289 p.
Traduction : François Dirdan
Préface de Walton Ford
Parmi tous les sujets qui ont focalisé mon attention, je crois qu’un des premiers – comme pour quelques autres bambins de la fin du XXe siècle – fut les dinosaures, ces gros « sauriens » venus des âges sombres de la terre. Et bien sûr, en dehors des musées, ce furent les livres qui me permirent de goûter à l’opium crétacé grâce à des visions d’illustrateurs parfois si prégnantes qu’elles imprimèrent durement mes rétines. Peut-être éprouvai-je ce vertige que n’importe qui ressent devant ces squelettes de pierre méticuleusement rassemblés par les paléontologues, traces antédiluviennes d’un passé plus lointain et inimaginable que celui déjà immense qui nous sépare des pharaons. Outre la grandeur – encore qu’il existe une infinité d’espèces ne dépassant pas le mètre, ce qui relativise un peu les choses –, c’est surtout la notion temporelle qui procure un effarement qui doit être voisin de l’effroi cosmique cher à Lovecraft. Parce que si « du haut de ces pyramides cinq siècles vous contemplent », qui dirent des millions d’années qui nous fixent depuis les orbites vides d’un compsognathus ? L’histoire humaine à l’échelle des dinos ? Rien ! Même pas le quart du demi d'un cinquième d’un battement de cœur de stégosaure !
Or pour se figurer toutes ses bestioles ainsi que nos très lointains ancêtres, il a fallu recourir aux talents et aux artistes de tous poils et de toutes origines. Malgré la grandeur et la complexité de la tâche à accomplir, les peintres qui ont mis les mains dans le pétrole n’ont pas vraiment eu la postérité qu’ils auraient méritée. Car l’effort de création à fournir s’accompagne souvent – mais pas toujours – d’une vraie recherche pour tendre vers une véracité des scènes représentants les fameux animaux dans leurs environnements. Ainsi, la science s’offre une valse avec l’imagination. Une danse contrariée tant les deux cavalières ont un tempérament antagoniste, le calme et la pondération de l'une se mélangeant parfois assez mal avec les envolés lyriques de sa comparse, prompte à se défaire des carcans académiques pour vadrouiller ou bon lui plaît.
C’est cette sarabande à travers les siècles que ce magnifique ouvrage se propose de nous relater au travers du prisme de l’art et de ses praticiens. S’il est quelquefois question de science, ce ne sera que pour appuyer les multiples mutations qui vont marquer l’esthétique des dinosaures. Des soubresauts d’apparences qui se modifient au fur et à mesure que les techniques de reconstitution se font de plus en plus pointues nous permettant d’apprendre quelques miettes de savoir supplémentaires sur notre lointain passé. Les dinosaures, on les connaissait depuis le moment où nous avons commencé à creuser dans la glaise. Autrefois ils furent parés des oripeaux de basilics et de dragons. Parfois révérés comme des Dieux, parfois broyés en poussière pour éveiller la virilité défaillante de quelques barbons neurasthéniques, les fossiles ont toujours flotté dans un coin sombre de notre conscience.
Le PaléoArt est donc une discipline artistique qui consiste à redonner vie à ce qui fût. À défaut de pouvoir voyager dans le temps, les artistes vont s’échiner à récréer un passé antérieur. Une quête qui, comme le montre la journaliste Zoë Lescaze, a été ponctuée d’erreurs, de créatures difformes et d’interprétations pour le moins… curieuses. Mécène et industriels désireux de se tailler une réputation se sont penchés sur le chevet des squelettes, imposant parfois leurs désidératas aberrants, donnant naissance à des avortons ayant plus à voir avec la chimère qu’avec la reconstitution soigneuse.
L’aventure débute en Angleterre vers 1830 avec une certaine Mary Anning qui, dans la précarité financière collecte des « Doigts du Diable » et autres « Pierres à Serpents » pour les vendre à des crédules comme remède contre le panaris et philtres d’amour divers. Ce n’est qu’avec le temps — et la sortie de la détresse économique — que la jeune femme apprendra à mieux connaître ces étranges pierrailles, s'intéressant à la géologie pour poser les bases de la paléontologie balbutiantes, la notion de préhistoire n’existant pas encore. En rencontrant le géologue anglais — et dessinateur à ses heures pas perdues pour tout le monde — Henry Thomas de la Beche, Mary Anning va enfanter sans le vouloir de la première œuvre de PaléoArt : Duria Antiquior. Cette modeste aquarelle ressuscite par la grâce du trait et du pigment les fossiles découverts le long de la côte anglaise.
