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    samedi 16 juin 2012

    Foutage de Gueule Ultime : Prometheus.


    Un film sur les grosses têtes....

    Autrefois, lorsque j’étais enfant, mon père, un fan de SF autant littéraire que filmique me montra Alien. Ce film fut un véritable choc. J’en ai fait des cauchemars, des visions d’horreur : spécialement la chose nommée « Face-Hugger », inquiétante combinaison d’une main, d’une araignée et d’un scorpion. Une créature qui par son design peu ragoutant a fait date dans l’histoire du cinéma.

    Par la suite, j’ai suivi tous les autres films de la saga. Quelques peu inégaux, présentant toujours certaines idées bien barrées, cette série a bercé toute une partie de ma jeunesse, jusqu’à l’adolescence. Principalement cet étrange vaisseau, perdu sur une planète de cauchemar, contenant dans sa soute les redoutables choses qui n’ont jamais censé de faire carburer mon imagination.
     
    Alien est un conte d’horreur dans un univers appartenant à la SF que son approche sensitive place dans une optique très particulière, celle de la terreur matérialiste. Il n’y a pas de fantôme et pas de divinité à laquelle se raccrocher. Contenant une complexe histoire sous-jacente que le scénariste Dan O’Bannon s’est bien gardé de nous révéler, le film envoie le spectateur et ses personnages dans un univers glacial. C’est l’histoire d’une rencontre du troisième type qui bascule dans le cauchemar. L’Autre est une chose incompréhensible et destructrice, une créature en constante mutation dont on ignorera tout. Cette manière d’envisager les rapports de force entre extraterrestres et humains n’est pas loin de l’approche de l’horreur de H.P.Lovecraft.

    La présence d’une technologie reposant sur un concept aussi monstrueux que le mélange de la chair à la mécanique a engendré toute une pléthore d’œuvres parallèles. Il est à parier que nombres de monstres de jeux vidéos, de bandes-dessinées, voire même de romans doivent beaucoup à ce film. Et je ne parle même pas du cinéma bis qui a enfanté une armada de pellicules pompant allègrement le schéma scénaristique du premier Alien (Métamorphosis : The Alien Factor, Contamination, Créatures, la Galaxie de la Terreur et bien d’autres….)
    Œuvre phare de la Science-fiction adulte Alien, en se vautrant dans la saleté, a fait basculé le genre du space-opera en pyjama dans le cyberpunk. Cette esthétique allait rapidement gagner en popularité dans les années 80. Adieu l’USS Enterprise de Star-Trek, véhicule spatial trop propre sur lui et bonjour le vaisseau poussiéreux, hanté par un ordinateur de bord aux ordres d’une multinationale aussi rapace que tentaculaire. Adieu équipage trop souriant, trop poli, portant sur eux des joggings ou des combinaisons inadéquates. Dans Alien, on a droit à un équipage de prolos de l’espace. Des personnages bien construits, stressés par leurs situations et qui ne pourront qu’improviser face à des événements les dépassant totalement.

    Alien premier du nom a donc été aussi novateur que 2001,l’odyssée de l’espace, dans un tout autre style. Le scénariste a fait le pari payant de bétonner son univers, jouant avec l’imagination du spectateur pour lui suggérer le pire.

     Aidé par la réalisation de Ridley Scott alors au zénith de son talent, nous sommes embarqués dans ce monde menaçant, fait d’ombres où la lumière est une denrée aussi précieuse que trompeuse, le clair-obscur dissimulant sournoisement le danger. L’excellent travail sonore comportant tout un jeu de sons feutrés, lesquels seront distincts selon les différents secteurs du Nostromo, contribuera à nous immerger dans une atmosphère angoissante. Ajoutons à cela une musique discrète mais inspiré de Jerry Goldsmith et vous avez un classique de la SF horrifique qui demeure toujours d’actualité 33 ans après sa production.

    Cette longue introduction sert à faire le parallèle entre deux périodes de la saga qui nous permettant d’assister à l’agonie d’un certain cinéma puisque Prometheus est la préquelle de Alien. Tourné en 2012 et en 3D, Prometheus sent déjà la naphtaline.
     
