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    mardi 27 septembre 2016

    Philosophie de Comptoir : La carotte poivrée dans l'oignon

    Ouverture d’une nouvelle rubrique de ce blog qui me permettra de me lâcher sur un sujet ou un autre. D’habitude, ma crémerie c’est la fiction, mais parfois il faut sortir de sa zone de confort. Je ne me prétends pas journaliste, sociologue ou quoi que ce soit en –ogue… mais certains événements, certaines personnes ont le don de déclencher des réactions épidermiques chez moi ! Cet espace navigant entre humour noir et recherche de sens est un domaine dans lequel je ne mâcherais pas mes mots. Il y aura moult apartés, grossièretés et pis encore… Amateurs de poneys roses et de sorcières mignonnes, passez votre chemin !



    1. L’Origine du mal.

    Un opportuniste – appelons-le Pandor – a signé avec un célèbre éditeur, que nous renommerons Panama Jack, un album jeunesse qui a envahi les bacs. Jusqu’ici rien que de très logique, mais les choses se gâtent quand on connaît les termes du contrat.

    Selon sa propre légende, Pandor aurait présenté l’embryon de cette BD à plusieurs éditeurs qui auraient refusé, faisant saigner son pauvre petit cœur. Ni une, ni deux le bonhomme passe à l’autopublication sur le Oueb 2.3.4.5 – comme beaucoup d’autres artistes, dont votre serviteur – et il rencontre un phénoménal succès outre-Atlantique. Au passage, celui-ci utilise des bénévoles pour corriger et traduire sa BD en plusieurs langues… La solidarité 2.00 m’arrache des larmes de crocodile ! Le bougre arrive à vivre du mécénat de ses lecteurs de manière confortable pour pouvoir pratiquer son activité à plein temps – petit détail à se mettre sous l’oreille pour la suite.

    Comme beaucoup d’autres personnes, Pandor use d’une licence créative, mais — à la différence de ce blog où j’interdis quiconque d’employer mes travaux à des fins commerciales — notre ami, lui, a laissé son ouvrage libre de droits. Tant qu'on le crédite, n’importe qui peut prendre ses images pour les vendre. Sans qu'il n'ait son mot à dire, ni qu'il n’y touche un kopek. Vous avez bien lu. Pandor explicite sa démarche en développant de l’argument de la pub – gratuite – qu’il reçoit de son œuvre. Pour lui, tous les prolongements annexes de son Webcomics ne sont que des produits dérivés. Ce qui en dit long sur l’esprit mercantile dans lequel est conçue cette « œuvre ».

    J’ignore — et à ce stade je m’en fous — si Pandor a fait appel à Panama Jack pour inonder le marché francophone ou si celui-ci, par l’odeur du succès alléché, l’a contacté. Toujours est-il que ni une, ni deux, l’harpagon des livres signe avec Pandor pour un album tiré à la hauteur d’une bagatelle de 10.000 exemplaires.

    Le chiffre donne une idée de l’indicible bêtise de la chose… Mais en plus Pandor, croyant dur comme fer à sa petite morale égotiste — typique de cette génération née avec une cuillère en argent dans la bouche — est rétribué de 350 $ par mois, considérant Panama Jack comme un mécène. Un choix qui a fait hurler les auteurs de BD professionnels qui bouffent déjà du foin à longueur de temps. De nombreuses personnes sont venues essayer de dialoguer, parmi elles du beau linge (Boulet, le scénariste Thierry Gloris et quelques autres…), mais Pandor campe sur ses positions dans une posture quasi autistique, balayant tous les arguments raisonnables avec un cocktail de chiffres et de moraline indigeste.

    Pour Pandor, Panama Jack ne lui offre que le service de « l'impression ».

    Comment t’expliquer, le demi-sel ?

    Ton accord c’est du caca en barre et ça fout tout le monde dans la panade. À part Panama Jack... qui doit en crever de rire à s’en faire exploser la panse ventrue.

    Ma tronche à l'annonce de cette arnaque...

    2. Du rôle de l’éditeur.

    Ça peut surprendre, mais un éditeur n’est pas un imprimeur. Voilà.

    Quelques minuscules recherchent sur le net — puisque tu aimes ça, Pandor — suffisent pour en avoir la preuve.

    Les premiers éditeurs étaient aussi des imprimeurs et des libraires puisque souvent le dépôt de vente était situé près des rotatives. Mais les deux professions sont distinctes. Au fur et à mesure des mutations du métier, le patron de l’imprimerie se mua en éditeur et les deux fonctions se sont scindées.

    Actuellement, l’éditeur fait un parie sur la viabilité de son poulain et il le diffuse pour que les potentiels lecteurs puissent avoir accès à son œuvre. Ce faisant, il apporte une plus-value au travail de l’auteur en l’aidant à revoir sa copie. Il est son premier public critique, celui qui lui donnera un recule nécessaire pour peaufiner son ouvrage.

    Ensuite, l’éditeur propose un service de révision pour éviter les fôtes d’aurtografes. Il fait le maquettage pour que le livre que vous retrouverez dans votre libraire soit agréable à vos petits yeux ébahis. Enfin, il assure la promotion du produit fini et le défend becs et ongles contre les diatribes de la presse. Éventuellement, il paye aussi la traduction pour la diffusion sur le marché étranger. Tout ceci n'est que théorique et valable dans un monde fait de miel, d'abeilles toutes douces et de merveilleuses licornes.

    Sur l’œuvre de Pandor quel aura été le travail de Panama Jack ?

    Il s’épargne d’entrée de jeu les risques puisqu’il sait déjà que l’œuvre possède un lectorat, prêt à passer à la caisse de surcroît. De plus, la logique de Pandor est tellement tordue qu’elle en devient flippante. Je cite un de ces commentaires :

    « Donc ce buzz, dit-il la vérité ? En partie, oui, c’est pour ça que ça marche. Il est possible à n’importe qui de faire des produits dérivés de […], de façon commerciale, en suivant un ensemble de règles de la Creative Commons Attribution permissive que j’ai établies. [Panama Jack] qui imprime à 10 000 exemplaires mon webcomic n’est qu’un produit dérivé à mes yeux (comme déjà dit). Pour faire un parallèle, je le considère comme si j’avais un film et qu’ils imprimaient la figurine du héros. Rien de plus. Nous avons eu une collaboration que je décris en anglais sur le blog de […] J’en suis satisfait, c’est super cool un premier album imprimé, mais cliquez sur le bouton « HD » sur le site de […], et vous y aurez plus de détails, plus de couleurs que dans l’album imprimé. Ma BD principale, mon support de choix n’est pas l’album de Glénat. Ce n’est pas le média principal de […]. D’autres projets suivront comme l’éditeur allemand […] qui vient de rejoindre le mécénat de […], le livre de la […] ou une édition régionale en breton de […]. Ce n’est que le début, le projet n’a que deux ans et je ne compte pas tout ça comme un manque à gagner. Je n’y vois que les effets positifs de personnes qui utilisent la base de ressources que j’ai créée, avec respect, dans les règles qui me conviennent pour créer plus de valeur autour de la série. Et ça fonctionne. »

