiarisé, on reconnaîtra au générique les mêmes noms… Une certaine impression de se retrouver chez soi, dans ses pénates entre gens d’agréables compagnies.

    Ce voyage critique à travers une filmographie atypique permet de remettre les compteurs à zéro concernant une œuvre qui aura trop souvent été réduite à son saignifiant genre « zombiesque ». Les analyses – pointues – détaillent le contexte de production, les incidents ayant émaillé le tournage ainsi que le résultat final et la réception publique de celui-ci. Le moins que l’on puisse dire est que Romero aura été malmené par les distributeurs, ne sachant pas comment vendre ses films les plus personnels. Il y a une ironie dramatique autour du cas de Romero, dans l’énigme qu’il a posée à l’industrie du divertissement. Après avoir voulu mettre le pied dans un cinéma moins « confidentiel » que ces premiers opus régionaux – à ses débuts Romero est considéré comme un indépendant qui officie à Pittsburgh, donc sujet à regard empreint de complaisance de la part d'Hollywood – il végète pendant sept années dans des bureaux, lançant des projets euthanasiés les uns après les autres. Il faut dire que les thèmes de ceux-ci sont polémiques et s’apprêtent peu au consensualisme de rigueur dans les studios. Lassé, Romero reviendra à ses chers zombies, mais ceux-ci lui seront arrachés et dénaturés par la pop-culture.

    Le rayonnement planétaire de La Nuit… aura eu une conséquence néfaste que le cinéaste ne pouvait pas prévoir. Ces morts-vivants auront en quelques décennies envahis les écrans, mais hélas pour lui, les gens n’en auront retenu que le côté gore, oblitérant la parabole sociétale à l’origine du projet. Et même si un tardif Land of the Dead vient remettre les pendules à l’heure avec sa révolte d'un lumpenprolétariat zombiesque [4] le mal aura été fait : le sujet aura, comme beaucoup d’autres, été vidé de sa substance et récupéré par la grande essoreuse idéologique. The Show must go on ! L’on aura ainsi eu une déferlante de films de zombies sans que jamais aucun ne parvienne à retrouver l'intelligence des œuvres de Romero. Pire, les plus malhonnêtes tendent à brosser dans le sens du poil les dogmes actuels, inversant la parabole de Romero, que ce soit dans un pamphlet pro-israélien assez répugnant comme World War Z [5] ou dans la série The Walking Dead, propagande à peine dissimulée pour les valeurs de droite conservatrice et réac’. On est loin, très loin du génie visionnaire de Romero…

    Boudé par les producteurs, Romero poursuivra sa saga des Morts-Vivants sous la forme de comics. Une séquelle dessinée sur laquelle s’étend le critique, mais dont le passage éclair dans les étals surchargés des librairies ne m’aura pas permis de jeter un œil dessus. Il est tout de même regrettable qu’un réalisateur aussi doué ait été d’une part cantonné un peu trop souvent dans son petit coin zombiesque, et d’autre part n’aura pas été capable de monter d’autres projets. La dernière interview qui clôt la monographie est pour le moins clair sur son éloignement d’avec son Art : les atermoiements interminables des boîtes de productions dirigés par des commerciaux aux connaissances artistiques proches du néant [6] ont achevé la résilience de Romero. Et nous devrions nous inquiéter que des créateurs de cette trempe – ou de celle d’un John Carpenter – aient fini par jeter l’éponge face à une machine folle, dilapidant des fortunes colossales pour entretenir des sagas mortes-vivantes qui feraient bien de laisser la place à de nouvelles mythologies.

    Cet ouvrage permet donc de se replonger avec le recul dans une œuvre riche qui a toujours mis l’accent sur les déclassés du rêve américain, les marginaux et dont la puissance du discours subversif reste encore inégalé. Si l’on peut regretter quelques interviews parfois pas très utiles du « gang Romero », le parti-pris d’une approche partisane du cinéma de Romero est tout à l’honneur de Julien Sévéon dont la plume acérée rend un vibrant hommage au maître de Pittsburgh. Seul – gros – bémol : la couverture souple qui ne supporte pas le poids des pages, ce qui ne facilite pas du tout la manipulation de cet énorme pavé. Le dos, pour peu que nous lâchions notre prise sur le livre, se casse aisément. Messieurs les éditeurs : faites un effort, s’il vous plaît !

    __________________________________________

    [1] — J’éprouve toujours une disruption cognitive lorsqu’un grand patron me parle de valeurs humanistes… J’ai l’impression d’observer un monstrueux poussah vampirique donner des leçons de morales à son troupeau de moutons…

    [2] — Invasion Los Angeles restera probablement un des films les plus lucides et furieux sur les années Reagan, et plus généralement sur le capitalisme prédateur et ses idées mortifères.

