dimanche 30 juin 2013

    Projets Inachevés : La Foie.

    En ce beau dimanche un peu froid, inaugurons une nouvelle rubrique avec celle des Projets Inachevés,  ces récits qui traînent dans mes cartons depuis Mathusalem et dont la route pour parvenir jusqu'aux yeux d'un hypothétique lectorat demeure encore très improbable. 

    Première bande dessinée à ouvrir le bal, La Foie première version a été mise en image par le duo Jules-Tom Fradet. Elle a été publiée sur la défunte plate-forme Manolosanctis

    Néanmoins, l’histoire n’est pas enterrée de façon définitive d'autant qu'elle me tient à cœur  Une deuxième version verra sans doute le jour dans quelques années…











    mercredi 1 mai 2013

    Comment la Bit-lit émascule le cinéma fantastique.... part 1.


    À l’occasion de la fin de l’adaptation de la saga Twilight au cinoche, exécutons un retour en arrière pour se livrer à quelques observations sur les métamorphoses subies par l’archétype du vampire à travers ses exemples cinématographiques. Bien que le terme de Bit-Lit s’applique surtout aux nombreux romans qui ne cessent, grâce à Milady, de truster les rayons fantastiques des libraires, ce genre est parvenu au cinéma ainsi que dans les séries télé à une transcendance grotesque dont Twilight demeure l’aboutissement.


    Une très belle affiche des années 80...



    En ôtant sa férocité au vampire pour le transformer en un éternel adolescent qui zone sur les bancs des lycées depuis 500 ans, les auteurs œuvrent dans une logique étrange et lourde de sens qui enlève à une figure puissante de la mythologie horrifique toute l’odeur de souffre qui la caractérisait. La transgression symbolique que représente le Vampire, agent des forces du chaos, moteur essentiel de tout bon récit d’horreur est ramené au stade de vulgaire bluette sentimentale. Même Harlequin s’est mis à dévider du pseudo-vampire dans ses collections.

    Mais d’abord, de quoi parle-t-on ? Le vampire existe dans de nombreux récits et légendes. Toutes les civilisations possèdent leur hématophage, cannibale à l’occasion. Les premières manifestations connues du vampire se cristallisent autour de superstitions qui établissent les caractéristiques du personnage. Au cours du 10ème siècle de nombreux enterrements prématurés furent à l’origine du mythe. La tradition orale les déforma en autant de phénomènes angoissants, qui eurent d'horribles répercussions : de malheureux inhumés vivants se faisant défoncer la cage thoracique par des paysans en pleine paranoïa surnaturelle. D’autres pistes telles que la présence de tueurs en séries meurtrissant la population ont pu participer à l'ampleur de la légende. Au plus fort de la vague vampirique, l’église va s’emparer de la légende et formera même ses inquisiteurs à la chasse au revenant. Le vampire sera admis dans les encycliques. Du côté de la science on peut noter qu’une maladie génétique a pu contribuer au développement du mythe : la porphyrie. Dans sa forme la plus grave les victimes redoutent les rayons du soleil qui brûlent leur peau et l’ail leur est proscrit [1]…

    Il est impossible de parler de vampirisme sans citer les deux romans qui l’ont popularisé de manière internationale et dont les adaptations en films ne se comptent plus : Carmilla de Sheridan le Fanu et Dracula de Bram Stocker [2]. 

    Publié en 1871, Carmilla installe toute la mythologie vampirique avec son héroïne candide qui deviendra la proie des désirs saphiques et sanguins de la comtesse.

    Six ans plus tard, l’auteur Bram Stoker se lance sur les traces du mythe en compilant une volumineuse documentation. Il pousse plus loin le concept du vampirisme en la cristallisant dans la figure du noble roumain décati : Vlad l’Empaleur alias Dracula qui restera l’un des vampires les plus célèbres. Inquiétant, mais charismatique, le vampire de Stoker est doté d’une force herculéenne et de nombreuses faiblesses qui vont faire école. Roman de son siècle, Dracula peut se lire comme l’irruption de la sauvagerie de l’inconscient dans la très coincée époque victorienne. Bien que les hommes parviennent à terrasser le monstre aux termes d’un âpre combat, son ombre s’étendra durablement sur les esprits.

