Dans les années 80 la figure du vampire réapparaît
sous trois incarnations :
- Le
Serial-Killer : Dans le cadre de
ce long article, je me contenterais de survoler ce sujet tant la descendance filmique est longue. Je soulignerais juste
quelques points communs qui ont servi de passerelles entre un type de monstres
totalement imaginaire, le vampire et son corollaire plus probable, le Tueur en
Série envisagé comme un génie du crime.
Comme nous l’avons vu, Martin de Romero anticipe
sur l’évolution du genre en mêlant la thématique du vampire et du serial-killer
en un seul film. Si son traitement ne rencontre pas le succès espéré, l'orée
des années 80 verra les vampires, les loups-garous et autres comparses des
ténèbres péricliter. En revanche, l’horreur personnifiée par de vrais
monstres à visage humain deviendra prédominante, Hollywood saisissant vite le
potentiel de fascination de ces ogres modernes. Personnages aussi pitoyables
que fascinants, les tueurs en série remplaceront leurs ancêtres surnaturels. Ce
n’est pas un hasard si ceux-ci furent souvent affublés par la presse à
sensation de noms inspirés par la littérature et le cinéma d’horreur. Nous
citerons par exemple : « Le Vampire de Dusseldorf » (Peter
Kürten), « l’Ogre de Santa Cruz »
(Edmund Kemper), « Le Clown Tueur » (John Wayne Gacy) etc… Nous ne nous
attarderons pas sur ces individus bien réels pour nous consacrer à leurs
descendants cinématographiques dont le plus célèbre d’entre eux, Hannibal Lecter, qui deviendra un digne
successeur de Dracula.
Doué de dons hypnotiques et d’un sang froid reptilien,
Hannibal Lecter se situe au-delà de l’humain, ce qui le transforme en un
monstre de fiction au semblable à Dracula.
Raffiné, cultivé et élégant, Hannibal élève le meurtre sadique au rang des
beaux arts et s’entoure d’une petite cour de psychopathes qu’il prend sous sa
tutelle. Comme Dracula il symbolise un Mal contagieux car Hannibal contamine
ceux qui le fréquentent sans qu’il n’y ait besoin de morsure. Un simple
dialogue suffit à corrompre l’âme. Cet axe dramatique sera d’ailleurs exploité
par les suites du Silence des Agneaux et en particulier par la série télé Hannibal
toujours en cours de diffusion.
Les thrillers produiront de nombreux tueurs en série
oscillant entre le méchant indestructible et le pauvre hère pitoyable. Ainsi
dans Seven
de David Fincher le psychopathe de
service (Kevin Spacey), malgré un aspect fluet, apparaît comme un démiurge
manipulant les enquêteurs comme des marionnettes au fil d’une enquête
sanglante. David Fincher reprendra
la figure du tueur en série dans l’excellent Zodiac dont quelques
séquence tout en menaces larvées flirtent avec le fantastique. Entre ces deux
films exemplaires, d’autres tueurs en série se mueront en stéréotypes risibles,
surexploités dans des navets pour faire frémir les grand-mères. Six-Pack
(Alain Berbérian), Copycat
(Jon Amiel), Bone Collector (Phillip Noyce) abuseront de
l’omnipotence de leurs méchants, repoussant les limites du réalisme très, très
loin…
A côté de cet interprétation destinée au grand-public,
deux directions vont diviser le cinéma d’horreur. Le sous-genre Slasher
usera jusqu’à la corde du psychopathe indestructible, remplaçant le vampire par
un croquemitaine immortel qui immolera sur l’autel de sa psychose de jeunes
décérébrés fumeurs de oinjs. La trop
longue saga des Vendredi 13, elle-même ersatz de la série des films Halloween
initiée par John Carpenter restera
un cas d’école. Doté d’une pauvreté d’écriture affligeante ne servant de prétexte
qu’à des scènes gores dénuées du moindre intérêt, les Vendredi 13 multiplieront
à l’infini la même recette avec une obstination faisant écho à celle de leur
tueur fétiche, le crétin congénital Jason
Voorhes.
Exception notable, Les Griffes de la Nuit de
Wes Craven, installera un véritable
ogre de légendes. S’il ne consomme pas ses victimes, Freddy Krueger s’impose comme un redoutable spectre vengeur
traquant les enfants de ses anciens bourreaux au sein de leurs rêves. Pourvu de
griffes acérées et d’un humour tranchant, ce revenant protéiforme se creusera
une place enviable dans les successeurs de Dracula. Wes Craven, alors inspiré,
créé une entité qui est tout autant un monstre dont la perversité n’a rien à
envier à celle des vampires qu’un symbole des crimes des pères de l’Amérique
revenant hanter leurs descendants [1]. Charismatiques et touchant à de nombreuses
peurs aussi viscérales qu’intellectuelle, Freddy Krueger succède avec Hannibal Lecter aux vampires d’antan dans le cœur
des spectateurs.
Dans un mouvement opposé une autre branche du cinéma
d’horreur engendrera des versions plus réalistes du tueur en série dont les
actes horribles ne sont que trop humains. Si l’inaugural Psychose d’Alfred Hitchcok s’inspire des méfaits
d’Ed Gein tout en usant de la
fiction pour atténuer la portée des meurtres, Richard Fleischer s’engagera sur une voie quasi documentaire dans
l’excellent L’Étrangleur de Boston qui suit les agissements du tueur
éponyme. Reconstitution d’une cité en proie à la paranoïa et d’une psychée
fêlée, le film mêle une enquête policière semée de chausse-trappes dans sa
première partie et une étude psychologique dans la seconde.