    [3] — Où l’on constate que les quelques publicités du jeune Romero n’y allaient parfois pas avec le dos de la cuillère que ce soit dans le domaine de l’originalité fantasque ou du bon gros uppercut dans les mâchoires…

    [4] — Le personnage de Dennis Hooper s’inspire de Dick Cheney – soit la crème de la droite conservatrice américaine — et connaîtra une fin particulièrement soignée et ironique de la part du cinéaste : trempée dans l’essence par le leader des zombies Big Daddy et flingué par son homme de main zombifié, le très hispanique Cholo...

    [5] — Brad Pitt sauve le monde et surtout sa famille avec sa seule frimousse blonde, sa bite et son couteau.

    [6] — Ce qui donne, entre autres aberrations pelliculés, Le Monde secret des Emojis… L’art de la médiocrité à son summum.

    dimanche 26 novembre 2017

    Cinoche B comme Bon... : Offscreen 2017 : Cannibales et Contes de Fées

    Apparu en marge du Festival Fantastique de Bruxelles, l’Offscreen dépoussière des pelloches rares et/ou peu connues du grand public. Une occasion donc pour s’abreuver à une autre source que celle des distributeurs classiques des multiplexes et de déguster des cinémas différents, de nous secouer dans nos habitudes audiovisuelles. La programmation – touffus comprenant autant des nouveautés que moult rétrospectives – ne m’a pas permis d’assister à toutes les projections, néanmoins j’ai pu découvrir quelques perles…



    1. Grave de Julia Ducornau (2017).



    L’œuvre d'ouverture de ce festival et en même temps la bête à hype du moment est-elle la hauteur de sa flatteuse réputation ? Pour ma part, je n’ai pas accroché à ce timide délire cannibale, la réalisatrice se refusant toute exagération propre à ce style de cinéma. Si la première demi-heure bien sociétale sur les bizutages en école supérieure de médecine annonce une ambiance anxiogène à base de rituels stupides, le reste demeure convenu, voire assez chiant.

    Comme c’est trop souvent le cas quand les français s’essaient au cinéma « de genre », la cinéaste se contemple en train filmer. C’est appliqué, parfois réussi, mais en général assez plat. La faute peut-être à un parti-pris graphique très faible – on est loin des décadrages, des focales déformantes, de l’emploi ingénieux du hors-champs et autres astuces qui font parties de la panoplie du réalisateur d’horreur – ce qui donne une consistance atonale à l’ensemble. Oui, c’est trash et vulgaire, mais cela ne suffit pas à transcender son sujet qui n’est qu’effleuré.

    La réalisatrice préfère perdre son temps à nous dépeindre les beuveries estudiantines dans toutes leurs décadences, échouant systématiquement à les utiliser pour nourrir son propos. Tous les acteurs mâchent leurs mots – une désagréable manie des dialogues « réaliste » qui plombe le cinéma « d’auteur » français – tant et si bien que je n’ai compris certains échanges qu’en lisant les sous-titres néerlandais. Le scénario ne décolle que vers la fin et la toute dernière image aurait pu servir d’incident déclencheur et nous emmener dans un autre film, plus perturbant.

    Une œuvre auteurisante, dans le mauvais du terme, qui a de plus à une fâcheuse tendance au fétichisme gratuit. Une projection dispensable, et ce n’est pas parce que c’est estampillé « de genre » et « réaliser par une femme » que cela en fait une merveille. En ce qui me concerne, dans un registre similaire, le Vorace d’Antonia Bird n’a pas encore trouvé d’équivalent dans l’excellence.

    2. La Belle et la Bête de Juraj Herz (1978).


    La rétrospective conte de fée tchèque m’aura permis de redécouvrir des adaptations de classiques pour le moins surprenantes, stylisées, souvent faites de bric et de broc, mais suffisamment audacieuses pour que l’absence de budget soit palliée par une inventivité de tous les instants. Cette version de la Belle et la Bête est une bonne entrée en matière, introduite par un préambule du réalisateur lui-même. Le recours à la fantasy n’a rien d’étonnant dans le contexte politique communiste de la Tchéquie de l’époque, la censure idéologique demeurant assez forte. Pourtant, les quelques échantillons de ce cinéma présentés à l’occasion de ce festival ont conservé une puissance d’évocation peu commune.

