jeudi 6 juin 2019

    Les Chroniques de Yelgor : La Nuit du Masque : Fragment

    Reprise des affaires pour les Chroniques de Yelgor avec une bien belle illustration – quoiqu’un rien gorasse – de Duarb pour le prologue qui sera incorporé dans la nouvelle mouture que je prépare, en attendant la suite dont les idée dorment toujours dans quelques recoins de mon carnet. Ceci étant, je devrais m’y atteler dans les mois à venir… En attendant je mets à votre disposition la première partie du prologue qui se déroule 60 ans avant les événements de La Nuit de l’Auberge Sanglante. Une sorte de mise en bouche. Bon appétit.
    Illustration par Duarb.

    [Chapitre 1 : Le Chevalier]                                                           
    [Chapitre 24 : Le Dauphin]
    [Chapitre 25 : Le Poste de Frontière]

    Conte de la Guerre des Hautes Marches…

    Désemparé, le Prévôt de Brine contemplait les restes des novices qui gisaient dans la grande maison près du lac. Une abjecte sculpture de souffrance grisâtre mêlait les esclaves à leurs maîtres. Ses adjoints le suivaient à petits pas prudents, leurs bottes de cuir chuintant sur le marbre. Elles glissaient presque. Chacun d’eux manifestait une angoisse palpable. Leurs cottes de mailles et leurs épées paraissaient incapables de les défendre contre l’horreur qui s’était déchaînée dans ce mausolée. Ils tremblaient dans leurs chausses, le cœur étreint par la poigne spectrale de la terreur.

    À côté de lui, la seule rescapée du massacre grelottait de tous ses membres. Elle serrait les mâchoires à s’en faire éclater les dents pour contrôler ses mouvements spasmodiques. Sa tunique de soie en lambeaux dissimulait mal le galbe de ses seins proéminents. Ses bras d’albâtre avaient été griffés par des bosquets de ronces. Ses longs cheveux blonds ponctués de mottes de terre et de brindilles de pins témoignaient de sa fuite éperdue dans les bois environnants. Ses yeux bleus se portaient partout, traquant la moindre ombre suspecte.

    Alors qu’ils traversaient la salle à manger, frôlant les colonnes de marbre, le Prévôt estima en avoir vu assez. Le tueur avait exploré les lieux avec méthode, moissonnant les novices avec une férocité hallucinante. Certains, surpris dans leurs repas, avait réussi à dégainer leur glaive d’apparat, mais le monstre n’en avait eu cure. La jeune fille s’approcha d’une des statues grises, les larmes surgissant de ses yeux.

    — Oh ! Oh ! C’est… Kéric… On s’était promis…

    Elle tendit la main vers son fiancé. Alors que les doigts de la novice touchaient la joue pétrifiée en une tendre caresse, le corps s’effondra en un nuage de cendre qui menaça d’engloutir toute la pièce. Le Prévôt la ramena d’un geste sec vers lui. Il n’avait pas envie de respirer des particules mortifères.

    Il rebroussa chemin, ses hommes et la survivante sur ses talons. En passant le seuil de l’internat, il éprouva un net soulagement physique. Il plaignait les esclaves qui auraient à se dépêtrer de ce merdier. Les cendres grasses qui s’étaient déposées sur les épaulettes de sa cape le répugnèrent. Il secoua son vêtement, contemplant la surface d’or et d’azur de l'onde.

    Le soleil à son zénith illuminait le lac Cristal qu’un fin zéphyr plissait en vaguelettes. Des bancs de daphnies, des dytiques et des crevettes s’ébattaient en un ballet aérien sous l’eau translucide. Il s’avança vers le ponton où le léger roulis berçait deux bateaux de plaisance. Il s’interrogeait sur l’origine de ces crimes étranges. Était-ce lié aux troubles qui embrasaient la capitale Tulking-Rox et dont les échos ébranlaient le pays ? À moins que ce ne soit une manifestation des Noctules et de leurs ignobles alliés qui se dirigeaient vers les Hautes Marches. Il essayait de deviner un schéma. Déjà trois séries de meurtres en moins d’une semaine et il n’avait pas l’ombre d’une piste. La jeune novice balbutiait des propos incohérents à propos d’un mort surgissant des flots, de la foudre entre les mains… Un charabia ésotérique et hallucinatoire qui ne l'aidait pas dans sa tâche.