    Par où commencer ? Pandor considère que le seul support viable de sa BD c’est le Web. Pourquoi pas, je n’ai rien à lui reprocher. Par contre, imprimer en 10.000 exemplaires une BD au rendu laxiste en pure connaissance de cause exprès me laisse songeur…

    Une BD c’est du papier — des arbres — de la couleur et de la colle. Ce sont des gens qui empaquètent, une distribution et des libraires en fin de chaînes qui doivent gérer des bacs déjà pleins à craquer…

    Enfin, et tout aussi important à mes yeux, un album relié c’est pérenne. C’est pour ça que moult scribouillards – ne prenez pas la mouche, je m'inclus dans le lot – tentent l’édition classique. Bien traité, un livre se conserve très longtemps ! [1] Ses pages ne se corrompent pas et même si votre électricité disparaît, vous pouvez toujours en profiter. Néanmoins le papier à un coût humain et écologique. Et donc, tous ces efforts et quelques arbres ont été mis au service d’une BD — mal imprimé —, qui sera considéré par son auteur comme un vulgaire flyer de MJC [2].

    Et j’ai très envie de demander à ceux qui encouragent ce mec :
    C’est ÇA l’avenir de la BD que vous défendez ?
    Vous vous foutez de ma gueule ?

    Mon ami le loup-garou est emballé à cette idée...

    Le nombre d’exemplaires de cette pantalonnade est atterrant pour une première publication. En général, le tirage pour un premier album d'un jeune dessinateur atteint un millier d'exemplaires — estimation à la louche en étant très, très optimiste — avec une couverture médiatique qui se résume souvent à peau de zob.

    Ajoutons au dossier déjà bien lourd que Panama Jack possède assez de puissance financière pour assurer lui-même la gestion du stock et la diffusion ce qui est logiquement le travail d’un autre intermédiaire dans l’écosystème du livre : le diffuseur. L’économie substantielle que fait Panama Jack sur les droits d'auteurs ET de diffuseur lui permet de rogner sur les droits d'auteurs et de baisser le prix de l'album. Dans un élan de générosité qui arracherait des larmes à Roger Corman il propose la BD à un très petit prix 9,99 €. Même si inférieur à la moyenne pour une BD [3], c’est très cher pour un flyer…

    Et des gens pourtant très intelligents défendent cette magouille !
    Vous pétez un câble, les gars !
    Vous n’avez pas honte ?

    Ah ! Et au fait, j’ai juste une question… Si ta BD est si géniale, Pandor, pourquoi est-ce qu'on a refusé ton projet ? Parce que jusqu’à preuve du contraire, les petits chats et les sorcières façon Miyazaki, ce n’est pas une thématique sujette à polémique, n’est-ce pas ?

    Tes interlocuteurs n’auraient-ils pas cerné, au-delà de la technique virtuose issue de l’animation, une certaine paresse intellectuelle, Pandor ? Tu vois, il y a des éditeurs qui sont des rats en affaire, mais d'autres possèdent assez d’éthique pour te dire non, et dans la foulée te pousser à réfléchir, te remettre en question avec un bon coup de pied au cul.

    Que tes petits Mickey fonctionnent sur le Web c’est une chose, que cela soit mérite un écrin de papier (à la ramasse) pour te faire une obscène pub géante en est une autre…


    Les vieux de la vieille ne lui disent pas merci...

    3. Les Auteurs de BD, ces doux rêveurs en voie de disparition…

    Réveillez-vous ! On vous le dit, l’avenir c’est le crowdfunding. L’éditeur ? Ce n’est qu’un imprimeur !

    Bon.

    De par mon parcours pluridisciplinaire, j’ai croisé moult personnes sur ma route dont des créatifs. Nombre de connaissances, lointaines ou proches tâtaient du crayon – souvent avec un talent insolent – et se posaient des questions pertinentes sur l'art. Nombre d’entre eux n’ont même pas eu ne serait-ce que l’ombre d’une chance qu’éclore comme ils le méritaient. Vous pouvez me rétorquer qu’ils n’avaient qu’à être meilleurs, à croire en eux, car quand on veut, on peut !

    Sauf que non.

    Mais avant de démêler cet imbroglio, retournons quelques décades en arrière, à une époque où le monde de la BD n’était pas bouché par des kikoolols adeptes des préceptes de Saint-Shônen (la volonté plus forte que tout… Mon cul sur la commode !)

    1/ Dans les débuts de la BD francophone, celle-ci paraît sous forme de magazine [4] et les auteurs sont payés à la planche. Plusieurs magazines de BD ont vécu jusqu’à la fin des années 80 qui est, grosso-merdo, le moment ou ça a commencé à déconner grave. Plusieurs de ses journaux ont mis la clé sous la porte tandis que les ventes chutaient. Bon, eux c’est la vieille garde, la crème. Des artistes au sens noble du terme qui en avaient dans le pantalon et qui ont bousculé les conventions d’un jeune média qui en avait besoin. On pourrait citer en vrac Goscinny, Greg, Franquin, Gotlib, mais aussi la bande de Metal Hurlant qui a contribué à la reconnaissance de la BD en tant qu’art à part entière grâce à des monstres graphiques comme Moebius, Druillet, Caza, F’murr… Ce système de paiement à la planche perdure en Italie, au Japon et aux États-Unis. Cette méthode est bancale, mais permet aux plus besogneux de croûter plus ou moins décemment.

    2/ C’est à la fin des années 80 — la datation n’est pas précise, mais cet article n’a pas la prétention de refaire l’histoire de la BD, juste d’expliciter un contexte — que la publication en journal, sauf cas rares, cesse. Les BD seront désormais imprimées sous forme d’album. Autrefois l’album demeurait la récompense pour les séries qui passaient le crash-test de la parution en magazine. L’avantage de l’album est que vous possédez le récit complet (encore que…) L’inconvénient pour les auteurs est que ceux-ci doivent faire un dossier éditorial qui comprendra des planches, des recherches, des découpages… Déjà un bel investissement d’énergie sans avoir la certitude d’être publié. Et quand bien même signent-ils pour un premier recueil, qu’il faut recommencer les démarches d’un projet à l’autre, en admettant que l’album se vende bien. Rappelons aussi pour approfondir le contexte que le ou les auteurs d’un album vivent d’une avance sur droit pendant la confection du bousin. Avance sur droit qu’ils doivent rembourser si l’ouvrage se plante en librairie. De quoi logiquement décourager n’importe qui de vouloir foutre ne serait-ce qu'un pied dans ce marigot.

    3/ Je ne parlerais pas des nombreuses traductions de comics et de mangas dont les mastodontes de l’édition nous inondent. D’après mes observations sur le terrain, le public du franco-belge et des BDs allochtones n’est pas le même et les lecteurs des uns glissent rarement d'un domaine à l'autre. Ensuite je n'entends pas mettre en concurrence des pays dont la sensibilité demeure différente dans l'approche du médium. En nous concentrant sur le Franco-belge, en parcourant les bacs d’une librairie, il est patent que la cadence de publication s’est accélérée jusqu’à atteindre un point limite qui a dévalué le travail fourni sur un album de BD. Combien de ses bouquins ne sont-ils là que pour permettre aux grosses boîtes d’édition de faire du remplissage linéaire ? Une BD de qualité au graphisme inventif et au scénario alerte se retrouvera noyée dans une masse informe de papier. Elle ne sera qu’un dégât collatéral pour mettre en avant un énième épisode d’un milliardaire en blue jeans.

