lundi 26 mars 2018

    Les Chroniques de Yelgor : La Nuit de l'Auberge Sanglante chap 25/25

    Enfin ! La conception de l’illustration m’aura demandé un mois de plus que prévu – mon travail alimentaire ralentissant singulièrement chaque étape –, mais elle est à présent opérationnelle. C’est donc avec un sentiment d’achèvement que je vous soumets cet ultime chapitre des Chroniques de Yelgor… qui m’auront occupé, ainsi que mes deux complices Didizuka & Duarb Du, pendant deux ans. 
    Merci à eux. 
    Bonne lecture.



    [Chapitre 1 : Le Chevalier]                                                           

    Le blizzard masquait d’un voile opaque la plaine septentrionale. Les morceaux de glace et de neige s’accrochaient aux sourcils de la vigie, à ses poils de barbe et à son manteau en cuir de wyvie. Être nommé à ce poste en cette foutue saison blanche relevait de la punition céleste ! Les griffes du vent s’infiltraient dans la triple épaisseur de peaux enfilées les unes sur les autres. Il se tapait les flancs, cognait les lattes mal dégrossies de sa casemate pour se réchauffer les jambes avant de repasser derrière la lunette grossissante qui ornait le dessus de la lance de feu, inspectant la muraille grise formée par la bruine. Sur le mât, les nouvelles couleurs noir et jaune du drapeau de Sol étendaient à présent leur domination sur toutes les âmes du duché.

    Cela faisait des lustres que les relations avec le pays de Glaïv s’étaient effilochées. Les invasions de Hyksos enragés avaient eu raison de la civilisation dans ce coin du monde aride. Seules quelques tribus nomades abâtardies s’attardaient encore dans la toundra. Parfois, lorsqu’il était abandonné à lui-même, Marst tirait des salves d’énergie sur des individus faméliques montant des squalkrânes malades. L’œil dans le viseur, il scanna les environs, balayant les quatre baraquements en bois situés en-dessous de lui. Au pied de son nid d’aigle, il surprit quelques timides fumerolles emportées par des courants d’air gelé. Il repéra le capitaine Kerlaime Fronavar.

    Âgé de cinquante automnes, ce vieux briscard dont l’enfance avait été marquée par les raids des pillards Hyksos qui avaient succédé aux dévastations de la guerre, sirotait un thé beurré en déambulant dans la cour. En plus d’une triple épaisseur de peaux de bêtes, il avait revêtu un bonnet au goût discutable pour protéger ses oreilles. Son habituelle cuirasse dont il s’affublait pendant les heures de service reposait dans l’armurerie. L’hiver rude rendait inutilisable tout équipement métallique. Il avala une gorgée en fixant le vide blanc de ses lunettes aux verres fumés qui lui donnaient un regard d’insecte. La vapeur respiratoire sortait d’entre les mailles de sa quadruple couche d’écharpes. Ses doigts boudinés dans de larges bandes de cuir et de laine gauchissaient tous ses gestes.

    Lacrik Delamaro le rejoignit. Ce géant glovien à la peau cuivrée portait sur ses épaules sa lourde hache à deux mains. Le visage buriné par ses nombreux voyages, il jeta un œil sur la vigie, lui tendant d’une main sa tasse chaude avec un sourire narquois. Hardiment, il bravait les bourrasques la tête nue. Le vent caressait son crâne rasé paré d’entrelacements de runes noires lui servant de chevelure. Il se pencha vers son supérieur. Kerlaime eut un aperçu en gros plan de la cicatrice du Glovien qui zébrait le haut de son front et descendait en zigzag chéloïde sur sa joue gauche jusqu’à son cou, souvenir d’une confrontation musclée avec un Hyksos. Le Glovien appelait cela, avec une gourmandise vantarde non feinte, « une explication » cordiale.