    Le Prévôt soupira. La clarté des eaux et la limpidité du ciel lui permettaient de contempler à des centaines de lieues de là les mille et une tourelles de Tulking-Rox qui émergeaient de la canopée. Il alluma sa pipe d’écume qu’il dissimulait entre les plis de sa cape. Il aspira la fumée produite par les brins d’herbe-étoile et laissa sa conscience dériver dans ses réflexions. Un bruit d’abord informe, puis prenant les caractéristiques de la voix et de la stature de son premier adjoint se manifestèrent. Il grommela, son introspection réduite à néant.

    — Chef ! Vous devriez venir voir. On tient une suspecte !
    — Tu penses vraiment, pauvre crétin, qu’un gars capable de faire ça resterait ici pour se faire coincer. Tous ces gamins ont eu une formation en escrime !
    — Justement, la novice, elle a bien dit qu’elle a réussi à lui couper un bras ?
    — Ouais ! Et alors ?
    — On a trouvé notre coupable... Suivez-moi, chef.


    Le Prévôt ne s’imaginait pas que son meurtrier puisse être appréhendé d’une façon aussi désinvolte. En pleine période de troubles guerriers, des espions surgissant de partout, l’enquête promettait d’être ardue. Non ! Il n’achetait pas la solution de facilité. Sa trentaine d’années à veiller sur la ville universitaire lui avait appris à se méfier des évidences. Mais son premier adjoint était frais émoulu de la caserne et n’avait pas l’intention de rester en service à Brine. Il comptait prendre du galon. L'ambition, ce fléau des temps modernes qui tuaient chez les hommes toutes formes d'intelligence, le répugnait.

    Il emboîta le pas de l’adjoint. Sur le ponton, un garde se plaça près de la novice pour la surveiller alors qu’elle creusait de ses yeux hallucinés les profondeurs du lac. Le Prévôt longea les bâtiments de bois et de pierres à présent vides de toute présence. Seuls quelques esclaves en pagne s’affairaient au nettoyage des festivités en silence, jetant parfois des regards apeurés sur l’escouade des Gens d’armes.

    Ils passèrent derrière les dépendances principales pour atteindre les greniers et les étables. Ils s’éloignèrent encore un peu dans la pénombre qui encadrait les maisons d’agréments pour rejoindre un petit carré de hangars abandonnés. Son premier adjoint adressa un signe aux deux hommes de faction qui gardaient l'entrée d'une vieille remise en bois vermoulu dont les murs se décomposaient peu à peu en sable. Son toit avait été défoncé par des branchages et les pierres taillées jonchaient des haies de ronces qui serpentaient aux alentours. Le Prévôt nota mentalement d’en faire part à l’intendant de l’université, car un tel laisser-aller était intolérable pour le prestige de Brine.

    Il pénétra dans une pièce ne comportant qu’un sol en terre battue d’où émergeait des mauvaises herbes, quelques outils rouillés accrochés aux cloisons et un tas de paille humant la moisissure. Des gouttes de soleil filtraient à travers les trous qui ponctuaient le toit, illuminant une forme prostrée. Une lame brisée en forme de demi-lune d'ébène reposait près d’elle. À son entrée, la chose leva son museau vers lui, ses yeux vitreux glissant sur les objets sans les reconnaître. Une collerette de poils drus encadrait une physionomie canine.

    Le Prévôt eut un mouvement de recul naturel devant une Noctule. Depuis des années ces monstres, en collusion avec les redoutables Dieux Noirs, harcelaient les frontières du Royaume. Son faciès couleur de nuit, caractéristique de cette race maudite, l’étudia un instant avant de se replier sur sa douleur. Ses babines tremblèrent un moment, découvrant des canines aiguisées. Seules ses courtes oreilles pointues surveillaient les hommes, se mouvant dans le sillage de leurs pas. Elle tenait sa main droite contre son avant-bras gauche. Un sang noir et épais avait enduit la paille d’un vernis pâteux à l’odeur ferreuse.

    La coïncidence n’était que trop belle. Le Prévôt doutait de la culpabilité de la Noctule, car aucun des deux témoignages qu’ils avaient recueillis ne mentionnait cette redoutable ethnie qui hantait les forêts pétrifiées et leurs innombrables cavernes, bien plus au sud de Brine.

    Néanmoins, il ne pouvait décemment pas la laisser aller et venir librement dans la cité des Sciences et de la Magie. Il se tourna vers ses hommes et, d’un geste, leur ordonna de procéder à l’arrestation.

