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    dimanche 26 mars 2023

    Cinoche P comme Pourris : Avatar 2 : la voie de l'eau de James Cameron (2023)

    Après un moment à bosser d’arrache-pied sur Ethel Arkady ou les Chroniques de Yelgor, il est temps d’exécuter un minuscule pas de côté pour rédiger de nouvelles critiques de films, mais dans un format un peu moins formel, plus libre et plus rapide que celles que j’ai déjà produites. Depuis la fin du confinement, j’ai retrouvé le chemin des salles obscures, et je pense qu’il est utile de jeter un regard dans le rétroviseur sur ce que j’y ai vu.


    À tout seigneur, tout honneur, jugeons sur pièce la dernière cathédrale cinématographique du Grand Jim, la ©Révolution Copernicienne qui nous apprendra comment l’on réalise des films à l’aune des années 2020, alors même que les IA sont en passe de remplacer les artistes[1]. D’une durée astronomique Avatar 2 propose un spectacle total, en 3D 400 THX 6.2 de mon cul, avec une myriade de détails et de biens belles vignettes, ma bonne dame, qu’elles sont magnifiquement poétiques ! Pouet, pouet !

    Alors, non ! Juste non ! Ce film est une insulte à l’intelligence humaine. Si je ne cracherais pas sur la réalisation qui vaut mieux que le moindre plan pondu par un « yes-man ! » de chez Disney, je ne m’extasierais pas non plus sur celle-ci. Elle ne comporte que peu de plans signifiants, se contentant d’illustrer de manière besogneuse le scénario. C’est le strict minimum syndical ce qu’on attend d’un réalisateur comme Cameron. Pour le reste, les thèmes exploités dans le récit ne dépareilleraient pas dans un western du Duke, avec cette bonne vieille moraline ricaine assénée au marteau-piqueur avec la légèreté d’un quinze tonnes bourré à la Kronenbourg. Hésitant comme un étudiant encore hébété par sa soirée de picole entre différentes voix narratives – sans en retenir aucune – le film ne répondra à AUCUNE des questions qu’ils posent lui-même, vous rotant des TGCM à la gueule en guise d'explication.

    Les beaux esprits qui s’accrochent à cette ©Révolution avec l’énergie du désespoir tente de transformer cette informe masse de plastique en un chef-d’œuvre ne contemple au fond que la déshérence morbide de leur idole passée. À l’évidence, et depuis une bonne vingtaine d’années, le cinéma de Cameron est rentré dans un coma avancé. Le premier Avatar recyclait déjà des pans entiers de sa filmographie dans un vomi de couleur fluo usant de ces Schtroumpfs comme de jouet dans des décors puant le silicone à plein nez. Ce nouvel opus entérine cette chute.

    Ce n’est pas parce que le film possède une structure en « chiasme » que ça le transforme en parangon d'intelligence. Maîtriser ce genre d’outil narratif, c’est la base pour n’importe quel aspirant écrivain. Ça n’excuse en aucun cas tous les trous dans la trame scénaristique sur lesquels je ne m'étendrai pas[2], ça serait trop fastidieux. Je signalerai juste que le film appartient au genre de la science-fiction, et que cela demande donc une rigueur de tous les instants dans l'exploitation de la logique interne du récit. Qu’en 13 ans (bordel !) personne dans la production n’ait rappelé au ©Grand Jim que les spectateurs ont besoin de règles claires, précises et que l’on réponde aux enjeux que l'introduction lance reste une éclatante preuve de paresse intellectuelle.

    Dans cet étron, tout est à chier : la musique vous scie les nerfs avec ses 250 000 cordes aussi asthmatiques, singeant les compositions de James Horner, lequel avait déjà pas mal recyclé ses plus glorieuses mélodies sur le premier épisode de cette saga, devinant peut-être que le réalisateur se muait en une caricature de lui-même ; Sam Worthington, à son habitude, livre une « performance » brillante de gnou sous prozac, tout à fait reconnaissable malgré son grimage bleu : Le vide abyssal de son regard vous hantera toute la nuit, on touche l’infini en se perdant dans cette négation de l’intelligence ; les autres acteurs déclament les pires inepties dans un surjeu constant, couverts des plus beaux effets spéciaux du monde, enfin pas un de ses personnages ne mange, ne saigne, trahissant là leur véritable nature « d’avatar » en plastoc, détaché de la contingence biologique qui est le lot du vivant. Cette artificialité eût pu être une mise en abîme terrifiante, mais cela restera un éclair de lucidité de la part du ©Grand Jim dans cette océan de vacuité.

    C’est que, film grand public oblige, et avec toutes les sensibilités exacerbées de notre époque, il ne faut froisser personne. Effaçons donc ces manifestations organiques qui sont pourtant à la base de notre vie en communauté[3]. J’aimerais aussi profiter de cet inventaire pour gloser sur le flagrant délit d’anthropomorphisme éhonté qui implique les baleines à mâchoire trifide. Ce moment de cinéma en or massif a pulvérisé le seuil de mon incrédulité à Mach 6 dans un élan de ridicule auquel même les dessins animés les plus niés de l’Oncle Walt n’ont rien à envier.

    Quant à « l’inventivité » du monde de Pandora, si foutre six pattes à des chevaux et coller une collerette à des plésiosaures est un parangon de création, je pense que la plupart des écrivains de fantasy se retournent dans leurs tombes. Il n’appartient qu’à vous d’ouvrir un livre d’Ernst Haeckel pour découvrir la pauvreté cagneuse de cet univers en carton-pâte numérique. En vérité, ce truc – j’hésite à appeler ça un film – ressemble beaucoup aux productions Marvel. Alors, comme je l'ai dit plus haut, certes pas au niveau de la réalisation, mais dans son vide thématique abyssal, son manichéisme abject, ses péripéties toutes plus téléphonées les unes que les autres, l’idiotie crispante de ses personnages, l’on retrouve la même absence d’ambition, la même atonalité un poil méprisante pour son public.

    Et pour cause, c’est que ce « truc » ©Révolutionnaire coûte le PIB d’un pays en voie de développement. Il faut se rembourser ma petite dame ! Que les actionnaires en aient pour leurs thunes. C’est d’autant plus amusant, de manière métatextuelle, que le film se vautre comme un cochon dans un écologisme d’apparat, alors que dans sa fabrication, il se situe aux antipodes de ce qu’il prêche avec une suffisance qui confine à l’insulte caractérisée. Et c’est peut-être cette hypocrisie crasse qui m’a le plus ulcéré. Cette façon sordide de se draper dans sa morale, sûre de son bon droit, qui n’appartient qu’au bourgeois, transpire par toutes les puces électroniques de cette sinistre et trop longue merde.
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    [1] – plus malléables, n’ouvrant pas leurs gueules, qui s’en plaindra ? Sûrement pas les spectateurs habitués aux scripts pourris de chez Marvel.

    [2] – pour la bonne bouche, je citerai tout de même ces séquences ahurissantes ou les antagonistes ont TOUTES les cartes en main, les personnages dans leurs viseurs, mais laissent passer l’occasion parce que ça convient au réalisateur ! Du ©Génie !

    [3] – La plus simple des méthodes pour tisser des liens entre êtres humains consiste souvent à se réunir autour de gueuletons. Un élément que le film occulte, puisque pas un de ces personnages n’est incarné.

    dimanche 30 mai 2021

    Bibliothèque des Ombres : Pot-pourris de rééditions remarquables...

    Pas encore de de progrès sur les travaux en cours – et ce ne sera pas pour ce début de mois de Juin, mon emploi alimentaire devenant aussi abscons que surréaliste en ces temps d’ouragan sanitaire – mais ce sera pour bientôt. En attendant quelques petites chroniques sur des BD (re)découvertes qui bénéficient de rééditions bienvenues pour des classiques de cette importance. 

    J’attire également votre attention sur Kirihito d’Osamu Tezuka qui, avec son contexte de maladie émergente et ses intrigues politico-médicales, est une parfaite anticipation de ce que nous vivons...

