Illustration par Didizuka |
Cette Noctule avait énucléé sa sœur, taillé en pièces sa propre lignée et assassiné tous les membres de l’ancienne famille royale. La haine et la soif de carnage avaient empli l’esprit de ce héros – de cette héroïne plutôt – tant et si bien que le roi Jehan avait entamé son règne en la défaisant lors d’un duel singulier. Comment avait-elle pu survivre à un coup de l'épée divine, les légendes l’ignoraient.
En lui confiant la charge du Dauphin, son instructeur lui avait bien précisé qu’Allytah n’était pas morte. Les espions avaient retrouvé sa trace après que son cadavre eut disparu du champ de bataille. Face à un tel monstre, même les plus acharnés des prétendants au trône réfléchiraient à deux fois avant d'attenter aux jours de l'adolescent. Pourtant, l’assassin ultime possédait à présent les traits d’une femelle qui avait pris de l’embonpoint. Elle l’interpella de sa voix rauque, faisant fi de l’humilité que l’homme du commun devait manifester devant lui.
— Déçu, l’écuyer ?
— Je… C’est que…
—T’as deux secondes pour répondre à mes questions. Si je vois que tu essaies de m’embobiner, tu dégages !
— Comment osez-vous ?
— C’est toi qui t’amènes chez moi avec la tronche enfarinée et un marmot dans un sale état. Je ne me goure pas si je te dis qu’il n’a pas dû faire plus de dix pouces en dehors du palais !
Il soupira avant de s’affaler sur son siège. Elle l’avait percé à jour. Son honneur vacillait sous le choc de la révélation. Une femme ! Plus aguerrie que lui au métier des armes ! Une impossibilité, une aberration dans son monde soigneusement ordonné. Elle lui sourit sans joie. Ses canines de prédatrice réfléchissaient la lueur des braises.
— Ton nom ?
— Chevalier Eldridge. Capitaine du premier régiment des remparts. Deuxième lieutenant des troupes éque…
— Pas besoin de tes titres à la con. Pourquoi t’es venu avec ce drôle chez moi ?
— C’est le Dauphin ! lâcha-t-il enfin comme l’on se débarrasse d’un poids trop lourd de ses épaules. Le roi Jehan m’a ordonné de le protéger jusqu’à ce que je vous trouve. J’ai une lettre de recommanda…
— Attends, attends… Ce connard de roi Jehan s’imagine que je vais m’occuper de SA marmaille !
— L’on m’a certifié que vous ne refuseriez pas…Allytah éclata d’un rire cruel. Ses yeux flamboyèrent, emplis de lueurs cardinales et pourpres. Sa folie et sa sauvagerie latentes dansèrent une sarabande au fond de ses prunelles. Sa main d’acier – qu’on lui avait coupée durant une séance de torture selon les chansons – s’abattit sur la table.
— Vraiment ! Il ne manque pas de toupet, celui-là ! D'abord, il m’éviscère et ensuite je devrais l’aider à se défaire de la merde qu’il a lui-même remuée avec ses idées tordues. Qu’il aille se faire foutre ! Quant à toi, tu me débarrasses le plancher !
— Mais… Le blizzard…
— C’est toujours mieux que de mourir, tu ne crois pas ? Pars avant d’user toute ma patience… Vite, vite !
Eldridge se leva, regrettant de ne pas pouvoir répliquer par une botte d'escrime bien sentie. Il ajusta son manteau sur ses épaules lorsqu’une adolescente d’une quinzaine d’années bondit entre les tables et les chaises. La gamine possédait des yeux de chat aux couleurs mauves. Une crinière orange hirsute remplaçait ses cheveux. Elle portait pour unique vêtement son pelage safran strié de bandes noires. Sa longue queue préhensile battait au rythme de sa nervosité tandis que ses grandes oreilles triangulaires se plaquaient contre son crâne.
— Maman ! Schiscrim te demande, le prévôt est là !