    Ces deux récits fonctionnent de manière similaire, bien que Carmilla choisisse une approche tout en douceur alors que Dracula fait résonner toutes les orgues de l’horreur et de l’aventure. En dehors des caractéristiques générales du revenant, qui seront malmenés au cours des adaptations, l'une d'entre elle restera, jusqu’à nos jours tout du moins, presque inchangée : la consonance sexuelle

    Dans l’Angleterre victorienne bourgeoise et pudibonde, le vampire symbolise le violeur ultime qui tue sa victime en l'amenant à la jouissance interdite sans avoir recours au coït ! [3] Une créature chez qui Eros et Thanatos dansent un grand ballet pernicieux. La perversité dont il est empreint se répand parmi ses proies qui se relèvent alors de leurs tombeaux pour contaminer les proches parents… Les écrits concernant les vampires se classent dans la catégorie des histoires dans lesquelles le mal vient de l’extérieur, ce qui produit les rejetons les plus effrayants du fantastique ou les pires [4]….

    Gravure tirée du roman Carmilla.


    Comme toutes les créatures fantastiques, le vampire se présente comme un élément menaçant la société. Leurs natures transgressives nous offrent des passerelles vers une face plus redoutable de l’inconscient. Le duel entre les forces de la raison et de la religion et de leur antagoniste constitue l'enjeu du récit. Aucun vampire, pas même Dracula, ne peut être considéré comme humain. Dans certaines versions ils ne possèdent pas d’âme ou leurs toxicomanies à la jouissance perverse [5] d’autrui les opposent à une société raisonnable qui ne doit sa survie que par l’établissement de tabou à ne pas franchir. Cette règle d’or maintient la fascination que nous éprouvons pour ces monstres parfois pathétiques, mais toujours dangereux. 

    La consommation de sang frais, élément fondateur du mythe, demeure un symbole sacrilège dans les variantes européennes du vampire, car il singe la coutume eucharistique : le partage du sang et du corps du Christ symbolisé par le pain et le vin. [6] Cette composante religieuse sera abordée de différentes manières par les auteurs, mais persistera dans l’approche du personnage, même dans ses versions les plus déformées. L’assimilation de l’autre comme moyen de traverser les âges réveille les vieilles superstitions qui professent que l'absorption de la chair d'un homme permet de s'approprier sa force. Le vampire fait sienne les forces vivent de ses victimes. Son cannibalisme surgit des mythes archaïques, antérieurs au christianisme. Antonia Bird se souviendra des mythes primordiaux dans son excellent film Vorace avec un anthropophage dont les pouvoirs renvoient directement au vampirisme.



    On peut effectuer un rapprochement sémantique entre les tueurs en séries et le vampire puisque ceux-ci n’en seraient que des versions plus « réalistes ». La comtesse Erzébet Bathory qui sacrifie de jeunes filles pour se baigner dans leurs sangs et ainsi conserver sa beauté à travers les âges n’agit-elle pas comme un vampire ? Le docteur Hannibal Lecter du Silence des Agneaux ne pourrait-il pas être un autre visage de Dracula, le surnaturel en moins ? La fascination et le mesmérisme qu’il exerce sur ses victimes relèvent presque du fantastique tant cette caractéristique est devenue, sous la plume des scénaristes, outrancière. A l’inverse de la réalité des tueurs en série, à la fois complexe sordide et pathétique, leurs avatars hollywoodiens appartiennent à un fantasme dont certains traits découlent de l’archétype du vampire.

    Au tournant des années 1990-2000, poussé par des métamorphoses dues à la culture populaire, le vampire change imperceptiblement. Deux idées surgissent simultanément dans les fictions. La première ajoute de l’empathie envers le monstre qui n’est plus l’élément perturbateur du récit mais son moteur. On va décrire la réalité quotidienne du vampire ainsi que ses états d’âme. La seconde idée consiste à considérer que les vampires ne sont plus uniques mais s’organisent en microsociété. C’est dans La Chronique des Vampires qu’Anne Rice popularise ces idées de façon définitive dans l’imaginaire populaire. Ces principes se transmettrons à d'autres ethnies fantastiques comme les loups-garous, les sorciers etc...