     

     Kirihito / Osamu Tezuka

    Avant d’être mangaka, Osamu Tezuka a suivi un cursus médical et il a observé ce microcosme pour en tirer la matière de ses meilleures histoires, dont la série consacrée au chirurgien marron Black Jack, mais aussi ce terrible récit centré autour d’une maladie, la Monmô, qui déforme les os de ses hôtes, les métamorphosant en lycanthropes.

    Pour découvrir les causes de cette infection, le docteur Kirihito se rendra dans le village isolé d'Inugami-Sawa. À la clé de ce travail peut-être le couronnement de sa carrière universitaire. Mais la jalousie, la malveillance et les accointances politiques de ses collègues ne tarderont pas à l’enferrer dans une machination diabolique. D’autant plus qu’il contracte à son tour la maladie...

    Dans les années 1970, Tezuka abandonne son ton enfantin pour se jeter à corps perdu dans le gekiga (manga pour adultes) afin de concurrencer ses collègues. Un changement aussi drastique que réussi qui offre à ses lecteurs des histoires très sombres dans lesquelles machinations politiques, sexe et violence se mêlent en un tourbillon vertigineux. N’ayant rien à envier aux meilleurs thrillers modernes, ces récits demeurent toujours d’une inquiétante réalité.

    Dans Kirihito Tezuka nous alerte sur les conséquences désastreuses qui résultent de la collusion entre le monde politique et médical. À méditer en ces temps de pandémie...

     

    Anita Bomba intégrale 1 : Journal d'une emmerdeuse / Éric Gratien & Cromwell

    Dessinateur punk, œuvrant dans le domaine de la BD et celui de l’illustration, Cromwell possède un univers déglingué bien à lui dans lequel s’écharpent des personnages aux faciès burinés par les accidents de la vie. En particulier quand ceux-ci s’associent pour leurs plus grands malheurs à la fameuse Anita et à ses bombes artisanales.

    Cette intégrale vous propose de redécouvrir les aventures « No Futur » de cette héroïne à nulle autre pareille. Accompagnée par des compagnons hauts en couleur – un mentor au visage indiscernable et un robot victime d’un syndrome de personnalités multiples –, cette fine équipe se lancera sur la piste d’un trésor faramineux, poursuivi par « La Misère », un super-héros usant d’une horde de piranhas mécaniques pour appliquer sa propre justice.

    La verve d’Éric Gratien, le trait nerveux et la bichromie de Cromwell font des merveilles pour dépeindre cet univers cabossé aux confluences de plusieurs genres comme le western, la SF post-apocalyptique et le récit de casse. Ni hommage servile, ni pastiche, mais quelque part entre les deux, Anita Bomba est un titre unique, et son héroïne explosive en constitue un des atouts de cette aventure dont les tours et détours vous surprendront.

    Pas encore de de progrès sur les travaux en cours – et ce ne sera pas pour ce début de mois de Juin, mon emploi alimentaire devenant aussi abscons que surréaliste en ces temps d’ouragan sanitaire – mais ce sera pour bientôt. En attendant quelques petites chroniques sur des BD (re)découvertes qui bénéficient de rééditions bienvenues pour des classiques de cette importance. 

    Spice & Wolf / Isuna Hasekura & Keito Koume

    Lawrence Kraft, marchand itinérant, accueille dans sa carriole une squatteuse d’un genre très particulier en la personne d’Holo. Cette (jeune ?) fille possédant une queue et des oreilles de canidés n’est autre que la déesse des récoltes en personne.

    Vous êtes-vous demandé comment s’organisait le commerce durant le moyen-âge ? Ce manga va vous donner un début de réponse. Cette fantaisie sur fond de bouleversement religieux exploite un sujet inédit dans la littérature de fantasy, plus axée sur les guerres d’honneur et les rois que sur la réalité matérielle des vilains.

    Pour autant, le voyage de Lawrence et Holo n’est pas un pensum aride, et le caractère volontiers fantasque de la déesse déchue apporte une épice comique qui n’est pas désagréable. Le ton se pare parfois de pointe de mélancolie, de poésie, car le périple d’Holo n’est autre que la révérence d’une divinité séculaire qui abandonne le monde des hommes.

    Une œuvre attachante qui s’éloigne des figures classiques du genre pour donner une autre image du moyen-âge, bien plus proche de nos problématiques économiques que nous ne le supposions.

     

    Promethea / Alan Moore & J.H.Williams III

    Étudiante en littérature, Sophie Bang – qui habite une année 1999 fantasmée, avec super-héros de la science incluent en bonus – base sa thèse de fin d'étude sur Promethea, une héroïne qui ne cesse de poindre dans les récits. Présente dès le VIIIe siècle, elle se sublime dans les strips des journaux dominicaux, puis dans les pulps des années 30… Au fur et à mesure de ses recherches, Sophie est appelée à devenir l’incarnation de la prochaine Promethea

    Alan Moore nous offre ici une nouvelle vision, enluminée par le dessin hyperbolique de J.H.Williams III, qui se centre sur une figure mythologique féminine. Les nombreuses digressions du récit, qui paraissent d’abord superfétatoires ne sont là que pour soutenir le propos de l’écrivain qui s’avère, comme toujours, un vibrant hommage à l’imagination que Moore considère comme la véritable force cachée en l’homme.

    Car Promethea – déclinaison transparente de Prométhée – qui ne cesse de se transcender dans les récits, souvent mise en comparaison avec les fameux « héros de la science », n’est constituée que d’imaginaire et ne peut-être appelée qu’avec le verbe créateur. C’est donc à une véritable initiation occulte que nous invite l’auteur. Ce qui donnera parfois des chapitres touffus, mais néanmoins capitaux pour la compréhension de l’histoire.

    À travers Promethea, Alan Moore nous invite une fois de plus à prendre conscience que c’est l’imagination collective de l’humanité qui meut le monde. Parfois en bien. Trop souvent en mal.

     

    Fear Agent : omnibus / Rick Remender & Tony Moore

    Heath Huston est le dernier Fear Agent de l’univers : un terrien capable de supprimer tous les extra-terrestres malveillants existants. Bâti dans le granit de l’americana la plus pure, il engloutit des litres de whisky sans problème. Il sillonne l’espace dans sa fusée, cigare au bec, à la recherche de nouvelles missions.

    Prenant comme point de départ un hommage aux récits pulps testostéronés des années 20, le scénariste Rick Remender oblique très vite dans une orbite plus satyrique. Si les premières histoires dépeignent les opérations musclées d’Huston, l’armure d’airain de notre protagoniste se fragilise rapidement. Plus clodo de l’espace que héros, Heath Huston ne cesse de réparer son passé en effectuant des sauts temporels… qui ne font qu’aggraver la situation.

    Rejeton tardif du Cannon de Wallace Wood, Fear Agent montre comment un scénariste talentueux utilise un stéréotype usé jusqu’à la corde pour en altérer la perception que nous en avions. D’un récit de SF pétaradant qui n’a rien à envier à une célèbre franchise hollywoodienne, Remender oblique vers le portrait d’un homme hanté par ses remords et tenaillé par une dépendance morbide qui ne cesse de lui faire prendre les plus mauvaises décisions, aux plus mauvais moments. En dépit de tous ses ennemis hauts en couleur, Heath Huston est la pire Némésis d’Heath Huston.

    Un comics qui vaut mieux que n’importe quelle publicité de tempérance. 

    Tu t’es vu quand t’as bu ? Tu détruis l’univers. Littéralement !

    vendredi 30 octobre 2020

    Les Années Fléaux (d'après Norman Spinrad)

    Les récents événements m’invitant à penser que « Winter is Coming » et au pas de charge, j’en profite donc pour déterrer une vieillerie rester dans mes cartons. Cette BD en quatre planches a été réalisée en 2003, dans le cadre d’un atelier. Elle adapte de manière très infidèle l’excellente nouvelle Les Années Fléaux de l’auteur visionnaire – un peu trop à mon goût, pour être honnête – Norman Spinrad. Parce qu’au train où nous fonçons vers le mur, j’ai la sensation que nous nous préparons à un futur immédiat en forme de dysenterie. 

    Cliquez sur les images pour la lecture !