    Avec cette surproduction — et le secteur de la BD n’est pas le seul impacté — comment les auteurs peuvent-ils vivre, puisqu’ils se partagent un public qui n'est pas en expansion. De plus, les écoles d'art forment toujours de petits nouveaux gonflés d’orgueil prés à être dépucelé avec violence par un marché saturé. Il n’est pas étonnant de voir des auteurs – parfois même de vieux briscards — jeter l’éponge.

     
    Attention, pulvérisation sociale en court !

    4. Une erreur d’interprétation.

    Dans un contexte économique dans lequel l’on instaure la loi El-Khomri, Pandor accepte un marché inique, créant un précédent qui ne jouera certainement pas en faveur des auteurs.

    D'un autre côté, les partisans du logiciel libre y voient une révolution, un signe que les choses bougent dans le bon sens. Certes, les licences libres permettent le partage d’information, elles possèdent leurs utilités et je ne renie pas le travail que certaines personnes exécutent pour déblayer le terrain. Je peux même comprendre jusqu’à un certain point leur manière de penser, mais elle ne fonctionne pas dans ce cas précis, car avec Panama Jack en scène, nous ne parlons plus d’un échange, mais de commerce.

    Et cela fausse toute la donne.

    Outre le fait que ceux qui aiment les histoires de Pandor devront passer à la caisse pour avoir l’ouvrage sous un format papier dans une qualité altérée, le côté commercial du projet implique un changement de paradigme. Pandor entraîne, qu’il le veuille ou non, tous les auteurs à sa suite. Croire que les éditeurs n’ont pas les yeux braqués sur ce phénomène relève au mieux de la naïveté, au pire du crime de félonie.

    Gangrené par la culture du gratuit, les futurs auteurs de BD ne devront-ils plus compter que sur l’hypothétique générosité — sujette aux caprices, aux modes et à l’air du temps — des internautes pour pouvoir en vivre ? Car Pandor ne jure que par des systèmes de financement en ligne. Dans certains commentaires qui entourent cette affaire, une statisticienne reprend les chiffres issus de ses sites, et ils font peur. Sur un nombre faramineux d’inscrits, seule une petite poignée arrive à faire leur beurre en marchant sur la gueule des voisins. Violence sociale, que ferait-on sans toi, ma douce ?

    Ces sites, surfant sur le Webeldorado façon Über — dont ils ne sont que la déclinaison pour les artistes — se sucrent au passage d’un pourcentage sur les donateurs. Ne leurs jetons pas l'opprobre, ce sont avant tout des entreprises, pas des organismes de charité. Les sommes captées et reversées par ce système court-circuitent les cotisations sociales et les autres dispositions de solidarité nationale [5]. Au final, nous obtenons un mécanisme encore plus exclusif que celui de l’édition normale assortie d’un individualisme inouï qui laissera pas mal de naïfs sur le carreau quand il faudra se payer les soins de santé. Ajoutons à cela que les auteurs qui dépendent de ce système sont livrés pieds et poings liés aux caprices de leurs publics qui peuvent se détourner d’eux à la moindre tocade.

    En France les études artistiques coûtent assez souvent un bras [6] et une large partie de la population ne peux pas y avoir accès même en se saignant aux quatre veines. Or cet enseignement n’est pas anecdotique, car le dessin, la mise en scène et le scénario s’apprennent comme n’importe quel autre domaine de connaissance. L’école n’est certes pas l'unique moyen d’acquérir ces techniques qui transforment un peintre du dimanche en un artisan accompli, on peut tout à fait se débrouiller en autodidacte, la montagne à gravir n'en est cependant que plus haute… Répétons-le, mais ce n’est pas parce que l’on prend un crayon en main que l’on peut se targuer d’être un artiste du jour au lendemain. Tout cela représente un coût en temps, en argent et en travail.

    Quand Pandor se donne, la gueule enfarinée, à Panama Jack avec pour seul filet de sauvetage un public qui peut l’abandonner aux premiers changements de mode, cela revient à se livrer pieds et poings liés à deux systèmes qui fonctionnent de la manière similaire. L’un possède encore la faible sécurité d’un « choix », d’une prise de risque de la part de l’éditeur tandis que le deuxième est administré par les caprices d’une foule consensuelle. Cela ne devrait pas rassurer Pandor…

    Parce que je ne suis pas certain que Panama Jack ou d’autres de son acabit attendaient de la part d’un auteur un tel renoncement à ses droits les plus basiques. Alors que toutes les actualités montrent que notre système économique cherche de plus en plus à se débarrasser de l'humain, voilà un idiot qui réalise les fantasmes des actionnaires avec un sourire étincelant.

    Je n’ai même pas envie d’épiloguer sur le fait que le bougre se félicite de s’être forgé grâce à sa force de volonté et tout le sempiternel tralala de cette caste de gens imbus d'eux-mêmes. Il retombera sur ses pattes, il a eu le temps et l'argent de se mener une porte de sortie, mais pas les autres, ceux qui rament déjà et ceux qui n’aspirent qu’à éclore.

    Non ! Les licences libres, extraites de leur contexte aux forceps comme cela a été fait ici ne sont pas une solution. Pire, elles peuvent provoquer un dangereux précédent qui va offrir une arme supplémentaire aux gros éditeurs pour accaparer des contrats à moindres frais.

    Que reste-t-il à négocier quand on retire même la paternité d’une œuvre à son auteur ?

    Désolé fils, mais d’autres ont réussi comme-ça, accepte de mettre ton paraphe sur tes petits dessins pour qu’on soit réglo et prend une carotte poivrée dans l'oignon ?


    La négociation du contrat d'auteur moderne...

    5. Des Licences Libres.

    Que l’on ne se méprenne pas, ce blog et sous licence libre non commerciale. Cela veut dire que je refuse que tout ce qui a été écrit ou montré ici soit vendu sur mon dos. Si contrat il y doit y avoir, je compte bien en retirer un fruit pécuniaire. Je ne méprise pas encore assez mon travail pour tendre le cul et me faire tondre. C’est parce que la mention « non-commerciale » existe que nous pouvons partager de nos talents respectifs sur la toile dans une relative quiétude, sans craindre de nous retrouver exploiter par des margoulins sans scrupules. Le système est bancal, mais au moins fournit-il une corde de sécurité.

    Les licences libres ne sont pas là pour permettre au premier éditeur fainéant de se baisser et de s’emparer de l’œuvre qui aura fait le buzz pour se sucrer dessus. Outre que l’on avait déjà connu le brouillon de cette méthode avec la vague des Blogs-girly de sinistres mémoires, voilà que l’on devrait tout céder aux grands seigneurs des livres et en être reconnaissant, car « ils ont le cœur sur la main ».

