mardi 15 décembre 2015

    Bibliothèque des Ombres : Tranchons et Traquons/Kobayashi et John Grümph, les Livres de l'Ours


    Les derniers jours, attentats et montée subséquente et prévisible du FN, ayant rendu nos existences anxiogènes au possible – et c’est très loin d’être fini, on va encore en prendre plein la gueule les prochaines années… – j'oriente cette note vers un ton ludique, une manière de savourer un moment au coin du feu entre amis... 



    Le domaine du jeu de rôle – le vrai, celui qui se pratique sur table – est devenu depuis une bonne décennie un secteur de niche dont les nouvelles productions n’attirent que les snobs fortunés – voir les rééditions Cthuluesque hors de prix des éditions Sans-Détour – et peine à se renouveler. La faute a la mauvaise réputation qui lui a été faite durant des années et dont les effets se font encore sentir. Cela a entraîné une perception biaisée de cette activité ludique de la part d'un grand public qui n'a pas besoin se fouler pour crier « au loup ! » comme nous l’ont prouvé les derniers événements...

    Pourtant, rien n’est plus simple et à bien des égards plus économique que le jeu de rôle. Pas de paris coûteux, pas de consoles à renouveler, pas d’investissement à faire dans des déguisements… Juste une bande de potos et vous et réunis autour d’une histoire !

    Heureusement, de petits éditeurs travaillent vaille que vaille pour proposer des jeux clés en main. Tranchons & Traquons appartient à la famille de ces minuscules perles dont la sobriété des règles permet de débuter des parties très vites. En mettant l’accent sur la narration, l'auteur nous épure l'interminable litanie de tableaux et de chiffres qui peuvent rendre le jeu de rôle intimidant pour les néophytes. Ici pas de dés spéciaux, pas de fiche de personnage longue comme le bras, ce jeu est idéal pour des sessions de découverte ou des campagnes épiques. Une des clés de cette réussite réside dans un système de construction de scénario en quelques coups de dés fort astucieux.

    Les parties se déploient dans un univers médiéval fantastique peuplé des races classiques (elfes, nains, humains...), mais aussi de quelques adjonctions aussi originales que sympathiques en termes de jeu et d’histoire. J’ai par exemple une préférence marquée pour les Kitlings (des hommes-chats) et les Marionnettes (des créatures artificielles issues d’expériences magiques peu ragoutantes). 

    Le système de classe (on peut choisir parmi des voleurs, des guerriers, des magiciens...) des personnages ne diffère pas d’un jeu médiéval fantastique basique, mais l’ingénieuse mécanique de dons et de faiblesses à la carte accentue les possibilités de bâtir un personnage unique. Ajoutons encore au crédit de cette perle ludique une gestion originale de destinée qui facilite l'intégration d'enjeux dramatiques lors d’une campagne sans trop se creuser la tête.

    De nombreux éléments sont laissés à l’appréciation des joueurs et du meneur de jeu. Cet aspect « ouvert » permet à tout à chacun de s’emparer de l’univers pour le triturer dans tous les sens. C'est aussi une excellente manière d’introduire auprès des néophytes des notions de scénarios, de construction de personnage tout en se fendant la poire…

    Bien écrit, illustré avec un certain goût, Tranchons & Traquons est ce que j’ai lu de plus épuré et de plus enthousiasmant en termes de jeu de rôle depuis un bon moment.

    Le livre de base est disponible soit gratuitement en .PDF, mais sans illustration, soit en version papier payante sur LULU.COM pour une vingtaine d’euros. Vu le boulot fourni, je vous enjoins d'acquitter votre écot aux auteurs, car ils le méritent plus que Marc Levy...

    Nota Bene : Il existe plusieurs adaptations de ce jeu pour d’autres univers, dont une version spéciale Lovecraft et littérature Pulp avec Tyrannosaures & TommyGun… De quoi s’occuper durant les longues soirées d’hiver…

    dimanche 13 décembre 2015

    Dessin du Dimanche : Three Rabid Women 03

    Ce Fan-Art à la gouache implique Ethel Arkady et deux de ses consœurs toutes aussi agressives :  Anita Bomba (personnage créée par Cromwell et Eric Gratien) et  Inoshika Ôchô (qui provient tout droit des nouvelles de Bonten Tarô). Cette illustration avance lentement, mais surement... j'espère la finir à la fin de l'année. Promesse d’alcoolique : la prochaine fois je fais moins de détails !




    dimanche 29 novembre 2015

    Linogravure : Ethel Arkady et l’Ordre Noir suite et fin !