     

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    Postface :

    Nos Années Fléaux

    Ou quand la réalité rejoint la fiction...

    Les autorités aux manettes s’accommodent de jouer les pompiers pyromanes. Après tout, ne goûte-t-on pas à notre tour à la fameuse Stratégie du Choc théorisée par les Chicago Boys et déployée dans les pays du tiers-monde pour évincer les régimes un peu trop à gauche aux goûts de l'Oncle Sam ? C’est à notre tour de danser une tarentelle infinie, comme un Troupeau Aveugle, vers le ravin de nos illusions qui est juste là, devant vous !

    Nécron1er se fait Néron devant l’incendie de Rome et ne change rien à ses habitudes de pervers narcissique et toute l’Europe suit ce pâle ersatz de Patrick Bateman sous cocaïne avec un bel ensemble. Depuis Mars, ce n'est qu'une suite de mesures complètement ineptes, saupoudré d’un matraquage médiatique à même de briser les esprits les plus résistants. Impossible de passer outre cet égrégore terrifiant qui s’impose dans tous les cerveaux au quotidien. Aussi émergente soit-elle, cette maladie actuelle aurait nécessité, je ne sais pas, peut-être, par exemple, d’agrandir les capacités d’accueil des hôpitaux tout en revalorisant les métiers de la santé. Ou d’ouvrir ces foutus numerus clausus. Rien ne sera fait en six mois, avant la reprise des hostilités grippales. Vous êtes surpris par autant d’incompétence ? 

    Pas moi !

    Il est à craindre que les maigres bénéfices de mesures au mieux abracadabrantesques dont l’efficacité reste encore à démontrer n’aboutissent à la destruction rapide de toutes nos institutions et à un appauvrissement généralisé dont je me demande si, au final, il ne fera pas plus de dégâts que le virus en lui-même. Parce que, à ce train, on se précipite vers une crise économique d’une ampleur jamais connue et à côté de laquelle, celle de 1929 ressemblera à un conte de fées repeint par la palette sirupeuse de l’oncle Walt.

    Donc, je vous invite à lire le mode d’emploi du « monde de demain » que nous propose Norman Spinrad dans les Années Fléaux, entre paupérisation extrême, fléaux endémiques et remise au goût du jour du crimepensée cher à Orwell. Autant dire que je plains sincèrement les générations futures qui vont se coltiner un monde auprès duquel Mad Max fera figure d'aimable blague.

    Humanity Sentenced to Burn !

    dimanche 9 août 2020

    Le Cyberpunk n'est pas un programme d'Avenir !

    Cela faisait un moment que je n’avais pas pris le temps de composer un article pour la toile. Les actualités anxiogènes des derniers mois[1] ont quelque peu bousculé nos habitudes et m'ont amené à des réflexions auxquelles je souhaitais donner une forme structurée. Sous couvert de survoler un mouvement artistique que j'affectionne, ce texte sera libre comme l'oiseau ! C’est d’ailleurs l'ultime espace de liberté qui nous reste ! Je disserterai donc sur mes appétences littéraires, en tentant de fourrer mes observations dans le torrent de la culture science-fictionnelle. 

    Shadowrun par Larry Elmore

    1/Pourquoi j’ai aimé le Cyberpunk.

    Il y de cela des années, j’ai adoré le cyberpunk. Inclassable, mélangeant la SF la plus exigeante avec un brassage réjouissant de genres connexes. Tout cet attirail ne pouvait que faire sens devant mes yeux esbaudis de lecteur et de cinéphage adolescent. Pensez donc : le polar copulait avec l’espionnage industriel ; le futur apocalyptique, éclairé aux néons fluo de Mario Bava, n’en finissait pas de pourrir avec élégance ; Keanu Reeves remplaçait Humphrey Bogart dans une version du Faucon Maltais où le MacGuffin aurifère était substitué par une danseuse androgyne dopée aux nano-techs, le tout côtoyant des cyborgs, des corps rapiécés, en kit, remontés grâce aux opérations d'émules de Frankenstein chromés sous perfusion de nazisme. Une esthétique dantesque d’urbex mutagène, hanté par des créatures dont les identités en métamorphoses constantes questionnaient les limites de l’humanité.

    Tout devenait possible dans un cauchemar labyrinthique dont les dédales se démultipliaient dans les réseaux autoroutiers et informatiques. Putain ! Qu'est-ce que c’était diantrement cooool ! Surtout pour quelqu’un qui se droguait autant à la SF qu’à l’horreur. Parce que les meilleurs auteurs ayant œuvré au sein de cette déclinaison particulière de la SF n’oubliaient jamais l’épice de l’ultra-violence, n’hésitant jamais à verser le premier sang dans des éruptions gores impressionnantes. En même temps comment peut-il en être autrement quand les principales thématiques de ces récits fonctionnaient sur la fin de la frontière entre l'organique et le mécanique, sur la mutation constante de l'individu et la prédation capitaliste acharnée ? S’il y a un genre qui nous a avertis à de nombreuses reprises des écueils politiques et idéologiques que nous risquions de rencontrer dans un futur (trop) proche, c’est bien celui-là ! En phase avec ce qui nous attendait, les auteurs cyber – s’ils n’ont pas été des prophètes – ont néanmoins tirés toutes les sonnettes d’alarme.

    Mais je sens que vous n’êtes pas convaincu, n’est-ce pas ?

    Eh bien ! Nous allons détailler cela…

    Spider Jerusalem par Geoff Darrow
     2/Pourquoi je ne peux plus écrire de Cyberpunk!

    Dans mes débuts d'écrivain, j’avais rédigé une trilogie cyberpunk sur fond de lycanthropie. C’était naïf – j’étais jeune –, mais que dire, sinon que toutes mes obsessions étaient là, puisque le genre me parlait mieux que n'importe quel autre. Je n’ai jamais achevé ces trois romans qui m’ont pourtant pris plus d’une bonne décennie. Je ne les finirai jamais. La voix des personnages s'est tue depuis dans ma tête. Je peux dater cette dissolution aux alentours du 11 septembre 2001. Depuis ces attentats prophétiques, notre réalité me semble avoir basculé dans une mauvaise production fauchée aux allures de cyberpunk, sans pour autant en avoir la classe. Au lieu de Strange Day (Kathryn Bigelow), on se tape le remake dopé aux hormones CGI de Atomic Cyborg (Sergio Martino). Le manque de goût total.

    Qu’on en juge :

    Comme dans Tous à Zanzibar (John Brunner) – qui n’appartient que de manière connexe au genre, mais en a influencé l’esthétique avec ses conurbations tentaculaires. Et à l'image des phénomènes décrient dans le roman, ne sommes-nous pas confrontés à une pollution endémique allant de pair avec une surpopulation citadine. Les villes se muent en un cloaque pathogène d’où surgissent des exaltés explosant dans des attentats sanglants auxquels plus personne ne prête attention. Les événements, aussitôt arrivés sont noyés dans un flot constant d'actualités qui nous transforment en zombies possédant la capacité de concentration d'un poisson rouge atteint d'Alzheimer.

