Reprise des affaires pour les Chroniques de Yelgor avec une bien belle illustration – quoiqu’un rien gorasse – de Duarb pour le prologue qui sera incorporé dans la nouvelle mouture que je prépare, en attendant la suite dont les idée dorment toujours dans quelques recoins de mon carnet. Ceci étant, je devrais m’y atteler dans les mois à venir… En attendant je mets à votre disposition la première partie du prologue qui se déroule 60 ans avant les événements de La Nuit de l’Auberge Sanglante. Une sorte de mise en bouche. Bon appétit.
Illustration par Duarb. |
[Chapitre 24 : Le Dauphin]
[Chapitre 25 : Le Poste de Frontière]
Conte de la Guerre des Hautes Marches…
[Chapitre 25 : Le Poste de Frontière]
Conte de la Guerre des Hautes Marches…
Désemparé, le Prévôt de Brine contemplait les restes des novices qui gisaient dans la grande maison près du lac. Une abjecte sculpture de souffrance grisâtre mêlait les esclaves à leurs maîtres. Ses adjoints le suivaient à petits pas prudents, leurs bottes de cuir chuintant sur le marbre. Elles glissaient presque. Chacun d’eux manifestait une angoisse palpable. Leurs cottes de mailles et leurs épées paraissaient incapables de les défendre contre l’horreur qui s’était déchaînée dans ce mausolée. Ils tremblaient dans leurs chausses, le cœur étreint par la poigne spectrale de la terreur.
À côté de lui, la seule rescapée du massacre grelottait de tous ses membres. Elle serrait les mâchoires à s’en faire éclater les dents pour contrôler ses mouvements spasmodiques. Sa tunique de soie en lambeaux dissimulait mal le galbe de ses seins proéminents. Ses bras d’albâtre avaient été griffés par des bosquets de ronces. Ses longs cheveux blonds ponctués de mottes de terre et de brindilles de pins témoignaient de sa fuite éperdue dans les bois environnants. Ses yeux bleus se portaient partout, traquant la moindre ombre suspecte.
Alors qu’ils traversaient la salle à manger, frôlant les colonnes de marbre, le Prévôt estima en avoir vu assez. Le tueur avait exploré les lieux avec méthode, moissonnant les novices avec une férocité hallucinante. Certains, surpris dans leurs repas, avait réussi à dégainer leur glaive d’apparat, mais le monstre n’en avait eu cure. La jeune fille s’approcha d’une des statues grises, les larmes surgissant de ses yeux.
— Oh ! Oh ! C’est… Kéric… On s’était promis…
Elle tendit la main vers son fiancé. Alors que les doigts de la novice touchaient la joue pétrifiée en une tendre caresse, le corps s’effondra en un nuage de cendre qui menaça d’engloutir toute la pièce. Le Prévôt la ramena d’un geste sec vers lui. Il n’avait pas envie de respirer des particules mortifères.
Il rebroussa chemin, ses hommes et la survivante sur ses talons. En passant le seuil de l’internat, il éprouva un net soulagement physique. Il plaignait les esclaves qui auraient à se dépêtrer de ce merdier. Les cendres grasses qui s’étaient déposées sur les épaulettes de sa cape le répugnèrent. Il secoua son vêtement, contemplant la surface d’or et d’azur de l'onde.
Le soleil à son zénith illuminait le lac Cristal qu’un fin zéphyr plissait en vaguelettes. Des bancs de daphnies, des dytiques et des crevettes s’ébattaient en un ballet aérien sous l’eau translucide. Il s’avança vers le ponton où le léger roulis berçait deux bateaux de plaisance. Il s’interrogeait sur l’origine de ces crimes étranges. Était-ce lié aux troubles qui embrasaient la capitale Tulking-Rox et dont les échos ébranlaient le pays ? À moins que ce ne soit une manifestation des Noctules et de leurs ignobles alliés qui se dirigeaient vers les Hautes Marches. Il essayait de deviner un schéma. Déjà trois séries de meurtres en moins d’une semaine et il n’avait pas l’ombre d’une piste. La jeune novice balbutiait des propos incohérents à propos d’un mort surgissant des flots, de la foudre entre les mains… Un charabia ésotérique et hallucinatoire qui ne l'aidait pas dans sa tâche.