    Dès lors le fantastique se pervertit peu à peu en urban-fantasy. Des communautés surnaturels évoluent au sein des humains. La fiction nous rappelle de manière caricaturale que les effets de la globalisation agissent sur l’inconscient et nous pousse à nous regrouper en petites cellules rassurantes. Le fantasme des sociétés secrètes, également en œuvre, donne à chacune des créatures du répertoire horrifique ses sectes, ses règles de vie, ses repaires… Sans réellement de concertation, mais avec une évidente volonté d’aplanir la production pour plaire aux nouveaux lecteurs, les récits s’uniformisent dans ce sens. Le loup-garou ou le vampire deviennent trop communs, plus assez inquiétants puisqu’ils ne symbolisent plus la transgression d’un tabou. Même si la notion de meurtres reste présente, elle n’est plus qu’un sous-texte souvent évacué par les auteurs, et ce, jusqu’à l’insipide et insupportable Twilight, la dernière excroissance dégénérée de cette évolution. Toujours est-il que Dracula et Carmilla, traverseront les époques pour perdurer jusque maintenant bien que parfois sous des formes profondément dénaturées. 

    Après cette introduction, je vous propose un petit survol cinématographique durant lequel nous observerons cette évolution à travers l’un des médias les plus populaires de notre temps. Je ne parlerais ici que des films que j’ai vus, le nombre des productions vampirique étant astronomique [7] !!

    1 - Les débuts du cinéma et la Hammer Film.

    1922 : Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau.



    Adaptation officieuse de Dracula, le métrage met l’accent sur l’aspect monstrueux de la créature des ténèbres, rompant ainsi avec le roman qui fait rajeunir le comte au fur et à mesure de son absorption de sang. Murnau, précurseur, filme le vampire le plus répugnant de l’histoire du cinéma. Le personnage, renommé le comte Orlok pour l'occasion. Le vampire de Murnau sème la désolation non seulement pour ses victimes directes, mais aussi pour les personnes qui vivent dans la région qu'il infecte. Réalisé dans un noir et blanc à couper le souffle, remplit de plans audacieux ce film conserve, comme beaucoup de ses confrères muets, une étonnante modernité.



    Exécutons un long saut temporel durant lequel nous esquivons le Dracula de Tod Browning, que je n’ai pas vu. Je ne parlerais pas non plus de Vampyr de Carl Theodor Dreyer tout comme son voisin de palier, La Marque du Vampire du même Tod Browning, sinistre pantalonnade dont le scénario est atteint du « syndrome Scooby-doo » [8] 

    1958 : Le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher.



    Tournée entièrement en studio, cette œuvre demeurera une pierre angulaire pour bons nombres de sagas vampiriques dans lequel après le hongrois Bela Lugosi, Christopher Lee campe le redoutable comte en lui injectant tout son charisme. Sa prestation fait de lui l’une des plus terrifiantes incarnations de Dracula. La société de production anglaise Hammer frappe fort et démontre au passage que l’Angleterre n’a alors rien à envier aux productions américaines. Il se dégage de toutes les créations du studio une ambiance à nul autre pareil dans laquelle l’humour noir se marie à merveille aux situations horrifiques.

    Le réalisateur Terence Fisher met à profit les décors de carton-pâte pour emballer des séquences presque oniriques, injectant une dose d’érotisme dans son histoire [9]. La violence, souvent hors champ, choquera le public des années 50. Terence Fisher se permettra quelques plans sanguinolents qui feront grincer les dents de la censure. Pour mieux créer une atmosphère d’angoisse, le réalisateur limite la présence de Dracula à l’écran au strict nécessaire, optimisant l’impact de ses apparitions pour les transformer en moment de malaise et de terreur. 