    Transmetropolitan (Warren Ellis & Darick Robertson) décrit une guerre informative tournant autour d'une campagne électorale outrancière impliquant des candidats grotesques et une web-télé dont toutes les émissions ne sont que des publicités abrutissantes que nos propres chaînes de télévision s’efforcent d’imiter avec de plus en plus de réussite. Dans cet antre du mensonge, le journaliste punk Spider Jérusalem – alter-ego du scénariste Warren Ellis – se démène pour trouver des pépites de vérité dans la boue, s’exposant à la vindicte des forces de police aux méthodes expéditives chapeautée par un président baptisé « le Sourire ». Ce VRP des multinationales mono-expressif possède une conscience politique inexistante et un bras prompt à écraser toutes formes de manifestation sociale. La richesse thématique de ce formidable comics au ton libre restera inégalée, et peux fournir une allégorie affutée aux temps que nous traversons. Nombre de sujets abordés s’appliquent à notre merveilleuse époque, par exemple l’émergence de notre grand commandeur, Nécron 1er. À cette exception près qu’ils nous manquent désespérément un salopard brillant comme Spider Jérusalem pour dévoiler cette fraude démocratique qui se sent pousser des ailes d'aigles depuis que nous nous sommes masqués…

    Et puisque je parle de fascisme, et de nazis donc, sautons à pieds joints dans la mare brune du point Godwin pour y patauger comme des porcs dans leurs auges, bienheureux et au chaud. Selon un des auteurs précurseurs du genre, le génial et paranoïaque Philip K. Dick, le nazis n’ont jamais disparu avec la fin de la guerre. Tels des garçons qui venaient du Brésil, les SS n’ont cessé de nous hanter, nous collant, rien qu’à leur ’évocation, une frousse de tous les diables : des boîtes de jeu vidéo chient sous elle dès qu'une simple swastika apparaît dans le coin droit de l’image. Elles s'autocensurent en répandant dans leurs gesticulations grotesques des gouttes de sueur âcres et huileuses. Les œuvres de Phil sont habitées par les spectres du troisième Reich, que ce soit dans l’uchronie Le Maître du Haut-Château, dans Simulacre ou même le très glauque et paranoïaque Substance Mort, ils sont là, entre les lignes. Alors bien sûr, tout cela pourrait prêter à sourire, mais… ce serait oublié que des multinationales[2], toujours prospères et affichant une vertu publique de bon aloi, ont collaboré sans vergogne pour la croix gammée sans que personne ne s’en émeuvent outre mesure aujourd'hui. Phil a raison : les nazis ont remporté la guerre idéologique. Ainsi les méthodes de management positiviste déployées par les entreprises allemandes ont-elles déteint dans les open-spaces des grandes corporations qui appliquent avec zèle les commandements d’un petit bureaucrate SS. Libre d’être enchaîné à son travail, dans un darwinisme social béat, le salarié contemporain n’a même plus les mots pour désigner son aliénation. Les glissements sémantiques permanents – dénoncés par Frank Lepage – qui s’opère sur la langue française, remplacent peu à peu par ce qu’on a malicieusement appelé « l’anglais des connards » nous empêche de nommer les choses, et donc d'en avoir la pleine conscience. Mix entre les méthodes managériales des nazis et celles décrites dans le visionnaire 1984 (Georges Orwell), notre réalité va plus que jamais ressembler à un grand lavage de cerveau collectif organisé par des bureaucrates anonymes et des éditocrates télévisuels crachant leurs venins à longueur d'éditos débiles. Attendez-vous dans les années qui viennent à voir la sécurité sociale démantelée à coups de campagnes visant à « responsabiliser » les malades – ce qui sous-entend que si ta santé vacille, c’est de ta faute ![3]

    Internet, la toile 2.0 est devenue un lieu de combat dont les étincelles mettent le feu à des existences autrefois tranquilles. Pour une simple phrase, une saillie d’humour un peu noir et vous pouvez du jour au lendemain vous retrouver à la rue, contaminée par une lèpre morale. Personne ne vous portera secours, car le châtiment de la foule avide de sang est implacable et contagieux.[4] Notre oueb 2.0 est parvenu à des sommets d'abominations que même William Gibson, le père fondateur de l’esthétique cyberpunk, a été incapable d’anticiper. Pourtant, ces conséquences délétères ont été cartographiées par certains auteurs. Bien sûr, le territoire est sans cesse mouvant, les spasmes sinusoïdales qui l’agitent mutagènes, mais de Vidéodrome (David Cronenberg) où l’homme fusionnait avec le monde « vidéo » – sous la dénomination duquel il faut dénicher une allégorie du web en devenir – en passant par le très « trash-metal » Les Synthérétiques de Pat Cadigan, sans omettre Sur l’onde de Choc de John Brunner (encore), ces fictions ont pressenti avec plus ou moins de justesse l’émergence du Réseau. Ces auteurs propulseront au rang de personnage charismatique le hackeur, cet être androgyne au QI de 383, nageant dans la mer de données de la « la Matrice » comme on l’appelait avant que les Wachowski ne s’approprient le terme comme des sagouins. Mais entre les Anonymous, les associations de tous poils décidées de réduire au silence la moindre voix dissidente, et les citoyens anonymes qui – faute d’avoir un vrai pouvoir politique![5] se déchargent de leurs frustrations sur d’autres pauvres types dans une explosion de bonnes consciences et de morales dégoulinantes… la figure héroïque du Hacker a pris une sacrée torgnole dans le museau ! On est plus proche d’un matin de gueule de bois, après avoir repeint sa chambre à la gerbe que du glamour hollywoodien, pour le moment.

    Et en parlant de politique, on ne passera pas sur les guerres qui éclatent partout où se trouvent les matières premières nécessaires au maintien de notre civilisation. Des théâtres des opérations marqués par l’irruption de drones-suicides, bombardant les « ennemis de la liberté », en tout bien, tout honneur. Une mécanisation des batailles qui courent dans toute la littérature cyberpunk, de même que le déplacement des conflits dans quelques pays éloignée de notre occident. Sans parler du basculement des pôles de pouvoir, le cyber ayant depuis longtemps prophétisés l’essoufflement de l’Europe et des USA au bénéfice de l’axe asiatique, Chine et Japon en tête des favoris pour la domination mondiale. De William Gibson, en passant par Cablé + de Walter Jon Williams au jeu de rôle bien délirant Shadowrun, il semble que cette projection ne fut pas sans quelques justesses. Mais on pourrait aussi digresser sur l’affaiblissement des États-nations aux profits des multinationales, déroulant ainsi le tapis rouge pour une société cauchemardesque où toutes les idéologies auront été brisées sur l’autel d’un darwinisme social effréné, pur. Une abomination que même Ayn Rand n’eût pas fantasmée dans ses pires visions. Une monde fait de VRP multicartes au visage lisse de banquier d’affaires, à l’image du cyborg modèle « Terminator idéologique » qui hante les couloirs de l’Élysée, sans même parler de la belle bande de mutants hystérisés qui l'accompagnent. Une parfaite secte se donnant tout entière aux Dieux Profit, n’hésitant jamais à marcher sur l’échine et les cadavres de leurs administrés au pas de l’oie. Qu’importe les sacrifices ! Il faut que les Actionnaires, les Hérauts de cette religion, puissent faire bombances dans leurs coffres opulents, situés quelque part, dans les îles Caïmans.

    Keith Parkinson : Ambush
    3/Le Cyberpunk n’est pas un programme d’avenir…

    Je pourrais disserter pendant des pages et des pages sur le cyberpunk, en reprenant par exemple le concept du réseau qui a été exploité de manière allégorique par J.G.Ballard dans l’Île de Béton, ou des jonctions entre le cinéma gore et le cyberpunk, celui-ci célébrant les noces de la chair et de l’acier – ce qu’a exalté David Cronenberg dans des films comme Scanners ou Crash (adapté de l'excellent roman de Ballard, tout se recoupe…) —, de l’apport de Keanu Reeves qui est devenu LE visage du cyberpunk — au point de se retrouver dans le jeu vidéo adapté du jeu de rôle éponyme. Sachant que les deux cultures ludiques se sont mutuellement phagocytées, l’on savourera toute l’ironie de l’histoire, et pas mal d’autres choses encore... Reste que ce très court texte n’avait pas pour ambition de disséquer un sous-genre de la SF passionnant, mais plutôt de montrer en quoi celui-ci avait été un formidable laboratoire de prévisions futuristes qui se sont, hélas, avérées assez juste, à quelques détails dramaturgiques près... Car les auteurs se doivent de ménager le spectacle pour fasciner son audience, n’est-ce pas ? Et si je vous encourage à compulser les ouvrages ou les films sus-cités, ce n’est bien évident pas en tant que tables de la loi, mais plutôt comme une piste de réflexion et également pour s'extraire du temps éternel dans lequel les rézosocio nous maintiennent.