Le Prévôt soupira. La clarté des eaux et la limpidité du ciel lui permettaient de contempler à des centaines de lieues de là les mille et une tourelles de Tulking-Rox qui émergeaient de la canopée. Il alluma sa pipe d’écume qu’il dissimulait entre les plis de sa cape. Il aspira la fumée produite par les brins d’herbe-étoile et laissa sa conscience dériver dans ses réflexions. Un bruit d’abord informe, puis prenant les caractéristiques de la voix et de la stature de son premier adjoint se manifestèrent. Il grommela, son introspection réduite à néant.
— Chef ! Vous devriez venir voir. On tient une suspecte !
— Tu penses vraiment, pauvre crétin, qu’un gars capable de faire ça resterait ici pour se faire coincer. Tous ces gamins ont eu une formation en escrime !
— Justement, la novice, elle a bien dit qu’elle a réussi à lui couper un bras ?
— Ouais ! Et alors ?
— On a trouvé notre coupable... Suivez-moi, chef.
Le Prévôt ne s’imaginait pas que son meurtrier puisse être appréhendé d’une façon aussi désinvolte. En pleine période de troubles guerriers, des espions surgissant de partout, l’enquête promettait d’être ardue. Non ! Il n’achetait pas la solution de facilité. Sa trentaine d’années à veiller sur la ville universitaire lui avait appris à se méfier des évidences. Mais son premier adjoint était frais émoulu de la caserne et n’avait pas l’intention de rester en service à Brine. Il comptait prendre du galon. L'ambition, ce fléau des temps modernes qui tuaient chez les hommes toutes formes d'intelligence, le répugnait.
Il emboîta le pas de l’adjoint. Sur le ponton, un garde se plaça près de la novice pour la surveiller alors qu’elle creusait de ses yeux hallucinés les profondeurs du lac. Le Prévôt longea les bâtiments de bois et de pierres à présent vides de toute présence. Seuls quelques esclaves en pagne s’affairaient au nettoyage des festivités en silence, jetant parfois des regards apeurés sur l’escouade des Gens d’armes.
Ils passèrent derrière les dépendances principales pour atteindre les greniers et les étables. Ils s’éloignèrent encore un peu dans la pénombre qui encadrait les maisons d’agréments pour rejoindre un petit carré de hangars abandonnés. Son premier adjoint adressa un signe aux deux hommes de faction qui gardaient l'entrée d'une vieille remise en bois vermoulu dont les murs se décomposaient peu à peu en sable. Son toit avait été défoncé par des branchages et les pierres taillées jonchaient des haies de ronces qui serpentaient aux alentours. Le Prévôt nota mentalement d’en faire part à l’intendant de l’université, car un tel laisser-aller était intolérable pour le prestige de Brine.
Il pénétra dans une pièce ne comportant qu’un sol en terre battue d’où émergeait des mauvaises herbes, quelques outils rouillés accrochés aux cloisons et un tas de paille humant la moisissure. Des gouttes de soleil filtraient à travers les trous qui ponctuaient le toit, illuminant une forme prostrée. Une lame brisée en forme de demi-lune d'ébène reposait près d’elle. À son entrée, la chose leva son museau vers lui, ses yeux vitreux glissant sur les objets sans les reconnaître. Une collerette de poils drus encadrait une physionomie canine.
Le Prévôt eut un mouvement de recul naturel devant une Noctule. Depuis des années ces monstres, en collusion avec les redoutables Dieux Noirs, harcelaient les frontières du Royaume. Son faciès couleur de nuit, caractéristique de cette race maudite, l’étudia un instant avant de se replier sur sa douleur. Ses babines tremblèrent un moment, découvrant des canines aiguisées. Seules ses courtes oreilles pointues surveillaient les hommes, se mouvant dans le sillage de leurs pas. Elle tenait sa main droite contre son avant-bras gauche. Un sang noir et épais avait enduit la paille d’un vernis pâteux à l’odeur ferreuse.
La coïncidence n’était que trop belle. Le Prévôt doutait de la culpabilité de la Noctule, car aucun des deux témoignages qu’ils avaient recueillis ne mentionnait cette redoutable ethnie qui hantait les forêts pétrifiées et leurs innombrables cavernes, bien plus au sud de Brine.
Néanmoins, il ne pouvait décemment pas la laisser aller et venir librement dans la cité des Sciences et de la Magie. Il se tourna vers ses hommes et, d’un geste, leur ordonna de procéder à l’arrestation.
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Un peu de musique pour se mettre dans l'ambiance...
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