    A 30 minutes à peine du début, impossible de rester de marbre face à un massacre intégral : acteurs de seconde zone, déluge d’incohérences, scènes ratées, raccord avec le film original capillotracté, réalisation molle…. L’impression d’avoir été pris pour un crétin est intense… Logique d’une époque de capitaliste triomphant qui biaise par le bas tout ce qu’elle touche. On n’est plus là pour rêver mais pour consommer.

    Les auteurs n’auraient-ils pas revu leur copie avant de s’atteler à la rédaction de ce truc ? Il y avait pourtant matière à introduire une dose de folie en partant de la découverte du vaisseau transportant les œufs d’Aliens. Pourquoi les créateurs des humains et des Aliens sont-ils de foutus anthropomorphes quand tout semble suggérer le contraire ? Est-ce que cela n'aurait pas eu plus de sens de faire ressembler les extraterrestres à des formes évoluées de la célèbre créature de Giger, ce qui paraissait suggéré dans le premier film plutôt qu'à des fans de SM ?? Quid de leurs origines biomécaniques ? Sont-ils à base de silicium ?? Etc… Ne cherchez pas une once d’imagination durant ces 2 heures 10 de film.
    Un "Ingénieur" donc....
    Le scénariste Damon « Lost » Lindelof[1], appliquant la recette de sa série à succès sans réfléchir, multiplie les personnages sans ne jamais en développer aucun. Il en sera de même pour les idées qui parsèment le film : Je suis à peu près certains que mieux présentées certaines d’entre elles auraient pu aboutir à quelque-chose, un embryon de long-métrage plus intéressant. Cette méthode engendre une quantité invraisemblable d’incohérences de toutes sortes, à un tel point qu’on se demande si le film n’a pas été rédigé par un adolescent sous cocaïne !! Le malheureux spectateur, attiré par la promesse d’un bon film de SF grâce à la force du marketing virale a le droit à une enfilade incroyable de stéréotypes éculés.

    La caractérisation des personnages donnent la nausée. Ce qui est fort dommageable puisque pour que le suspens fonctionne, nous devons impérativement nous attacher à eux.

    Holloway (Logan Marshall-Green) est un scientifique au look de GI, passant la moitié du temps à biberonner de la vodka tout en enfreignant au moins 250 000 protocoles scientifiques. Interprété par une endive cuite. Holloway affichera un air blasé jusqu’à sa mort. Sa seul motivation demeurera de s’envoyer en l’air avec « sa meuf parce qu’elle est bonne… ». Les extraterrestres ne lui arracheront qu’un haussement d'épaule blasée. Que voulez-vous, il en a vu de dur dans le 9-3. Figure autrefois récurrente du cinéma de Luc Besson, il semble que le « jeune de banlieue », ou son avatar fantasmé par les médias dont le GI n’est qu’une variante issus de la culture américaine, a infecté peu à peu tout l’espace de la fiction contemporaine. Avec son attitude méprisante, sa haine viscérale de la culture sous toutes ses formes, sa misogynie prononcée, ce personnage est parvenu à s’imposer comme porte étendard de toute une génération laissée à la dérive. Il y aura, je le souhaite, des universitaires masochistes qui se pencheront sur cette période noire de notre septième art pour étudier sociologiquement ce nouvel archétype de « héros » et la manière dont son idéologie faite d’opportunisme s'est infiltrée dans la fiction comme étant la seule manière d’être pour l’homme moderne. 

    N’échappant pas à ce nivellement par le bas, le personnage féminin central, Elisabeth Shaw (Noomi Rapace) sera soumise à son mari GI, catholique et aussi ignorantes des règles de sécurité que son mari. Ayant la foi, elle pourra se remettre très rapidement d’une grossesse poulpesque expresse ainsi que d’une césarienne tout aussi rapide que propre[2]. Ses agrafes ne partiront pas et ses entrailles ne se dérouleront pas sur le sol. C’est merveilleux d’avoir la foi…. rappelons une règle de base pour scénariste débutant : lorsque l'on fait un film censé faire peur, il faut que les personnages soient VULNÉRABLES et pas immortels !! Entre une Ellen Ripley (Sigourney Weaver) qui, dans les années 70', incarnait une femme assez forte pour survivre dans un milieu hostile et Elisabeth Shaw qui tire sa force non pas d’une quelconque intelligence mais bien de la foi !! 