    Croire qu’internet fait office de solution miracle c’est se foutre le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Il est loin le temps de l’exploration de ce continent virtuel. Les portes se sont peu à peu fermées et les plateformes collaboratives ont vu l’émergence de société mettant en place leur web artiste, produits aseptisés pour attirer le lambda inculte.

    Avec le système du crowdfunding, il est à craindre que la création ne s’homogénéise encore plus. Les goûts et les allégeances du public sont trop volatiles et consensuels pour que l’on puisse s’appuyer sur un pareil mécénat pour construire une œuvre cohérente qui ne radote pas les derniers succès populaires du moment. Pour preuve, le style de Pandor ne reprend que des motifs déjà vu qui renvoient au Miyazaki de Totoro sans rien paner à l’essence des films qu’il imite maladroitement. Avec cette façon de fonctionner, les œuvres ambitieuses seraient balayées dans les poubelles de l'histoire. Cette méthode fabriquerait à terme un darwinisme social encore plus agressif que celui du monde de l’entreprise au profit des plus habiles à flatter leur audience en débitant en boucle les mêmes thèmes insipides.

    Le système éditorial actuel est certes perclus de défauts, mais il ne faut pas pour autant oublier que de petits éditeurs effectuent un véritable travail, défendent des auteurs qui ne sont pas forcément en adéquation avec les goûts du public. Et l'on a besoin de personnes qui sont prêtes à se mouiller pour donner naissance à des livres qui remettent en cause nos présupposés, nous fassent réfléchir. Le divertissement peut être intelligent et la BD que vous achetez pour lire dans le métro peut aussi vous parler, derrière les images et les phylactères…

    Interroger son époque, choquer, faire sens et rechercher la beauté dans la fange, c’est l’essence même de l’art. Retirez ceci de l’équation et vous n’obtenez qu’un gâchis d’énergie, de talents et au final de papier.


    Toute cette histoire me donne envie de...
    6. En guise de Conclusion…


    Il y aurait encore une pléthore de choses à rajouter. Cette affaire n’est qu’une énième goutte d’eau dans un le vase fêlé du système éditorial qui a largué depuis des siècles les amarres avec la réalité.

    Que va-t-il advenir de la tonne de papier utilisé pour concrétiser son petit rêve de gamin capricieux et égotiste ? Tout cela aboutira-t-il lamentablement au pilon ? Pandor n’a-t-il vu dans ce marché inique que son intérêt à court terme ? Au reste, puisqu’il fonctionne sous licence libre, pourquoi ne pas avoir poussé le concept jusqu’au bout et se servir des outils disponibles pour réaliser son album en impression à la demande ?

    Sans être forcément contre le système des licences libres, je m’inquiète un tantinet des dérives qui pourraient entraîner un tel précédent. Comprenons bien que rien n’est gratuit dans la vie et que tout à un coût.

    Construire une œuvre d'art nécessite une formation, une connaissance minimale de l’histoire de l’art et de la grammaire du médium que l’on choisit pour s’exprimer.

    Personne ne peut accoucher d’une BD lisible sans s’y consacrer pleinement. Les licences libres offrent certes la possibilité de se tailler une maigre fenêtre pour montrer ses travaux, mais elles ne nourriront pas son homme. Le mécénat du crowdfunding peut-être intéressant, mais son usage reste à double tranchant.

    La solution choisit par Pandor demeure épouvantable parce qu’elle créé une brèche dans le droit d’auteur dont les puissants se serviront pour accentuer la lutte entre tous pour une potentielle et éphémère audience.

    Enfin Pandor, de part son discours incohérent, sa fatuité et ses rêves de gloire est devenu l’incarnation de la mentalité de l’époque : irresponsable. Quand quelqu’un vous présente un contrat sur lequel il est écrit en lettres de sang : Sodomie Pour Tous, la décence veut que l’on dise NON ! On peut toujours dire NON ! Pandor a réussi à faire annuler un projet éditorial antérieur, refuser lui était donc possible. Sous-entendre que l’on se sert du système capitaliste pour son propre profit, de quelques manières dont l’on envisage le profit, c’est lui faire une allégeance de fait.

    ____________________________________________

    [1] Oh ! Oui ! Très longtemps ! En travaillant dans les réserves de ma bibliothèque, j’ai mis la main sur les premiers livres de poche importés par les Américains en Europe après la Seconde Guerre mondiale et même des raretés de 1800 parfaitement lisibles… Le volatil support numérique n’a pas encore atteint cette persistance aux outrages du temps (changement de format de fichiers dû aux caprices des entreprises, corruption des mêmes fichiers, plantages de la machine...)

    [2] Je n'ai rien contre les MJC, c'était pour souligner le côté grotesque de la chose.

    [3] Encore que cela reste relatif si on regarde du côté des mangas.

    [4] Dans le cadre de cet article, j’omettrais les strips qui paraissaient dans certains quotidiens qui obéissent à d’autres règles.

    [5] Pardon, je traduis en langage MEDEF : les charges sociales…

    [6] En gros deux systèmes coexistent en France : d’un côté les écoles privées dont le diplôme n’est pas reconnu par l’état mais dont le minerval coûte un rein sur E-bay par an ; de l’autre les Beaux Arts qui n’ont d’yeux que pour une approche très « art contemporain » – sur lequel il y aurait beaucoup à dire – de l’art d’où le côté technique est volontairement évacué pour se concentrer sur le concept…

    dimanche 10 février 2013

    Foutage de gueule ultime : Django Unchained et le communautarisme.

    Pour cette fois-ci, la critique ne concernera pas le film en lui-même puisque Django Unchained offre aux spectateurs un honnête divertissement. Certes il ne s'agit pas du chef-d’œuvre du siècle, mais après une année de films de merde encensés de manière exagérée par la presse, voir une série B décomplexée qui n’en oublie pas de placer dans la ligne de mire de ses exigences les plaisirs multiples du dialogue et de l’écriture avant de discuter avec les colts, ça donne le moral ! Quentin Tarantino cisèle avec un soin d'orfèvre ses répliques, obsédé par la musicalité des mots au point d’inviter l’Allemand et un peu de Français dans sa narration.

    Dessin de JorisLaquittant

    Les ennuis du film proviennent me semble-t-il d'une série de mauvaises interprétations des intentions de Tarantino. Ainsi, Spike Lee, un réalisateur engagé sur la cause des Afro-Américains, se pose en détracteur outré, choqué par l’utilisation d’un contexte historique et du maniement du mot « nigger ». Et tant pis si le film bonnis par ses malédictions semble fédérer les spectateurs. Le fait que Spike Lee appartienne à la communauté Afro-Américaine lui donne t-il forcément le pouvoir de condamner de façon péremptoire le travail de Tarantino ? La lecture d’une œuvre par son biais communautaire comme unique critère de jugement est-elle recevable ? Dans cette optique, nombreux sont ceux qui accusent Tarantino de « racisme » ou de complaisance dans la violence. Toutes ces allégations me paraissent infondées, inspirées par une grille de lecture critique étroite en porte à faux avec le véritable contenu de cette série B de haute tenue.