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    Un peu de musique pour se mettre dans l'ambiance...

    dimanche 19 mai 2019

    Dessin du Dimanche : Kyros Thanasis

    Un portrait en pied d'un personnage tiré d'une campagne de jeu de rôle en court depuis un an. Il s’agit d’un guerrier Wolfen, une créature issue des pages de Tranchons & Traquons. Je lui ai conféré un habillement de cuir digne d’un spadassin du XVIe siècle. Le revolver est un petit ajout de ma part, une improvisation pour renforcer la coloration « western » de mon scénario.

    samedi 13 avril 2019

    Bibliothèque des Ombres : Moi ce que j'aime c'est les Monstres/Emil Ferris

    AVERTISSEMENT : Ceci n’est qu’un avis que vous n’êtes en aucune manière obligé de partager. Mon humble but ici est de proposer une lecture de mon ressenti. Si d’aventure vous vous sentez l’âme d’un justicier en déposant une pêche dans la section des commentaires, sachez que cela ne me fera pas changer d’avis et que vous perdrez votre temps. En vous remerciant pour votre compréhension…

    Cet imposant pavé de plus de 500 pages nous est présenté dans un bel écrin par les éditions de M. Toussaint Louverture [1]. Nous suivons les aventures de Karen Reyes – avatar fantasmé de l’auteur – qui enquête sur le meurtre de sa voisine de palier, une certaine Anka Silverberg… Reyes apparaît comme l’une de ces adolescentes complexées, fascinée par les monstres, elle s’imagine souvent en privé « dur à cuire » à la dégaine de lycanthrope.

    Le dessin au bic, vendu comme une des originalités de l’ouvrage alors que la technique a déjà été exploitée plusieurs fois [2], n’est pas dénué de cachet. Les couvertures de faux magazines de cinoche horrifique type « Fantagoria » qui séparent les chapitres sont d’une facture tout à fait appréciable et convoquent une contre-culture à laquelle je ne peux qu’être sensible. C’est d’ailleurs la partie la plus appréciable de la BD. La patte d’animatrice et de publicitaire de l’auteure transparaît dans la composition des planches, dans l’attention accordée à une homogénéité symétrique qui frappe l’œil dès la première vision.

    Si le graphisme est à la hauteur, où est le problème ? Simple ! Emil Ferris ne sait pas réaliser une bande dessinée. La lourdeur pachydermique de son découpage chaotique m’a assommé. En conséquence, la lecture de cette œuvre s’est étirée sur des semaines et des semaines du fait de longues pauses. Revenir à ces pages pachydermiques a nécessité de prendre une inspiration profonde pour essayer de décortiquer ces arabesques nonsensiques comme un Champollion fou.

    La narration écrite se perd dans des circonvolutions abracadabrantesques, fait des nœuds dans sa propre histoire, abuse d’une pénible glossolalie rhétorique qui surligne chaque minuscule détail superfétatoire. On pourrait mes rétorquer à raison que c’est un effet de style littéraire, mais ici cela ne fonctionne pas et procure non l’immersion mais une prégnante migraine après dix minutes de lecture. L’ensemble aurait dû subir une relecture attentive : entre les répétitions, les adverbes et les phrases alambiquées placées de manière gratuite au petit bonheur la chance, c’est un festival d’horreur pour les yeux.

    Je ne pense pas que les traducteurs soient pour quelque chose dans ce massacre. Ce style, je le reproche à l’auteure ! Et si le conditionnement de l’édition française est un écrin à la limite de la flagornerie, je ne subodore pas que ses responsables aient eu un quelconque mot à dire sur le produit d’origine. Mes piques s’adressent surtout à la publication américaine, aux personnes qui auraient pu convaincre Ferris de tailler dans le vif d’un script abscons.

    N’en déplaise aux nombreux laudateurs, une BD transmet ses informations nécessaires à la suspension consentie de l’incrédulité et à la maturation des émotions par le prisme de l’image ; or ici, on est loin du compte : la mise en page sous forme de cahier, qui part d’une bonne idée pour coller au thème de l'adolescence, nuit à la clarté de l'ensemble ; les dessins correspondent avec une remarquable exactitude aux interminables descriptions embrouillées que l’on a lues quelques minutes plus tôt ; le découpage saute d’une séquence à l’autre sans rime, ni raison, se permet des torsions pour flatter l’œil, mais perd en route sa logique événementielle… N’est pas Fred qui veut, etc.… En résumé, l’auteure sacrifie le confort de son auditoire sur l’autel d’une esthétique snobinarde assez insupportable.