D’autres œuvres emprunteront cette direction,
cherchant à distiller un authentique malaise chez le spectateur. Deranged
(Jeff Gillen et Alan Ormsby), Maniac (William Lustig), Schizophrénia (Gerald Kargl) ou Henry, portrait of a serial-killer (John MacNaughton) appartiennent à cette
famille de films poisseux qui mettent à rude épreuve l’estomac du cinéphile
averti en explorant l’univers mental de ces monstres. Si les chocs visuels
gores se rencontrent fréquemment au sein de ces pellicules, ils n’en sont pas
le sujet comme dans les Slashers, mais
un outil que les réalisateurs utilisent pour rendre compte de la fragilité de
la chair et par ricochet à celle de l’esprit. Nous franchissons les barrières
du genre pour pénétrer dans une étude de caractère qui nous renvoie notre
voyeurisme malsain. Le vampire symbolisait un mal « extérieur » qui
nous dédouanait de nos pulsions tous en jouant un subtil menuet avec Eros et
Thanatos. À l’inverse les films de tueurs en série montrent l’humanité dans ce
qu’elle de plus veule et de plus crade en omettant l’excuse de la distance
confortable que procure la mythologie vampirique. Ils martèlent que la nature
première de l’homme est mauvaise sur un rift gras de punk bourré à la pisse
d’âne !
Les tueurs en série sont devenus eux-mêmes pour le
meilleur et le pire un archétype de la culture populaire avec ses codes, ses
navets et ses chefs-d’œuvre. De Psychose
à Martin en passant du Giallo
au Slasher, l’évolution du personnage
se perd dans des arabesques ambiguës. Un Dexter ou un Hannibal Lecter
appartiennent à la fiction. L’Étrangleur de Boston ou Henry, portrait of a
Serial-Killer dévoile une réalité abjecte. Les films de la veine réaliste
flirtent avec l’insoutenable, mais au moins ont-ils l’honnêteté de la démarche
intellectuelle…
- Le Vampire en
Communauté : 1976 : le succès d’Entretien avec un Vampire
d’Anne Rice bouleverse la nature solitaire de la créature. La plupart du temps
ses rejetons nommés « Goules »
restaient en arrière plan, des personnages décérébrés, maintenus en vie par la
soif de sang. Autrefois unique détenteur du Mal et de la capacité de le
répandre par sa morsure, le vampire se conjugue à présent au pluriel. Cet
aspect communautaire et son corollaire de questions dramatiques entraîneront
une évolution de ses us et coutume. Le vampire s’organisera en clans. Les
saigneurs se doteront d'une philosophie et d'une politique… Esquissée à gros
traits comiques dans le Bal des Vampires de Roman Polanski, la société des vampires
s’imposera comme modèle pour toute une génération d’auteurs après le raz de
marée Anne Rice.
D’abord timide, prenant ancrage dans des œuvres
atypiques comme Aux Frontières de l’Aube et son groupe de vampires paumées écumant
les routes du sud des États-Unis, la démarche se généralisera. La série télé Buffy
contre les Vampires unifiera différents univers qui jusque-là n’entretenaient
presque aucun rapport entre-eux. La comédie teenagers se teintera d’une
violente dose de fantasy. Les vampires connaîtront les feux de la rampe, mais
tout un assortiment de monstres les accompagnera, donnant naissance à l’une des
premières fictions de « Bit-Lit ». Les auteurs utiliseront les
vampires comme d’une toile de fond secondaire, servant de révélateur aux
personnages principaux.
Dès que le vampire devient pluriel et doit se
distinguer de la masse de créatures qui l’environnent, la question de sa nature
disparaît. Cette série marquera le début des vampires s'interrogeant sur leurs
conditions, traînant un spleen de collégien dans des décors gothiques. Si la
démarche peut être intéressante, et elle sera amplement développée dans la
littérature fantastique par l’intermède de quelques romans transcendant les
clichés du genre, elle n’en est pas moins promise à un échec formel. Tant que
le vampire assumait la fonction d'élément déclencheur du récit, les auteurs
pouvaient broder sur ses origines, son fonctionnement, etc... Mais dès lors
qu’il acquiert le statut de protagoniste, cette démarche ne fonctionne plus et
il faut alors le doter de motivations autres que nourricières. Les vampires écoperont
alors de vague à l’âme risible et de remords ridicules dignes des errements
sentimentalo-grotesques d’un adolescent en pleine crise.