    Quentin Tarantino choisit le cadre de l’esclavagisme dans les états du Sud car ces sombres événements lui donnent l’occasion de s’adonner à deux genres en une seule histoire, manipulation formelle déjà à l'œuvre tout au long de sa filmographie. En le formulant de manière plus correcte, la sélection de l’époque lui a été probablement dictée par ses envies de cinéma. Dans Django Unchained il exhume le Western Spaghetti[1] et la Blaxploitation et tout comme les westerns ritals situaient leurs scénarios les plus gauchistes durant la révolution mexicaine, Tarantino utilise un schéma similaire pour traiter son sujet. Analysons un peu plus en détail les genres[2].
    Le premier "Django" de Sergio Corbucci.

    Western Spaghetti : contrairement à de nombreux westerns de l’âge d’or américain, Tarantino concentre sa narration sur un chasseur de prime : le docteur King Schultz (Christoph Waltz). Hors, l’archétype du chasseur de prime n’a que peu été prisé par le western américain. Pratiquant la justice expéditive, ces sinistres personnages nuisent à la mythologie des westerns classiques qui lui ont préféré les figures du bandit repentant et du shérif. Si John Ford a parfois dépeint la face sombre de la conquête de l’ouest, il a toujours conservé une touche de déférence pour le mythe du Pionner [3]. 

    Chez les Italiens cette révérence pour les origines de l’Amérique n’existe pas. Ils n’ont pas hésité à salir le western, à le rouler dans la boue. Le cadre historique sert de prétexte pour explorer des narrations singulières, aussi le western se métamorphose-t-il en tragédies antiques, en histoire relevant du fantastique gothique ou lorgnant sur le manifeste politique dans le sous-genre nommé ironiquement Western Zapata. C'est donc ce Chacal des grandes plaines de l’ouest, le chasseur de prime qui sera choisi comme personnage emblématique pour désacraliser de façon iconoclaste le stéréotype du cowboy, le replaçant dans un contexte brutal et paradoxalement bien plus proche de la vérité que les anciens westerns à la John Wayne.

    Django Unchained s’inscrit dans cette tradition, mais signalons qu’à l’inverse de ce que supposent nombre de ses détracteurs, Tarantino ne se réfère nullement au maniérisme de Sergio Leone, géant rapidement adoubé par les défenseurs du bon goût [4]. Tarantino exhume des cinéastes dans les franges les plus méconnues du western à l'italienne, naviguant entre exploitation pure et expérimentation tous azimuts pour donner naissance au meilleur de la série B. Il préfère au maestro la mise en scène brut de décoffrage de Sergio Corbucci à qui l’on doit le premier opus de « Django » ainsi qu’un des chefs-d'œuvre du genre, le Grand Silence . Un film glaçant dans tout les sens du terme qui revient sur une des pires pages de l’histoire des États-Unis en contant le massacre de toute une ville par des chasseurs de prime menés par un Klaus Kinski psychopathe.


    Quentin Tarantino suit donc les codes du Western Zapata dans lequel un étranger (ici le chasseur de prime Schultz) prend sous son aile un pauvre péon mexicain (ici l’esclave « Django ») pour lui enseigner les rudiments de la révolution. Souvent, les intérêts des protagonistes ne se rejoignent pas et le péon doit faire face à son mentor pour le tuer. Dans Le Dernier Face à Face de Sergio Solima, un enseignant (Gian Maria Volonté) est pris en otage par un bandit (Tomas Milian) se battant pour la cause des péons. Chemin faisant les deux hommes sympathisent. Très vite l’enseignant prend goût à cette vie et s’il aide volontiers les rebelles aux débuts, ses appétits augmentent. L’homme timoré que la violence du bandit terrifiait fait place à un général assoiffé de sang et de sadisme. Tarantino ne cite pas ce film précis, mais le duo Schultz/Django use de cette dichotomie. 

    Une partie des citations filmique me paraissent provenir de Lucio Fulci dont Tarantino partage la fascination pour la violence expressionniste et les ambiances poisseuses. Plus connu pour ses films de zombies, Fulci a œuvré dans tous les genres du cinéma italien. Les westerns de l’époque lui procurent un terrain d’expérimentation pour visualiser des cauchemars. Son western Le Temps du Massacre comporte quelques scènes typiques de son approche frontale du malsain : le fils dégénéré d’un riche propriétaire foncier dont la démarche de zombie exagère l’aura maléfique s’amuse à jeter des paysans en pâture à ses chiens, manipule son père et enfin parvient à vaincre une première fois le héros, nous offrant une longue séquence de quinze minutes de sadisme gratuit durant lequel notre cowboy sera fouetté à mort lors d’une réception mondaine. Django Unchained reprend ainsi certains de ces passages clés en les réinterprétant. Entre Sergio Corbucci et Lucio Fulci, Tarantino va chercher ses références dans le bis craspec plutôt que chez le plus acceptable Sergio Leone.
    Depuis quelques lignes déjà j’écris « Django » entre guillemets. Il y a une explication assez simple, et qui porte un autre regard sur la signification du titre du dernier Tarantino. Succès-surprise, le premier Django de Sergio Corbucci, a poussé les producteurs italiens à inscrire leurs créations en cours dans l’ornière de ce film. Sans logique le nom de Django a été apposé à toute une pelleté de pellicules n’ayant que peu ou pas de rapport avec le Django premier du nom. Le western gothique Tire encore si tu peux de Giulio Questi [5] est aussi connu sous le nom de Django tire encore si tu peux sans que Django (Franco Nero) n’y apparaisse. On peut encore citer : Quelques dollars pour Django ; Django tire le premier ; Django prépare ton cercueil ; Django le justicier ; Poker d’as pour Django ; Le retour de Django ; Avec Django la mort est là ; Django porte sa croix ; Django prépare ton Cercueil ; Avec Django ça va saigner ; etc.… 

    Ainsi le nom de Django est-il un autre synonyme pour « l’homme sans nom » de Sergio Leone. Au fond Django est presque une fonction, c’est l’homme qui apporte la violence. Le « Django » incarné par Jamie Foxx n’est rien d’autre qu’une nouvelle matérialisation de cet esprit vengeur dont nous ne connaîtrons jamais le véritable nom… Pas un hasard si Quentin Tarantino a choisi ce titre pour son film et comme patronyme pour son héros. En procédant de cette manière il s’inscrit dans la droite ligne de la mythologie héritée du western italien.