Traduction : François Dirdan
Préface de Walton Ford
Parmi tous les sujets qui ont focalisé mon attention, je crois qu’un des premiers – comme pour quelques autres bambins de la fin du XXe siècle – fut les dinosaures, ces gros « sauriens » venus des âges sombres de la terre. Et bien sûr, en dehors des musées, ce furent les livres qui me permirent de goûter à l’opium crétacé grâce à des visions d’illustrateurs parfois si prégnantes qu’elles imprimèrent durement mes rétines. Peut-être éprouvai-je ce vertige que n’importe qui ressent devant ces squelettes de pierre méticuleusement rassemblés par les paléontologues, traces antédiluviennes d’un passé plus lointain et inimaginable que celui déjà immense qui nous sépare des pharaons. Outre la grandeur – encore qu’il existe une infinité d’espèces ne dépassant pas le mètre, ce qui relativise un peu les choses –, c’est surtout la notion temporelle qui procure un effarement qui doit être voisin de l’effroi cosmique cher à Lovecraft. Parce que si « du haut de ces pyramides cinq siècles vous contemplent », qui dirent des millions d’années qui nous fixent depuis les orbites vides d’un compsognathus ? L’histoire humaine à l’échelle des dinos ? Rien ! Même pas le quart du demi d'un cinquième d’un battement de cœur de stégosaure !
Or pour se figurer toutes ses bestioles ainsi que nos très lointains ancêtres, il a fallu recourir aux talents et aux artistes de tous poils et de toutes origines. Malgré la grandeur et la complexité de la tâche à accomplir, les peintres qui ont mis les mains dans le pétrole n’ont pas vraiment eu la postérité qu’ils auraient méritée. Car l’effort de création à fournir s’accompagne souvent – mais pas toujours – d’une vraie recherche pour tendre vers une véracité des scènes représentants les fameux animaux dans leurs environnements. Ainsi, la science s’offre une valse avec l’imagination. Une danse contrariée tant les deux cavalières ont un tempérament antagoniste, le calme et la pondération de l'une se mélangeant parfois assez mal avec les envolés lyriques de sa comparse, prompte à se défaire des carcans académiques pour vadrouiller ou bon lui plaît.
C’est cette sarabande à travers les siècles que ce magnifique ouvrage se propose de nous relater au travers du prisme de l’art et de ses praticiens. S’il est quelquefois question de science, ce ne sera que pour appuyer les multiples mutations qui vont marquer l’esthétique des dinosaures. Des soubresauts d’apparences qui se modifient au fur et à mesure que les techniques de reconstitution se font de plus en plus pointues nous permettant d’apprendre quelques miettes de savoir supplémentaires sur notre lointain passé. Les dinosaures, on les connaissait depuis le moment où nous avons commencé à creuser dans la glaise. Autrefois ils furent parés des oripeaux de basilics et de dragons. Parfois révérés comme des Dieux, parfois broyés en poussière pour éveiller la virilité défaillante de quelques barbons neurasthéniques, les fossiles ont toujours flotté dans un coin sombre de notre conscience.
Le PaléoArt est donc une discipline artistique qui consiste à redonner vie à ce qui fût. À défaut de pouvoir voyager dans le temps, les artistes vont s’échiner à récréer un passé antérieur. Une quête qui, comme le montre la journaliste Zoë Lescaze, a été ponctuée d’erreurs, de créatures difformes et d’interprétations pour le moins… curieuses. Mécène et industriels désireux de se tailler une réputation se sont penchés sur le chevet des squelettes, imposant parfois leurs désidératas aberrants, donnant naissance à des avortons ayant plus à voir avec la chimère qu’avec la reconstitution soigneuse.
L’aventure débute en Angleterre vers 1830 avec une certaine Mary Anning qui, dans la précarité financière collecte des « Doigts du Diable » et autres « Pierres à Serpents » pour les vendre à des crédules comme remède contre le panaris et philtres d’amour divers. Ce n’est qu’avec le temps — et la sortie de la détresse économique — que la jeune femme apprendra à mieux connaître ces étranges pierrailles, s'intéressant à la géologie pour poser les bases de la paléontologie balbutiantes, la notion de préhistoire n’existant pas encore. En rencontrant le géologue anglais — et dessinateur à ses heures pas perdues pour tout le monde — Henry Thomas de la Beche, Mary Anning va enfanter sans le vouloir de la première œuvre de PaléoArt : Duria Antiquior. Cette modeste aquarelle ressuscite par la grâce du trait et du pigment les fossiles découverts le long de la côte anglaise.