Transformer le monstre en personnage principal
amoindrit la puissance du symbolisme qu'il véhicule. Dans son Dracula,
Francis Ford Coppola nous fera
passer du côté du comte. Il imposera dans le script une histoire d’amour afin
de rendre son œuvre plus abordable par le grand public et d’excuser les
agissements sanglants du comte. La greffe peut-être louable, mais elle
désamorce la plupart des scènes-chocs puisque nous savons en tant que
spectateurs que Mina ne craint rien en présence du Seigneur des Ténèbres…
Car n’oublions pas que le vampire, dans ses premières
manifestations, évoquait à la fois un mal extérieur et les fantasmes sadiques
de l'homme. Par sa perversité, il contaminait ceux et celles qui entraient en
contact avec lui. En l’utilisant comme personnage principal on affaiblit son
aura malsaine. Cet affaissement du symbolisme vampirique entraînera une lente
dégradation de l'archétype dans le tournant des années 2000…
L'accroche la plus stéréotypée pour un film de vampire, déjà... |
- Le Vampire Bizarre : En dehors des comédies potaches comme Fright Night, les années
80 verront quelques films psychotroniques assaisonner le vampire à toutes les
sauces. Le premier film de Tony Scott, Les Prédateurs transforment le
vampire en un être fragile dont l’immortalité dépend de l’amour que lui porte
son âme sœur. Le délicieusement bis Lifeforce nous montre des parasites
de l’espace cherchant à vampiriser l'énergie bioélectrique des hommes. Leurs
victimes deviennent de pitoyable mort-vivant qui tente d'aspirer à leurs tours
la force vitale d’autres personnes. Cronos redéfini le vampirisme comme le
résultat d’une expérience d’alchimique tandis que Vorace revient aux
origines du mythe dans un western âpre non dénué d’un humour noir typiquement
anglais. Autant de voies de renouvellements qu'esquiveront la déferlante d’œuvres
navrantes qui inonderont les multiplexes…
1983 : Les Prédateurs de Tony Scott.
À nouvelle décennie, nouveaux prédateurs. Baignant
dans l’ambiance délétère des années 80, en rupture totale de style avec ses
prédécesseurs, Tony Scott modèle le
mythe du vampire selon ses propres besoins. Myriam Blaylock, une vampire âgée
de quelques millénaires évolue depuis des siècles avec son compagnon, John (David Bowie). Le lien amoureux qui les
unit repousse les atteintes du temps. Mais Myriam, volage et égoïste, se lasse
de son amant. John subit le sort de tous les anciens favoris de la
vampire : un vieillissement accéléré. Pendant ce temps, Myriam jette son
dévolu sur la professeure de médecine Sarah Roberts (Susan Sarandon) qui s’occupe du cas de John. Elle lui offre
immortalité, mais les choses ne tournent pas à l’avantage de la vampire, car
Sarah Roberts échappe à son emprise.
En quelques plans, Tony Scott reprend à son compte le
livre de Whitley Striber pour en extraire sa vision. Il expérimente les filtres
et les effets visuels pour conférer une patine unique à son œuvre. Le
réalisateur et ses scénaristes réinventent le vampire depuis ses fondations,
oblitérant toute l'iconographie gothique poussiéreuse. Les vampires sont
ramenés au statut d’êtres humains que le vieillissement ne touche pas. La
problématique du sang reste présente mais de façon plus diffuse, comme si cela
n’intéressait que très peu le réalisateur. On ne s'attarde pas sur certaines
énigmes posées par la condition des créatures, les auteurs préférant se
concentrer sur les personnages. Une approche elliptique qui permet de laisser
toutes latitudes aux spectateurs de remplir les zones d’ombres.
Le vampire s’adapte à la modernité et occupe désormais
les immeubles chics de nos mégalopoles, s’immisçant au cœur du paysage urbain.
Outre son traitement anticonformiste du sujet, le métrage restera dans les
mémoires comme une icône du mouvement gay et lesbien en particulier.
1985 : Vampire, vous avez dit Vampire (Fright Night) de Tom Holland.
Peu de changement dans les us et coutume de nos
suceurs de sang à part le pull à col roulé qui remplace de manière piteuse la
cape. Le film oscille entre teen-movies comique et horreur très légère. Seules
les séquences d’effets spéciaux constituent des moments de bravoure qui ponctue
une mise en scène fade.
1985 : Lifeforce de Tobe Hooper.
Le choc de Massacre à la Tronçonneuse condamna Tobe Hooper à errer dans les limbes du
cinéma, éclipsant une filmographie imparfaite, mais attachante à laquelle
appartient ce Lifeforce, délire pelliculé sous acide comportant son lot de
scènes d’anthologie.
En contrat avec la fameuse maison de production Cannon
(qui coulera en partie à cause du four du film au box-office), Tobe Hooper adapte le roman LesVampires de l’Espace de Colin Wilson.
Seconde rencontre entre l’auteur de Massacre à la Tronçonneuse et les
vampires, Lifeforce propose un grand spectacle empli de visions
apocalyptiques. L’exposition suit le parcours d’astronautes explorant un
antique vaisseau abandonné en orbite autour de la terre. Dans ses coursives
flottent d’inquiétantes créatures dont la morphologie ressemble à celle des
chauves-souris. Dans les replis de cet inquiétante navette à l’aspect évoquant
les créatures biomécaniques de H.R.Giger,
les cosmonautes découvrent trois êtres humains nus (dont Mathilda May !), parfaitement conservés dans des sarcophages
de cristal.
Dans ce film les vampires naviguent de planètes en
planètes en adoptant la forme des êtres qu’ils parasitent. Comme leurs
homologues classiques, les créatures possèdent des pouvoirs hypnotiques et
entretiennent des liens psychiques avec leurs proies. Une fois libérés, les parasites
spatiaux répandent une épidémie de vampirisme dans les villes terriennes avec
une effarante célérité. Tobe Hooper joue alors sur les orgues du film de
zombies, les victimes métamorphosées en goules décharnées courant dans les rues
pour s’emparer de l’énergie d'humains sains, propageant de manière
exponentielle la contagion.