    Pour ma part, il m’est très délicat d’écrire du cyberpunk à notre époque. D'une part, le genre exige une culture scientifique et technique très poussée – bon OK ! dans le cas de Shadowrun, on va dire que nous en sommes à du bon vieux techno bla-bla basique –, mais aussi parce que l’effort que cela me demanderait ne pourra jamais être à la hauteur de l’absurdité complexe du monde dans lequel nous voguons. D’autre part, comme mes commentaires acides plus hauts l’indiquent, le réel ne me permet même plus de m’amuser avec certains concepts, tant ceux-ci ont été dévoyés par la médiocrité de nos contemporains. Et c’est la pire chose qui puisse arriver à une idée. Aussi je laisse volontiers les oripeaux du genre derrière moi, en espérant que d’autres pourront en maintenir la flamme, mais si je crains que celle-ci ne se soit asphyxiée par les vapeurs de méthane de notre smog de pollution.

    ________________________________________________

    [1] – Non que je veuille minimiser l’épisode de la bière mexicaine, mais il va bien falloir s’avouer que l’action des médias a été pire, que celle de notre gouvernement d’androïdes à la programmation cognitive défaillante. Pour flamber le propane de la panique, il y a foultitudes de candidats, l’allumette dans les pognes. Pour éteindre l’incendie en revanche, il n’y a plus personne. Tant que ça fait vendre du papier et du temps de cerveau disponible, l'information sera toujours traitée de manière indigne et cynique. Peu leurs chauds que des vies soient en jeu…

    [2] – On a les offuscations que l’on peut, à la hauteur de notre culture car il faut quand même se souvenir que tous ces gens qui ploie le genou devant le progressisme 2.0 ont pactisé avec l’Allemagne conquérante et ces alliés, sans pour autant être tondus à la libération, à l’inverse de milliers d’innocentes humiliées publiquement. IVM créera les premiers ordinateurs pour le comptage des prisonniers des camps de la mort ; Lolac-Cloac poussera la cynisme jusqu’à inventer Fantac, une boisson pour les nations de l’Axe ; Hugo Foss a dessiné les uniformes des SS, etc… L’argent n’a pas d’odeur, ni d’idéologies, ni de morale. Et si ces compagnies affichent actuellement une allégeance de façade à des mouvements humanistes, souvenez-vous, toujours, que cela n’est que gesticulations vulgaires et hypocrisie bourgeoise à son maximum. Une corporation ne connaît que le darwinisme social comme valeur cardinale.

    [3] – Anecdotes amusantes : dans mon deuxième roman : ExXode (qui est empreint de mon bouillonnement adolescent, et donc illisible), j’avais tout de même prévu que l’âge de la retraite serait remonté à 80 ans. L’avenir dira si j’avais raison…

    [4] – A ce sujet l’essai de Jon Ronson : La Honte ! révèle les horreurs de ce que l’on a appelé : la Cancel Culture (la culture de l’interdiction dans la langue de Molière) dont les rouages ressemblent à tous les phénomènes de Bouc Émissaire (les plus courageux peuvent se plonger dans La Violence et le Sacré de René Girard pour saisir la dynamique de ce fait social). Grosso-modo, ce phénomène implique que la personne « Interdite » est privée de tous ses droits. Elle n’est plus considérée comme un humain à part entière, mais comme une chose que l’on peut détruire à volonté, tout cela sous le voile d’agir « pour le Bien ». C’est le même schéma mentale que ceux qui meuvent les tueurs en série ou les purges ethniques. Je ne vois là-dedans nul bien, mais une profonde perversion de l’esprit humain.

    [5] – On ne va pas se mentir : changer de président tous les cinq ans pour n’avoir que la continuation de la même mauvaise comédie, c’est à ça qu’on reconnait une bonne vieille république bananière.

    mardi 14 avril 2020

    Bibliothèque des Ombres : carnet de lecture 02 : Mangas, BD & adaptations Lovecraftiennes

    Deuxième fournée d’œuvres en vrac, plus orientée sur la bande-dessinée. Des chefs-d’œuvres et d'autres titres un peu plus anecdotiques, mais qui toutes présentent ce que je cherche en priorité dans n'importe quelle fiction : des choix esthétiques forts et assumés jusqu'au bout. En vous souhaitant une bonne découverte.


    Beastars/Paru Itagaki; Ki-Oon
    Marginal dans nos contrées, le genre de l’anthropomorphisme demeure pourtant le support idéal des fables, le plus à même d’explorer nos failles humaines par le biaise de la métaphore.

    Témoin ce manga qui, sous couvert d’un prétexte classique : l’on y suit les pérégrinations d’un groupe d’adolescents appartenant aux lycées de Cherryton mêlant de manière mixte les herbivores et les carnivores disserte sur la morale et l'éthique. Car c’est dans le contexte placide de la vie scolaire bien rythmée qu’intervient un meurtre atroce.

    Loup gris plutôt marginal, Legoshi décide de mener l’enquête, ce qui va l’entraîner dans le labyrinthe des faux-semblants et l’obliger à faire face à sa propre nature de prédateur.

    Avec une narration fluide, l’auteur nous emmène dans un écheveau d’intrigues complexes, intriquées les unes dans les autres. Elle se sert de la liberté qui lui procure le genre animalier pour conduire son récit sur des rivages très sombres, n'hésitant jamais à saupoudrer certaines scènes d'un soupçon d'épouvante très efficace.

    Du divertissement de grande classe donc, qui allie l’intelligence de son propos à une réalisation brillante. Probablement un des meilleurs mangas de l’année. 


    Grateful Dead/Masato Hisa; Casterman

    Chine, fin du XIXe, début du XXe, Ko-Lin est une prostituée qui se métamorphose sur l'ordre d’un maître Taoïste en une redoutable combattante capable d’en remontrer au Jiang-Shi, des créatures mortes vivantes voisines de nos vampires.

    Première série de Misato Hisa (Jabberwocky), ces deux albums établissent déjà la maîtrise de l’auteur sur son travail du noir et blanc atypique dans le manga et sa prédilection pour les univers fantastiques mêlant pléthore d’influences. En plus des Jiang-Shi nos héros se frotteront également à d’anciennes terreurs du Far West ou à des insectes intelligents.

    Une œuvre empreinte d’un esprit très « série B » mais qui cache sous ses côtés décousus une aisance esthétique et narrative admirable.

    Sans prétention, mais néanmoins avec une vraie envie d’exposer son amour de tout un pan de la culture cinématographique et littéraire populaire dans toute sa démesure, Misato Hisa conçoit chacune de ses aventures comme des incroyables melting-pots où les idées les plus farfelues acquièrent une réelle densité.

    Les Mythes de Cthulhu/Alberto Breccia, H.P. Lovecraft; Rackham

    La rencontre de deux maîtres ! Pendant cinq ans, l’artiste argentin s’échinera à matérialiser les cauchemars de Lovecraft en BD. Un exercice d’adaptation beaucoup plus ardue qu’il ne le paraît au premier abord. Car si la langue de Lovecraft suscite des images stupéfiantes dans l’imaginaire du lecteur, il est beaucoup plus difficultueux de leur faire franchir la barrière graphique. Décrire n'est pas montrer...

    Breccia va donc amener le médium de la BD dans ses derniers retranchements, usant de toutes les techniques à sa disposition pour rendre hommage aux maîtres de Providence : crayons, photographies retravaillées, collages… Les planches sont martyrisées par la plume, le pinceau et les multiples couches de lavis pour rendre au mieux les envolées hyperboliques de l’écrivain.

    Et cela marche ! Il se dégage des dessins de Breccia une atmosphère glauque, une noirceur à couper au couteau. Les créatures tentaculaires de Lovecraft, noyées dans la brume d’un sfumato d’encre de chine, à la fois immenses et indiscernables, retrouvent cette aura de terreur que leurs confère le floue des adjectifs et des qualificatifs de l'écrivain.

    S’aidant d’extrait direct du texte de Lovecraft, l’œuvre adaptative de Breccia réussit son pari de respecter l’esprit des écrits, conservant l'ambiance si particulière des nouvelles, tout en leur donnant une forme originale ou toutes les techniques de la BD noir et blanc sont mises au service du récit.

    Du grand art !