    Si le genre horrifique n’était pas permis, Juraj Herz se sera servi des contes pour laisser libre cours à ses envies de fantastiques et d’épouvante, conférant une aura maléfique au récit de Madame Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Oubliez donc la mièvre Bête de l’oncle Walt, car la première demi-heure décrit un monstre impitoyable. Dans une forêt toujours enveloppée de brume, la « Bête » — d’abord filmé comme un tueur en série de slasher, souffle et caméra subjective incluse — fond sur une caravane de marchands en un enchaînement d'attaques mortelles. La créature, un mélange d’homme et d’oiseau de proie, ne plaisante pas et ceux qui entrent dans son territoire le paient au prix de leurs vies.

    Mais la Bête ne serait pas grand-chose sans un décor à sa démesure. Le château déliquescent qui renvoie à une noblesse en fin de règne, évoque plus la Maison de Usher et E.A. Poe que les fanfreluches que l’on appose volontiers à ce conte romantique. Peuplée d’anciennes statues inquiétantes, de serviteurs mutiques constitués de suie et de marécages méphitiques, la demeure de la Bête n’eût certes pas déplu au Dracula de la Hammer. D’autant que le réalisateur joue dès qu'il le peut avec les zones d’ombre et le hors champ (coucou Grave…) pour instaurer une atmosphère de cauchemar. Idée originale : la déformation en Bête, en partie inexpliquée, semble provenir d’une malédiction ancestrale se transmettant de génération en génération ainsi que le suggère une série de portraits.

    Si l’histoire d’amour demeure convenue, fleuretant avec le ridicule le plus achevé, c’est qu’elle n’intéresse pas Juraj Herz que l’on sent plus impliquée dans la création d’une ambiance ténébreuse et dont les nombreux effets de style saisissant n’ont rien à envier aux films gothiques de Mario Bava. Malgré ses faiblesses, en partie imputable aux conventions du genre, cette adaptation conserve une aura aussi fascinante que la version de Jean Cocteau.


    3. La Petite Sirène de Karel Kachyna (1976).


    Cette œuvre pousse la bizarrerie un cran plus loin par un procédé esthétique simple et efficace. Ne possédant pas les moyens pour un tournage en milieu sous-marin, le réalisateur a décidé de se passer d’eau. Ainsi les acteurs évoluent-ils dans une faille, illuminée par un complexe système d’éclairage bleutée. Les mouvements lents, quasi hypnotiques qu’ils doivent exécuter pour bouger sont accentués par des costumes céruléens au tissu lourd. Ce dispositif achève de poser sur l’ensemble une ambiance onirique qui sied à merveille à ce conte.

    Plus proche de la version d’Andersen que de celle de l’oncle Disney, le film dégage une impression prononcée de mélancolie et de déréliction. Une curiosité à voir pour son travail sur les couleurs, ses décors et sa mise en œuvre très particulière qui – avec pas grand-chose – parvient à nous emmener dans un autre monde.


    3. La Bête de Walerian Borowczyk (1975).
     


    Longtemps victime des foudres de la censure, cette bizarrerie a été récemment rééditée sur galette numérique, depuis la rétrospective consacrée au réalisateur par le centre Pompidou. Variation érotique de La Belle et la Bête, le film s’ouvre sur une situation vaudevillesque au possible : un châtelain désargenté tente de sauvegarder son domaine en mariant son fils à une riche américaine. Pour être valable, la cérémonie doit être célébrée par un Cardinal, et dans un temps imparti. C'est donc un groupe de personnages, tous plus cupides les uns que les autres, qui se retrouvent à attendre Godot.

    Sauf que cette introduction n’est qu’un prétexte élaboré pour préparer le morceau de bravoure. Car en s’ouvrant sur des gros plans de sexe de chevaux à l’occasion d’une sailli, le réalisateur nous vend assez vite la mèche. Son propos tournera autour de nos rapports contrariés avec le sexe et notre inconscient pulsionnel. Et le conte éponyme dans tout cela ? Il intervient lorsque ladite fiancée – un peu niaise – découvre une étrange légende locale et commence à fantasmer sur les exploits de son héroïne qui aura tenu en respect une fameuse « Bête »… Le film éclate en une séquence hallucinante dans laquelle une jeune châtelaine est poursuivie puis prise de force par un loup-garou priapique. Si les effets de la créature demeurent sommaires, il faut avouer que la scène reste d’une efficacité assez troublante. D’autant qu'elle dure, s'allonge excessivement, accompagnée par une sonate pour clavecin répétitive...