    À ce comte effrayant il faut opposer un acteur possédant un charisme capable de l’égaler. Dans le camp adverse, Peter Cushing, autre pilier du studio anglais, va composer un Abraham Van-Helsing fanatique, un puritain de la meilleure eau que rien ne détournera de sa mission purificatrice. Le chasseur de Vampire deviendra une figure souvent malmenée rarement bien exploitée. Peter Cushing donne un ton unique à cet archétype en le dépeignant sous les traits d’un homme susceptible de commettre les pires atrocités pour parvenir à ses fins.



    1966 : Dracula, Prince des ténèbres de Terence Fisher.



    Quelques années plus tard, la Hammer récidive avec un opus encore plus radical dans ses débordements et ses innovations. Doté d’une photographie magnifiant les clairs-obscurs, le film reprend la trame du premier en exhumant le comte par l’intermédiaire d’un de ses zélateurs. Un petit groupe de voyageurs goûtant aux charmes de l’accueil transylvanien investira une antique demeure, le manoir de Dracula, pour devenir les proies désignées du mal. 

    Plus mutique et spectral que jamais, Dracula ne sort des ombres que pour commettre ses assassinats. Cette mise en scène audacieuse devança de huit ans l’apparition des tueurs masqués de slashers movies. L’histoire s’attache en particulier une femme dont le caractère, de prude et effacé, tournera à un débordement de sensualité agressive et de sadisme lorsqu’elle se métamorphosera en vampire. Elle sera exterminée de façon brutale, que beaucoup de critiques compareront à un viol, par le père Sandor – un pâle chasseur de vampire qui remplace Peter Cushing, le seull bémol d’un film novateur par bien des aspects.




    Le succès de ces films entraînera une série de suite d’un intérêt relatif, dans lequel Christopher Lee sera condamné à répéter son rôle de Dracula, usant jusqu’à la corde son immense cape rouge. Si la Hammer exploita de manière redondante sur le personnage, elle s’intéressa à d’autres figures du bestiaire fantastique comme Carmilla dans ce qui est considéré comme une des meilleures adaptations du roman : The Vampires Lovers de Roy Ward Baker (1970)

    De son côté, Terence Fisher va signer un film de loup-garou qui constituera un des jalons dans la cristallisation de cet archétype au cinéma avec Curse of the Werewolf (1961) d’après le roman Le Loup-Garou de Paris de Guy Endore. Personnage pathétique, dévoré par sa dualité, le loup-garou y subit sa condition sans pouvoir y remédier, laissant dans son sillage une trace sanglante. Dernière curiosité d’un studio déclinant, la Hammer surfera sur les modes de l’époque en organisant un match pour le moins incongru entre mythologie vampirique et films de kung-fu dans La Légend des 7 Vampires d'Or de Roy Ward Baker et Chang Cheh (1974). Le succès relatif de cette piteuse pellicule n’empêcha pas la Hammer de sombrer corps et bien au début des années 1970…




    A suivre....
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    [1] Pour les différends renseignements de cet article, je me suis beaucoup servi de ce livre : Vampires ! une histoire sanglante/Elisabeth Campos, Richard D. Nolane - Les Moutons électriques, éditeur - 338 p. Une ouvrage exhaustif au prix abordable.

    [2Bien que le monstre apparaisse une première fois dans The Vampire de John Polidori publiée en 1819 qui a été oubliée dans les tréfonds de la littérature, probablement à cause du style trop ampoulé du médecin de Lord Byron.

    [3] Stephen King fait une longue analyse de Dracula et de sa symbolique dans son excellent essai : Anatomie de l'horreur (trouvable dans plusieurs éditions.)

    [4Le slasher et ses tueurs d'ados libidineux pour le pire ou l’univers sombres et matérialiste de Lovecraft dans lequel l’humanité n’est qu’un épiphénomène dérisoire pour le meilleur.

    [5] Un trait de caractère qui rapproche nos monstres fictionnelles de monstres bien réels, les tueurs en série. Le parallèle est établi de manière un peu plus élaboré dans  Vampires ! une histoire sanglante/Elisabeth Campos, Richard D. Nolane - Les Moutons électriques, éditeur p 120 - 163.