     Enfin, la gravure Arkady et l'Ordre Noir s'achève. Voici les dernières impressions et le résultat final.

    Version finale Colorex et légère infographie.
    Impression sur fond Colorex.

    Impression sur fond Ecoline.



    Impression à l'acrylique.
    Fond Ecoline.

    Fond Colorex.
    Les étapes précédentes...

    lundi 26 octobre 2015

    Dessin du dimanche (le lundi...) : Three Rabid Women 02

    Reprendre des cours du soir de dessin me ménage du temps pour reprendre des illustrations commencées il y a au moins un an et pour lesquelles je ne parvenais pas à me ménager une plage horaire correcte. 

    Ce manque de temps provient entre autres de mon appétence pour les techniques traditionnelles de longue haleine et à ma répugnance à interrompre mes efforts quand je suis lancé sur un sujet qui me botte...

    Ce Fan-Art à la gouache implique Ethel Arkady et deux de ses consœurs toutes aussi agressives :  Anita Bomba (personnage créée par Cromwell et Eric Gratien) et  Inoshika Ôchô (qui provient tout droit des nouvelles de Bonten Tarô). 



    dimanche 11 octobre 2015

    Dessins du Dimanche

    Quelques dessins vite faits qui rentrent dans le cadre de l’univers d’Arkady mais n’ont rien à voir avec les histoires principales. Ça me prend parfois comme ça… Certains noms des personnages sont des clins d’œil à des œuvres ou à des artistes ayant travaillé dans le cinéma-bis (ou pas...).

     
    Crimson Bat et son Gremlins apprivoisé Little-Bill.

    Le chef de section, l'Argonaute Gabe Bartalos.

    Le magicien vampire Kuro-Neko.

    vendredi 2 octobre 2015

    Une décennie (plus ou moins) au cinéma part 2 : Avalon de Mamoru Oshii (2001)

    Après une longue interruption dans la plupart de mes projets artistiques pour cause de vacances et de flemmingite aiguë, essayons de reprendre cet espace égocentrique qu’est ce blog…

    On continue l’exploration cinématographique des années 2000 en se concentrant sur un film cyberpunk – une branche de la SF dont j’apprécie beaucoup les rares déclinaisons – qui repousse avec virtuosité les limites du genre tout en posant avec finesse la question du réel et du virtuel…


    Esquissons le contexte : le début des années 2000 a été pour moi surtout marqué par l’irruption sur le marché français du cinéma asiatique et particulièrement japonais. Quelques réalisateurs se sont imposés comme des auteurs à la patte très reconnaissable dans un système hiérarchisé à l’extrême, basé sur la production de masse. Moult cinéastes vont trouver la liberté artistique dont ils ont besoin dans le dans le V-Cinéma[1] en dépit de budgets serrés. Certains s’extrairont de cette nasse et acquerront une certaine notoriété, ce qui leur permettra d’avoir les coudées franches sur des œuvres plus personnelles. C’est le cas de Mamoru Oshii qui a travaillé autant dans l’animation que dans le cinéma classique. Cette double casquette lui servira à peaufiner en détail ce projet ambitieux qui le taraudait depuis des décennies : Avalon.

    Quand il entame la production de son dixième film, Mamoru Oshii a gagné depuis longtemps son indépendance d’artiste. Un statut très enviable dans l’industrie tant japonaise qu’américaine grâce auquel il peut monter des métrages se situant en marge des modes et des dictats idéologiques de son époque. Et s'il a montré sa capacité à attirer à lui une vaste communauté avec ses animes — Ghost in the Shell en tête de gondole — il ne s’endort pas encore sur ses lauriers.

    Tourné en Pologne, Avalon est l’un des rares films « live » de son auteur à avoir filtré jusque dans nos contrées. Outre ses incursions dans le monde du dessin-animé, Oshii est avant tout un réalisateur dont les différents opus sont pensés en fonction des possibilités du médium choisi. Avec Avalon, Mamoru Oshii rend un hommage à tout un pan du cinéma européen qu’il admire. L’esthétique des ruines, des guerres civiles et du dépouillement, le tout mêlé à une langueur propice aux doutes existentialistes. Certaines séquences citent les œuvres d’Andrei Tarkovsky, le Septième Sceau d’Ingmar Bergman ou Andrzej Wajda.