Les auteurs
essaient de démarquer de la vision gothique du vampire pour mettre le doigt sur
un concept d’horreur cosmique que n’aurait pas renié H.P.Lovecraft. Visuellement efficace, l'œuvre de Hooper fut
desservie par une interprétation calamiteuse, un mélange des genres parfois indigeste
et une happy-end maladroite que l’on imagine dictée par des producteurs
échaudés par le produit final.
1987 : Aux Frontières de l’Aube (Near Dark) de Katherine Bigelow.
Ce titre dégraisse de fond en comble le vampire pour
n’en garder que l’essence. Adieux les chauves-souris, la crypte, le cercueil,
l’ail et l’érotisme. Les saigneurs sont désormais motivés par leur besoin de
sang et leur phobie de la lumière. Là où la cure de jouvence de Tony Scott
transformait les nobles décatis en yuppies friqués régnant sur le monde des
humains à travers les âges, la réalisatrice Katherine Bigelow invente les premiers SDF immortels et immoraux de
l’histoire du cinéma. Pour ne rien gâcher, le métrage affiche une photographie
bleutée dépressive et fonctionne comme un croisement entre un road-movie
destroy et un western moderne.
Transformé en goule à son insu par la belle Mae (Jenny Wright), Caleb (Adrian Pasdar) se retrouvera embrigadé
de force dans sa nouvelle et ténébreuse famille. Un groupe hétéroclite qui
comprend le patriarche Jesse Hooker, un ancien soldat sudiste (Lance Henrisken) et sa compagne
Diamondback (Jenette Goldstein), un
psychopathe (Bill Paxton) que sa
condition de vampire fait jubiler ainsi qu’un enfant (Joshua John Miller) que les siècles d’errance ont déséquilibré.
Cette petite bande sillonne les routes des États-Unis, tuant les épaves de la
nuit ou écumant les bars interlopes.
Outre une exploitation de la violence à la fois
graphique et poisseuse, le métrage explore plusieurs idées novatrices. Les
vampires épuisés par une solitude sans trêve se regroupent en communautés, marquant
l’apparition des premiers clans de vampires. La réclusion entraînée par leurs
conditions pousse les protagonistes à créer d’autres monstres, des compagnons d’infortune
qui se rassemblent en une parodie de famille dysfonctionnelle.
La plupart de ces idées puisées dans celle d’Anne Rice
seront néanmoins modérées par la soif de sang. Car les vampires de Bigelow sont
esclaves de leurs pulsions primaires sans aucune échappatoire à leur
dépendance, excepté le suicide. Cet élément scénaristique tempère la tentative
d’humanisation pour le rendre inaccessibles à notre empathie.
Parmi les nouvelles idées exposées dans le film, on
retiendra la possibilité novatrice pour un vampire de redevenir humain à partir
de transfusions sanguines.
1987 : Génération Perdue de Joël Schumacher.
En dehors de la réalisation plate de Joël Schumacher, on retrouve ici deux
thèmes importants qui évoquent la future dérive du vampire vers la
Bit-Lit : un univers inspiré par le teen-movie et une communauté de
vampires qui se regroupe autour d’un leader charismatique.
1988 : Vampire vous avez dit Vampire 2 (Fright Night 2) de Tommy Lee Wallace.
Le succès du film de Tom Holland engendre une séquelle
qui nous refait le coup du Bal des
Vampire dans une petite bourgade américaine. À part quelques effets de
maquillage impressionnants, la recette reste la même…
1988 : Le Repaire du Ver-Blanc (Lair of the White Worm) de Ken Russel.
Adapté d’une autre histoire de Bram Stocker, le film de Ken Russel mêle fouille archéologique mystérieuse, culte païen et vampires. On
trouve un zeste de Lovecraft avant la lettre dans ce conte mettant en scène une
secte de vampires célébrant une ancienne divinité souterraine : le Ver
Blanc du titre. Pourtant, la rencontre entre un sujet qui semblait taillé sur
mesure pour les délires visuels grandiloquents et le réalisateur anglais
impulsif accouchera d’un pet foireux.
La faute en incombe à un budget restreint, à une
photographie baveuse digne d’un Derrick et à des touches d’humour involontaires
frisant souvent le ridicule. Hugh Grant
à ses débuts cachetonne dans la peau du châtelain de service. Incarnant sans
subtilité son personnage de dandy il suscite la moquerie et achève les bonnes
idées du script.
Pourtant le film se montre généreux en idées tordues,
évacuant les habituels clichés du vampire gothique. Ainsi Ken Russel modifie
leurs statuts de revenants, préférant les changer en un peuple d’homme-serpent
dont les canines, semblables à des crochets venimeux servent autant à aspirer
le sang qu’à inoculer du poison hallucinogène. Très portés sur le sexe, ces
vampires useront d’une imagerie influencée par le sadomasochisme incluant le
port de gode-ceinture pour empaler leur victime virginale ! L’idée des
crocs solénoglyphes sera reprise des années plus tard dans la série True
Blood.
1989 : Embrasse-moi Vampire (Vampire's Kiss) de Robert Bierman.