— Merde ! Va rejoindre ton frère, Tigrishka, et mettez-vous à l’abri. Je m’en occupe.
Elle claqua des doigts en direction du Chevalier. Elle ne le regardait plus, mais sa voix menaçante le cloua sur son siège.
— C’est de ta faute ! Ferme ta gueule et planque-toi ! Il y a du monde ce soir, si tu t’écrases, tu ne devrais pas te faire repérer. Je te protège le temps de virer cet abruti, ensuite tu te casses !
Le mari sortit de sa cuisine, reniflant bruyamment. Il avisa Alita et leurs regards se croisèrent.
— Allytah…
— Je sais ! Fais descendre discrètement les gamins dans le souterrain. Je vais m’occuper de ce cher Zed.
— Fais attention, ma grosse truffe ! Il est de méchante humeur. Tigrishka a dit qu’il refuse de déposer ses armes.
— Sans blague ! Il flaire le sang, cet enfoiré !
— Souviens-toi de ta promesse…
— Ouais ! Ouais ! Mon merveilleux et fastidieux père la morale. Je serai une fille bien sage. Pas de bagarre. Ils rendent leurs quincailleries, ils boivent et ils se barrent.
Elle lui lécha le nez d’un rapide coup de langue mauve puis, les épaules voûtées par les soucis, elle disparut entre les tablées. Eldridge se dissimula dans les ombres. Il ajusta la pelisse sur le dos du Dauphin légumineux afin de le camoufler au fond de leur alcôve. Par précaution, il dégaina la petite dague qu'il avait dissimulée au regard d'Allytah.
Sa rencontre avec elle le déboussolait. Personne, et certainement pas une misérable gueuse, ne lui avait jamais parlé ainsi. Toute sa vie, il avait commandé ! Suivre des ordres, émanant de surcroît d’une femelle aux seins ballants, allait contre toutes ses conceptions morales et religieuses. Cependant, les instructions étaient strictes et malgré tout l’irrespect dont était capable cette Noctule, Eldridge devait manœuvrer pour qu’elle accepte sa royale mission. Devant ce refus frontal, il réfléchissait à une manière indirecte de la manipuler.
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Voici un peu de musique pour agrémenter votre lecture.
En lui confiant la charge du Dauphin, son instructeur lui avait bien précisé qu’Allytah n’était pas morte. Les espions avaient retrouvé sa trace après que son cadavre eut disparu du champ de bataille. Face à un tel monstre, même les plus acharnés des prétendants au trône réfléchiraient à deux fois avant d'attenter aux jours de l'adolescent. Pourtant, l’assassin ultime possédait à présent les traits d’une femelle qui avait pris de l’embonpoint. Elle l’interpella de sa voix rauque, faisant fi de l’humilité que l’homme du commun devait manifester devant lui.
— Déçu, l’écuyer ?
— Je… C’est que…
—T’as deux secondes pour répondre à mes questions. Si je vois que tu essaies de m’embobiner, tu dégages !
— Comment osez-vous ?
— C’est toi qui t’amènes chez moi avec la tronche enfarinée et un marmot dans un sale état. Je ne me goure pas si je te dis qu’il n’a pas dû faire plus de dix pouces en dehors du palais !
Il soupira avant de s’affaler sur son siège. Elle l’avait percé à jour. Son honneur vacillait sous le choc de la révélation. Une femme ! Plus aguerrie que lui au métier des armes ! Une impossibilité, une aberration dans son monde soigneusement ordonné. Elle lui sourit sans joie. Ses canines de prédatrice réfléchissaient la lueur des braises.
— Ton nom ?
— Chevalier Eldridge. Capitaine du premier régiment des remparts. Deuxième lieutenant des troupes éque…
— Pas besoin de tes titres à la con. Pourquoi t’es venu avec ce drôle chez moi ?