    En effectuant des ponts par le biais du montage entre le songe et la réalité, usant d’une certaine forme de pensée magique, ce film ne cesse de s’adresser à notre inconscient – peut-être la fameuse « Bête »… 



    4. The Cat who wore Sunglass de Vojtech Jasny (1963)


    Une petite ville de la province de Tchécoslovaquie accueil une bande de saltimbanques comportant dans leurs rangs un magicien volubile, mais surtout un certain chat portant des lunettes de soleil. Le félin possède un pouvoir : son regard révèle la nature des gens qu’ils fixent, les teintant d’une couleur symbolique. Ceux que le sortilège touche ne peuvent pas s’empêcher de danser et de se perdre dans une folle sarabande.

    Fable sur le communisme, avec ses mesquins délateurs zélés qui se retrouvent soudain exposés, comédie enfantine et musicale, ce film c’est un peu de tout cela à la fois. La photographie et la mise inventive finisse par emporter l’adhésion et ce sont surtout les morceaux d'anthologie comme le spectacle de magie ou les scènes pendant lesquelles le chat révèle la « nature » de chacun qu’explose la créativité des artisans tchèques.

    Si tout cela s’avère assez léger – quoique la parabole soit tout à fait applicable à notre économie capitaliste –, ce n’en est pas moins un plaisir pour les yeux, d’autant que les acteurs s’y adonnent avec un vrai entrain, en particulier les gamins qui sonnent souvent juste.


    5. Valerie and her Week of Wonder de Jaromil Jires (1970)


    Le jour de ses premières règles, la jeune Valérie bascule dans un monde menaçant dans lequel la guette un étrange vampire qui ressemble à son père.

    Comme dans énormément films présentés dans cette rétrospective la mise en scène et le jeu des lumières flattent les yeux et l’on sent que les artisans ont l’habitude de créer des enchantements avec pas grand-chose sous la main. Il n’y a pas un photogramme qui ne soit pensé et composé avec soin. En revanche, il n’en est pas de même pour le scénario.

    Décousu à l’extrême, mais surtout incroyablement malsain vis-à-vis de sa juvénile héroïne exposé de manière un peu trop équivoque, cette œuvre prête le flanc à une critique virulente. Car si l’on aurait pu avec un pareil canevas obtenir quelque chose de fantastique, les trop nombreux moments de gêne, même pas justifié par une idée narrative, plombent l’ensemble.

    À la limite du fétichisme pédophile, Valérie… ne parvient pas à combler son ambigüité morale complaisante par une légitimation scénaristique, nous laissant avec un arrière-goût nauséabond dans la bouche.

    jeudi 21 septembre 2017

    Cinoche B comme Bon... : IT (chapitre 1)/Andy Muschetti, Stephen King (2017, 1986)

    Par facilité – et pour éviter les jeux de mots laids involontaires –, je vais dénommer le film et sa créature éponymes avec leurs appellations anglaises… Je dévoile quelques éléments de l’intrigue, néanmoins si vous connaissez le roman de Stephen King, cela ne vous gâchera pas la vision du film. Je signalerais enfin pour dissiper tout malentendu que je ne me focaliserais pas sur le téléfilm des années 90, celui-ci étant un gentil navet – pour être poli – qui adapte de manière appliquée et académique le roman sans jamais parvenir à en comprendre l'essence.



    1.Les racines du Mal.

    Ce n’est pas encore la confirmation d’un mouvement, mais il m’est forcé de reconnaître que depuis ce début d’année, le système des studios hollywoodiens a l’air d’émerger de sa léthargie créative pour nous offrir du divertissement intelligent. Ce semi-éveil – parce que pour le moment nous n’avons tout de même que deux œuvres au compteur même s’il est permis d’espérer que le Mother de Darren Aronovsky hausse le niveau d’un autre cran – semble dû à Deadpool (Tim Miller, 2016)... Même si je l’ai bien conspué pour son humour potache confondant transgression et subversion, ce film a contribué à changer la donne.

    À ce protozoaire puéril a succédé un Logan (James Mangold, 2017) poussant la négation de la logique super-héroïque jusqu’au bout en suivant le chemin de croix de son protagoniste, le tout sur fond de satire politique, d’anticipation glaçante et de western crépusculaire tendance Papy Peckinpah. La longueur autant que la brutalité frontale de ce film auraient pu rebuter moult spectateurs. Pourtant, le bousin ne s’est pas gaufré au box-office. Même si j’imagine – dans mes délires – la déconfiture de certain exécutive et autre empêcheur de créer en rond face à cette « découverte » : il y a un public prêt à donner du bon pognon pour mater des films avec un contenu mature [1]. Cyniques et âpres au gain, les studios lâchent un peu la bride aux créateurs pour les laisser mener leurs barques tant que celle-ci demeure source d'immenses profits, quitte à mettre en boîte des scènes naguère impensables dans le cadre des fictions destinées à une distribution en multiplexes. Une petite giclée d’air frais dans une production vérolée par la néoténie mentale.