Artisan besogneux, ayant échoué dans les séries-télés,
Robert Bierman affiche à son
palmarès cette curiosité qui repose sur les épaules de Nicolas Cage. Se croyant victime d’une jolie vampire, notre héros
s’imagine en devenir un. À la fois glauque et comique, le métrage préfère
laisser le spectateur mijoter. Si le vampirisme mis en avant au cours de
l’histoire répond au cliché du genre, le traitement apporté le projette plus du
côté de la maladie mentale. Une curiosité à découvrir pour le jeu excessif de Nicolas Cage.
1992 : Innocent Blood de John Landis.
Après que son film de loup-garou l’a rendu célèbre, John Landis embarque Anne Parillaud tout juste adoubée par
son rôle dans Nikita pour incarner une vampire qui se nourrit de maffieux.
Elle métamorphose involontairement l’inquiétant Robert Loggia, le caïd ultraviolent local, en un monstre assoiffé
de sang. Le métrage respecte les règles du vampirisme, utilise les effets gore
avec parcimonies, mais ne parvient pas à retrouver le juste équilibre entre
humour et horreur de son célèbre An American Werewolf in London. John
Landis ancre le récit sur le personnage de la vampire, anticipant d’une paire
d’années le changement qu’apportera Entretien
avec un Vampire dans l’évolution de la fiction.
1993 : Cronos de Guillermo Del Toro.
Il faudra attendre ce petit film réalisé par un Guillermo Del Toro débutant pour
assister à une véritable relecture du mythe. Dissimulé dans une boîte dorée
prenant la forme d’un bousier égyptien, un insecte activé par un mystérieux
mécanisme, transmet le don d’immortalité à ses possesseurs en les transformant
en vampire. Del Toro pose déjà les bases de son univers à partir d’arthropodes
et de machines diaboliques. On suit la déchéance de ce brave antiquaire qui se
mue en une pathétique créature de la nuit tandis qu’un milliardaire rongé par
une affliction mortelle tente de mettre la main sur l’objet maléfique par tous
les moyens possible.
Un premier film inspiré, en forme d’étude intimiste
sur un homme dont la personnalité s’altère au fur et à mesure que progresse la
métamorphose. Le vampirisme devient presque une excuse tant l'histoire exploite
le registre de la métaphore de la maladie [2].
Del Toro ne ménage pas ses efforts pour nous faire partager la décrépitude de
son héros, le mal s’insinuant en lui par petites touches, dégradant son
psychisme autant que son physique.
1993 : Dracula de Francis Ford Coppola.
Dans les années 1990, le plus mégalomane des
réalisateurs s’empare du plus célèbre des vampires pour l’exhumer à l’écran,
promettant mont et merveille et surtout une adaptation plus scrupuleuses du
texte de Bram Stoker. Si les scènes clés du roman se retrouvent dans l’œuvre de
Coppola, il en annihile la violence en dotant le comte de sentiments amoureux,
alors que l'écrivain le dépeint comme une bestiale incarnation du mal.
Une approche à la fois originale et dommageable qui
fera pencher la balance des productions vampiriques vers un romantisme
étouffant préfigurant les dégâts de Twilight. Le film de Coppola n’en
pas pour autant dénué de charmes et empile quelques scènes-chocs avec un
certain brio. La résurrection de Lucy en revenante livide emprunte sa
silhouette diaphane aux fantômes, les transformations de Dracula, les nombreux
effets spéciaux à l’ancienne… tout est pensé pour satisfaire l'amateur de
genre.
Cependant la mayonnaise ne prend pas, la faute en
incombant autant à des acteurs peu intéressés par le sujet. Keanu Reeves incarne un Jonathan Harker
au jeu de tanche tandis qu’Anthony
Hopkins compose un Van-Helsing shooté aux amphétamines qui ne parvient pas
à égaler la prestation de Peter Cushing.
Une déception dont les thématiques sentimentales sirupeuses se diffuseront dans
les futures fictions vampiriques comme une tache d’huile…
Tube Cathodique. 1993-2002 : X-Files de Chris Carter.
La série X-Files renouvellera avec une bonne
paire de couilles la fiction télévisuelle. En misant sur des scénarios
respectueux des genres abordés et une réalisation ambitieuse, les créateurs
rencontreront un succès populaire foudroyant. Il faut se souvenir qu’à
l’époque, excepté l’irruption de Twin Peaks de David Lynch, aucune série n’aura été aussi loin dans les ambiances
délétères et les effets gores bien crades. Si la première saison ne paie pas de
mine, les suivantes iront crescendo dans la folie, l’expérimentation tous
azimuts et la volonté de se renouveler sans cesse. Beaucoup d’épisodes
parviennent à un niveau de qualité digne d’un long-métrage et atteignent leurs
buts, que ce soit dans l’horreur, la science-fiction paranoïaque ou la comédie
hallucinogène.
Entre l’arc principal de la conspiration
gouvernementale, la série comprend des épisodes isolés consacrés à toutes les
créatures du bestiaire fantastique, dont les vampires. Si l’épisode 07 de la
saison 2 sobrement intitulé les Vampires (3) ne nous offre que peu de variations sur le thème, il faudra
attendre la saison 5 pour rencontrer une interprétation intéressante.
