dimanche 6 décembre 2020

    Bibliothèque des Ombres : Masterpieces of Fantasy Art/Dian Hanson

    Je suis un indécrottable amateur de fantasy et si vous suivez un peu ce blog, vous savez ce qu’il en est de mon appétence pour ce (mauvais) genre. Dans ma jeunesse, j’ai consommé moult représentations picturales appartenant à ce courant. Les illustrations émaillant les couvertures de roman des années 80-90, mais aussi celles qui s'étalaient dans certains magazines consacrés au jeu de rôle constituèrent une porte d’entrée dans cet univers fleuretant souvent avec un maniérisme pompier qui ne m’est pas désagréable à l’œil. Et malgré une éducation qui m’a mené sur les franges de l’art contant-pour-rien, je dois confesser que je demeure un indécrottable amoureux de peintures figuratives. On glosera sur le fait que nombre de ces tableaux sont conçus comme étant d'éphémères objets de consommation, support fugace de récits stéréotypés, et pour une grande part, je n’en disconviendrai point. Reste que certains illustrateurs par la singularité de leurs thèmes ou par une technique qui ne ressemble à aucune autre, s’affranchissent de l’aspect mercantile pour injecter dans leurs travaux un sentiment, une impression. En bref : faire de l’art.

    L’article introductif qui ouvre le livre, de Dian Hanson développe en détail les rapports paradoxaux qui nous lient à cet univers pictural dont les influences proviennent autant de la modernité que d’une résurgence d’un imaginaire mythologique aux relents d'hémoglobines et de sexe. Prêt à tout pour attirer l’œil du lecteur, ces artistes entretiennent d’ailleurs une filiation avec leurs collègues du Paléo-art[1] dans les efforts qu'ils déploient de crédibiliser les scènes fantasmagoriques qu’ils transposent sur la toile.

    Réunir au sein d'un même volume quelques-uns des meilleurs artistes de la discipline, cela aiguilla forcément mon attention. Plutôt que de posséder des recueils épars et parfois imprimés à la va-vite, un ouvrage enrichi par des reproductions soigneuses dont la maison d'édition allemande est familière – à défaut de contempler les tableaux – est un appât puissant pour l'amateur que je suis. Le Confinement™ (Saison 1, épisode 1) en a retardé la parution, mais toutes les (bonnes) choses finissent par arriver un jour… Aussi ai-je acquis le lourd grimoire par un beau jour d’automne pandémique, juste avant la deuxième flambée de fièvre et les apparitions virales de prophètes de l’apocalypse. Cet hiatus dans la sortie de l'ouvrage va avoir des conséquences pour le moins inattendues dans sa confection. Déboursant une somme indécente pour la chose, me voilà donc en possession de plus cinq kilos de papier à l’enivrante odeur d’encre et d’imprimerie. D’autant que d’habitude les éditions Taschen fignolent leurs gros bébés. Est-ce que ça valait le coup ? Et bien…

    Le livre présente des avaries auxquelles je n’étais pas vraiment habitué de la part de Taschen. Outre la traduction française totalement foireuse, et lardée de coquilles visibles à la première lecture, qui a eu l’idée de mettre en ouverture de chapitres des reproductions collées sur des planches en carton coloré ? Si la méthode en impose, la glu bave sur les bords des illustrations et obligera l’acquéreur à altérer les pages. Impossible d'enlever ces coulures immondes avec un scalpel ou avec une gomme sans abîmer la fragile matière. La teinte de fond fout le camp aux moindres contacts. Encore pires, certaines planches présentent des écorchures qui lacèrent les reproductions. Le carton protecteur est minimal et même sous blister, la couverture a essuyé les dégâts des différentes manutentions. Tout cela sent la précipitation pour combler le manque à gagner. Je ne suis pas du genre à chipoter, comprenant fort bien qu’entre le lieu de façonnage et l’arrivée en librairie, le livre subissent quelques accrocs et anicroches des altérations, mais sur un aussi gros opus, ces problèmes éprouvent assez vite la bienveillance de l’acheteur.