    Fin 2017 la sortie de IT, nouvelle adaptation du pavé éponyme du Roi de l’Horreur, déboule en Europe, marquée dans son carton d'exploitation d'un franc « rated R ». 
    
    
    Je suis nostalgique des couvertures baveuses de Matthieu Blanchin.
    Effet garantis sur les petits vieux et les bigots dans les transports en commun...

    2. L’Antre de l’Innommable.

    Le foisonnant roman de Stephen King prend ses racines à la source même des contes de fées. En lisant IT, il est impossible de ne pas songer autant à ses villages obscurs de légende donnant en sacrifices des vierges au dragon,qu'aux nouvelles de H.P.Lovecraft [2] et à ses bleds paumés malsains. Narré en entrecroisant plusieurs lignes temporelles et plusieurs témoignages qui se recoupent sans cesse – King se pose en héritier direct de la méthode Lovecraftienne –, le récit suit les aventures des gamins qui s’opposeront à IT mais aussi aux traces que laisse celui-ci sur les citoyens de Derry. Car, sans même qu’il ne soit nommé, un pacte lie la ville et le monstre. Un contrat funeste qui aveugle les adultes aux tourbillons de violence et aux disparitions disproportionnées d’enfants dont se sustente goulument IT. Une cécité volontaire qui s’explique par la nature particulière de l’antagoniste.

    Le Clown maléfique — un des nombreux avatars de cette chose protéiforme — est autant une créature venue d’ailleurs, qu’un égrégore né des débris de la psyché collective d’une bourgade en voie de déliquescence économique. C’est discret, mais présent dans le roman, grâce à la présence de friches industrielles servant de manière récurrentes de décors, de même que les références à un « bon vieux temps ». Une époque sereine qui n'existe que dans la tête des habitants si l’on en juge par les événements sanguinolents qui ont parsemé l'histoire de Derry. Tous plus atroces les uns que les autres, ces pogroms et massacres haineux – renvoyant à la crème du pire des États-Unis – s’avéreront bien plus effrayants que les apparitions du monstre.

    En revanche, les attaques de IT permettent à King de s’en donner à cœur joie dans le style outré hérité des comics Tale from the Crypt, faisant souvent preuve d’un humour cynique guignolesque. Cet excès est somme toute logique puisqu'il s'agit pour le IT de matérialiser des peurs enfantines. Le Clown est d’ailleurs évincé à de nombreuses reprises de sa place d'ogre ultime par ses agents, de « simples » humains comme le père de Beverly Marsh ou Henri Bowers, un adolescent violent dont la folie atteindra des sommets dans le dernier tiers du roman, le transformant en une terreur bien plus tangible que les spectres rigolards de Pennywise…

    En résulte un pavé qui navigue en permanence entre l’enfance et le temps de l’adulte, conférant une vaste amplitude à cette hantise, mais aussi une énorme difficulté d’adaptation pour donner corps à l’écran aux impressions des personnages et à l’étendue quasi cosmique de l’horreur qui possède la petite ville à travers les siècles. Il faut élaguer dans un texte aux ramifications multiples de manière judicieuse, quitte à trahir le style pour conserver l’essence du sujet… Un travail d’écriture ardu, que les scénaristes – au nombre desquels Cary Fukanaga [3] – auront accompli avec brio.

    Un goût du grotesque prononcé issu directement des pages de Tales from the Crypt.

    2. Le Club des Ratés.

    Les auteurs ont tranché dans les pages pour rentrer tout cela dans un film qui atteint les 2h15 – une durée énorme pour un film d’horreur – en essayant de conserver les spécificités des protagonistes principaux tout comme celle de la ville de Derry, immense vivier d’effrayants psychopathes.

    La première bonne idée est donc d’avoir sabré dans la structure en boîtes gigognes de l’œuvre de King pour ne conserver qu’une seule époque et de dépoussiérer celle-ci, faisant passer la formation du « Club de Ratés » des années 50 aux années 80 [4]. Une décennie qui, si elle est en grande partie fantasmée dans la pop-culture contemporaine, n’est ici qu’un contexte autour duquel tournera la narration. On est très loin du catalogue complaisant de la série Stangers Things (Matt & Ross Duffer, 2016) qui – même si elle joue dans une catégorie similaire – en fait tellement des caisses pour donner des coups de coude dans les côtes du spectateur que cela en devient gênant. Cette division en deux films distincts offre aussi l’avantage de proposer une histoire complète avec un début et une fin, si jamais le premier chapitre devait se vautrer au box-office.