    [6] Ce n’est pas le cas dans des itérations exotiques du vampire, par exemple les vampires chinois, les Jiang Shi qui se délectent de l’énergie vitale des humains.

    [7Plus de 200 films rien que pour les adaptations de Dracula...

    [8] Une erreur de scénario de débutant qui consiste à expliquer à posteriori et sans aucune installation les éléments surnaturels par une rationalisation, alors que celle-ci n’est pas vraiment convaincante et massacre les efforts accomplis en amont par un ridicule achevé…. La même erreur existe en version cauchemar/rêve dont le protagoniste émerge et qui marque la fin du film ainsi que celle des idées du scénariste…

    [9laquelle paraîtra ridicule aux nouvelles générations élevées aux poses putassières de Twilight !!

    samedi 27 avril 2013

    La Bibliothèque des Ombres : Serge Brussolo, l'écrivain Stakhanoviste.

    En ce mois d'Avril, après un festival fantastique bruxellois de qualité variable, il est temps de se plonger dans les livres. Cela faisait quelques temps que je n'avais plus complété cette rubrique et l'alibi du fantastique me donne l'occasion de vous faire découvrir l'un des écrivains qui m'a le plus influencé, avec H.P.Lovecraft, Stephen King et quelques autres. Place donc a un monstre littéraire bien français dont la faconde n'a rien à envier à celle des auteurs classiques.... 


      
    Tenue en piètre estime par la plupart des critiques, la littérature de genre a souvent été ostracisée dans l’Hexagone. Dans les années 60-70 quelques auteurs enragés et prolifiques changèrent la face du genre en abordant de front des thématiques pessimistes ou revendicatives. Dans ce groupe on rencontre des noms tels que Joël Houssin, Jean Pierre Andrevon, Jean Rollin ou Pierre Pelot. Serge Brussolo va faire partie de ce peloton d’écrivains aux œuvres nihilistes qui connaîtront le succès. Alors en pleine expansion, le  fantastique et la science-fiction lui fournissent les armes les plus adéquates pour explorer ses sujets de prédilection : la folie humaine sous toutes ses incarnations ainsi que l’enfermement physique et psychologique. Écrivain prolifique de plus de 150 romans, Serge Brussolo a aussi été directeur de collection pour les éditions Denoël et a parfois publié sous les pseudonymes de Kitty Doom, Akira Suzuko, D.Morlock et Zeb Chilichote.


    Serge Brussolo débute aux éditions Fleuve-Noir dans la défunte collection Anticipation. Ces ouvrages de poche, souvent relégués dans les franges les plus basses de la littérature de gare deviendront avec le temps une des meilleures fenêtres sur l’imaginaire hexagonal. Le jeune Brussolo rentre en compétition avec des professionnels chevronnés et produira ses grands textes dans des conditions de vie impossible, composant ses récits dans les mêmes mansardes que celles de ses premiers héros sans le sou. Sa vision impitoyable, sombrement mécaniste, de l’humain aura peu d’écho dans la littérature francophone. Il n’y a pas de grandiloquence dans les sentiments exprimés, les histoires d’amour se résument à de simples coïts dénués de sens qui renvoient les personnages à leur prison mentale.





    Le dyptique formé par Le château d’Encre et Ma vie chez les Morts constitue une œuvre atypique dans la carrière de l’écrivain, utilisant la narration en focalisation interne, une exception dans sa bibliographie foisonnante. Le premier relate un huis clos étouffant qui suit un petit garçon observant la lente décrépitude de sa mère dans la psychose. Le jeune garçon se coule dans les fantasmes de sa mère par jeu, partageant sa logique défaillante avec une candeur désarmante. L’irruption d’un agent de l’extérieur dans leur château précipitera le drame. L’élément fantastique, la couture des ombres, n’est là que pour conférer un aspect onirique et paradoxalement financier, à une histoire qui bascule très vite dans l’atroce et le merveilleux. 