    #NouveauContact/Bruno Duhamel; Bamboo
    Habitant des Highlands, Doug est un marginal qui aime photographier son environnement et partager ses clichés sur les réseaux-socios. Jusqu’au jour où il tire le portrait d’un monstre qui barbote dans le lac. C'est à cet instant que sa vie tranquille bascule dans le chaos…

    Ce récit est que le point de départ d’une satire à l’acide de notre époque et de tous ses épiphénomènes sociaux. Grâce à une narration simple et sans fioriture, Duhamel parvient à rendre compte du pathétique des polémiques à rallonges qui agitent les réseaux.

    Militants de tous bords se retrouvent mis dos à dos dans cette histoire qui nous invite à prendre du recul sur nos harangues énervées, (volontairement ?) amplifiées par l'architecture des réseaux sociaux qui facilitent les prises de position extrêmes, l’immédiateté entraînant la surdité et la stupidité. À ce titre, ce n’est pas anodin que l’auteur s’échine à épingler l’Oiseau-Bleu, caisse de résonance par excellence des mauvaises nouvelles.

    Une bonne BD donc, divertissante, et qui a le grand mérite de nous tendre un miroir déformant.
     


    Les Montagnes Hallucinées/Gou Tanabe; Ki-Oon

    Déjà auteur de mangas d’horreur, Tanabe, à la suite de Breccia, relève le défi d’adapter les récits de H.P.Lovecraft. Nouvelle longue et complexe, les Montagnes... ne se prêtent guère à l'exercice tant elle condense toutes les particularités difficultueuses du maître de Providence et il eût été à craindre que le trait trop précis de Tanabe ne le desserve.

    Mais le mangaka connaît ses limites. Astucieux, il va détourner son style limpide pour représenter l'indicible. S’il commence pianissimo, les trois quarts de l’histoire narrant l’exploration polaire par le menu, il bifurque ensuite dans le second volume lorsque les créatures antédiluviennes rentrent en scène. C’est là que l’auteur met toute sa technique de dessin au service de l'emphase de son récit.

    S’inspirant des peintures naturalistes d’Ernst Haeckel, il noie les planches dans une abondance de détails qui finissent par avoir un effet hallucinatoire sur le lecteur, similaire aux enfilades d’adjectifs et de qualificatifs dont raffole Lovecraft lors de ses plus belles envolées lyriques.

    Ici encore le noir et blanc démontre que, derrière son apparente simplicité, une capacité a traité les sujets les plus délicats. Un travail de maître.

    Chronique de l’ère Xénozoïque : l’intégrale/Mark Schultz; Akileos

    Perfectionniste, c’est un terme qui colle à l’illustrateur Mark Schultz qui dépeint dans cette unique BD un monde post-apocalyptique peuplé de dinosaures et dans lesquels les survivants tentent de retrouver, à leurs risques et périls, les techniques que leurs ancêtres (c'est à dire nous...) ont laissés derrière eux.

    En dépit de son emballage très décontracté et dont les thèmes sont à même de faire piaffer d'anticipation les amateurs de série Z, Xénozoïque possède un réel propos et l’aventure, si elle est toujours présente, converge vers un objectif : traiter de l’écologie.

    Aussi fantasque soit l'univers décrit par le trait et le découpage élégant de Schultz, la découverte de celui-ci nous entraîne dans une éthologie imaginaire dans laquelle les terribles sauriens – de retour en cette époque futuriste – ont leurs rôles à jouer dans un environnement devenu hostile à l’homme.

    Hélas pour nous, Mark Schultz n’est jamais parvenu à concocter une conclusion satisfaisante à son œuvre, l’achevant sur un ultime rebondissement qui demeurera une porte ouverte sur une suite fantasmée par le lecteur.

    Ce qui n’est pas une raison pour se priver d’un excellent ouvrage, divertissant et plus complexe que son concept de départ ne le laisse supposer.
     

    mercredi 20 mars 2019

    Prix Rosny aîné 2019

    Une de mes nouvelles, Dieu, publiée dans l’anthologie Calling Cthulhu vol.3 dirigée par Nicolas Pagès & anciennement éditée par l'Ivre-Book s’est retrouvée en lice pour le prix Rosny 2019. Vous pouvez donc voter pour elle, si elle vous a plu ! Je ne m’attendais pas à ce que l’on m’inscrive à ce type de concours et c’est une vraie première en ce qui me concerne.
     
    Cliquez sur la couverture pour trouver le site du concours. Les auteurs sont classés par ordre alphabétique, il faut donc chercher mon nom de famille (Gernier) plutôt que le titre de la nouvelle.

    https://www.noosfere.org/rosny/default.asp

    mercredi 20 février 2019

    Bibliothèque des Ombres : T.Rex superstar : l’irrésistible ascension du roi des dinosaures/Jean le Lœuf


    Belin : éditions, 2016.
    238 p.
    Illustré en NB.

    Après le PaléoArt, je continue ma descente dans les âges avec ce petit ouvrage sur un sujet somme toute assez similaire puisque l’auteur s’est emparé de la figure ô combien iconique du tyrannosaure pour disséquer le rapport à ce lointain passé.

    Mené avec faconde, l’exposé se montre très plaisant à lire. Les multiples extraits d’œuvres littéraires dynamisent le propos sur l'évolution de la perception de ses grosses bêtes depuis que nous avons commencé à les analyser de manière systématique, il y a une bonne centaine d’années. Reflet de notre façon d’appréhender le monde, les fossiles ne sont pas épargnés par la symbolique et la mystique fluctuante qui hantent nos cervelles de primates. Les rapports que nous entretenons avec ces reliques se teintent de fantasmes, de méprises et de mépris. Les images mentales que nous tissons à leurs sujets se nourrissent de notre anthropocentrisme égocentrique.

    Les grandes religions monothéistes ont influencé nos premiers contacts avec ces spectres du passé, et il en a découlé moult erreurs tant taxinomiques que logiques. Car nous autres, homo sapiens aimés d'un très hypothétique Dieu, nous ne pouvons être que la quintessence de la « création divine » ! Or rien n’est plus faux ! Les récentes découvertes dépeignent l'animal comme une créature homéotherme, aussi évolué dans sa conformation que nous le sommes[1]. Une notion qui s’oppose aux vieux clichés du XIXe siècle pour lequel le dinosaure ne peut-être qu’un saurien pataud et débile barbotant à une vitesse d'escargot neurasthénique dans son limon originel.
    Les dinos de Crystal Palace
    Cette conceptualisation du lézard antédiluvien nous a valu d’étonnantes représentations comme les monstres du Crystal Palace et elle a essaimé dans la littérature populaire. De Sir Arthur Conan Doyle en passant par Edgar Rice Burrough, les auteurs de SFFF ont souvent donné dans le reptile géant assoiffé de sang. Si le tyrannosaure n’a pas encore pointé le bout de son museau camus, le mégalosaure et l’iguanodon s'affrontent déjà dans des pugilats dantesques.

    Avant Jurassic Parc dont il est un des personnages les plus importants – quoiqu’il n’ait jamais posé une seule griffe dans la période jurassique – notre vedette en devenir doit sa notoriété à un certain Henry Fairfield Brown, jupitérien président de l’American Museum de New York. Une trouvaille et une description à la signature âprement disputée permettront à Brown d'exploiter sa découverte dont l’aura va être amplifiée par l’artiste Charles R. Knight puis par le King-Kong (1933) de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, film qui bénéficiera des conseils et croquis de Knight… Le monde est petit...

    La France de son côté est largement en retard sur la « dinoploitation » et le restera encore en notre bon XXIe siècle : visiter la galerie de l’évolution du Jardin des Plantes s’avère être un crève-cœur aujourd’hui. Peintures défraichies, spécimens abîmés ou attaqués par des mousses suspectes et seau posé à même le sol pour recueillir l’eau qui suinte du plafond vétuste vous offriront un spectacle lamentable. [2]

    Une scène typique par Charles R. Knight
    L’ouvrage continue sur une section « Rexipédia » où vous connaîtrez à peu près tout sur le T. Rex. De son régime alimentaire en passant par sa robe – avec ou sans plumes ? –, mais aussi ses pathologies. Une étude passionnante qui revient sur quelques décennies de recherches. Une manière de reconstruire l’image mentale de la bestiole conditionnée par des fictions hollywoodiennes manquant de rigueurs.