    — T’as vu les instructions ?
    — J’espère que le seigneur de Glaïv, s’il existe encore, ne va pas nous envoyer des gens, parce que je ne sais pas ce qu’on va faire sinon.
    — Tu crois qu’on se dirige vers une scission avec le royaume ?
    — Ouaip ! dit le capitaine en soufflant sur sa tasse. Ça m’en a tout l’air… Je ne crois pas que notre roi veuille se plier à la nouvelle foi. Juste pour faire chier et montrer que c’est lui le patron.
    — Et vous, chef ?
    — Bah. Un dieu, des dieux… Tant que ma bourse est pleine, je veux bien accepter n’importe quelle idée… Les convictions trop fermement ancrées, ça ne paie jamais…

    Le colosse grommela une imprécation inaudible. Le capitaine – qui fréquentait depuis quelques années déjà le Glovien ombrageux – connaissait la cause de ce fatalisme. De par son origine, il ne pouvait qu’être désorienté par le fait de faire allégeance à une doctrine qui entrait en opposition avec tous ses préceptes animistes. Cependant, pour le moment aucun Urzam ne s’était manifesté pour convertir les hommes. Aussi, très pragmatique, Kerlaime ne voyait aucun problème moral à ce que chacun continue à s’en remettre aux dieux de sa préférence. Au moins jusqu’à ce qu’un maudit ratichon vienne les oindre de sa bénédiction. Et il n’était pas impatient que ce jour advienne, tant il détestait les salamalecs des religieux. Il avala une nouvelle gorgée. Oh ! il allait suivre les ordres à la lettre, cela était d’autant plus facile qu’on ne se pressait pas à son poste-frontière, que ce soit en provenance de Glaïv ou d’ailleurs. Il se demandait même si le monde ne finissait pas au bout de la toundra. Jusqu’à aujourd’hui, il n’avait intercepté qu’une seule caravane de prêtresses d’Ejulie perdue dans les plaines et talonnée par la meurtrière saison des tempêtes.

    Il se tourna par réflexe vers la prison. Le bâtiment en torchis et rondins se distordait sous l’assaut des tentacules neigeux, comme irréel. Il soupira. Il ne pouvait pas laisser les dames s’en aller, surtout après l’annonce qu’ils avaient reçue par l’intermédiaire de leurs sigils et qui prenait un effet immédiat. Le capitaine détestait ces objets démoniaques. Ils lui apparaissaient comme des maîtres inquisiteurs, implacables. Ils abolissaient les distances, donnant l’illusion que le monde n’était qu’un endroit aussi étriqué que le village de pécores où il avait croupi durant une partie de son enfance. Comme par hasard, la saleté cristalline se signala par une désagréable impulsion dans son doigt. Le capitaine démaillota les différentes couches de bandes qui le protégeaient pour libérer le sigil de sa gangue. Malgré la graisse dont il s’était généreusement enduit, le vent lui mordit aussitôt les phalanges. Tremblotant, il caressa les facettes du joyau qui projetèrent un cône verdâtre s’aplatissant en un écran ovale d’où surgirent les visages de sa femme et de son fils. Il leur sourit.

    — Est-ce que ça va, mes chéris ?

    Le gamin de deux ans babillait dans les bras de sa mère, envoyant parfois sa petite main dans l’image qui se transformait en une mimine fantôme avide de titiller les poils de barbe dépassant de son manteau.

    — C’est tranquille pour le moment.

    Il jeta un coup d’œil laconique au Glovien qui grimaça un sourire de connivence avant de s’éloigner, balançant sa tasse dans un monticule neigeux.

    — Il ne se passe pas grand-chose.
    — T’as vu la déclaration de Vanakard ? Les femmes doivent être enregistrées. Est-ce qu’on ne devrait pas partir ?

    Une réelle angoisse perçait dans la gorge de sa tendre moitié.

    — Faudra faire avec, grogna-t-il. Pour le moment, on m’a ordonné de garder les frontières fermées, tu comprends, ce qu’on fait…

    Avant qu’il ait pu achever sa phrase, les cris de la vigie le ramenèrent à ses devoirs.