    L’action commence par l’assassinat du jeune Georges Denbrough. Un meurtre fondateur qui poussera à son frère Bill « le Bègue » dans une quête de revanche. Une première attaque qui donne le ton : les auteurs ne vont pas nous épargner. Outre la présence continuelle de l’eau comme élément menaçant – IT est une créature aquatique – surgit déjà en moins de dix minutes l’idée que les braves citoyens n’en ont strictement rien à foutre qu’un gosse se fasse arracher un membre en pleine rue. Si le téléfilm coupait au moment où le Clown attrapait le bras de Georges, sa nouvelle itération nous montre la scène de manière frontale. Comme à la bonne vieille époque du gore, ce procédé nous signifie que si un protagoniste doit expirer dans d’atroces souffrances, il mourra ! Une note d’intention pour le moins violente qui aura le double mérite de nous scotcher au fauteuil et de nous garder attentif pour la suite des événements, puisque les règles de bienséances hollywoodiennes ne sont plus… [5].

    Passé ce cap du choc initial, le film pose développe sa narration avec patience, distillant les séquences d'épouvante virtuoses avec parcimonie. Se focalisant sur Bill — par souci d’efficacité dramaturgique —, les auteurs n’en oublient pas moins les autres membres du Club des Ratés, chacun ayant droit à son apparition et à ses antagonistes personnels, incarnés par des adultes. Là aussi des choix ont été faits et tous les protagonistes n’ont pas une histoire aussi aboutie que le trio formé par Ben Hanscom, Beverly Marsh et Bill Denbrough. Néanmoins les efforts d’écritures effectués rendent la dynamique de groupe crédible et font très souvent mouche.

    Les scénaristes évacuent une partie des informations du roman, mais ils conservent l'essentiel, pour mieux nous plonger dans l'ambiance délétère de Derry. C’est le rat de bibliothèque Ben Hanscom, – un lieu qui a toujours eu une certaine importance dans les fictions de S. King – qui fournira les principaux événements douteux du passé de Derry, marquée par les sacrifices rituels dédiés à IT. Une manière raffinée de compenser une énorme difficulté de l’adaptation – la présence des apartés historiques – sans pour autant faire l’impasse sur ceux-ci puisqu’ils sont capitaux pour comprendre le fonctionnement de cette entité et son action sur son cheptel humain.


    3. Ogre Intime.

    La mise en scène élégante d’Andy Muschetti se positionne à la hauteur de ses héros, parvenant à transmettre par le biais de cadrages expressionnistes de Chung Chung-Hoon, un sentiment d'oppression et de paranoïa palpable. Le réalisateur et son directeur de la photographie se perdent dans des décadrages incroyables, mais aussi des perspectives forcées et autres astuces visuelles pour déformer l’espace permettant de faire passer les adultes pour des géants et les maisons pour des labyrinthes angoissants. [6] En se focalisant sur toute la grammaire du film d’horreur, Andy Muschetti crée des séquences viscérales avec une économie de moyen salutaire en cette période de débauche numérique tous azimuts.

    La mère hypocondriaque d’Eddie Kasprack est filmée comme un titan, une caricature grotesque de la marâtre étouffant sa progéniture sous sa maternité malsaine. Et que dire du Père de Beverly Marsh dont les rares, mais funestes apparitions créé une gêne palpable ? Le moment où celui-ci tient la main de sa fille restera comme un de ces instants d’anthologie de cinéma concentré dans un plan d’une simplicité confondante. C’est dans cette manipulation constante entre le grotesque enfantin – les séquences du Clown – et l’horreur intrafamiliale que le film s’avérera le plus fin pour malmener nos nerfs. Des adultes, tous présentés comme des dépravés et des tarés congénitaux, dont il n’y aura aucun salut à attendre. Si IT vous massacre au coin de la rue, pas un ne lèvera le doigt. Pire encore, certains d'entre eux sont téléguidés par la créature... ou peut-être leur « Ça »…

    La transposition dans les années 80 — outre le fait d’actualiser les référents culturelles du roman qui dataient des années 50 et ne parlaient plus forcément aux générations actuelles — permet aux auteurs de mieux rendre prégnante l’influence et l'omniprésence morbide de IT, via une émission de télé glauquissime où raisonne ses injonctions devant des spectateurs scotchées passivement devant l'écran. Une discrète critique des médias comme abrutissement de masse ? En tout cas un expédient très utile pour matérialiser l’emprise psychique du monstre sur les habitants de la ville.