    Les nombreuses illustrations sont appréciables, mais là encore quelque chose ne colle pas avec les ambitions démesurées des auteurs. On retrouve sans surprise les incunables comme Frank Frazetta avec quelques peintures inédites, les frères Hildebrandt, Sanjulian, Rodney Matthews ou même Boris Vallejo mais on se demande tout de même pourquoi Julie Bell occupe un tiers de la pagination. Alors si l’artiste possède une bonne technique, son cousinage stylistique avec son mari à la ville ne lui confère pas une aura suffisante pour s’attarder à ce point sur elle, d’autant que son émergence toute récente – comparativement à d’autres – minimisent l'importance d'autres signatures qui auraient mérités une exploitation aussi laudative. Idem pour la présence de Moebius dont les thématiques me paraissent déplacées par rapport au sujet principal. Ce ne sont pas de mauvais artistes en soient, mais l’une bénéficie d’une exposition exagérée, quant au second, son univers pictural marqué par ironie grinçante ne fonctionne pas parmi les tableaux plus frontaux et premier degré de ses confrères.

    Excepté l'introduction qui ouvre l'appétit, les autres articles jouent les utilitaires et ne consiste qu'en quelques biographies brossées à la va-vite. Pour l’analyse artistique et historique, on repassera. L’ouvrage consacré au Paléo-art avait le mérite de mettre en perspective les toiles avec les découvertes paléontologiques et le contexte politique de leurs époques, lequel pesait sur les représentations graphiques des dinosaures. Ici, rien de tout cela ! L’on aurait aimé avoir un peu de cette érudition dans les commentaires, une dissection du style, des influences des artistes et de la valeur symboliques des figures et des postures plutôt que ce texte succinct qui souligne des évidences... Le dernier chapitre qui rassemble 99 artistes fait un peu pitié avec ses minuscules images tassées sous des notices faméliques.

    Au final, les illustrations sauvent les meubles. J’ai quand même pris du plaisir devant la patte de certains artistes que je ne connaissais pas, mais entre le façonnage fait à la va-vite et un texte aux fraises, je regrette que ce ne soit pas l’équipe derrière l'ouvrage consacré au Paléo-art qui ait été aux commandes de celui-là. Il y avait d’ailleurs quelques ponts à jeter entre les deux domaines, les uns ayant nourri les représentations sauriennes des autres, et inversement.

    En somme, les néophytes y trouveront leurs comptes, pourvus qu’ils aient en leurs possessions un exemplaire n’ayant pas trop morflé dans les rotatives et dont la colle ne bavera pas trop. Pour les autres, mis à part les reproductions irréprochables, c’est dispensables et mieux vaut se replonger dans les monographies de son artiste favoris.

    Ça fait moins mal au cul !

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    [1] Les Paléo-artistes s’efforcent de rendre crédible un univers qui n’existe plus en extrapolant sur la faune et la flore actuelle, quitte à se fourvoyer dans leurs représentations à cause des idées préconçues de l’époque à laquelle ils officiaient. Ceux qui s’adonnent à la fantasy au contraire dépeignent des mondes imaginaires, mais les deux disciplines recours aux mêmes outils dans leurs travaux prospectifs, et parmi eux une technique sans faille, un respect de la forme qui les rapproche du réalisme, sans pour  autant abandonner les délices de l’impressionnisme ou de l’expressionnisme. Une recherche du « beau »[2] qui implique un apprentissage approfondi à laquelle se joint une indispensable touche stylistique qui conférera à l’illustration ce supplément d'âme qui en fera de l'art.

    [2] – et encore faut-il s’entendre sur ce thème, qui est toujours l’objet d’intenses débats philosophiques. Je résumerais subjectivement la chose comme étant l’effort fourni par le praticien pour produire un objet intelligible par le spectateur. Celui-ci ne doit pas chercher dans les matériaux, la disposition de l’œuvre dans l'espace ou tout dispositif scénique de type « ready-made », un questionnement plaqué sur celle-ci de manière artificielle. Au contraire, le dialogue entre le créateur et son audience doit s'établir sur base des formes, des couleurs et le choix du cadre au sein même de l'œuvre. Elle doit fait naître dans le regard du spectateur un sentiment, une impression, voire même l'amener à saisir un concept qui eût été plus difficile de rendre intelligible avec d'autre moyen – bien qu’à vouloir placer un message dans une création artistique entraîne le risque non négligeable de fleureter avec la basse propagande, mais j’y reviendrais un jour… L’œuvre ne doit pas être insignifiante pour ceux qui daignent lui consacrer du temps et de l'attention. Pour faire un exemple, il est à mon sens plus facile d’être fasciné par l’atmosphère de décrépitude d’un tableau de Francis Bacon que par trois cure-dents plantés dans un bouchon de liège, que « l’artiste » a crânement intitulé : « Molécule »…

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