     
    Blaxploitation : Dans le petit monde de la blaxploitation qui, il me paraît nécessaire de le rappeler a été principalement créé par les américains d'ascendance WASP pur jus à des fins bassement mercantiles, c'est-à-dire s’attirer les faveurs du public noir, les héros sont noirs. Les blancs sont cantonnés au rôle de sous-fifre ou de pourris ultime. Le mot « Nigger » fuse dans toutes les phrases. Le plus célèbre des films de Blaxploitation, Shaft de Gordon Parks voit son protagoniste éponyme aider une police impuissante à enrayer les cartels de la drogue. Shaft arrive à ses fins non sans oublier de coucher avec une blanche, pour l’humilier une scène plus loin. Si les films de Blaxploitation se déroulent fréquemment dans des environnements urbains, certains sont cuisinés à d’autres sauces, dont celle du western. En montrant son héros triompher des blancs, Tarantino inscrit son œuvre dans cette tradition. Mais si Quentin Tarantino aime à se délecter de ce type de cinéma, il en connaît les étroites limites. Le propos racial unidimensionnel dessert souvent ces productions dont l’intérêt purement mercantile n’est que rarement transcendé. Aussi l’accole-t-il à d’autres genres, le film d’amour dans Jackie Brown ou le western spaghetti dans Django Unchained. D’autant que la musique fait clairement référence à tout un pan de la culture afro-américaine, depuis le funk jusqu’au rap.
    On reproche au réalisateur de ne jamais se séparer de sa cinéphilie. Cependant même s’il reste fasciné comme un gamin par ces prédécesseurs, Tarantino est loin d’être un plagiaire. À l’inverse d’un Ridley Scott frappé par Alzheimer, ses références sont digérées pour construire un univers cohérent avec une dramaturgie fonctionnant à plein rendement.

    Que raconte Django Unchained d’ailleurs ? Simplement la quête d’une des nombreuses incarnations de « Django » à la recherche de sa femme prisonnière des enfers. Le film est à peine commencé depuis dix minutes que le réalisateur nous donne les clés pour comprendre ses intentions. Il transpose l’histoire de Siegfried ou, tout du moins une de ses variations, dans le cadre du western. Ainsi « Django », comme Siegfried doit-il traverser les enfers et combattre un dragon pour grimper au sommet de la montagne et délivrer Broomhilda (Kerry Washington). 

    L’adjonction du personnage de Schultz à « Django » ne fonctionne pas dans une transmission du savoir du type « du maître blanc vers son gentil sauvage ». Schultz n'utilise de paternalisme condescendant envers Django. Tout au plus lui donne-t-il les armes et lui enseigne-t-il à jouer un rôle qui lui permettra d’accomplir sa quête. Personnage égaré, issu de la culture germanique, à l’époque en plein essor, Schultz se situe en total décalage avec le monde qui l’entoure. Si Django demeure mutique durant la première heure, il faut comprendre qu’après avoir été battu comme du plâtre et avoir été métamorphosé en bien de consommation, il ne lui reste plus que quelques oripeaux épars de confiance en son prochain. L’association Django/Schultz commence comme par un échange de service, mais elle évolue en une profonde amitié. Schultz traite Django en égal, voire en un membre de sa famille. Ce résidu d’humanisme, inutile dans l’univers brutal du western, que porte en lui le chasseur de prime signera son arrêt de mort. 

    L’esclavagisme en Amérique et sa cohorte d'horreurs se transforment sous la caméra du réalisateur en un enfer ou l’hypocrisie de la civilisation dissimule la bêtise et sa compagne, la barbarie. L’utilisation des abominations d’une époque n’est qu’un outil narratif pour poser des barrières infranchissables à son protagoniste. Tarantino ne souhaite aucunement nous expliquer que l’esclavagisme c’est mal par une démonstration dramatique ! Il confie ce bourbier à d’autres [6] (dont Steven Spielberg qui avait déjà traité le sujet avec emphase et force séquences larmoyantes dans Amnistad). Tarantino compte sur la jugeote des spectateurs pour conserver à l’esprit qu'il réalise une fiction et non une reconstitution scrupuleuse. Les hectolitres de sang nous assurent que ceci est très exagéré.
    La violence, cet objet de détestation du cinéma de genre par les défenseurs du bon goût a toujours été pointé du doigt depuis l’apparition des premiers films d’horreur jusqu’à maintenant. Elle continue pourtant d’être l’objet d’un désir cynégétique de la part de nombreux cinéastes, dont certains très respectables.[6] En cinéaste chevronné, Tarantino s’en sert avec un art consommé. Sa connaissance des différentes méthodes utilisées dans sa représentation à l’écran lui permet de mêler deux niveaux de mise en scène. Le premier et le plus visible éclate lors des scènes de fusillades durant lesquelles les crânes et les corps explosent, balayés par des impacts surpuissants dans des gerbes de sang numériques hallucinantes. De telles hémorragies monstrueuses dédramatisent et théâtralisent les échanges de coups de feu, les métamorphosant en un ballet morbide exécuté avec maestria. Le deuxième niveau intervient à l'intérieur de deux scènes : le combat des « mandigos » et celle du dépeçage d’un pauvre bougre par des chiens enragés. Quentin Tarantino découpe ces actes de barbarie en flashs épars les épiçant de bruitages liquides immondes. Cette méthode relève de la suggestion, une approche efficace et terrifiante. Notre imagination aiguillée par l’enchaînement syncopé des gros plans construit une action bien plus redoutable que celle que pourrait visualiser le cinéaste en nous dévoilant tout (ce qui en outre ressemblerait à de la provocation gratuite et peu intelligente tout en banalisant des agissements inhumains). En procédant de la sorte, Tarantino nous envoie une note d’intention imagée qui dit ceci : « J’use de la violence comme outil narratif mais je ne m’octroie pas le droit de basculer du côté de la basse exploitation. » La violence réelle, ayant existé ou ayant pu exister, bénéficie d’un traitement elliptique qui la rend terrifiante à nos yeux. La violence de « Django » au contraire trouve ses racines dans le domaine du grotesque, du Grand-Guignol. Les hectolitres de sang la dédramatisent immédiatement. Nous savons que tout cela est impossible, qu’il s’agit d’un ballet épique qui nous soulage de ce que nous avons subi précédemment.

    S’il faut voir un propos politique dans ce film, il n’entre à aucun moment dans des considérations sur les rapports raciaux. Quentin Tarantino situe ces derniers rebondissements dans un enfer qui se nomme Candyland. Un nom de parc d’attractions pour suggérer que la folie et la bêtise se drapent dans d’hypocrites oripeaux de bienséances. Que l’enfer au quotidien modèle les hommes pour les métamorphoser en démons dociles qui règnent d’une main de fer sur le petit royaume que leur octroie dédaigneusement le maître des lieux. Dans la scène clé du film qui oppose ainsi Django et Schultz à Léonardo DiCaprio, le véritable dragon trouve son incarnation dans le vieux serviteur Stephen (Samuel L. Jackson), un personnage ingrat impeccablement interprété par Samuel L Jackson, un laquais enfermé depuis si longtemps dans son rôle que les vexations et les humiliations sont devenues la seule satisfaction de son existence. Stephen modèle ses comportements pour plaire à son maître et parfois le manipuler pour jouir de ses sautes d'humeur. 
    À ce moment de l’histoire, le réalisateur nous a suffisamment triturés pour qu’on soit sur ses gardes. Chaque phrase prononcée lors d’un interminable dîner se métamorphose en un duel plus violent que tous ceux auxquels nous avons assisté. Poussé à bout, Schultz finit par exploser et descend l’infâme Calvin Candie. Il libère la violence que nous avons accumulée pendant deux heures. La suite se situe en droite ligne d’une catharsis qui était attendue depuis longtemps. Le réalisateur ne nous ment plus sur sa manière classique de procéder. Tarantino s’est débarrassé des derniers oripeaux de sophistication qui hantait ses précédents opus pour nous faire croire à nouveau à une histoire simple.