    Sans prendre en compte qu’un équipage mixte est une aberration à cause des tensions sexuelles que cela peut engendrer et qu’il aurait été plus malin d’avoir un casting unisexe regardons un peu les quelques compagnons de voyage de nos valeureux scientifiques. Cela ressemble à une liste digne d’un inventaire à la Prévert oscillant entre un cartographe punk n'ayant pas le sens de l'orientation ; L’obligatoire blonde platine frigide dont la présence s’avérera inutile ; un équipage de militaire « United color of Bandes de con » pour compléter les quotas raciaux et dont l’implication dans toute cette histoire est à la hauteur de l’ennui qui traverse de part en part le malheureux spectateur ; un androïde nazi perfide aux motivations mystérieuses, à moins que l’on est oublié de brancher quelques fils dans son cerveau positronique et des figurants qui serviront de chair à canon. On a l’impression d’assister à un slasher de base avec la bande d’ados attardés crispantes dont on attend avec impatience le sordide trépas tant est grande l’envie de les occire nous-mêmes. Seul Michael Fassbender incarnant David le robot défaillant sort son épingle de ce jeu de massacre.
    Image de Rest-Gestae
    Cette bande de branquignol ne cessera de se foutre sur la gueule tout au long du trajet. Etant donné qu’il s’agit d’un voyage d’exploration, probablement avec un décalage temporel vis-à-vis de ceux restés sur Terre à quelques années-lumière, n’est-il pas plus logique de penser que les membres de l’équipage auraient eu le temps de se connaître lors d’entraînements spécifiques ? Ne fait-on plus passer des batteries de tests physiques et psychologiques pour les missions spatiales ??

    Malgré un terreau fertile pouvant supporter une trame faite de ramifications sinueuses, les enjeux narratifs de Prometheus tiennent sur un modeste feuillet de papier toilette :

    Le vieux Weyland[3] décide de faire confiance à un couple d’archéologues aux théories fumeuses exposées en cinq secondes chronos : l’être humain a été créé par des extraterrestres, à son image. Malgré le peu de preuves qu’ils fournissent au vieil industriel, celui-ci met sur pied une expédition coûteuse pour aller explorer une lointaine planète située à quelques millions d'années-lumière dans le but d’obtenir la vie éternelle. Bien-sûr le vieillard sera du voyage pour surgir de sa boîte, tel un diable rouillé, à quelques minutes des révélations finales.

    Guy Pearce (Weyland), qui sera maquillé à la truelle dans le film.
    Les effets de maquillages ont bien régressé
    depuis l’avènement du numérique. 
    Là où Alien avait l’intelligence de conserver une unité de temps et de lieu pour mieux développer les relations entre les personnages, Prometheus nous fait subir des changements de lieux aussi nombreux qu’incohérents, éclatant tout azimut un scénario déjà gravement handicapé par des personnages creux. A tenter par tous les moyens de dynamiser le récit, les auteurs s’éparpillent et multiplient les erreurs de scripts aberrantes : deux des personnages, le cartographe et un collègue qui sera rapidement tué, se perdent dans le vaisseau Alien alors qu’il était censé en sortir. Il faut savoir qu’à l’intérieur du Prométhéus existe une carte en 3D du vaisseau et que celui-ci est composé d’un seul couloir et de pièces attenantes. Trop occupé à draguer la frigide, le capitaine qui supervise les opérations n’avertira pas les hommes qu’une présence de vie se manifeste près d’eux…. Ces enchainements de péripéties navrantes se poursuivront durant tout le métrage.

    Je ne vais pas oublier ma bourde scénaristique préférée. Holloway GI enlève son casque trente seconde après avoir constaté que l’air est respirable…. Contaminant de manière définitive toute l’atmosphère de la caverne, sans oublier de se contaminer lui-même avec de possibles virus étrangers. Si seulement l’histoire avait pu partir sur ces rails-là, c’eût été très plaisant….