    — On a des invités ! Deux personnes. Elles s’approchent !

    Le capitaine se demanda quel genre d’individus sains d’esprit auraient eu l’idée de risquer leur vie dans ce foutu blizzard. Cela n’annonçait rien de bon.

    — Excuse-moi, chérie, il faut que j’y aille. Apparemment, il y a des gens perdus dans la tempête.

    Il adressa un baiser à sa femme.

    — Fais attention à toi, mon amour.
    — Ne t’inquiète pas. Je te rappelle après !

    L’image s’estompa dans le vent et Kerlaime appuya sur l’alarme qui saillait sur les pilotis de la tour de vigie. Une sirène aigrelette mugit dans tous les bâtiments. Une vingtaine d’hommes, dérangés dans leurs occupations oisives, ne tardèrent pas à surgir équipés en manteaux et en armes. Les quatre mages avaient déjà tiré leurs Poings de Feu des holsters tandis que les soldats avaient leurs mains gantées sur la poignée qui de son épée, de sa lance ou de sa hallebarde.

    Le capitaine se pencha sur son sigil, parlant à la vigie.

    — Est-ce que tu peux m’avoir un visuel ?
    — Ouais. Je les ai tous les deux dans la ligne de mire.

    L’image verdâtre émanant de son sigil révéla deux silhouettes luttant contre le vent. Leurs traits étaient dissimulés par des chapeaux à larges bords, maintenus par une lanière épaisse. Les capes, semblables à des prolongations de leurs corps, étaient battues par les bourrasques. Les deux ombres ne paraissaient pas armées, mais Kerlaime se méfiait. Le plus petit des deux voyageurs portait un havresac dont les sangles boudinaient un étrange poncho hérissé de longs poils. Le plus grand du duo transportait une selle sur son épaule. Kerlaime hésita un instant devant ce spectacle. Puis il prit une décision. Le mieux était encore de leur dire de faire demi-tour et de revenir ensuite au chaud. Il coupa la diffusion de la perception de la vigie puis fit signe à trois de ses plus impressionnants lieutenants. Des vétérans dont les tronches cassées inspireraient une saine crainte à ces guignols égarés dans la plaine.

    — Delamaro, Herc et Venkor, avec moi. On va ordonner à ces deux abrutis de décamper. Après on se pintera un bon coup au chaud.

    Les trois soldats se mirent en marche. Ouvrir la porte principale leur posa quelques soucis, ses gonds étant enkystés dans des congères. Kerlaime dégaina son Poing de Feu, lâchant un rayon brûlant sur l’obstacle. Affaiblir la gangue de gel épuisa à moitié sa jauge d’énergie. Il grommela dans sa barbe, adressa un rapide signe des doigts à son complice le plus proche. Le Glovien et sa fidèle faucheuse achevèrent le boulot dans de grands ahanements de bûcheron, des blocs de glace volant autour du barbare à la peau cuivrée. Ils entrebâillèrent le colossal battant de lourds rondins, permettant aux trois hommes de se faufiler à l’extérieur de la forteresse. Ils progressèrent de concert, titubant dans l’haleine du blizzard. Le capitaine s’avança, sa main sur son arme, prêt à dégainer le cas échéant. Ses deux lieutenants attendaient à une distance suffisante pour ne pas le perdre de vue dans la grisaille tourbillonnante qui les environnait.

    Kerlaime pénétra d’une dizaine de pas supplémentaires dans la purée de pois, échouant à intercepter les silhouettes. La magie des optiques de la lance de feu permettait de faire abstraction – il ignorait comment – des perturbations climatiques qui brouillaient la vision, mais pour le moment, il n’y avait pas accès et il nageait dans un monde incertain et douloureux. Il grelottait sans s’en rendre compte, balloté par les rafales qui ne cessaient de le gifler. Il se retourna un court instant pour apercevoir ses hommes, minuscules ombres qui s’estompaient un peu plus à chaque enjambée. Seul le Glovien avait eu assez de présence d’esprit pour coller à ses basques. Il remuait la faucheuse entre ses mains, impatient d’en découdre.