    Traitant du mythe de morts-vivants, le second tome plante son décor dans une base de l’armée américaine située en plein désert. Dans une chaleur suffocante, une femme en fuite et son garçon David Sarella, nom récurrent de tous les héros de Brussolo, doivent surveiller tout un camp d’expérimentations humaines ratées, les fameux morts-vivants. Si le thème du zombie intéresse Brussolo, c’est pour mieux le détourner : les créatures sont totalement pacifiques, immortelles et apathiques ! Déjà mortes, elles n’accordent aucune importance à ce qui les entoure. Seul David coincé entre sa mère à moitié dérangée et le cagnard du désert viendra apporter un peu de vie dans la routine desséchée des zombies. Pour l’auteur, les revenants feront de meilleurs parents que sa génitrice ou son père putatif, une redoutable brute. Ces récits figurent parmi les plus sombres et les plus efficaces de Brussolo tant l’enfermement et la folie suintent de chaque paragraphe.






    Brussolo se régale de l’imagerie des romans-feuilletons en utilisant des techniques de narrations tel que les personnages récurrents ainsi que la poétique des titres à rallonge. Il pervertit cet univers littéraire en usant de leurs structures simples pour construire des mondes originaux. Balançant dans une temporalité indéterminée, il confronte des protagonistes psychotiques à un environnement extrême qui modèle des religions délétères et des règles de société absurdes. Son style procède par métaphores grandiloquentes et inversion de logiques. Ainsi les objets quotidiens sont-ils sortis de leurs contextes pour devenir des armes comme dans L’homme aux yeux de Napalm et sa fête de Noël corrompue par une mystérieuse entité extra-terrestre métamorphosant chaque élément de ses festivités en autant de pièges mortels.






    Dans le cycle de La planète des Ouragans, les héros doivent survivre au milieu des cyclones qui agite la planète Santäl mais aussi aux aberrations mentales que ces conditions de vie démentes génèrent chez les autochtones. Certaines sectes obligent leurs membres à peser le poids de leurs déjections, d’autres construisent des maisons blindées. Dans la capitale en ruine des musiciens dont les mélodies apaisent les douleurs des victimes des typhons se suicident lentement, du poison coulant de leurs instruments…


    Enfer vertical en approche rapide, récit minimaliste et impitoyable décrit par le menu les possibilités infinies de la logique humaine pour torturer son prochain. Dans ce roman, Brussolo commente de façon clinique les conséquences d’une ignoble expérimentation sociologique faite sur des prisonniers. Pour quel observateur cynique ses examens sont-ils menés… L’écrivain se contentera de le suggérer préférant titiller l’imagination de son lecteur.





    Brussolo créé un lien étroit entre l’environnement et le développement mental de ses protagonistes. Les religions, ne profitant qu’à ceux qui les professent, ne sont que des illusions cruelles qui asservissent l’individu. Dans ce contexte ses héros toujours aux franges de la société ne peuvent pas échapper au poids des traditions et à leurs fantasmes. Impitoyable, l’écrivain les broie pour les projeter dans la mort ou la folie.



    Durant les années 90, Brussolo jette son dévolu sur des histoires d’horreur et des séries noires. Dans ses meilleurs opus, les protagonistes sombrent dans des délires grotesques, incapable de distinguer la réalité des suppositions de la paranoïa. Boulevard des banquises combine les deux thématiques dans un superbe récit vénéneux contenant toutes les obsessions de son auteur : une romancière crève-la-faim est envoyée par son éditeur dans la lointaine ville de Götterdhal pour en établir un guide touristique. Plongée dans une ville aussi malsaine que froide, elle découvrira que les fondateurs de la cité furent autrefois de redoutables naufrageurs exécutant depuis des siècles une impossible rédemption à base de rituels masochistes. Dans cet univers de cauchemar, hanté par des créatures éthérées, l'héroïne aura fort à faire pour conserver sa santé mentale. Si Brussolo délaisse volontiers une intrigue un peu lâche, il se concentre sur une ambiance délétère, nous conviant à partager les horribles explorations de sa protagoniste.