    La durée limitée du film a obligé les scénaristes a taillé dans le gras du roman, les apparitions terrifiantes d’Henri Bowers sont condensées au strict minimum, et les colères du père Marsh baissent d’un cran dans l’odieux. Si la dernière scène opposant Beverly à son paternel eût été insupportable transcrite tel quel à l'écran, IT nous met sous le nez une collection de ce que l'humanité a fait de pire — et hélas de très réel — en terme de parentalité dysfonctionnelle sans pour autant tendre vers le misérabilisme complaisant. IT de l’horreur social ? Pourquoi pas ! Ce sujet apparaît après tout en creux dans le livre et poursuivra les personnages longtemps après les événements.

    Car IT c’est aussi en psychanalyse cette partie reptilienne, incontrôlable, de l’esprit qui veut tout et tout de suite et qui ne connaît pas les barrières de la civilisation. Une entité pulsionnelle que les états seconds – comme l’alcoolisme – sortent bien souvent de sa cage. IT est-elle vraiment une chose venue des espaces glacés ou un produit de la psyché collective de cette petite ville du Maine dans les foyers de laquelle chacun s’adonne au martyr de la chair de sa chair ? Un thème pour le moins redoutable sur lequel les auteurs ne donnent aucune réponse, mais qu’ils effleurent néanmoins avec une justesse… Qui fait peur !


    4. De l’humour, de la magie et de la cruauté enfantine.

    Les horreurs qu’auront à affronter les membres du club des ratés ne doivent pourtant pas faire oublier que le ton du film, à l’image du roman, s’offre très souvent des ruptures de ton. Ainsi IT manifeste un humour cynique lorsqu’il joue avec ses proies comme en témoigne le choix des trois portes : « un peu effrayante », « effrayante » ou « très effrayante » qui renvoie aux facéties mortelles d’un certain Freddy Krueger.

    C’est dans cet équilibre, ce balancement constant entre les différentes teintes émotionnelles que le film se révèle le plus astucieux. Si la comédie est le pendant coloré de l’horreur, alors les auteurs ont réussi à danser sur le fil d’un rasoir sans verser dans l’excès pour ne pas rendre l’horreur ridicule et l’humour sinistre. Ils sont aidés par un montage au cordeau, des acteurs impliqués et un sens du rythme redoutable. Les gestes sonnent toujours très juste et les phases comiques parviennent même à s’insinuer dans les séquences d'épouvantes, car celles-ci, focalisées sur une vision enfantine usent sans retenues de design poussant assez loin les curseurs du grand-guignol comme le lépreux qui poursuit Eddie Kasprack qui n'aurait pas dépareillé dans une planche de BD de Jack Kamen.

    Le second intérêt de cette adaptation est qu’elle conserve – bien que de manières plus ténue et suggestive – les considérations du romancier sur la magie en utilisant à rebours des clichés longtemps moqués du film d’horreur. Ainsi, nos héros ne peuvent vaincre IT que lorsqu’ils sont unis, aussi celui-ci va-t-il mettre en œuvre tout ce qui est en son pouvoir pour les séparer. C’est le fameux stéréotype du personnage qui s’éloigne pour se perdre dans les ténèbres et se faire occire comme un agneau qu’on mène à l’abattoir. À la différence qu’ici ses réactions possèdent une explication logique, IT se servant de ses maléfices pour fasciner ses victimes.

    Cette osmose magique [7] qui unit les ratés sera opérante que lorsque ceux-ci atteindront le nombre symbolique de sept membres. Si l’individu est impuissant face à la peur irrationnelle qu'incarne IT, le groupe détient un pouvoir qui contrebalance les charmes de la créature. Cette importance accordée à l’entraide régnant dans la petite communauté est magnifiée par la séquence de nettoyage de la salle de bain de Beverly, pollué par le sang de IT. Une épiphanie qui scelle un pacte au-delà des mots et qui confère aux gestes la valeur d’un exorcisme de la terreur en retournant l’arme de l’ennemi – l’eau – contre lui. Un film qui met au centre de son message la collaboration plutôt que l’individualisme forcené et le mythe de l'homme providentiel, avouez qu’on a déjà vu pire…

    Enfin, notons aussi qu’à plusieurs reprises les auteurs montrent sans fards la cruauté sans limites des enfants dans toute sa brutalité. À un tel point que les scénaristes parviennent à faire basculer notre empathie lors du climax, tant l’on devine la panique de la créature clownesque, incapable soudain de se défendre contre l’assaut conjugué des membres du club des ratés. Une exécution pénible qui renvoie à celle du L’Échine du Diable (Guillermo Del Toro, 2001) ou à celle plus récente de l’homme de main du mercenaire en chef dans Logan.