    Distribué dans quelques salles par Miramax Films, le métrage rencontre une indifférence critique et publique mortifère. Seules quelques revues spécialisées (dont Mad Movies qui chapeaute l’édition d’un DVD et Animeland) misent sur ce truc lent et pour certains, incompréhensible. Avalon gagne sa notoriété sur la durée grâce au marché de la vidéo.

    Son budget de 8 millions de dollars en fait un poids plume dans la grande famille des films dopés aux CGI, surtout lorsque l’on se rend compte que la moindre production Marvel actuelle coûte la bagatelle de plus de 150 millions de dollars [2]. Techniquement la réussite est totale : là où la majorité des CGI s’écroulent au fur et à mesure des années qui passent, ceux d’Avalon tiennent encore la route, car non seulement ils sont utilisés avec pertinence, mais en plus la réalisation s’appuie sur un tournage en dur n’usant que très peu du fond vert.

    Mais plus que par ses effets spéciaux, Avalon se distingue surtout par un rythme lancinant qui accompagne sa réflexion sur notre rapport aux mythes et à la façon dont ceux-ci pétrissent notre quotidien sans que nous nous en rendions compte : qu'est-ce que le principe de réalité dans un monde modelé par les mythes que les siècles n’ont cessé d’implanter comme un héritage commun dans nos psychés encombrées ? Notre consommation effrénée de médias en tout genre nous empêche-t-elle d’observer les choses telles qu’elles sont, induisant en nous un filtre (comme un voile sépia…) qui transforme notre perception sur le réel ?

    Autant d’interrogations qui sont nichées au sein d’un film-univers singulier. Par exemple, le titre Avalon, même si vous n’y connaissez rien à la légende arthurienne, vous dira forcément quelque chose. Et c’est exactement dans cet acquis grappillé dans le zeitgeist de notre société que se situe tout le discours fascinant de ce long-métrage.

    En apparence, l’histoire est d’une limpidité presque ridicule. Ash est une joueuse invétérée qui gagne sa vie grâce à un programme de réalité virtuelle illégal : Avalon. Ce logiciel puissant peut lobotomiser ceux qui ont la malchance de mourir au cours de la partie. Le défi devient plus élevé quand Ash entend parler d’un niveau secret, mais pour y accéder elle doit former une nouvelle équipe – la sienne ayant été décimé lors d’un assaut désastreux – et donc entretenir des rapports sociaux avec d’autres êtres que son chien [3].

    Avalon appartient à la catégorie des films cyberpunk qui disserte sur le réel et le virtuel, un exercice casse-gueule, mais qu’Oshii a déjà pratiqué dans Ghost in the Shell : dans d’une scène d’interrogatoire les policiers s’aperçoivent que leur suspect a été manipulé par un programme implanté dans sa tête simulant la présence d’une famille alors qu’il est célibataire. L’un des cyborgs constate désabusé qu’une expérience artificielle peut parfois acquérir autant d’importance au niveau neurologique qu’un événement vécu. Une anecdote sur laquelle va se bâtir le fil rouge d’Avalon.

    Les deux films sont perclus à dessein de séquences lentes qui peuvent exaspérer les spectateurs habitués au rythme haché qui est devenu une convention dans le cinéma de divertissement contemporain. Cependant et soulignons-le, ces moments contemplatifs ont une valeur narrative en rapport direct avec le sujet et le réalisateur les manipule avec un savoir-faire d’orfèvre. Dans Ghost in the Shell le commandant Makoto aperçoit entre tous les signes que lui envoi la mégapole un double de sa personne accentuant son vertige existentiel.

    Dans Avalon, Ash — et le spectateur avec elle — constate au fur et à mesure de ses déambulations urbaines l’artificialité de son environnement. Le film distille des indices en répétant certaines séquences. Figurants immobiles, ombres portées désaccordées, bâtiments changeant d’aspect dans le cours de du récit tout donne à croire qu’à l’instar du jeu – qui pour le coup paraît plus vivant – la cité dans laquelle évoluent les protagonistes n’est qu’un simple décor. Le malaise est subtil, mais bien prégnant pourvu qu’on se laisse porter par l’ambiance lancinante. Cette narration singulière qui exige du spectateur une attitude attentive aux détails peut irriter ceux qui sont habitués à ce qu’on leur prémâche la réflexion qui devrait pourtant être nécessaire lorsque l’on aborde des œuvres de l’esprit. Ces choix sont conscients de la part de Mamoru Oshii. Il souhaite des intelligences actives face à son film, à l’affût des signes et des symboles qui la peuplent, refusant la passivité qu’induisent chez nous les produits formatés issus des grands studios.