L'épisode
12 : le Shérif a les dents longues (Bad
Blood) voit le célèbre agent du FBI Fox Mulder (David Duchovny) courir
aux trousses d’un pauvre paysan qu’il étend raide à coups de pieux dans le cœur
sous prétexte que celui-ci est le redoutable vampire qui s’en prend au bétail
des environs. Pourtant, les canines hypertrophiées du suspect s’avèrent être…
en plastique. Construite selon un montage alterné de plusieurs points de vue,
cette histoire met nos héros aux prises avec toute une ville de différents
vampires.
Les auteurs nous présentent une confrérie soudée de
vampires de plusieurs espèces, régies selon des règles d’existences communes.
Cet épisode reprend quelques idées provenant de l’adaptation d’Entretien avec un Vampire sorti
quelques années auparavant pour nous montrer des monstres vivants en marge de
la société humaine. Ils se fondent dans la population usant de leurs pouvoirs
hypnotiques. Un procédé qui devient limpide grâce à l’emploi d’une narration
reposant sur la perception d’un même événement de manières différentes par les
deux agents du FBI.
Si l’utilisation de la communauté vampirique se fraie
de plus en plus un chemin dans la culture populaire, les auteurs de X-Files en profitent pour renouveler le
thème en lui apportant un traitement comique et décalé, conçu avec une rare
intelligence et un sens de l’humour noir admirable.
1994 : Entretien avec un Vampire de Neil Jordan.
Adaptation tardive du livre éponyme d’Anne Rice, le
film nous fait entrer de plain-pied dans la modernité du vampire et de sa
dérive sentimentale. La narration passe de l’autre côté du miroir pour
embrasser le point de vue des monstres. Nouvellement créé par Lestat (Tom
Cruise), Louis (Brad Pitt) nous dévide son histoire sur un mode pathétique. Sa
voix off nous emmène dans les recoins d’une congrégation vampirique, véritable
univers parallèle coexistant avec le monde des hommes.
Le scénario ouvre des portes aux auteurs à partir
desquels les créatures surnaturelles vont être traitées selon un angle
communautaire. Nous nous retrouvons ici dans un moment charnière où le monstre
n’en est plus un. Louis devient l’incarnation d’un vampire doté de barrières
morales. Nous avons observé dans les précédentes fictions qu’une victime
vampirisée est dépossédée de son identité pour se muer en un reflet déformé d’humanité.
Mais Anne Rice et Neil Jordan font fi de cette règle en dotant les monstres
d’un libre arbitre qu’ils ne possédaient pas autrefois.
Entretien… marque un cap
important dans l’évolution des vampires en leur conférant le statut d’avatar du
spectateur. Par son basculement des valeurs, en nous raccrochant à la longue
litanie d’un vampire qui refuse de se nourrir de sang, nous pouvons déjà
sympathiser avec un mal qui restait autrefois extérieur, symbole de la
perversité. Avec le film de Neil Jordan tous les ingrédients de la Bit-Lit
s’imposent peu à peu comme une évidence.
1995 : The Addiction d’Abel Ferrara.
L’œuvre de Ferrara se sert du vampire comme d’une
métaphore de la dépendance à la drogue. Agréablement mis en scène dans un noir
et blanc granuleux ce métrage n’offre que très peu d’innovation et s’attarde
surtout sur le discourt d’un Christopher
Walken en vampire halluciné, théorisant sur sa condition. On s’ennuie ferme
et seule la prestation passionnée de Lili
Taylor, qui n’hésite pas à se vautrer dans des hectolitres de sang noir,
sauve les meubles.
1995 : Le Vampire de Brooklyn de Wes Craven.
Pas encore auréolé du succès de son néo-slasher Scream,
Wes Craven se compromet avec Eddy
Murphy pour commettre cette pochade pathétique qui ne choisit jamais entre
l’horreur sérieuse et la franche comédie. Cette hésitation aboutit logiquement
à un nanar pur premium auprès duquel le Blacula de 1972 est réussi…
1996 : Une Nuit en Enfer de Roberto Rodriguez.
Ce film contient le plus beau retournement de
situation jamais vu, le virage thématique le plus casse-gueule de toute la
filmographie vampirique. Si la première partie fonctionne comme un polar
musclé, la seconde va verser dans le gore le plus spectaculaire, mais non dénué
d’humour !!
Les vampires de cette histoire se conforment aux
règles basiques, mais chassent en meute belliqueuse. Affublés d’un aspect
repoussant, fruit de l’imagination des maquilleurs auquel le réalisateur a
laissé les mains libres, ce sont les dignes héritiers de Nosferatu, égorgeant
dans la joie et la bonne humeur les routiers qui ont le malheur de s’arrêter
dans leurs bars…
L'affiche d'Une Nuit en Enfer par Frank Frazetta ! |
Tube Cathodique. 1997 : Buffy contre les Vampires de Joss Whedon.
Impossible de ne pas parler de cette série, véritable
point zéro de la Bit-Lit dans son interprétation audiovisuelle. La narration se
focalise sur le personnage éponyme, divisant son temps entre le lycée et la
chasse aux monstres. Les vampires mis en scène se raccrochent à l’image
d’Épinal avec cependant des capacités surnaturelles moindres. Les vampires
pullulent et se regroupent en conclaves. L'aura de perversité qui les entoure a
été rabaissée et leur population nombreuse qui peuple la petite ville fictive achève
de les ringardiser.