    Il tourna son regard vers le voile impénétrable du brouillard et les voyageurs surgirent à deux pas de lui, comme enfantés par la tempête. Sur la projection verte du sigil, il n’avait pas pu se faire une idée du gabarit des personnes, mais maintenant qu’elles lui apparaissaient en chair et en os, il rata une respiration.

    Les deux individus étaient de véritables géants. Le plus petit le dépassait de plus de trois pieds, quant au second, Kerlaime devait lever la tête pour apercevoir le rebord de son immense couvre-chef. Il estimait sa taille à plus de onze pieds. Les multiples couches de peaux de bêtes et d’écharpes qui les enveloppaient ne lui permettaient pas de distinguer la trogne de ces zouaves-là. Ils demeuraient immobiles comme des statues divines, ce qui alluma, l’espace d’un bref instant, une légère crainte superstitieuse dans son esprit. Malgré toute sa méfiance envers les religions – quelles qu’elles soient – une forme de croyance atavique se lovait dans son intellect. Il repoussa cette réaction instinctive que tout homme ressent devant l’inconnu en trois expirations profondes, sa main droite se crispant sur la crosse de son Poing de Feu.

    — Oh là ! Vous ne pouvez pas aller plus loin, étrangers ! Les frontières de Mabs sont fermées jusqu’à nouvel ordre de Sa Majesté Vanakard. Retournez d’où vous venez !

    Il hurlait pour supplanter le mugissement du blizzard, mais même ainsi, sa voix sonnait aigrelette à ses propres oreilles.

    Le couple se consulta du regard. Kerlaime ne les entendit pas discuter. Cette situation puait. Il adressa un signe discret en direction de la vigie. La lance de feu devait être prête à cracher la mort au moindre geste suspect des étrangers. Le colosse arracha soudain une partie des étoffes qui masquaient sa bouche. Son énorme masse de muscles se pencha sur le capitaine. Kerlaime entrevit un pelage blanc, une monstrueuse main pelucheuse hérissée de griffes tranchantes et une mâchoire qui n’était ni humaine, ni animale. Elle s’ouvrit sur une rangée de dents aiguisées comme des rasoirs. Kerlaime éprouva l’odieux retour de ses craintes superstitieuses. Ces ogres étaient-ils des divinités en chasse, mécontentes d’être délaissées au profit d’une nouvelle foi ? Après tout, les Dieux Noirs avaient eu une existence bien tangible, avant d’être éradiqués par les héros de la Prophétie…

    Une voix mélodieuse sortit du cou de taureau du voyageur. Il s’exprimait dans un yelgorais approximatif, écorchant les mots. Le capitaine se concentra pour assembler cette bouillie de raclements de gorge flûtés en une phrase sensée. Ce qu’il en tira le surprit.

    — Vous ne comprenez pas... Nous devons trouver… Noctule… Allytah Nédérata… loin… voir… de Warwülf... Notre dieu… mort !

    FIN.

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    Un peu de musique pour se mettre dans l'ambiance...


    mercredi 7 mars 2018

    Les Chroniques de Yelgor : version Chibi (by Didizuka)

    Pris entre la rédaction d'une nouvelle histoire à quatre mains et une période de boulot plus intense que d’habitude, l’illustration du dernier chapitre des Chroniques de Yelgor prend un peu de retard, bien que le texte soit déjà rédigé. Mais la aussi talentueuse que précieuse Didizuka s’est fendue de quelques illustrations dans le style « Chibi ». L’occasion de découvrir les personnages sous un nouveau jour… Un grand merci à elle pour sa prolixité ! Je vous laisse apprécier.

    Small Eldridge

    Small Allytah

    Small Tigrishka

    Small "Le Dauphin"


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    Un peu de musique pour se mettre dans l'ambiance...