    Puisque l’ouvrage se place dans la catégorie très discutable des « romans graphiques », je reviens un petit moment sur sa narration : si nous emboitons le pas à une adolescente, alors le style ampoulé de l'auteure n’épouse jamais les perceptions de son personnage. On sent le poids de l’adulte qui essaie – sans jamais y parvenir – de retrouver ses sensations de jeunesse. Sans parler de singer l'écriture d’une gamine dans l’Amérique en plein bouleversement des années 60, ce qui est une vraie gageure[3] en soi, il est tout de même possible de créer l'illusion d'une voix intérieure, en usant d'une prose en décalage constant avec les situations rencontrées...[4] Les outils stylistiques existent, encore faut-il avoir l’imagination pour les utiliser. Je ne m'étendrais même pas sur l'apparition des appétences charnelles qu’explore ce pénible monologue et qui n’échappe pas au psychologisme de comptoir. Cette complaisance laudative a poussé de quelques crans supplémentaires ma détestation de cette BD. C’est une appréciation subjective, mais ce sujet n’apporte à mon sens pas grand-chose à l’histoire et il est exposé de manière si prosaïque, avec si peu de subtilité, que cela en devient embarrassant.

    Conséquence de tout cela, le propos initial se délite dans un bric-à-brac incompréhensible. En dépit du marasme ambiant, certaines séquences fonctionnent. J’ai tout de même goûté le passage sur le traitement des prostituées dans l’Allemagne Nazie, qui est raccord avec la symbolique du monstre créé par Ferris, bien que cette séquence soit amenée dans le récit avec la finesse d’un bulldozer aviné [5].

    Mais plus encore que ce qui aurait dû rester un modeste récit à la première personne, un de ces exercices égotiques sans plus d’incidence que nous inflige depuis quelques décennies déjà le milieu de la BD dite « underground », s’est retrouvé par la grâce d’un air du temps délétère propulsé au rang de chef-d’œuvre insurpassable.

    C’est non sans ce que je nomme, de manière péremptoire, une certaine fierté que les rabats du quatrième de couverture nous apprennent qu'Emil Ferris a contracté le virus du Nil lors d’un voyage en Égypte. Conséquence immédiate, notre auteure a dû réapprendre à dessiner, et c’est de cette résurrection miraculeuse qu’est né ce fœtus de BD.

    Qu’on soit bien d’accord, cela est fort dommageable pour elle, mais cela ne contribuera pas à me rendre plus sympathique cet ouvrage qui m’est apparu comme, au mieux, antipathique. Qu’on se le tienne pour dit : on a tous nos problèmes et être malade, handicapé ou même tétraplégique n’est pas ce qui nous dote du talent ultime ! Comme l’époque nous oblige à souligner l’évidence : quels que soient votre condition physique et votre sexe, vous n’excellerez dans votre domaine de prédilection qu’avec une pratique journalière, assidue et une remise en question de tous les instants. Être affecté d'un quelconque particularisme n’est pas et ne sera jamais un sésame pour produire une œuvre de qualité. Je ne dis pas qu’Emil Ferris n’a pas sué sur ce livre, en revanche je maintiendrai qu’avant de passer le stade la publication, le manuscrit aurait dû bénéficier d’un travail éditorial musclé pour éviter des scories et gagner en efficacité tout en perdant des pages superflues dans l’opération.

    Je demande à un auteur de m'entraîner à la découverte, à travers une narration qui respecte les règles de l’art, une vision, une interprétation du monde, une rêverie, quelque chose qui me montre le meilleur de l’humanité, étant donné que nous sommes quotidiennement confrontés à la médiocrité de notre apathique époque. Que la santé de madame Ferris soit défaillante est une donnée biographique qui peut éclairer certaines choses si d'aventure la passion qu'elle nous inspire nous pousse à disséquer ses œuvres, à essayer de comprendre le pourquoi du comment de la formation de ses thèmes de prédilections, mais ce n’en est en aucun cas un argument valable pour adopter une posture de supériorité qualitative. Et cela ne nous dispense pas, en tant que lecteurs avisés et matures, de débrancher notre esprit critique !

    Comme je m’attaque à un ouvrage qui bénéficie d’une impressionnante aura de légitimité dans le minuscule milieu éditorial, je vais tenter de tirer ici une conclusion de tout cela. Il y a une myriade de points problématiques à soulever sur ce livre, mais d’une part cela aurait étiré au-delà du raisonnable ce texte déjà bien trop long, d’autre part cela aurait nécessité des recherches documentaires que je n’ai hélas, ni le temps, ni les moyens et surtout pas l’envie de mener. Donc :

    J’appuierai ici sur un point que me reprocheront sûrement les idiots de notre merveilleuse époque : je n’ai rien contre les femmes dans les arts. Que du contraire même !