— C’est le Dauphin ! lâcha-t-il enfin comme l’on se débarrasse d’un poids trop lourd de ses épaules. Le roi Jehan m’a ordonné de le protéger jusqu’à ce que je vous trouve. J’ai une lettre de recommanda…
— Attends, attends… Ce connard de roi Jehan s’imagine que je vais m’occuper de SA marmaille !
— L’on m’a certifié que vous ne refuseriez pas…Allytah éclata d’un rire cruel. Ses yeux flamboyèrent, emplis de lueurs cardinales et pourpres. Sa folie et sa sauvagerie latentes dansèrent une sarabande au fond de ses prunelles. Sa main d’acier – qu’on lui avait coupée durant une séance de torture selon les chansons – s’abattit sur la table.
— Vraiment ! Il ne manque pas de toupet, celui-là ! D'abord, il m’éviscère et ensuite je devrais l’aider à se défaire de la merde qu’il a lui-même remuée avec ses idées tordues. Qu’il aille se faire foutre ! Quant à toi, tu me débarrasses le plancher !
— Mais… Le blizzard…
— C’est toujours mieux que de mourir, tu ne crois pas ? Pars avant d’user toute ma patience… Vite, vite !
Eldridge se leva, regrettant de ne pas pouvoir répliquer par une botte d'escrime bien sentie. Il ajusta son manteau sur ses épaules lorsqu’une adolescente d’une quinzaine d’années bondit entre les tables et les chaises. La gamine possédait des yeux de chat aux couleurs mauves. Une crinière orange hirsute remplaçait ses cheveux. Elle portait pour unique vêtement son pelage safran strié de bandes noires. Sa longue queue préhensile battait au rythme de sa nervosité tandis que ses grandes oreilles triangulaires se plaquaient contre son crâne.
— Maman ! Schiscrim te demande, le prévôt est là !
— Merde ! Va rejoindre ton frère, Tigrishka, et mettez-vous à l’abri. Je m’en occupe.
Elle claqua des doigts en direction du Chevalier. Elle ne le regardait plus, mais sa voix menaçante le cloua sur son siège.
— C’est de ta faute ! Ferme ta gueule et planque-toi ! Il y a du monde ce soir, si tu t’écrases, tu ne devrais pas te faire repérer. Je te protège le temps de virer cet abruti, ensuite tu te casses !
Le mari sortit de sa cuisine, reniflant bruyamment. Il avisa Alita et leurs regards se croisèrent.
— Allytah…
— Je sais ! Fais descendre discrètement les gamins dans le souterrain. Je vais m’occuper de ce cher Zed.
— Fais attention, ma grosse truffe ! Il est de méchante humeur. Tigrishka a dit qu’il refuse de déposer ses armes.
— Sans blague ! Il flaire le sang, cet enfoiré !
— Souviens-toi de ta promesse…
— Ouais ! Ouais ! Mon merveilleux et fastidieux père la morale. Je serai une fille bien sage. Pas de bagarre. Ils rendent leurs quincailleries, ils boivent et ils se barrent.
Elle lui lécha le nez d’un rapide coup de langue mauve puis, les épaules voûtées par les soucis, elle disparut entre les tablées. Eldridge se dissimula dans les ombres. Il ajusta la pelisse sur le dos du Dauphin légumineux afin de le camoufler au fond de leur alcôve. Par précaution, il dégaina la petite dague qu'il avait dissimulée au regard d'Allytah.
Sa rencontre avec elle le déboussolait. Personne, et certainement pas une misérable gueuse, ne lui avait jamais parlé ainsi. Toute sa vie, il avait commandé ! Suivre des ordres, émanant de surcroît d’une femelle aux seins ballants, allait contre toutes ses conceptions morales et religieuses. Cependant, les instructions étaient strictes et malgré tout l’irrespect dont était capable cette Noctule, Eldridge devait manœuvrer pour qu’elle accepte sa royale mission. Devant ce refus frontal, il réfléchissait à une manière indirecte de la manipuler.
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