Buffy… va utiliser deux figures
installées par Anne Rice en la présence de Louis et de Lestat en les unissant
en un seul personnage. Ainsi, le second couteau Angel, vampire de son état,
subit une malédiction qui lui fait regretter ses boucheries (soft). Il passe le
plus clair de son temps à se lamenter tandis que son alter ego qui ressortira
de temps à autre du placard afin de dynamiser le récit se contentera de
préparer des plans diaboliques digne d'une pâle copie de Fu-Manchu, rires
sadiques compris !
Outre la prédominance des rôles féminins, on assistera
à un foisonnement exponentiel de créatures tirées de contes populaires, mais
aussi des lubies de scénaristes. Tout ce beau monde s’organisera en différentes
communautés et factions. Formant un sous-texte, ce macrocosme de bric et de broc
se façonnera sous la plume d’autres auteurs pour codifier de manière définitive
la Bit-Lit.
Cette série marque une césure entre l’époque durant
laquelle le vampire est envisagé dans le cadre de l’épouvante, et celle où la
créature va jouer les personnages de films d’action. Le traitement du vampire
dans une fiction orientée action affaiblira son symbolisme premier pour
l’orienter de façon brouillonne vers le super-héros. Cette approche du mythe du
vampire dégénérera vite en une foire aux effets-spéciaux. Le vampire est alors
envisagé comme une excuse à l’exécution d’exploit surhumain.
1998 : Blade de Stephen Norrington.
Puisque nous parlons de super-héros, c’est
l’adaptation d’un personnage de la Marvel
qui réalise en premier la fusion entre le mythe vampirique et l’univers des
super-héros. Wesley Snipes incarne
ici Blade, un Dampyr [3]. Métamorphosé contre sa volonté en créature
non-humaine après un accident rocambolesque, le héros dézingue des suceurs de
sang avec tout un attirail de lames d’argent.
En dehors d'une réalisation poussive, on retiendra
l’exploitation de l’idée de l’émergence d’une solide communauté, s’articulant
autour d’une structure hiérarchique pyramidale dont le Patriarche demeure le
dirigeant suprême.
Malheureusement dans l’univers de Blade, les vampires
dansent dans des boîtes de nuit techno tout en dégustant une pluie
d'hémoglobine car Blade est un produit calibré pour un public d’adolescents
décérébrés qui plombe ces quelques bonnes trouvailles sous un scénario
putassier. Le succès retentissant aidant, Blade connaîtra deux suites.
1998 : Vampire$ de John Carpenter.
Longtemps ajournée, la rencontre entre le vampire et John Carpenter [4] se concrétise autour d’un projet
hybride, tenant plus du western surnaturel que du film d’horreur classique.
Cette confrontation attendue n’accouchera pas d’une œuvre définitive, mais
d’une série B musclée appréciable.
Revenant aux monstres des origines, John Carpenter
oppose de féroces chasseurs de vampire armés par le Vatican à des morts-vivants
brutaux. Si quelques règles basiques sont respectées, la séquence de bataille
gore qui ouvre le métrage donne le ton. Carpenter s'amuse en mettant en scène
un film d’action dans lequel il est difficile de choisir son camp, les
chasseurs compensant leurs faiblesses humaines par une cruauté démultipliée.
Cela n’empêche pas le réalisateur de se faire plaisir
en montrant les créatures sortir de terre comme des zombies apocalyptiques, de
filmer des attaques sanglantes tel le massacre des mercenaires dans un motel
borgne. L’ironie de Carpenter fera de l’église l’origine de tous les maux
puisque le patriarche des vampires portait autrefois la robe pourpre d’un
cardinal. Une œuvre qui si elle ne change pas les fondamentaux du mythe, refuse
tout compromis au romantisme et installe à nouveau le vampire dans sa fonction
de monstre ultime.
1999 :
Vorace (Ravenous) d’Antonia Bird.
À
un an de l’an 2000 et de la catastrophe artistique d’une décennie, Antonia Bird repoussera les limites du
concept vampirique en le reprenant à la base : le cannibalisme et les
mythes qui l’entourent. Dans sa réalisation tout comme dans son scénario, Vorace n’a rien à voir avec un émule de
Dracula, mais les idées qui le traversent, bien qu'empruntant la forme d'un
Western horrifique, le rattachent aux films de vampire. Appelée à la rescousse
sur un tournage bancal, la réalisatrice anglaise exécute un tour de force en
sauvant une entreprise promise à la faillite tout en injectant une critique
féroce des États-Unis dans un script défaillant. Elle s’approprie le thème du
cannibalisme comme aucun autre cinéaste ne l’a fait avant elle. L’originalité
de la démarche n'épargnera pas le film qui connaîtra le four annoncé au
box-office et demeurera dans la liste des chefs-d’œuvre oubliés.
Car
dans le parcours du pleutre capitaine John Boyd (Guy Pearce) se retrouve l’idée que le mal est une maladie contagieuse.
Son vecteur prend les traits du Colonel Ives (Robert Carlyle dans une performance hallucinée…), un cannibale de
la pire espèce qui s’empare de la force et de la personnalité de ses victimes.