Duria Antiquior - Henry Thomas de la Beche, 1830 |
À la première stupéfaction vis-à-vis de ces créatures, succéda une période de chaos au court de laquelle les diacres et autres autorités religieuses eurent beaucoup de mal à gober la pilule amère : les humains n’ont tout simplement pas existé pendant des centaines de millions d’années. Pendant une partie du XIXe siècle, le PaléoArt balbutiant fut souvent mis au service d’idéologies parfois saugrenues, ainsi l’une d'elles prophétisait que l’homme, étant par nature la perfection divine trônant au sommet de l’évolution, ces lointains ancêtres ne seraient être que des ébauches grotesques, quelques reptiles cannibales barbotant dans la boue antédiluvienne. Un concept exploité par l’anatomiste Richard Owen à travers les sculptures sauriennes de Crystal Palace, fabriqué par Benjamin Waterhouse Hawkins à l’occasion de la première exposition universelle en 1851. Par cette démonstration de force, d’une puissance égale à celle du plus récent Jurassic Parc de tonton Spielby, Richard Owen va ancrer dans l'esprit de ses contemporains l’idée des dinosaures — un mot dont il baptisera les squelettes géants en 1841 — sont à l'évidence de pitoyables avortons. Les pauvres mégalodons et iguanodon ne se reconnaitraient pas dans les dantesques sculptures les affublant de caractéristiques fantaisistes. Ainsi au début de leurs représentations les dinosaures furent-ils tour à tour instrumentalisés pour servir les théories défiant l’évolution darwinienne ou pour symboliser la redoutable flotte anglaise dans la figure du combat de l’ichtyosaure contre le fragile plésiosaure, allégorie de la France Macro… Napoléonienne.
Mégalosaure de Crystal Palace. |
Néanmoins, ces délires fantasmatiques, ces gravures et ces aquarelles de monstres mous et de tylosaures cruelles ne resteront que des surgissements de l’inconscient dans le positivisme de la science et de l’industrie naissante. Tout comme les visions spirites et la chasse aux fées de Conan Doyle, les dinosaures seront les acteurs d’un incroyable retour du merveilleux refoulé par une raison par trop cartésienne. De plus, à l’inverse des théories d’Allan Kardec, ces créatures adoubées par les officines scientifiques vont vite envahir le monde avec un égal succès en tout point du globe, de la Chine en passant par les steppes glacées de la Russie, faisant même une halte dans les mines belges, à Bernissart où l’on exhumera un des plus impressionnants troupeaux d’iguanodons.
Ichtyosaure et Plésiosaure de Edouard Riou, 1863 |
Ce succès entrainera aux États-Unis une ruée vers les fossiles dont la folie furieuse n’aura rien à envier à celle de l’or, les ossements rapportant gros et les différentes universités n’hésitant pas à débourser des fortunes pour posséder de préférence des géants complets. C'est aux sons des colts que naîtra une véritable épopée western sur fond de Crétacé. Les protagonistes : Othniel Charles Marsh et Edward Drinker Cope. Des amis passionnés de géologie qui plongeront dans une rivalité sanglante qui causera la destruction de quelques squelettes lors d’acte de sabotage opéré à la dynamite. Si Marsh s’avérait être un personnage paranoïaque, à la limite de la psychopathie, Cope quant à lui sera hanté par des cauchemars récurrents au cours desquels les tyrannosaures et tricératops ne cesseront de démantibuler son corps dans un jurassique anxiogène. Néanmoins à eux deux, ces paléontologues de l’extrême exhumeront plus d’une centaine d’espèces – pour celles qui auront survécu aux règlements de compte à Trias-city – et établiront durablement la richesse américaine dans le domaine. C’est dans cette ambiance délétère que Cope demandera à un autre homme d’exception de matérialiser sur la toile ces découvertes : Charles R. Knight.