    Le "Space Jockey" de 1979....

    Centre de toutes nos attentions, l’expédition chaotique de nos glorieux savants nous amènera à découvrir des « obus » au lieu d'œufs. Ces objets cylindriques exsudant un liquide noir donnent logiquement naissance à :

    - Un proto-alien, sorte de tentacule ressemblant à un phallus géant se comportant comme un cobra. Agressive, la chose s’introduit sous la peau du cartographe punk. Une fois infecté celui-ci se transforme en une version encore plus moche de Hulk.

    - Si ce liquide infecte un humain et que celui-ci a des rapports sexuels non protégés avec une humaine on obtient une pieuvre qui se transforme en « Face-Hugger » géant..... Comment une petite créature devient-elle grande sans rien ingérer, mystère….

    - Un « Ingénieur », race d’être censément supérieur se mettant à agir comme le premier bourrin venu en exterminant tout le monde….

    - La carte des étoiles fait atterrir les humains sur la planète militaire des Ingénieurs. Pourquoi des êtres ayant décidé de nous métamorphoser en Hulks ratés nous confieraient-ils une carte menant à leur base militaire ?

    - La représentation de la terre est conforme à son aspect actuel alors qu’avec le décalage temporel, en tenant compte de la dérive des continents, ceux-ci devraient avoir une autre disposition, plus proche de la pangée.


    On pourrait continuer des heures à relever tous les égarements de ce film qui sous-estime gravement l’intelligence de ses spectateurs. Les changements apportés à l’univers des premiers Aliens ne s’arrêtent pas là. L’esthétique générale pâtit d’une nette régression artistique.
     
    Le Nostromo de Alien était un vaisseau sale, anxiogène de par son immensité abyssale. En comparaison, le Prometheus est un vaisseau propre, lumineux. L’ensemble est si aseptisé qu’on en vient à sentir des relents de décor de studio et de « carton-pâte ». Un retour en arrière phénoménal pour une saga qui a toujours mis en avant la saleté. On peut aussi se demander pourquoi certaines technologies présentées à l’écran n’apparaissent pas dans le premier Alien alors que Prometheus se déroule AVANT ? Pourquoi les scaphandres ont-ils un aspect design, contemporain, là ou ceux d’Alien ne s’encombraient pas de superflu, les auteurs ayant privilégié une approche fonctionnelle dans la conception des différents objets ? Cet effort de recherche s’avère payant sur le long terme puisque le film ne s’inscrit pas dans une période donné mais dans un temps imaginaire. Un avantage que n’aura pas sa préquelle qui prendra dix ans dans les mâchoires seulement 15 jours après sa sortie.

    J’ignore si H.R.Giger a participé à ce carnage mais si les décors du premier Alien en imposaient, ceux de Prometheus sont d'une pauvreté absolue. Exit les mattes-painting peints sur plaque de verre et les effets d'optique qui permettaient d'obtenir un résultat bluffant. Le numérique ne donnent à voir que des images lisses. La reprise des décors biomécaniques issus directement d’Alien provoque l’inévitable comparaison entre les deux films, au détriment du plus récent. Du risible tableau de bord du vaisseau des ingénieurs, en passant par le « Space-Jockey » qui perd quelques mètres entre les deux films, tout est à l’avenant. Le vaisseau de Giger se démarquait par son gigantisme, celui de Prometheus paraît petit…. 

    Le "Space Jockey" de Prometheus.... Il y a pas comme un problème...
     
    Je me demande donc comment un réalisateur un minimum doué peut-il approuver un script d’une telle indigence ? En étant bon public, on pourrait croire que celui-ci a été écrit par un adolescent de 15 ans !! Comment une équipe a-t-elle pu penser que cela avait un quelconque intérêt, hormis pécunier ? Ridley Scott a t-il perdu tant d’argents lorsque Facebook est entré en bourse pour accepter d’être le mercenaire de producteurs avides ?