    Alors, qu’en est-il des accusations de racisme ? Comme nous l’avons vu, le réalisateur a choisi son contexte en fonction des scènes qu’il voulait y mettre. Il a soigneusement balisé le terrain en nous faisant confiance pour pouvoir digérer cette époque et ces mœurs antédiluviennes, mais dont les spectres se sont enracinés dans les cervelets de n’importe quels êtres humains. Non, Django Unchained n’est pas une fiction raciste au sens où l’entendent ses détracteurs du Net qui veulent l'analyser au moyen d’une seule grille de lecture. Cette méthode demeure toujours réductrice des nombreuses idées qui traversent une œuvre.

    S’il fallait chercher une lecture idéologique au travail d’écriture de Tarantino, il reposerait en partie sur des personnages bien construits qui symbolisent chacun à leurs manières des tournures d’esprit différentes. Tarantino va s’échiner pendant tout le film à opposer deux individus isolés, le couple de déracinés Django/Schultz, capables de réflexion et de raison vis-à-vis de leurs entourages, à des brutes ignares dont le manque d’intelligence décidera de leurs perte. 

    Sous ses aspects de western sanguinolent, Django Unchained ne discute que de cela. Schultz et Django s’adaptent à leur monde de diverse manière tout en faisant preuve d'imagination et de panache, les personnages qui les entourent demeurent coincés dans leurs certitudes et leurs habitudes, incapable d’évolution. Ils ne voient pas d’autres ressources que les schémas comportementaux de leurs ancêtres. Ce sont tous des moutons de panurge qui ne savent pas se remettre en cause. 




    À ce titre, Stephen est emblématique puisqu’il représente une fonction et a laissé son humanité se fossiliser pour conserver son poste de petit dieu de son univers étriqué. Stephen constitue l’ennemi le plus important du film et sans lui le métrage aurait perdu de sa dimension complexe. Il renvoie à toutes les personnes qui ont aidé servilement l’oppression : par crainte du fouet, de la mort, puis par habitude et enfin par sadisme. Quant à Calvin Candie si celui-ci est éduqué il se fourvoie dans une fausse science, la phrénologie, tout en disposant d’une immense bibliothèque (symbole du savoir) qui ne lui sert que de décoration là où Schultz connaît les livres et leurs auteurs…
    En terminant sur une note cynique, l’image des deux esclaves qui restent dans leur cage malgré la porte ouverte, le film achève de démontrer que la plupart des hommes ont les plus grandes difficultés à se sortir des schémas que leur impose la société qu’ils s’approprient [7]. Qu’on ne s’y trompe pas, tous les personnages de cette histoire recèlent leurs parts d’ombre. Bien qu’ils possèdent un code de conduite, nos deux héros restent des loups pour leurs prochains de par l’activité qu’ils exercent. Schultz cherche certes à se racheter en assistant Django mais il pratique une profession qui parodie la justice. 
    Non, Django Unchained n’est pas un film qui se veut une réflexion sur l’esclavagisme ou la lutte des races, mais juste un conte de fées pour adulte qui démontre qu’entre la barbarie et la civilisation, il n’y a qu’une mince couche de vernis qu’il suffit de gratter pour révéler notre véritable et sombre nature. Un très bon film donc, au scénario efficace et qui, même sans forcément connaître tout le faisceau des influences de Quentin Tarantino [8] (On ne reproche pas à Martin Scorcese d’être lui aussi un recycleur d’image en puissance alors qu’il se réfère tout autant à ses prédécesseurs que Tarantino) possède une réalisation élégante, une photographie léchée et une narration sans faille.


     
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    [1] Ouvrage que je recommande chaudement à ce sujet, pourvu d'une iconographie exhaustive : Il était une fois le Western Européen de Jean-François Gire aux éditions Bazaar & co.

    [2] "Le genre devient intellectuellement stimulant lorsqu'il implique une codification rigide, une série de conventions contre lesquelles s'insurger. Établissons d’emblée les règles à dérégler puisque c'est souvent en dérogeant à un système établi que le film de genre produit son discours..." in Vies et morts du Giallo de 1963 à aujourd'hui dirigé par Alexandre Fontaine Rousseau pour Panorama Cinéma p. 22.

    [3] « l’Esprit Pionner » comme l’a surnommé Stephen King sur le ton de la plaisanterie dans son excellent essai Anatomie de l’horreur pour définir ce qui imprègne les fictions des années 50-60…

    [4] Je ne remets pas en cause l’excellence des films de Leone, mais son ombre gigantesque a enterré un peu vite des perles du cinéma de genre.

    [5] Western totalement barré et que je vous conseille fortement, cher lecteur…

    [6] Il y aurait de très nombreuses observations à faire à ce sujet, mais si un film idiot peut résumer le débat, Funny Game de Michael Haneke se pose là. Le cinéaste s’échine durant deux heures à exécuter une œuvre « dégoutante » tout en conservant une réalisation classieuse qui… enjolive les actes odieux de ses antihéros. Du cinéma prétentieux qui ne considère les productions horrifiques qu’en fonction de leurs définitions la plus primaire. Haneke ignore que la représentation de la violence dépend de plusieurs gradation graphique en fonction de l’effet voulu…

    [7] A ce sujet je pourrais disserter quelques temps de l’aliénation au quotidien. Du glissement sémantique qui c’est établi entre la dénomination chômeur et demandeur d’emplois ou dans le fait que ce sont les chômeurs qui doivent se vendre sur le marché du travail… En poussant pas trop loin le raisonnement on pourrait presque constater que le salariat prend la forme sournoise d’un auto-esclavage…

    dimanche 22 juillet 2012

    Cinoche P comme Pourri : Bat-catastrophe !!

    La récente tuerie autour du blockbuster de Christopher Nolan ouvre à nouveau les vannes d’un marronnier agaçant des JT en mal de sensations : la mauvaise influence d’un certain cinéma sur les esprits. Les faits sont plus complexes que ce type de raccourcis absurdes…



    Ça faisait longtemps que les médias n’avaient pas remis le couvert, à un tel point que cela m’étonnait un peu ! Revenons en arrière un petit moment, à l’époque des années 90 où ma cinéphilie se nourrissait de films d’horreur des années 70 à 80 tandis que le climat devenait pesant pour les amateurs de genre. Groupe de pressions catholiques, parents d’élèves relayés par la presse s’acharnaient sur ces pellicules censées distiller au sein des cerveaux des envies de meurtres. On citait à l’appui des cas de tueurs en série ou d'assassinats sordides soi-disant inspirés par des films d’horreur. Des pédopsychiatres envahissaient les plateaux de talk-show pour nous effrayer en analysant des scènes de Derrick ! Ont été traînés dans l’opprobre les films d’animation, les jeux vidéo et assimilés. 

    Le cinéma d’horreur est devenu célèbre autant pour ses excès que pour sa stylisation esthétique. Mais cela ne va nullement pousser aux crimes. On ne fait pas un carton après avoir en avoir regardé. Ce type d’allégations démontrent un certains manquent de finesses et de professionnalisme en même qu’une méconnaissance du sujet. Mais il tout ce qui appartient à une certaine forme de culture parallèle devient nécessairement suspect .[1]
    Image de David Michael Chandler.