       


    Le rapport entre Avalon — le film — et la matière de Bretagne[4] est dissimulé derrière l’esthétique du jeu dans le film prenant pour cadre les nombreuses guerres civiles qui ont émaillé l’histoire des pays de l’Est. Ce jeu complexe obéit à des règles rappelant celles des jeux de rôle médiéval-fantastique. Les équipes sont souvent constituées par des personnages de différentes classes possédant des capacités spéciales : les guerriers, les prêtres (Bishop en anglais se traduisant par évêque...) qui assurent les arrières, les magiciens et les voleurs. 

    Les dragons et autres monstres sont remplacés par les soldats adverses ou de titanesques forteresses de métal crachant des bombes et des balles dans toutes les directions. De fait, les quelques scènes d’action sèches et rapides qui émaillent le récit, d’une parfaite limpidité, permettent à Oshii de se laisser aller pendant quelques instants à son fétichisme très japonais pour les mécaniques délirantes et les armes à feu sous anabolisant. Tout ceci s’inscrit dans la logique d’une quête épique et n’atteint pas les sommets de grotesques qui sont à présent devenus des standards dans le paysage de l’anime[5] [6].

    Avec l’apparition des neuf sœurs d’Avalon – des fées ayant escorté la dépouille du roi Arthur sur la fameuse île – et la disparition du basset de l’héroïne, ce que nous avons pris jusqu'à présent pour le référent à la réalité dans le cadre de la fiction se déforme. Si le concept du jeu et de la rupture qu’il entraînait avec le monde du film demeurait clair, le climax infirme tout cela. Dans un duel sublimé par une musique intradiégétique – la dernière scène se déroule lors d’un concert – toutes nos perceptions sont remises en doute. En définitive où se situent donc les personnages ? Dans quelle dimension existent-ils ? Comment reconnaître dans ce contexte ce qui différencie le réel de la simulation puisque celle-ci est induite dans le cerveau des joueurs ?

    Imprégné par les obsessions issues de Philip K. Dick et une réflexion sur des phénomènes auxquels nous serons de plus en plus confrontés dans notre société hyper médiatisée, Avalon demeure une œuvre dont l’accès peut laisser ceux qui souhaitent assister à un « simple » divertissement sur le carreau. Cependant, sa beauté formelle intemporelle s'accompagne d’un discours pertinent sur les vertiges et les dangers du virtuel, donnant naissance à un monde dans lequel les individus se désagrègent dans des simulacres qui finissent par occulter toutes leurs perceptions.

    Si Mamoru Oshii et son scénariste ne répondent jamais à toutes les questions, c’est qu’ils estiment que les spectateurs doivent apporter leurs propres réponses. De fait, Avalon ne s’achève pas sur une résolution, mais sur une énorme interrogation, aux antipodes de ce que le cinéma mainstream nous impose. Et si les grandes lignes de l’intrigue peuvent rappeler d’autres longs-métrages influencés par la SF cyberpunk[7], il s’en distingue par un souci constant d’échapper à la facilité d’un divertissement qui n’aurait pour lui que sa beauté plastique. Mamoru Oshii s'adresse à des spectateurs matures, qui pensent et non des êtres infantilisés auxquels il faut prémâcher tout le travail de réflexion.

    Nota Bene : Une question de musique.
    La musique revêt toujours une importance cruciale dans le cinéma. Une mauvaise partition peut mutiler une œuvre par ailleurs bien réalisée tout comme certains films ne sont sauvés que par leur compositeur.

    Mamoru Oshii confie les rênes du projet à son complice musical Kenji Kawaï dont les nappes de sons anxiogènes et la reprise de chants traditionnels bulgares avaient enluminé Ghost in the Shell. Pour Avalon, le compositeur déploie une partition qui se partage entre musiques d’ambiance électroniques et des envolées lyriques dignes des meilleurs opéras. Avalon s’écoute autant qu’il se regarde…

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    [1] — V… pour vidéo ! C’est l’équivalent des films exploités directement sur le marché du DVD chez nous.