    Il me fallait manifester ma mauvaise humeur après avoir subi cette arnaque. Depuis quelques temps déjà les affiches des multiplexes ne proposent plus que des blockbusters acéphales ou des films essayant de flatter l’intelligentsia[4]. Vendu comme la prequel d’un classique du cinéma en capitalisant sur la renommé d’un réalisateur autrefois doué, Prometheus est, comme beaucoup d’autres films récents[5], un gloubi-goulba atroce. Voulant à tout prix capitaliser des franchises exsangues sans prendre de risque, les grands studios ne laissent aucune idée originale franchir les portes de leurs bureaux, fournissant au public des films neutres au potentiel artistique proche du zéros absolu.

    Je me suis laissé avoir par la promesse de passer un bon moment de cinoche, poussé par des critiques de presses dithyrambiques, le souvenir d’un premier film comptant parmi les grandes réussites du cinéma de science-fiction… Maintenant, aux spectateurs avertis de ne plus se laisser avoir, de ne plus cautionner ce type de film creux aux discours putrides. Il y a encore tant de bons films à chercher ailleurs, là où les majors ne tournent pas leurs regards corrupteurs…

    Mauvaise nouvelle : Ridley Scott prépare le remake
    de Blade-Runner.... 
                                                                                       

    [1] - Même si je peux deviner que beaucoup d’entre vous se sont souvent pâmés devant les élucubrations d’une histoire montée au jour le jour avec pour unique technique de narration la méthode du marabout bout-de-ficelles, soyons honnête un moment, Lost a tout du pire nanar italien sans en avoir la folie qui permet de faire tenir debout leurs énormités sans s’attirer les foudres des spectateurs.

    [2] - Un comble pour la saga Alien qui n’a jamais craché sur les scènes gores !!

    [3] - Fondateur de la Weyland compagnie, une multinationale tentaculaire que l’on retrouve dans les premiers Alien.

    [4] - Je me fendrais d'un autre billet plus-tard, concernant la Handicaploitation qui fait fureur en France.....

    [5] -  Avatar  – Inceptionla planète des singesThe Thing, le remake…. Les exemples sont trop nombreux pour qu'on puisse se souvenir de tous....

    mardi 15 mai 2012

    La BD de Reportage en Question

    Après une très longue absence dû autant à un boulot accru qu'à un monstrueux déménagement (je ne m'en suis pas encore remis d'ailleurs), j'ai très peu posté depuis deux mois et mes nombreux projets en ont pâti. Autant dire que je vais m'y remettre sous peu avec la suite de la nouvelle, et d'autres petites choses. En attendant, une nouvelle critique BD sur un phénomène de plus en plus à la mode mais que je trouve un poil limité...

    GAZA 1956, EN MARGE DE L’HISTOIRE/JOE SACCO

    Pour bien réfléchir autour de la bande-dessinée de reportage, il est important de se poser la question du médium. Est-ce que, à notre époque, la BD est le médium le plus approprié pour rendre compte un événement donné dans toute sa complexité ? Ne vaut-il pas mieux parfois une bonne fiction des familles pour pouvoir embrasser une culture, un événement….



    Non pas que certaines BD de journalisme manquent d’un dessin approprié ou d’un propos mais je m’interroge sérieusement sur la pertinence de celles-ci. La BD journalistique n’a rien à voir avec les anciennes illustrations exécutées par des artistes besogneux pour les quotidiens du 19ème siècle. (comme dans des quotidiens comme "l’assiette au beurre" ou "l’illustration" ). Même si Joe Sacco se rapproche un peu de cette démarche, on doit avouer à la lecture que son œuvre est un peu maladroite.
    

    Je m’explique.

    L’auteur décrit un événement oublié de la guerre du Moyen-Orient (le massacre d’une centaine de Gazaouis en 1956) en appliquant à la BD des méthodes de recherche journalistique. Joe Sacco se réclame d’une BD novatrice, qui serait selon lui ancrée dans la Vérité. Hors cette approche du sujet va induire une maladresse contenue dans la nature même du dessin qui n’est que subjectivité. Poser un trait sur sa feuille de papier traduit déjà une intention et un état d’esprit de manière encore plus vive qu’un simple texte, lequel pourra avoir l’apparence d’un compte-rendu sec. (ce qui n’est jamais vraiment le cas nous sommes d’accord.) Le postulat de départ de Joe Sacco ne tient pas une seule seconde face à une analyse minimale de la chose.