    Au-delà du massacre gratuit d’une dizaine de personnes, j’oserais faire remarquer que nous ne vivons pas dans une société baignant béatement au pays des bisounours. Entre les effets pervers de la crise financière, le concassage de neurones menés depuis plus d’une décennie par les médias mainstream et l’encouragement appuyé aux communautarismes, le quotidien devient parfois étouffant. Un esprit peut basculer. Pour se donner une bonne conscience, il est nécessaire de trouver des boucs émissaires excusant un tel comportement. 

    À la lecture de certains articles, on apprend que le tueur est un solitaire qui a entassé depuis longtemps un magnifique arsenal. La tempête couvait dans sa tête bien avant la sortie du film. En remettant les choses dans leurs contextes, la libre possession d’armes à feu a sûrement un léger rôle à jouer dans le fait que les USA affichent un taux de mortalité par balle relativement élevé [2]. Ajoutons à cela une guerre sociale exacerbée [3] au nom d’un capitalisme effréné ne profitant qu’au plus riche. On a alors un bon terreau pour des explosions de crimes. 

    Pourquoi faire péter les valves de la haine durant l’avant-première de The Dark Knight Rises ? Simple ! Le film très attendu garantit un impact traumatique sur les consciences. Comme on le voit, il ne faut pas chercher bien loin pour trouver des explications plausibles sûrement plus convaincantes que « C’est la faute au film ! » [4]. Est-ce que ces messieurs dames les journalistes s'ennuyaient tellement qu'ils ont sauté sur l'occasion pour faire des liens foireux entre tout et n'importe quoi ?

    Donner une explication crédible à un événement comme celui-ci nécessite autre chose que des théories éculées. Un véritable travail de fond reste toujours à faire pour disséquer les nombreux paradoxes de nos sociétés. J’ai cependant la certitude que le cinéma n’est pas responsable de nos actions dans le quotidien. Jusqu’à preuve du contraire, les films français n’ont jamais provoqué de crise d’hystérie et pourtant ceux-ci sont de plus en plus exécrables au fil des décennies. La série des Saw malgré sa connerie abyssale et son inspiration délétère à base de voyeurisme n’a pas engendré de tueur aux pièges !! [5]

    J’ai moi-même consommé une certaine quantité de films d’horreur dans ma jeunesse, du plus bénin au plus violent. La fréquentation des réalisateurs d'horreurs m'a amené à découvrir d'autres artistes de toutes disciplines. Cela m'a ouvert les yeux sur le langage propre au cinéma, à ce qu'était la mise en scène et l'importance du montage pour accentuer l'impact d'une image et du hors champ, toutes ces choses dont j’ai pris conscience de manière presque naturelle et instinctive. Par contre, les litres de faux sangs ne m’ont jamais donné envie de passer à l’acte.

    Bien plus malsaines me paraissent les téléréalités qui ont fait leurs trous sur les ondes hertziennes ces dernières années, des programmes déshumanisant à l’extrême ceux qui y participent. Si on devait trouver des responsables à des actes meurtriers, je parierais plus pour ces coupables là. 

    La dramaturgie [6] nous présente des modèles à suivre et les contes de fées en particulier relèvent du parcours initiatique. Les meilleurs héritiers de cette structure indémodables restent les films d’horreur ! [7] Les productions de téléréalités dont le studio Endemol est le pionnier [8], se vautrent dans un esprit putassier avec une  la jouissance d’un cochon dans son auge. Véritables chancres culturels, ces programmes dévoient tous le spectre des émotions humaines pour les pervertir au dernier degré. Ainsi, le sentiment amoureux y devient un sentiment de possession et d’humiliation, pas très loin de celui qu’éprouve le tueur en série vis-à-vis de sa victime. L’être humain adulte est infantilisé, obligé de se soumettre à une autorité extérieure toute puissante, le dieu Audimat.

    On assiste médusé à l'apologie d'un égocentrisme merdeux qui évacue aux oubliettes toute humanité et dont l'influence se fait plus vivement sentir dans la recherche compulsive de certains esprits faibles de la popularité, du buzz, non pas comme la récompense d’un dur labeur, mais juste pour devenir célèbre. Ces programmes possèdent certainement un pouvoir de fascination bien plus nocif que le plus taré des films gores.


    Vous voulez d’autres coupables ? Pourquoi passer des publicités agressives dans des séances de cinéma pour enfants ? Pourquoi, dans un monde ou la communication visuelle est devenue endémique s’entêter à ne pas créer des cours d'analyse visuelle dans les écoles. De tels enseignements fourniraient aux consommateurs des moyens de prendre du recul face à l’esprit retord des publicitaires.

    Si on veut trouver des raisons, relier entre eux des éléments qui n’ont rien à voir alors autant choisir la voie la plus logique. Quand on constate qu’actuellement certains citoyens, le cerveau lavé par la culture de consommation de masse et la religion en viennent à s’emporter à la moindre vexation et à souhaiter faire la peau de n’importe qui, il ne faut pas s’étonner que d’autres pètent les plombs et fassent un carton dans un cinoche.

    En ce qui me concerne, j’irais voir The Dark Knight Rises, qui trouvera peut-être sa place dans cette section de mon blog. Ou alors peut-être irais-je après écumer les salles UGC de Belgique et de Navarre, la bave aux lèvres, la rage au ventre et un masque sur la gueule pour créer une mini-apocalypse….

    EDIT : Il semblerait que TF1 (aussi nommée "La Boîte à Cons") ait retiré son articles sous la pression des commentaires envoyés par les internautes tandis que notre guignol meurtrier prétende être le Joker du second volet de la trilogie Batman de Nolan.... 

                                                                             

    [1] - Flirtant souvent avec le commerce le plus éhonté mais ceci est un autre sujet.

    [2] - Le tueur portait sur lui, outre des grenades lacrymogènes, ce qui explique le masque, un fusil d’assaut quand même…

    [3] - Pas de protection sociale, de sécu ou de chômage aux USA !! Une fois que tu es viré c'est la ligne droite vers la clochardisation.

    [4] - À ce propos il est important de noter que la violence fictionnelle existe depuis l’aube des temps, dans les poèmes épiques, la bible et les contes de fées originaux sans pour autant être un problème majeur ! Un sujet qui a opposé Platon qui reprochait au théâtre de pervertir les citoyens et Aristote qui se reposait sur le concept de la catharsis

    [5] Mon préféré est Saw 6, essayez de le prononcer rapidement pour voir… Il y aurait encore de nombreuses choses à dire sur cette branche de l'horreur qu'est le Torture Porn auquel appartient la série des Saw mais cela fera l'objet d'un autre article, en son temps...

    [6] Vocable qui réunit les différents médiums relevant de la narration…

    [7] Quelques des œuvres les plus significatives du genre sont d’ailleurs bourrées de références à ces vénérables ancêtres, comme Suspiria ou la Compagnie des Loups.

    [8] Pour ne citer que ce génial producteur flamand....