    Cependant, les travaux qu’elles fournissent doivent être à la hauteur de mes attentes. Dans le cas qui nous occupe, j’ai plus l’impression que cet album a été produit pour satisfaire à des desiderata sociétaux plutôt que qualitatifs, ce qui a sur moi un effet émétique foudroyant !

    D'autant que ce type d’œuvres masquent mal une idéologie, qui tend de plus en plus vers la propagande se généralise. Particulièrement dans le monde de la BD francophone et américaine qui me paraît plus perméable aux discours simplistes faisant une part belle aux raisonnements tronqués et autre sophisme. L’ironie dans le cas d’Emil Ferris c’est que celle-ci traite du nazisme en usant d’une symbolique pompière qui maquille à la truelle son sermon implicite et explicite.

    Mais peut-être que je me trompe, que je sur interprète. Peut-être… Il n’en demeure pas moins qu’au final toute cette littérature est survendue à l'excès, car, au risque de me répéter, ce n’est pas vos orientations sexuelles, vos maladies ou vos handicapes qui font votre talent. C’est un travail constant et opiniâtre, quelles qu’en soient les conséquences sur soi et sur les autres qui sont la marque des artistes digne de ce nom… À l’inverse de l’imagerie d’Épinal, pratiquer ce sacerdoce n’est pas enviable et le prix à payer en est souvent élevé que ce soit dans ses relations sociales, amoureuses ou laborieuses. Cela n’a rien de glamour. C’est une répétition ennuyeuse de gestes pour réussir à arracher à la vase une création qui ait un minuscule intérêt.

    Ce qui me fout en rogne c’est de placer sur un piédestal la personne derrière le crayon plutôt que le résultat sur la planche. En l'état Emil Ferris m’a infligé un pensum assommant. Et si je comprends l'idée qui sous-tend ses scènes, la matérialisation sur le papier échoue sur tous les tableaux à être lisible.

    Mais des femmes qui écrivent et qui dessinent avec un peu plus de talent et de faconde, il y en a ! Et il y en aura toujours. Et c'est tant mieux ! Tellement en fait que je ne pourrais pas avoir assez de deux vies pour parcourir les œuvres qu’elles nous ont donnés. Néanmoins, je ne m’adonnerais pas à cette ivresse sur le simple fait qu’elle ait une vulve comme appareil reproducteur, mais bien parce qu’elles ont eu un cerveau et une imagination d'une puissance infinie qui a embrassé tous les paradoxes de la créature humaine.

    D’ailleurs pour certaines d’entre elles qui rentrent dans mon panthéon personnel des auteurs qui m’ont le plus marqué et je serais incapable de de pratiquer la dissection critique sur leurs travaux de peur d’y égarer ma plume dans un océan de richesses. Plus tôt que de perdre votre temps précieux dans la lecture de ces monstres navrants, abîmez-vous dans les mondes d’Ursula K. Le Guin, allez à la rencontre de la féline Omaha auquel Kate Worley a prêté sa voix, goûtez aux vaudevilles survoltés de Rumiko Takahashi, à la science-fiction douce amère de Moto Hagio, explorez les origines de la littérature gothique avec Mary Shelley ou avec les sœurs Brönte, creusez les profondeurs de l’horreur avec Shirley Jackson ou Tanith Lee, frissonnez avec le western cannibale d’Antonia Bird : Vorace… et tant d’autres.

    Quand on cherche, on trouve !

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    [1] — lesquels ont réédité le plus fréquentable Watership Down de Richard Adams, que je vous recommande plutôt…

    [2] — notamment par Cromwell, l’auteur d’Anita Bomba dont je vous conseillerai plutôt la fréquentation. D’autant que les éditions Akileos ont sorti une bien belle intégrale.

    [3] — Un petit tacle gratuit à Oscar & la Dame Rose d’Eric Emmanuel Schmidt qui est un cas d’école de non-écriture dans le genre, avec ses phrases simple à la naïveté mécanique qu’on croirait jaillir d’une IA qui simulerait l’écriture d’un enfant.

    [4] — L’auteur de SF Jack Womack dans le glaçant Journal de nuit dont la réalité cauchemardesque est à nos portes parvient à simuler le style d’une adolescente de douze ans de manière crédible, avec toutes ses contradictions.

    [5] — Bien que le même sujet a été traité d’une manière beaucoup plus réussie et assez poignante dans la 27e lettre de Will.