    Prenons la photographie par exemple.

    Lorsque les premières photos de reportage apparurent dans les quotidiens, l’opinion publique perçut cette technique comme un la représentation définitive de la Réalité. Hors n’importe quelle photographie est, au sein de la presse, choisie selon des critères très précis. L’angle de prise de vue, les filtres utilisés pour tirer l’image, le grain de l’émulsion chimique….  sont autant d’artifices qui induisent une sensation, un sentiment et donc de la subjectivité. N’importe quelle photo de reportage trahit les intentions conscientes et inconscientes de son auteur et donc LA vérité (si tant en est qu’il y en ait une). Pourtant, une photo est bien plus « objective » dans sa représentation du réel qu’un dessin…
    

    Dans ce cas, comme nous le voyons bien, le présupposé de l’objectivité ne tient pas une seule seconde quand on emploie un médium comme la BD.

    Joe Sacco, en recherche d’authenticité, va jusqu’à se mettre en scène en train de faire les recherches pour son livre, dans un bel accès d’autosatisfaction. Or cette mise en abîme pour le moins gratuite écorche un peu plus un récit trop fouillé, se perdant dans des considérations souvent inutiles. Alors certes, toute cette sombre histoire mérite bien 500 pages mais doit-on forcément souffrir des doutes de son auteur devenant LE personnage central de l’histoire ?

    
    Joe Sacco dans sa propre BD....

    Professer une attitude d’auteur sérieux et remplis de doute (que je ne remets pas forcément en cause) tout en employant LE moyen d’expression le plus subjectif de tous, cela interpelle un peu. L’auteur confesse s’être documenté à l’aide de photos et avoir conçu ses dessins en utilisant ce support, ce qui amène à se poser la question de savoir si la BD était le seul moyen de raconter cette tranche d’histoire et si oui, pourquoi ne pas en tirer une fiction qui aurait eu le mérite de :

    1 – Nous plonger au beau milieu de l’histoire.

    2 – Nous faire oublier toute les lourdeurs narratives dont se rend régulièrement coupable Joe Sacco.


    Au-delà de tout intérêt porté aux événements historiques, malgré un découpage parfois intéressant, les nombreuses tergiversations que l’auteur nous impose finissent par élimer notre bonne volonté de lecteur. Personnellement il m’a fallu 15 longs jours pour venir à bout de ce pavé là où une BD se lit en 30 minutes (disons une semaine pour les énormes pavés…).

    Las, l’auteur avoue ne pas être arrivé à retirer tout le potentiel horrifique du drame qu’il dissèque en long, en large et en travers. Une conclusion prenant la forme d’un tel aveux d’échec a de forte chance de rester en travers de la gorge de nombres de lecteurs (dont votre serviteur). Comme pour se dédouaner, Joe Sacco nous offre donc en toute fin une rapide mise en scène en focalisation interne du calvaire d’une des victimes. Cela ne marche pas.

    Reconnaissons que Joe Sacco se débrouille graphiquement et qu’il posséde les moyens de mettre en scène SA reconstitution. L’ensemble aurait donc gagné à être épuré, l’auteur n’aurait pas dû faire l’impasse sur le choix d’un point de vue, quitte à combler les trous noirs laissés par l’histoire en utilisant son imagination.
    Est-ce vraiment important de savoir si les soldats étaient 40 ou 35 ?? ….

    Une fiction aurait eu le mérite de nous impliquer dans la vie des personnages. On aurait pu s’accrocher à eux et donc charger les silhouettes d’encre de chine de notre compassion….
    Ce choix qui me rend si perplexe peut s’expliquer par un rejet de plus en plus embarrassant d’une part de l’intelligentsia de refuser tout bienfait à la fiction car TOUT aurait été écrit (ou dessiner, comme vous voulez…). Le réel et le présent ne seraient donc devenus l’Alpha et l’Oméga de tout art narratif de qualité. Maintenant et ici deviendrait donc le seul et morne horizon de tout auteur, condamné à tourner en rond autour de son nombril. Cette approche d’un cynisme évident appauvrit considérablement les œuvres actuelles tout en affichant un souverain mépris pour le lecteur lambda (deuxième effet kiss-cool).