    [2] — Pourtant, ce budget pharaonique transparaît peu à l’écran, la faute à une esthétique volontairement cheap qui ne prend jamais de parti-pris fort de peur de s’aliéner un grand public aussi craint que méprisé par des producteurs devenus des banquiers…

    [3] — Le fameux basset qui ne cesse de hanter les films de Mamoru Oshii et dont l’amateur guette les apparitions au hasard des cadrages sophistiqués…

    [4] — On appelle ainsi l’ensemble des mythes et légendes se rapportant à la quête du Graal et au roi Arthur…

    [5] — Comme d’autres réalisateurs de sa génération, Mamoru Oshii déplore les dictats d’une industrie cinématographique qui cherchent de plus en plus à flatter les bas instincts de proto-geeks ne retenant de leurs œuvres vénérées que la pointe émergée de l’iceberg. On observe un exemple de cette dégénérescence poussive dans Patlabor 3, pur produit de publicistes puceaux. Là où Mamoru Oshii limitait au maximum l’apparition des robots géants — préférant se concentrer sur de complexes intrigue géopolitique et les incidences de celles-ci sur les protagonistes – Patlabor 3 singe le style d’Oshii, langueurs comprises, tout en rajoutant des caisses sur les gros plans de machines, de pistons et d’armes. À ce stade ce n’est plus de la science-fiction, mais de la pornographie mécaniste digne des obsessions malsaines de personnages de Crash de J.G.Ballard. Et les rênes des financements des films ayant échus entre les mains de producteurs frileux devant le risque artistique – alors que c’est l’enjeu même de tout bons films – on assiste à une fossilisation d’un certain cinéma japonais sur ses clichés. Et voir un réalisateur visionnaire comme Oshii se coltiner un nouveau Patlabor avec des acteurs en carton pour satisfaire des fans en ruts est aussi pitoyable et inquiétant…

    [6] – « … On en vient donc à produire et consommer des simulacres de simulacres. L’œuvre Otaku à la différence de l’œuvre moderne, n’est donc pas la création d’un artiste défini, puisqu’elle naît à l’intérieure d’une chaîne, constituée de plusieurs imitations ou plagiats successifs… »
    in Génération Otaku : les enfants de la postmodernité/Hiroki Azuma, préface de Michel Maffesoli, traduit du japonais par Corinne Quentin .- Hachette Littératures .- col : Haute Tension. Chap. 2, p. 49.

    [7] – Des longs-métrages comme Tron de Steven Lisberger, Nirvana de Gabriel Salvatores mais surtout Passé Virtuel de Josef Rusnek. Son mélange de thématique issu d’enjeux de la SF cyberpunk et d’une esthétique rétro – l’action se déroule dans les années 30 – et le vertige que ce film génère chez le spectateur attentif le reproche très fort d'Avalon tout en conservant une identité propre. Je ne peux que vous conseiller la vision de cette œuvre dont la distribution a été étouffée par le géant boursouflé Matrix

    jeudi 20 août 2015

    Cinoche B comme Bon... : Le Venin de la Peur de Lucio Fulci, 1971.



    Je profite de la sortie en DVD/Blu-ray [1] d’un film de Lucio Fulci aux éditions du Chat qui Fume pour m’étendre un peu sur ce réalisateur italien, mais aussi sur un genre que j’apprécie : le Giallo.


    Le Venin de La Peur précède la célèbre Trilogie des Zombies [2] qui a occulté la carrière de Lucio Fulci, l'enfermant un peu vite dans une image de faiseur de pelloches gores décérébrées. Loin d'être les navets que l'on a voulu y voir, ces titres contiennent plus de scénario et d’idées que les quelques oripeaux de films d’horreur américains contemporains.