    On termine par un état des lieux de la paléontologie qui n’est pas épargnée par les malversations d’ordres financières et la popularité pharaonique du plus grand prédateur préhistorique a entraîné un trafic d’ossements hallucinant qui échappe ainsi aux scientifiques pour servir de table à manger à quelques richissimes excentriques.

    En épilogue, l’auteur revient sur la production littéraire qui a entouré l’ancien cousin de T.Rex, le mégalosaure. Détrôné par le roi des tyrans, le prédateur a une longue histoire fictionnelle qui débute en 1824. Manière de saluer une vedette finissante qui a rejoint le boulevard du crépuscule. Plus en veine avec les Français que le Tyrannosaure, le Mégalosaure a eu l’insigne honneur d’être dépeint sous les plumes de Maurice Renard… [3]

    ____________________________________________________________

    [1] – Nous n’avons pas vraiment de quoi pavoiser quand on voit tous les dysfonctionnements de nos frêles organismes.

    [2] — « Mais c’est la crise ! » Nous dit-on... Et il est certains qu’à choisir entre entretenir un patrimoine encombrant d’os ou donner quelques milliards à de riches industriels en espérant que les biffetons ruissellent ensuite sur le petit peuple aux yeux mouillés de reconnaissance, puis sur les institutions publiques, le choix est vite fait. N’est-ce pas ?

    [3] – La BD franco-belge en revanche a souvent usé des « terribles sauriens » pour s’attirer la sympathie des tits’ gnianfants. Bob Morane s’est frotté au T.Rex et à des hordes de Deinonychus aux attributs de mutants radioactifs. Les flegmatiques Blake et Mortimer de Edgar P. Jacobs ont voyagé dans le temps à moult reprises avant d’être mis dans le formol d’albums répétant ad nauseam les anachronismes stylistiques datant des années cinquante. Enfin, Franquin nous a offert la plus sympathique histoire du genre avec un sympathique Plateosaure sorti du Trias par le comte de Champignac dans Le Voyageur du Mésozoïque.

    mardi 8 janvier 2019

    Cinoche P comme Pourri (?) : Alita : Battle Angel (Robert Rodriguez & James Cameron, 2019)

    AVERTISSEMENT : Ceci n’est qu’un avis que vous n’êtes en aucune manière obligé de partager. Mon humble but ici est de proposer une lecture de mon ressenti. Si d’aventure vous vous sentez l’âme d’un justicier en déposant une pêche dans la section des commentaires, sachez que cela ne me fera pas changer d’avis et que vous perdrez votre temps. En vous remerciant pour votre compréhension… 

    Toutes les images appartiennent à leurs créateurs et je ne les ai mises ici qu'à titre d'exemple pour appuyer ma démonstration., Je vous encourage d'ailleurs à découvrir le manga d'origine, dans sa première traduction, bien plus brut de décoffrage.

    Clinquant & brillant : tout ce qu'il ne faut pas faire...


    Allez, je vais faire un peu de publicité ! C’était si gentiment demandé.

    L’invitation était imprévue, mais comme j’ai apprécié le manga Gunnm de Yukito Kishiro lors de sa première sortie en livre – ce qui ne me rajeunit pas – et que ma compagne m’avait alléché par une bouffe aux frais de la princesse, pourquoi pas ?

    Et nous voilà, traversant une ville sous un ciel si bas que les canards se sont pendus pour être accueillis par une charmante hôtesse du multiplexe locale qui en a profité pour nous donner quelques objets promotionnels aussi esthétiques que vains. Mention spéciale à la pseudo main de Fatima couverte de slogans pour têtes blondes prépubères en pleine crise de dermatite séborrhéique dont je n’ai absolument pas pané le rapport avec le film, mais passons.

    La petite collation fut fort sympathique et elle méritait à elle seule le déplacement. L’équipe du multiplexe a été aux petits soins pour nous – après tout, n’étions-nous pas les agents publicitaires les moins bien payés du monde – et entre ceci et les coupes de mousseux distribués avec une largesse étourdissante, nous avons vite fini la soirée dans un état second. À un tel point que j’ai presque oublié les quelques échantillons que nous avons visionnés, car la félicité digestive était un soulagement par rapport aux douloureuses minutes que nous nous sommes vues infligées.

    Passé une séance d’auto congratulations énamourées toutes hollywoodiennes entre le producteur et son réalisateur, nous eûmes droit à quelques séquences introduites par des cartons indiquant les enjeux principaux. Et...

    Il est indispensable ici de séparer le bon grain – trop rare – de l’ivraie – fourni avec une prodigalité foisonnante – par ces morceaux disparates de métrage.

    Dans la catégorie des choses appréciables, on retiendra :

    Christopher Waltz bouffe l’écran et éclipse ses petits camarades. C’est le type d’acteur qui peut sauver le pire des infects nanars par sa présence charismatique et le velouté de sa diction parfaite.

    — Les « grands yeux » de l’héroïne éponyme passent crème et sont justifiés par son origine aussi martienne qu’antique. La fameuse Vallée dérangeante trouve donc toute son application dans le cadre de la fiction et renforce la singularité synthétique du personnage. C’est un choix esthétique qui peut surprendre, mais qui se défend plutôt bien. Le mélange bâtard entre l’animation par ordinateur et la prise de vue directe eût pu être une excellente idée, en parfait accord avec un récit dans lequel la chair et le métal s’épousent en d’orgiaques monstruosités.

    Toutefois, il m’est impossible de juge de la consistance du scénario avec ces quelques morceaux. Tout au plus puis-je déduire que des choix ont été faits dans la trame du manga et qu’ils ne me paraissent ni pires, ni meilleurs que d’autres. Les deux cinéastes ont compris qu’adapter c’était trahir et que les deux œuvres mèneront des existences différentes et pourront s’enrichir l’une l’autre.

    Ajoutons, pour rendre à César ce qui appartient à César, que ce caméléon stylistique de Robert Rodriguez a adopté une mise en scène à la « James Cameron », tant l’influence de l’un se ressent sur l’autre.

    Ce n’en est que plus bénéfique pour le résultat final puisque les tics les plus exaspérants d’un réalisateur à la carrière en dents de scie sont largement atténués. Les quelques moments d’action regorgent d’idées visuelles sympathiques – j’ai un faible pour la cyborg équipée de bras évoquant les pinces des mantes religieuses et sa façon de bouger calquée sur celle de l’insecte, c’est bien vu et original – et ne manquent pas de rythme. En dehors du redondant ralenti pour iconiser le personnage principal, c’est vif et énergique. Là-dessus je ne peux que tirer mon chapeau. Le dynamisme des planches de Yukito Kishiro a bien été synthétisé pour le grand écran.

    Pour le reste…
    Arf…
    Le Cyberpunk en 2018…

    Je vais juste m’attacher à l’esthétique du film, à ce que son langage me dit de la compréhension qu’il a eue de ce courant de la science-fiction que j’affectionne particulièrement puisque ces thématiques entrent souvent en résonance avec mes propres préoccupations. Et tel qu’il est présenté pour le moment, le film n'en retient pas grand-chose.

    La relief, gadget marketing s’il en est, était-elle nécessaire ? Et puis cette photographie clinquante, clinique, à l’opposé de ce qu’on attend d’un métrage dont le sujet est, faut-il le rappeler, les aventures d’une cyborg qui se bat dans un endroit qui se nomme LA DÉCHARGE, sous l’ombre d’une citée suspendu dans l’espace qui y déverse ses innombrables déchets.

    Des junkies se cachent dans cette image, seras-tu les trouver ?