    
    Des décors expressionnistes, à hauteur d'enfants...

    5. Un succès public.

    En conclusion, IT a raflé la place de premier de la classe à tous ses concurrents lors de son premier week-end d’exploitation aux USA. Une véritable surprise pour un métrage pourtant pas si évident que cela : la violence frontale (sur enfant qui plus est…), les thèmes assez difficiles qu’il aborde n’assuraient pas son succès. Même si le trailer viral aura secoué la toile, il n’était pas gagné d'avance que le film emporte l'adhésion, nonobstant la marque « Stephen King » dont l’aura a quand même baissé ces dernières décennies. Peut-être est-ce parce qu’il bénéficie du revival des années 80, mais je préfère croire que l'engouement des foules possède de plus nobles causes…

    Les auteurs ont conçu une œuvre sincère et ont parlé aux spectateurs comme à des personnes matures, et non comme à des demeurés, ce qui aura été récompensé. Ce tour de force narratif [8] démontre que l’on peut en 2017 continuer à fabriquer des films aussi divertissants qu’intelligents sans qu’il ait besoin de 3D et autre gadget outrancier qui – sauf rare exception [9] – n'ont jamais métamorphosé la merde en or.

    Parce qu'IT revient à la base du cinématographe – une des scènes me paraît citer Méliès par son emploi d'un décor théâtral – et parvient autant à faire frissonner avec les ombres et le hors-champs, avant de lâcher du lest sur les effets numériques, enfin utilisés au service de l'histoire.

    En gros, si vous ne faites rien les prochains jours, vous avez rendez-vous avec la partie la plus sombre de votre inconscient. Le voyage va être chaotique, mais cela en vaudra la peine…
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    [1] — Attention, je n’ai pas dit ici un contenu « adulte », ce sont pour moi deux notions assez différentes. Des œuvres pour enfants peuvent fort bien être matures. Citons en exemple qui parlera à tous les travaux de Hayao Miyazaki qui n’ont jamais été mièvres et dont la profondeur continuera de parler aux personnes de 7 à 77 ans…

    [2] — Je ne peux m’empêcher de penser que le nom de famille de Beverly, Marsh est un clin d’œil au reclus de Providence... En effet sa célèbre nouvelle Le Cauchemar d’Innsmouth met en scène une famille maudite ayant introduit un culte impie dans la petite ville portuaire, les Marsh

    [3] — Même si sa fabrication n’est pas allée sans crises comme le prouve le départ de Fukanaga (réalisateur de l’excellente série True Detective (Nic Pizzolatto, 2017)) du poste de réalisateur.

    [4] — Un reproche fait au film et qui sera, à mon avis, récurrent est sa parenté avec Strangers Things dont on retrouve un des acteurs au casting. Cependant, IT a été mis en chantier avant que la série ne soit disponible sur Netflix, de plus le réalisateur n’a pris connaissance de celle-ci qu’après le tournage… Il s’agit là d’une coïncidence dû au revival des années 80 qui semble s’emparer de tous les supports…

    [5] — J’ai déjà dit un mot au sujet de la violence sur ou pratiqué par les enfants, gageons qui si la levée de cet interdit est pour le moins surprenante dans les productions américaines récentes, mais il ne faudrait pas non plus que cela se transforme en habitude un peu gratuite.

    [6] — Dont un super travelling contrarié que n’aurait pas renié le Tobe Hooper de Poltergeist

    [7] — Malgré toute sa bonne volonté, il aurait été impossible à Andy Muschetti et aux scénaristes d’intégrer l’une des scènes les plus osés du roman. Même si celle-ci se justifie parfaitement dans la narration et les thématiques déployées par S. King, son adaptation au grand écran aurait aussitôt entraîné un tollé monstrueux, surtout dans le contexte puritain actuel.

    [8] — Stephen King emploie toutes les ressources de la littérature, toutes ses ruses et ses détours pour parvenir à ses fins. Le transcrire dans un média visuel constitue donc une authentique gageure.

    [9] — A ce jour, le seul film utilisant avec intelligence et à propos la 3D demeure le Gravity (Alfonso Cuaron, 2013) que je ne remercierais jamais assez pour avoir filé une gerbe mémorable à un groupe de spectateurs confondant manifestement salle de cinéma et restaurants.