    Pour encadrer complètement le sujet du Venin…, il faut établir son genre cinématographique. Ce long-métrage appartient à la vaste famille des Giallos dont une brève définition me paraît nécessaire :

    Le nom provient de romans policiers à quatre sous qui étaient publiés en Italie des années 20 aux années 60 et dont la couverture affichait une couleur jaune, comme nos  Editions du Masque. Une œuvre littéraire en particulier a réuni tous les éléments narratifs du Giallo [3] et de son enfant américain abâtardi, le Slasher : les séminales Dix petits Nègres de l’incontournable Agatha Christie. Tous les ingrédients y sont : un lieu clos, un assassin aux méthodes aussi sanglantes que tarabiscotées et des suspects issus de la haute société… À noter que le Giallo connaîtra un ancêtre teuton : le Krimi [4] qui reprend les mêmes ingrédients mixés à la sauce Derrick


    Le Giallo est donc un mélange improbable entre le thriller à l’américaine – l’intrigue se situe dans un milieu bourgeois et le protagoniste principal est souvent un enquêteur amateur – et le film d’horreur – le tueur sème moult cadavres sur son chemin et ses actes sont dictés par un rituel fétichiste très particulier. Le Giallo marie des tonalités très différentes, du polar pur et dur au fantastique le plus baroque, accouchant d’une mixture expérimentale et typiquement italienne dans ses débordements. De nombreux artisans plus ou moins doués du cinéma populaire ont joué avec les limites de ce genre commercial pour lui faire subir mille et une mutations. [4]. Dernière particularité joyeuse des Giallos : des titres à rallonge aux sonorités excentriques et poétiques : Ton Vice est une chambre close dont moi seul ai la Clé, L’Oiseau au plumage de Cristal, Journée Noire pour un Bélier, La Tarentule au ventre Noir… ou ce Venin de la Peur aussi intitulé en italien : Una lucertola con la pelle di Donna ! Soit un lézard dans la peau d’une femme…

    Les cinéastes italiens ont toujours été de grands formalistes et leur traitement des décors revêt une importance capitale dans les films d'exploitations. Que ce soit la nature dans les Westerns Spaghettis où les immenses étendues arides font basculer une classique histoire de vengeance en un drame mythologique ou dans l'exploration de villes tentaculaires des Giallos, l'environnement acquiert les caractéristiques d'un personnage à part entière, une entité vivante qui réagit aux tensions internes des principaux protagonistes.


    Dans Le Venin… Carol Hammond (Florida Bolkan), une jeune femme oisive – son père est un avocat en vue qui s’apprête à se lancer dans une carrière politique – ne cesse de faire des cauchemars récurrents dans lesquels elle assassine sa voisine, Julia Dürer (Anita Strindberg) une actrice qui organise de bruyantes orgies en compagnie de quelques hippies adeptes du LSD.

    Le métrage se divise en deux pistes narratives qui se retrouvent mêlées l’une à l’autre. Un premier pan de l’intrigue concerne directement Carol et ses hantises fétichistes – faisant d’elle la tueuse sans équivoque possible dans le petit monde du Giallo – et la deuxième partie se concentre sur l’enquête policière dont Lucio Fulci se contrefout, tournant ces séquences en mode automatique.

    Une bonne part du film est narrée du point de vue de Carol et le moins que l’on puisse dire c’est que Fulci utilise tous les effets de mise en scène à disposition pour installer le spectateur dans les hallucinations de son personnage principal.

    Il faut saluer ici l’impressionnant travail effectué sur la lumière par le directeur de la photographie Luigi Kuveiller, tant le métrage ne cesse d’osciller entre des clairs obscurs tranchés et des plans baignés d’un éclairage blafard et clinique.

    Des visions claustrophobiques où Carol est écrasée par une foule grotesque de partouzards aux allures de zombies (déjà…), en passant par une poursuite dans une église aux proportions titanesques, la palette des effets de montage et des cadrages biscornus est ahurissante.

    Le zoom cher à Fulci se transforme en un outil pour aplatir le spectateur dans ce grouillement chaotique. Cette méthode sera employée plusieurs fois pour provoquer une sensation d’oppression de manière efficace. Lucio Fulci confère à son histoire une aura de malaise dès les premiers photogrammes.

    Les « rêves » et les fantasmes de Carol deviennent un champ d’expérimentation pour le réalisateur qui jette toute sa vaste culture au dans la bataille. On retrouvera ainsi la présence de peinture de Francis Bacon [5] dont les images seront récréées à l’identique lors certaines séquences clés, emprisonnant son héroïne dans des boîtes à l'intérieur d’autres boîtes. Cet enfermement de Carol au sein d’une bourgeoisie corsetée et hypocrite est le pivot de toute la rhétorique filmique de Lucio Fulci.