    Tiens, puisqu’on en parle, le lumpenprolétariat qui se tasse sous la férule dictatoriale de Zalem est le plus souvent constitué d’êtres crasseux, malades, ou reconstruis avec des pièces cybernétiques parfois bricolées. De pauvres hères qui se défoncent en permanence pour fuir une névralgie quotidienne entre deux greffes indispensables à leurs survies. Les chirurgiens sont souvent des charlatans, obligeant ceux qui ne peuvent pas payer à pratiquer le vol d’organes ou de moelle épinière. Et quand on est trop impécunieux pour s’offrir une dose, on absorbe la drogue par décapsulage express de la boîte crânienne. En résumé cet univers est un enfer glacial peuplé de monstres où se rassemblent les pires tares de l’espèce humaine… On est assez loin des minets à gueule de gravure de mode qui hantent les quelques minutes que j’ai pu visionner.

    Vous pourriez penser que je chipote, mais un choix esthétique, même insignifiant en apparence, génère un message. Et avoir remplacé la population de la DÉCHARGE par une cohorte d’adolescents sortant d’une énième saga de « Young Littérature » lambda en dit beaucoup sur la non-compréhension des thématiques du manga et plus largement du genre cyberpunk. Ce qui constitue un paradoxe cocasse, puisque c’est James Cameron qui aura donné ses plus beaux cauchemars pelliculés à ce style avec son Terminator[1]…

    Car outre la quête du héros ma foi assez classique dans laquelle à l’air de s’inscrire la trame principale du scénario, les enjeux de Gunnm se concentrent sur la question du rapport au corps et de son influence sur notre esprit. En cela le cyberpunk côtoie souvent le body-horror avec ses abominations cancéreuses et sa chair martyrisée. Et des monstruosités, il y en a dans les aventures de Gal… euh… Alita : de la cervelle étalée sur le bitume en passant par des transformations immondes et de pures visions d’horreur malsaine. Un éventail de terreurs intimes qui — derrière le lustre des combats d’arts martiaux — sert le propos du récit avec une admirable intelligence et le distingue sans effort de ces voisins de palier.


    Une scène du manga qui m'aura bien marqué...

    Pour le dire autrement : pour être fidèle à l’esprit de l’œuvre de Yukito Kishiro et en extraire la substantifique moelle, il eût fallu salir tout ce qui est présent à l’écran. Les acteurs auraient dû avoir des trognes sortant tout droit d’un tableau de Bosch, des maladies de peau à vous donner envie de vous gratter jusqu’au sang, des prothèses rouillées... Nous aurions dû voir des junkies agoniser dans d’interminables apoplexies dans les caniveaux boueux de la DÉCHARGE. Eussent-ils été attachés à leurs sujets, les auteurs auraient adopté une esthétique gore, à la limite de la complaisance putassière. Pourquoi ? Car la chair meut en sous-texte le récit et impose sans cesse sa loi paradoxale.

    Mais voilà, mettre sur pieds un film implique de se frotter à des financiers, et même si j’imagine que le producteur n’a pas de souci de portefeuille, il faut s’assurer un retour sur investissement, donc fabriquer une marchandise soigneusement calibrée, qui rentre dans les cadres étroits de la mode cinématographique contemporaine pour attirer un chaland de moins en moins enclin à payer son écu en ces temps de crise. Du coup on aseptise, on repeint, on colmate… On réduit la valeur d’une œuvre séminale à un ersatz rabougri par l’idée que l’on se fait du goût de la foule.

    Exit donc les gueules cassées, l’ultra-violence décomplexée et les visions d’horreur et place à un ripolinage en règle. On ravale la façade, cachez-moi ses disgracieuses verrues que je ne saurai voir ! Et comme cet état d’esprit contrevient aux grandes interrogations qui irriguent la saga d’origine, je crains que ce film ne soit qu’un ratage de plus dans la longue liste des pellicules clinquantes dont ne cesse de nous abreuver l’usine à rêves ces dernières années.

    Personnellement, je souhaiterais un doigt de cauchemar, surtout lorsque ceux-ci sont pétris de questionnements philosophiques. Parfois un bon choc esthétique, ça ouvre les yeux !

    Oh ! Le spectacle est sûrement au rendez-vous, certes ! La réalisation soignée fait bien son boulot. C’est beau. C’est un peu le problème… Derrière l’emballage très cliquant, ce qui se laisse deviner ne parvient pas à dépasser le stade du scénario hollywoodien lambda avec sa quête hérité de Joseph Campbell, son histoire d’amour niaise – un tic de James Cameron depuis son célèbre naufrage de trois heures – et son héroïne combative, très à la mode parce que : allô, on est en 2018 (bientôt 19) [2], quoi ! Outre les oripeaux arrachés au cadavre du cyberpunk, rien ici ne correspond à une œuvre qui prend à bras le corps ses sujets adultes.

    De quelques manières dont on l’aborde, le cyberpunk, comme tout autre thème de l’imaginaire ne supporte pas la demi-mesure, les approches tièdes. Il faut plonger ses mimines créatives dans la poésie du macabre, quitte à sacrifier au passage une audience grand public qui, de toute façon et contrairement aux calculs cyniques de studios, ne se déplacera pas pour ce type de spectacle.

    Si vous êtes en manque de cyberpunk, vous devez chercher des productions moins fournies en billets verts dématérialisés, mais dont les esthétiques ne rentrent pas en contradiction avec le sujet qu'elles illustrent. Car si le film de Rodriguez s’emploie à être très « cyber », je constate avec amertume son déficit de « punks », pourtant légion dans le manga.

    Prenez donc le temps de faire un tour chez le chef-d’œuvre de Popaul Verhoeven : RoboCop (1987) dont ni le propos politique, ni les questionnements sur la survivance de l’identité dans un corps étranger n’ont jamais été aussi bien traités, le tout à travers une violence exacerbée, point d'orgue d'un chemin de croix électronique d'un représentant exemplaire du cyberpunk.

    Confrontez-vous au Tetsuo (Shin'ya Tsukamoto ,1998) dont la brutalité et le tournage sans le sou donnent tout son sens au mot « punk ». Un film d’ailleurs adoubé par le fer de lance du genre : William Gibson.

    Enfin, n’oublions pas le crépusculaire Hardware (Richard Stanley,1990) et son robot meurtrier qui se nourrit de son environnement ou encore le dépressif Passé Virtuel (Josef Rusnak, 1999) et son exploration glaçante des terres numériques ou le très récent Logan (James Mangold, 2017), western futuriste poisseux illustrant la déréliction des mythes américains…

    Et des titres comme ça on pourrait en citer par paquet de douze, ne serait-ce que la carrière de David Cronenberg qui a tourné durant toute une époque autour de l’idée du mariage entre la chair et l’acier… Des pellicules exceptionnelles, dans lesquelles l’absence de moyen se transforme en force esthétique mise au service d'un récit, d'une métaphore ou juste d'un coup de boule dans ta chetron.

    Et je ne parle même de la pelleté de films japonais qui utilisent le cyberpunk à la perfection, oscillant de la perfection d’un Ghost in the Shell (Mamoru Oshii, 1995) à l’agressivité hystérique et fauchée d’un Pinocchio 964 (Shozin Fukui, 1991).

    Que l’on soit simple curieux ou cinéphile, il y a largement de quoi faire plutôt que de payer son écot pour ce qui ne sera en fin de compte qu’un simulacre de cinéma.
     
    Et du coup, mon gore craspec, je m'assois dessus ?

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    [1] – Un James Cameron qui aura déjà été la tête pensante d’une série pouvant être considérée comme un quasi « brouillon » des aventures de Gal… Alita : Dark Angel. Contexte cyberpunk blafard, bien plus efficace dès les premières images que celui ripoliné du film à sortir, héroïne créée pour être une guerrière invincible, et mentor scientifique à la chevelure en pétard… L’influence du manga de Yukito Kishiro est patente dans le moindre photogramme. Il ne manquait plus qu'une réalisation à la hauteur des ambitions de la série, las ! Tout cela est dans les clous d'une certaine médiocrité télévisuelle assez commune. 

    [2] – Ceux qui sont déjà venus ici savent que je n’ai absolument RIEN contre le fait de mettre en scène des femmes en tant que personnage principal dans des fictions (cf. ma chère Ethel Arkady). Par contre, le faire par pur calcul opportuniste bien glaireux, cela m’insupporte au plus haut poing.