Troisième salves de critiques minimales pour fêter ce troisième mois et demi de confinement pour ma part, avec la nette impression d'être en taule, dans un asile de fou, dirigé par une bande de maniaques paranoïdes en liberté. Mieux vaut avoir de saines lectures sous la main pour ne pas péter tous les câbles en même temps...

Dylan Dog : Berceuse Macabre/Barbara Baraldi & Corrado Roi
En
Italie, Dylan Dog est une institution culturelle. Avec quelques autres
personnages du géant éditorial Bonelli. Dylan Dog, né sous la plume de Tizanio Sclavi
est un dandy aux allures de Rupert Everett qui traîne son spleen dans
les ruelles d’une Londres fantasmatique dans laquelle il résout des
affaires impliquant du surnaturel.
Dans cette Berceuse Macabre,
c’est Baraldi qui remplace Sclavi au scénario, mais le changement
n’entache en rien la qualité du script anxiogène, sublimé par les
planches suintantes d’encre de chine de Roi
qui exhalent des relents d’expressionnisme allemand.
Un
traitement graphique bien poisseux que les blagues de l’assistant de
Dylan, Groucho, peine à adoucir. Il faut dire que les auteurs
s’attaquent à l’enfance inquiétante, un de ces thèmes horrifiques qui
fleurète avec les limites de ce que l'on peut montrer dans la fiction
d'épouvante. Cette enquête glauque est emmêlée avec une narration
parallèle racontant les déboires d’un vieux conteur… dont les histoires
semblent faire échos aux événements.
Car dans l’univers de Dylan
Dog, rien n’est simple, ni même achevé et une dernière case peut très
bien relancer le récit ou amener le lecteur à reconsidérer tout ce qu’il
vient de lire.
Série atypique, qui a hérité du sens de
l'absurde et du fantastique celui qui fut longtemps son scénariste,
Tiziano Sclavi, Dylan Dog mérite votre attention, et qui sait ?
Peut-être prendrez-vous goût au doux frisson du cauchemar[1].

Une Année sans Cthulhu/Thierry Smolderen & Alexandre Clerisse
Comment
résumer un récit monstrueux qui perd le lecteur dans un labyrinthe de
témoignages d’un même événement qui, chacun, en donneront une
interprétation différente ? Car c’est le pari adopté par le scénariste
Smolderen et le dessinateur Clerisse. Continuant leurs explorations du
vingtième siècle à travers le prisme de l’imaginaire, comme ce fut le
cas avec Souvenirs de l’Atome (consacré aux années 60 et à la SF de Cordwainer Smith) ou l’Eté Diabolik,
(consacré aux années 70 avec en point de mire le fumetti d’espionnage
éponyme) ils s’attaquent ici aux décennies 80, au cinéma d'horreur.
Marqués
au fer rouge par le jeu de rôle – et les faits divers l’entourant –
autant que par l’émergence du jeu vidéo et des sciences cognitives, les
deux auteurs mixent le tout en un récit qui aurait pu devenir indigeste,
n'était-ce leurs capacités a synthétisé les innombrables thématiques
dont ils se sont emparés. Ce qui aurait pu ressembler un gros mélange de
culture « nostalGeek » conserve ici un parti-pris fort, grâce à
une écriture lyrique, usant de la métaphore et du symbolisme avec
habileté et à un graphisme qui mue continuellement pour fusionner les
différents niveaux de réalités auxquels nous sommes confrontés.
Débutant
comme un film d’horreur classique de la décennie, les personnages – et
le lecteur – ne tardent pas à se perdre dans un écheveau de pistes
toutes plus incohérentes les unes que les autres et qui, pourtant,
parviennent à s'emmêler harmonieusement. Les auteurs se gardent bien de
déflorer le mystère qui palpite sous cette intrigue, demeurant en cela
plus proche de Twin-Peaks que de Strangers Things.
Au
final une excellente BD qui restitue un imaginaire que l’on croyait
mort en enterré dans toute sa noirceur. Ce qui est en soi un bel exploit
!

Riff Reb’s : A bord de l’étoile Matutine ; Le Loup des Mers ; Hommes à la Mer/Riff Reb
Passionné
par la mer et les histoires de marin, le dessinateur Riff Reb s’est
attelé à bâtir un schooner d’adaptations de romans sentant les alizées
pour les amateurs du genre. Cet album rassemble l’intégrale de ses
recherches graphiques en un objet fort esthétique, à la reliure solide,
ce qui est déjà une grosse qualité en ces temps.
Les différents
récits sont narrées avec maestria, le texte préexistant permet à Riff
Reb de tirer le meilleur de son art en se concentrant sur son découpage.
Les amateurs d’abordage et de naufrages en tous genres en seront pour
leurs frais.
Utilisant souvent une langue riche, ponctuée par
des idiomes maritimes, Riff Reb compose des planches grandioses en usant
de la bichromie pour sublimer la mélancolie de ses personnages, des
clochards célestes, incapable de demeurer sur la terre ferme, car
toujours tiraillé par le parfum obsédant de la mer qui promet à ceux
qu'elle envoûte une liberté sans entrave, en dépit des innombrables
sacrifices exigés par Poséidon et ses naïades.
Entre contes de
pirates et chasse aux phoques tournant à la catastrophe sous la houlette
d’un capitaine tyrannique, ces tranches d'existences englobent tous les
aspects de la vie des marins des siècles passés. Une lecture
recommandée si les embruns vous titillent les narines !

NeuN/Tsutomu Takahashi
1940, treize enfants ont été fabriqués à partir de l’ADN d’Aldolf Hitler pour pérenniser le troisième Reich. Les officiers nazis décident d’éliminer toute la lignée, excepté un individu qui aurait développé des pouvoirs psychiques remarquables.
Connu pour ses œuvres qui s’aventurent dans les recoins les plus sombres de l’esprit humain, le mangaka Takahashi s’intéresse ici au nazisme et plus particulièrement à la manière dont il a été vécu en Allemagne. Un sujet pour le moins lourd qui est supporté par une mise en scène qui hérite de ses traits charbonneux pour imprimer une infinie noirceur à l’ensemble.
Bien que s’abreuvant au calice du thriller ésotérique, l’auteur parvient à rendre cette intrigue solide en se focalisant les personnages dans un découpage harmonieux, très lisible. Ne nous épargnant guère sur les horreurs de la guerre il s'autorise quelques bizarreries gothiques en confrontant nos héros à des émules de Mengele.
Du fait de son traitement sérieux et de son sujet épineux, ce récit ne convient qu’aux lecteurs ayant un estomac résistant et une grande ouverture d’esprit, mais le résultat en vaut le détour.
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[1] - Il est à noter que Dylan Dog a eu le
droit à deux adaptations cinématographiques, l’une éponyme, l’autre
adaptant une œuvre de jeunesse de Sclavi amorçant déjà ce que sera
l’enquêteur en cauchemar. Je vous conseillerai plutôt l’adaptation
italienne de 1994 : Dellamorte Dellamore de Michele Soavi, dans laquelle on retrouve
d’ailleurs Rupert Everett dans le rôle principal, mais aussi le cocktail
détonnant d’humour (noir) et de terreur qui fait la saveur de ce
fumetti atypique.