    C’est avec cette idée d’asphyxie mentale que le réalisateur va parfaire le contrepoint en opposant les mœurs de la voisine dépravée et celles de nos notables lors d’un split-screen vertigineux entre un repas de famille guindée et une scène d’orgie ayant lieue dans l’appartement de l’actrice libertine qui paraît être la projection de leurs fantasmes sexuels malsains. Les hippies ne sont d’ailleurs pas mieux lotis que leurs homologues de la haute aux yeux du cinéaste. Témoins aveugles d’un meurtre parce qu’abrutis par la drogue – deux visions étonnantes dans un métrage qui en regorgent – ils manifesteront un caractère aussi versatile, influençable et corruptible que les membres de la bonne société.

    Le cauchemar va contaminer tout le récit au fur et à mesure que Fulci se libère des contraintes de l’intrigue policière. Les espaces autour de Carol se feront labyrinthiques. Poursuivie par un tueur dans une clinique privée, elle se retrouvera prise dans une toile d’araignée de couloirs blancs dont les portes ouvertes mènent vers des pièces vides ou des mirages horrifiques comme ces chiens éviscérés que l’on maintient encore en vies. Outre que la violence de cette apparition confirme le goût du réalisateur pour la provocation gore, elle ne trouvera aucune explication par la suite.

    Jusqu’au dernier et inutile rebondissement, Lucio Fulci s’ingénie à prolonger le cauchemar autour de son héroïne. Après la claustrophobie, il traque la fuite de Carol dans des bâtiments gigantesques, dont une église aux proportions cyclopéennes, nous invitant à partager les délices de l'agoraphobie. Mais ce n’est pas parce que la surface à explorer est plus imposante que Carol recouvre sa liberté. Il existe plus d’une manière d’enfermer les individus. Les espaces intimes du premier acte - le lit, la chambre, les pièces d’une maison, le couloir étroit d’un train… - se muent en de grandes étendues qui dévorent le cadre, aidés par une optique de type fish-eyes qui exagérera encore plus les perspectives hallucinantes de ceux-ci. On ne s’échappe pas de ces lieux où l’on voit à des kilomètres à la ronde et où nulle cachette ne nous permet de nous dérober à un tueur anonyme.

    Que ce soient l'église titanesque ou des catacombes ténébreuses, les paysages engloutissent les acteurs et prennent vie, mus par une terrifiante volonté. Symbolisant la psyché fracturée de Carol, ces labyrinthes gigantesques achèveront de la perdre dans les méandres de ses fantasmes saturés de poursuivants chimériques et d’animaux agressifs [6]. L’attaque de chauves-souris enragées ne trouve aucune explication rationnelle ou scénaristique. Avec l'apparition-choc des chiens éviscérés, cette scène évoque les débordements des films plus tardifs de Lucio Fulci. Dans le cadre de ce Giallo, l’auteur semble abandonner à cet instant la logique policière pour faire des embardées non contrôlées dans les territoires bien plus obscurs du fantastique. Ces agressions animales vont devenir une signature du réalisateur que l’on retrouvera dans d’autres titres avec une pareille gratuité [7]…

    Lucio Fulci et les agressions animales... Les escargots de la mort d'Aenigma.

    Lucio Fulci, comme quelques-uns de ses collègues ritals excellent dans l’utilisation des paysages à des fins symbolistes. Excroissances de la psyché des personnages, envahissants et touffus, le décor est un acteur au même titre que les humains dans les Giallos [8]. Il y aurait une analyse à faire sur le soin procuré à la description visuelle des maisons, déserts, villes fantômes, manoirs qui peuplent le cinéma bis [9]. Je ne m’y risquerais pas, la besogne serait trop longue.

    Hélas ! le dernier acte du film retombe dans les ornières d’un whodunit classique. Le flic opiniâtre exposera la solution de l’énigme. Pirouette scénaristique imposée par un producteur frileux aux vues des expérimentations graphiques d’un Lucio Fulci déchaîné par son sujet ? Difficile de savoir, surtout qu’il n’existe pas de « director’s cut ». Toujours est-il que cette révélation finale tournée à l’arrache dans le cimetière du coin avec un pauvre brouillard artificiel entame la virtuosité d’un Giallo qui se sera hisser au-dessus des stéréotypes du genre pour le transformer de l’intérieur.