    L’AFFAIRE DES AFFAIRES/LAURENT ASTIER ET DENIS ROBERT.


    Un effet que nous retrouvons dans L’Affaire des Affaires, œuvre qui, quoique moins maladroite, manifeste toujours cette volonté de vouloir nier la fonction cathartique de la fiction. Le récit fonctionne mieux, sans doute grâce à un graphisme plus énergique mais on se sent peu à peu gagner par un ennui morose. La faute à une histoire complexe dont les tenants et aboutissants, même s’ils sont graves, ne sont que maladroitement mise en valeur.



    On aurait pu se passer des longues séquences d’atermoiements de son auteur, lesquelles alternent avec quelques métaphores bien plus efficaces que toutes les circonlocutions légales dont nous abreuve jusqu’à la nausée le héros/scénariste. En effet, en laissant de temps à autre les coudées franches à son dessinateur ce qui donnent lieux à quelques bonnes planches qui nous font rentrer de plein pied dans le domaine de l’illustration, ou du strip caricatural acerbe telle qu’on en faisait dans les journaux satiriques du 19ème siècle.


    En dehors de ces fulgurances qui prouvent encore une fois qu’un dessin vaut mieux que de longues explications, Denis Robert nous expose d’interminables tunnels de dialogues redondants tour en nous assommant à coups de philosophie de comptoir. Pas forcément le meilleur moyen de s’attirer les bonnes grâces du lecteur.

    On se dit alors que le rythme n’a pas été pensé et que les auteurs ne ce sont pas posés la question de la pertinence du support BD pour leurs histoires. Non pas que la BD doive forcément se cantonner à la fiction mais il faut bien comprendre qu’elle est un médium de communication rapide. Le dessin et le texte doivent se compléter et il faut qu’il y ait une adéquation entre la narration écrite et dessinée pour que cela fonctionne correctement. Les japonais l’ont particulièrement bien compris et leurs mangas informatifs n’oublient jamais la place importante de la dramaturgie dans leurs processus (ce qui explique aussi leurs succès, voir les « Gouttes de Dieu » consacrés à l’œnologie.)


    C’est d’autant plus dommageable que les auteurs avaient ici matière à bâtir un excellent suspens en prenant soin de préparer un montage adéquate tout en nous épargnant de longues scènes de dialogues absolument rébarbatives. Je pense que son auteur, en particulier Denis Robert, s’est improvisé scénariste sur le tas, sans prendre en compte les spécificités de la BD. Alors certes, l’appétence du public français pour le linge sale politique (et dieu sait qu’il y en a) a joué en faveur de son auteur mais cela ne fait pas oublier une construction bancale.


    Je pense que cette voie, tout du moins comme elle est envisagée pour le moment, c’est-à-dire sur des phénomènes de mode évanescent, comporte en elle les germes de sa propre destruction. Finalement ce ne sont pas les sujets qui sont en cause de l’échec de la BD de reportage envisagé en occident (je ne parlerais pas du côté asiatique car ils ont une manière de faire autrement plus performante de ce point de vue.) mais bien la manière de traiter le sujet. Tout se passe comme si les auteurs ne peuvent pas se séparer de leurs imposants égos et que celui-ci devait forcément phagocyter le sujet.

    Que ce soit Joe Sacco ou Denis Robert, les choix de mises en scènes desservent le propos. Si les deux auteurs, journaliste de formation à la base, ont d’indéniables qualités dans leurs domaines respectifs, il est important de remarquer que devenir un auteur de BD demande de s’entraîner tous les jours. Il ne s’agit pas ici de faire du journalisme mais de raconter une histoire par le biais de personnages. Quelque-soit la notoriété gagnée par un journaliste, cela ne fait pas de lui un bon auteur de BD.