La légende indienne qui traverse le récit comme un fil rouge raconte que celui
qui mange un homme absorbe se force, sa vitalité et sa virilité. Comme dans la
fable, le Colonel Ives devient un être multiple, empli par les ombres de ses
proies. Antonia Bird s’appliquera à nous montrer la puissance de son cannibale
au cours de trois séquences d’une impressionnante maîtrise du rythme et de la
tension qui permettront au colonel Ives de devenir l’un des vampires/cannibales
les plus redoutables de l’histoire du cinéma…
Mené
par Ives qui les guident dans les montagnes, un petit groupe de soldats
recherche les survivants d’une expédition perdue. Dans une caverne isolée, les
deux soldats envoyés en éclaireurs découvrent un véritable abattoir humain. Au
même moment, Ives, qui a été fait prisonnier après des errements de
comportement, semble pris d’un accès de folie, grogne comme un chien avant de
creuser frénétiquement la terre. Ses mains agitées de spasmes produisent un son
de fouet et son expression se déforme avant de se recomposer lorsqu’il quitte
la personnalité de son gibier pour redevenir le monstre anthropophage. Dans
cette séquence, l’acteur joue une métamorphose interne, le cannibale jonglant
entre les différentes personnalités des personnes qu’il a ingéré. Il s’empare
littéralement de l’âme de ses victimes et se fabrique, comme le vampire, des
masques d’emprunt pour se donner une respectabilité de surface.
Une
autre scène nous expose les objectifs d'Ives. Tel le vampire, il souhaite
disséminer le cannibalisme dans les naissants États-Unis en utilisant pour cela
des hommes sur lesquels il a jeté son dévolu. Il transmet le mal en blessant à
mort ses proies, les mettant devant le choix cornélien de devenir cannibale ou
de mourir. Une méthode que n’aurait pas reniée Dracula. Bien que l’infortuné
John Boyd ait par deux fois goûté à l'anthropophagie, il se refuse à sombrer
dans la folie de son tuteur maléfique. Ives se lance alors dans une diatribe
hallucinante, décrivant les États unis eux-mêmes comme un pays
« cannibale » n’attendant que de s'étendre pour se nourrir du reste
du monde. Une saillie impressionnante de lucidité qui pousse ce « petit »
film de genre dans la case des chefs-d’œuvre par l’intelligence de sa
métaphore.
Le
duel final entre le Colonel Ives et John Boyd explose lors d’un mano à mano
sanglant où toutes les armes imaginables sont mises à disposition. Devenu un
consommateur de viande humaine, Boyd possède la force surhumaine de son
antagoniste. Antonia Bird nous décrit alors l’un des affrontements les plus
gore de l’histoire du Western qui se conclut sur une ironie grinçante. Cette
résistance hors du commun ne rappelle-t-elle pas l’invulnérabilité relative du
vampire ?
Vorace renouvelle la
vision du vampire en prenant des chemins détournés, retournant dans le passé
pour nous offrir une critique acerbe du capitalisme dont le Colonel Ives est la
séduisante incarnation. Le personnage campé par Robert Carlyle oscille toujours
dans l’objectif de la réalisatrice entre le monstre terrifiant et l’homme
fascinant. Ses manières raffinées nous rassurent. L’intelligence de son
discours nous séduit. Tout comme Dracula, il veut exercer son emprise sur tous
ceux qui l’entourent. Autrefois malade de la tuberculose, celui qui se fait
nommer le Colonel Ives a récupéré sa puissance, sa fameuse
« virilité » en commençant ses repas impies.
Doté
d’un « All male Cast », excepté la vieille Indienne qui sert de
guide, le film d’Antonia Bird se présente comme une tentative de définition de
la nature de l’homme. La puissance qui émane d’Ives paraît d’autant plus
malsaine qu’elle infecte tous ceux qu’elle touche. Aussi séduisant que redoutable,
le cannibale devient une incarnation des pires instincts de dominations qui ne
cessent de ronger l’homme. John Boyd, en acceptant ses paradoxes et ses
faiblesses finira par venir à bout du monstre dévoreur en se sacrifiant
lui-même dans une apocalypse de sang.
Bien
qu’empruntant la forme du film de cannibales, Vorace est un émule primordial de Dracula et de ses frères dont il
possède les principales thématiques qu’elles soient de l’ordre de la
contamination ou de la perversion. Film conspué par le public à cause d’une
distribution lacunaire, Vorace fait
pourtant preuve d’une liberté de ton peu prisé dans le cinéma des années 90.
Peu de cinéastes ont osé brasser autant d'influences pour aboutir à une œuvre
qui se situe hors des étiquettes cinématographiques habituelles.
Vorace
se pose comme un des meilleurs films à être sorti ces dernières années sur les
écrans, une certaine idée du cinéma qui passe par une bonne histoire, une
réalisation maîtrisée et un propos intelligent. Un divertissement d’une rare
finesse rehaussé par une musique originale et des saillies d’humour noir
grinçantes. A consommer sans modération !
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[1] L’aura du personnage s’est diluée dans une trop longue série de film et surtout dans un remake nauséabond qui ne parviendra pas à comprendre la symbolique de son croquemitaine…
[2] Un des grands genres de l’horreur qui comporte des pépites terrifiantes comme L’Exorciste de William Friedkin ou La Mouche de David Cronenberg.
[3] Dampyr : un être mi-humain, mi-vampire qui possède la faculté de pouvoir sortir en plein jour. De Nombreuses fictions ont exploité ce personnage singulier, comme nous le verrons dans la suite de cette série d'article...
[4] John Carpenter fut envisagé pour tourner un Dracula qui ira finalement dans l’escarcelle de Francis Ford Coppola.
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