    Je ne me suis attardé que sur cet aspect de la mise en scène de Lucio Fulci qui apporte la preuve que celui-ci n’était pas un sinistre tâcheron, mais un cinéaste de première force qui pensait très précisément son film en fonction de l’effet recherché sur le spectateur.

    Que les amateurs de la signature sanguinolente de notre italien se rassurent cependant, les visions horrifiques sont bien présentes, mais diluées une atmosphère vénéneuse. Leurs impacts sont accrus par la musique d’un Ennio Morricone inspirée et par un jeu d’acteur impeccable [10].

    Une friandise qui ne se refuse pas, surtout en ces temps de super-héros manichéens triomphants…

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    [1] - Le DVD du Chat qui Fume est d’une bonne qualité et fait honneur dans son rendu au travail de Lucio Fulci et de son directeur photographique. Il y a pléthore de bonus, mais le plus important reste encore le film qui est enfin visible dans une version correcte (oubliez votre TVrip moisi…). Bonus non négligeable, le coffret propose la musique bien psychédélique et expérimentale de Morricone…

    [2] - L’Au-delà, La Maison près du cimetière et Frayeurs – dans le désordre…

    [3] - En plus de l’œuvre d’Agatha Christie, il faut citer les romans d’Edgar Wallace qui contiennent quelques figures que l’on retrouvera plus tard dans le Giallo comme des machinations complexes, des criminelles fétichistes et des manoirs emplis de passages secrets et autres traquenard. Mario Bava sera l’un des premiers a donner le la à ce genre avec La Fille qui en savait Trop (1963) ou se profile déjà l’hésitation entre l’approche polar et la tentation de basculer dans un fantastique psychanalytique…

    [4] - Je n’ai pas vu assez de Krimi pour en disserter sans faire d’erreur.s d'appréciations. Je me contenterais donc de signaler l’existence de cette branche teutonne du Giallo aux éventuels curieux

     [5] - Les Giallos baroques tardifs useront de l'argument fantastique, le tueur se métamorphosant parfois en sorcières (Suspiria de Dario Argento) ou devenant une incarnation de la mort elle-même qui prendra dans ses rets un quidam pour se jouer de lui lors d’une longue partie de cache-cache parsemés de meurtres paroxystiques orchestrés sur des airs d'Arias (Inferno de Dario Argento). Bloody-Bird (Michele Soavi) une pièce de théâtre d'épouvante verra un authentique serial-killer se mêler à la répétition, ouvrant sur une mise en abîme du genre. Ces Giallos évolueront ensuite en s'exportant aux États-Unis pour engendrer les Slashers, plus gores, mais bien moins intéressants...

    [6] - Un peintre dont les obsessions charnelles trouvent un parfait écho dans le cinéma de Fulci qui se plaira à déformer les corps humains lors de séquences aussi cauchemardesques que poétiques.

    [7] - À propos de la fuite de Carol dans le dédale des catacombes, une scène en particulier a attiré mon attention : acculée par son agresseur, Carol s’enferme dans un débarras pour lui échapper en érigeant un échafaudage incertain pour atteindre un vasistas hors de sa portée tandis que le tueur défonce la porte à grands coups d’épaules. Ce passage trouve un étrange écho avec une séquence similaire de Suspiria de Dario Argento… tourné six ans plus tard…

    [8] - Des asticots dans Frayeurs, encore une Chauve-souris enragée dans la Maison près du Cimetière, des araignées et un chien dans l’Au-Delà, un requin dans l’Enfer des Zombis, des oiseaux dans la Malédiction des Pharaons et même des escargots dans Aenigma...

    [9] – Quelques exemples : Les demeures impossibles de Suspiria et Inferno, la Rome anxiogène de Ténèbres de Dario Argento, l’université hallucinante de Torso, etc.…

    [10] - Ce qui est loin d’être le cas sur ses autres films qui souffrent d’une manière générale d’une interprétation à la ramasse, nuisant souvent à la bonne tenue de l’ensemble.

    Bibliographie : La seule et excellente monographie que je connaisse en français sur le Giallo est celle éditée par le Web-Magazine québécois Panorama.Cinéma : Vie & mort du Giallo : de 1963 à Aujourd’hui/dirigé par Alexandre François Rousseau .- 563 p.