    Ce déploiement de psychoses en tous genres flirtant ouvertement avec des atmosphères fantastiques trouve une forme d’équilibre dans La maison de l’Aigle, un ouvrage se classant dans les tentatives de Brussolo pour intégrer la littérature générale. La démence nazie et la pathologie artistique s’unissent en la personne d’un peintre illuminé et génial. L’obsession pour la chair de l’artiste se répercutera sur sa modèle recrutée de force qui sera « sculptée » avec des techniques chirurgicales…



    Fasciné par le corps humain et ses déformations, Brussolo utilise souvent le gore dans ses récits. Les visions hallucinées abondent au gré des histoires. Les malheureuses victimes du Docteur Squelette sont la proie d’hypertrophies osseuses. Des sculpteurs incompétents subissent des amputations indolores dans les Inhumains. L’héroïne des Fœtus d’Aciers voit ses dents exploser en croisant des momies incassables. Les métamorphoses lycanthropiques peuplent de manière récurrente son œuvre, comme dans Les Bêtes ou Cauchemars à Louer qui confronte son héros de 12 ans à l’ignoble régression animale de ses parents.






    Ses séries noires, pour les meilleurs, reposent sur des huis clos ou l’humanité des personnages est tiraillée par la paranoïa. Mais la puissance de ses textes fantastiques ou de science-fiction est atténuée par l’obligation de fournir une intrigue et une solution aux mystères exposés. Brussolo excelle dans l’art de la description fantasmagorique, tissant des ambiances poisseuses propices à l’explosion de tous les possibles mais il se heurte à des difficultés pour greffer ses visions dérangeantes dans l’univers réaliste des énigmes. Cela aboutit souvent à des récits déséquilibrés dont l’installation demeure plus prenante que la résolution. Tous ses polars ne sont pas à jeter et certains titres restent des leçons d’efficacité que feraient bien d’appliquer les scribouillards psychologistes parisiens. La chambre Indienne et son héroïne traquée par un amant machiste et psychopathe ou La Route Obscure et sa SDF paumée proposent une tonalité inédite à un genre sclérosé qui répugne à exploiter les parias du vingtième siècle en lieu et place des sempiternels avocats, policiers, ou médecins légistes…



    .


    Brussolo se fourvoie à travers ses tentatives de littérature générale à coup d’intrigues indigestes. La Moisson d’Hiver et ses pécores menacés par une bombe à retardement constituent un exemple de grande fatigue d’écriture. Même si d’autres opus comme Hurlemort et Les Ombres du Jardin se révèlent d’agréables lectures, ils n’en ont pas pour autant la rage et la bile noire des débuts de carrière.



    Avec sa série de polars historiques l’écrivain s’offre une alternative intéressante à l’univers étriqué de la série noire contemporaine. Explorant aussi bien l’Égypte des pharaons, les terres des Vikings que le moyen-âge, un de ses champs de bataille préférée, Brussolo utilise son style à plein rendement en tirant profit des frayeurs des personnages pour ciseler des visions dantesques. Les délires religieux lui prodiguent la possibilité de se délecter de la peinture d’inquisiteurs puritains, de moines en proie aux affres de l’obsession de la pureté et de victimes soumises. 






    Brussolo s’est essayé à la littérature jeunesse, mais celle-ci ne semble pas lui convenir. La technique descriptive de l’écrivain se simplifie jusqu’à l’absurde. Certaines intrigues paraissent bâclées, rédigées uniquement dans le but de payer les factures. Seule sa série Peggy Sue et les Fantômes contient quelques morceaux de bravoures horrifiques qui renvoient aux meilleurs ouvrages de la période Fleuve-Noir mais le ton stagne dans un second degré pesant qui désamorce souvent le côté horrifique des situations. Peut-être les exigences éditoriales du secteur jeunesse ne lui laissent-elles pas suffisamment de marges de manœuvre pour que son ton empreint de fatalisme et d’humour noir, ne se développe correctement ?






    C’est ce que semble confirmer son accord récent avec les éditions Bragelonne qui accepte de publier les versions non-censurés de certains romans adolescents de l’auteur dont le cycle des sentinelles d’Almoha. C’est chose faite avec la publication de l’intégrale du premier volume La Muraille Interdite…