Leaping laelaps (1897) |
Puissances et vélocités voilà les deux maîtres mots de la peinture de Knight qui provoquera une véritable renaissance du PaléoArt. Il y aura un avant et un après Knight. Sculpteur – il prendra toujours le soin de fabriquer des modèles d’argile en observant les squelettes, essayant de récréer la chair sur les os pour mieux analyser les jeux d'ombre et de lumière sur ses sujets –, Knight va synthétiser les différentes qualités des Paléoartistes : une approche scientifique, une rigueur d’exécution, mais aussi une tendance – qui lui sera reproché dans les milieux universitaires – à la dramaturgie. Que ce soit dans ses toiles les plus calmes ou dans la dépictions de combats titanesques. Knight lui-même ne récusera pas les affirmations de ses détracteurs, trouvant dans ces animaux un véritable potentiel artistique dont il aurait été dommage de se priver…
Ptéranodon - détail, Heinrich Harder. |
Les Ptérodactyles - Mathurin Méheut, 1942-1947 |
Outre Knight, je ne peux m’empêcher de citer la présence au sommaire de cet ouvrage d’une autre sommité du genre : le tchécoslovaque Zednek Burian. Travaillant de concert avec le paléontologue Josef Augusta, il exécutera plus de 500 illustrations sur le thème de la préhistoire. Le style de Burian mêle est un savant mélange de précision – bien qu’il n’ait pas eu l’occasion d’avoir accès à des fossiles, rare dans son pays – et d’impressionnisme, avec empattement, coupures et grattages de toiles. Chaque image permet au peintre de se déchainer sur son sujet et d’expérimenter pour rendre palpables les peaux, les écailles et les poils en usant de toute la latitude que lui offre la matière. Si ces dinosaures prennent une pose dynamique dans des scènes dramatiques, il excellera encore plus dans la description des hommes préhistoriques, puisant dans son existence précaire pour insuffler une âme à ses visions d’un autre monde. Emplies d’anxiété – Burian aura traversé deux guerres, vécu le pire du « communisme » et mené une adolescence de SDF –, ces œuvres, utilisant souvent des matériaux de récupération, sont percluses de détails sinistres qui frappent l’œil.
Tyrannosaurus Rex attaquant des Trachodon Annectens de Zdenek Burian, 1938 |
Le communisme oppressif du bloc soviétique, dans lequel la plupart des artistes peineront sur un réalisme sociale, verra le paléoart s'auréoler d'un voile de liberté pour les peintres audacieux. Cantonnées à l’illustration informative, les toiles échapperont à la censure bureaucratique. Outre la virtuosité morbide d'un Burian, il faut citer les essais sur carton, usant d’expédient en guise de pigment, du directeur de musée Konstantin Konstantinovich Flerov, rejoignant par la voie des dinosaures les fauvistes européens. Il va de soi que le singulier personnage enverra aux oubliettes toute prétention documentaire dans ses étranges représentations qui empreintent plus à l’esthétique prophétisée par Knight qu’à la science…
Tarbosaurus et dinosaures blindés de Konstantin Flerov, 1955 |
Donnant souvent dans le spectaculaire, la mise en scène de foire tout juste bonne à amuser les drôles, le PaléoArt a souffert de sa nature schizophrénique. Il n’empêche qu’à s’y pencher comme nous le propose ce livre, avec de superbes reproductions riches en couleurs et en nuances, l’on se trouve ici en face d’un genre en soi avec ses figures obligées – Ichtyosaure contre plésiosaure, tyrannosaures et tricératops par exemple – et ses audaces thématiques et formelles. Parce que le sujet fait un double appel à la science et à l’imagination, cette discipline s’est retrouvée plongée dans les oubliettes, alors même que son champ d'expérimentation est l’un des plus évidents pour ses praticiens.
Rarement entretenu ou restauré, le poids des années n’a guère épargné le PaléoArt [1]. Les images de synthèses ont ajouté quelques rivets supplémentaires à son cercueil d’oubli. Mais Si les outils graphiques de modélisations en 3D permettent de créer de toutes pièces des représentations plus précises, ils leur manquent le souffle de vie insufflé par le pinceau et le couteau d’un artiste compétent, possédé par une réelle vision et une envie de la transmettre.
Pourtant, il y a de la matière pour une nouvelle génération, d’autant que les dernières recherches ont bouleversé notre compréhension des dinosaures – les animaux ne sont plus du tout des reptiles, mais bien une famille voisine des oiseaux, une branche du vivant qui n’existe plus... En raison de cette plasticité constante qui résiste à toutes les tentatives pour les normaliser, les dinosaures restent surtout un séduisant mystère et une paradoxale fantaisie scientifique. Si les illustrations contenues dans ce livre sont d’ore et déjà caduques, elles ne nous en invitent pas moins à un voyage passionnant dans les tréfonds d’un passé qui nous est autant universel qu'intime.
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[1] – Si le vingtième siècle a été celui au court duquel s’est développé le PaléoArt, probablement la discipline artistique la plus « science-fictive », essayant de construire des mondes passés, l’Art Contemporain et ses nombreuses bouffonneries déconstruisaient jusqu’à l’idée même d’Art. L’un a été condamné à l’effacement, l’autre a été richement doté par l’argent public. Quitte à être rétrograde, j’ose préférer l’expressivité, surtout lorsqu’elle additionne l’imagination à la technique pour signifier une idée, un sentiment ou une contemplation qu’une installation absconse minimaliste dont la seule valeur est pécuniaire.
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Un peu de musique pour se mettre dans l'ambiance...
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