Comme j’ai achevé deux romans (en relecture), il m’est difficile pour le moment de reprendre la plume. Du coup un peu de dessin pour se changer les idées avec des personnages conçus pour une campagne de jeu de rôle que je mène depuis un an, sous les règles de Tranchons & Traquons.
Retour sur les Chroniques de Yelgor, pour la réalisation de la couverture en prévision d'une sortie papier que je devrais concrétiser dans les mois qui viennent. Pourquoi faire une version « livre » alors que l’histoire a déjà été contée ? D'une part, cela pérennise mieux le travail accompli qu’une succession de pixels agencés dans un serveur des GAFA, d’autre part j’ai refondu le texte, ajoutant des séquences inédites, perfectionnant certaines scènes pour étoffer un peu plus l’univers.
Le support livre aura donc son intérêt propre, en plus de donner un écrin aux magnifiques illustrations de mes deux acolytes. Je ne retire pas le récit du blog et je compte bien le poursuivre dans les années qui viennent.
Toujours réalisée par mon complice dans le crime, Duarb Du, qui a dû relever le défi de toute couverture qui se respecte : esquisser les personnages et l'action sans cependant trop en dévoiler. Un exercice ardu comme le démontrent les quelques essais ci-dessous. Créer n'importe quoi, une illustration, une histoire, un objet, ne procède pas d'un processus rectiligne contrairement à ce que la mythologie contemporaine de l'artiste génial par essence, parce « qu'artiste » nous inculque.
C'est au contraire une combinaison fastidieuse d'échecs et d'erreurs avant d'aboutir à quelque chose qui a un modeste d'intérêt. L'illustration de Duarb Du ou ma propre composition n'échappe pas à ce cycle immuable de pensée sans cesse en mouvement.
Le démarrage d’un nouveau projet en particulier consiste souvent à régurgiter les lieux communs les plus éculés, les stéréotypes ancrés en profondeurs sur la semelle de notre esprit, avant de réussir à les détourner pour modeler cette masse d'informations médiocres en un objet un peu valable. En art comme en chimie, rien ne se perd, rien ne se créer, mais tout se transforme.
Une première proposition qui présente tous les personnages importants du récit, mais qui, outre son statisme un peu hiératique, me rappelait un peu trop les pires affiches de cinéma actuelles, avec cette manie de présenter la gueule des acteurs de manière chorale, sans rien d'autre autour.
Ma composition préférée, Allytah dégainant littéralement l’épée de son cœur. Très fort, très symbolique… Hélas, dans l’optique d’une couverture nous devons cependant circonscrire le sujet de peur de perdre le spectateur dans une interprétation qui n’est pas judicieuse. La symbolique marcherait mieux sur une illustration pour le texte ou même pour un portrait isolé du reste du récit. J’envisage la couverture comme un pitch visuel, cette représentation ne m’apparait donc pas pertinente, bien que l’appréciant énormément. Un croquis non utilisé, mais que j’aime beaucoup et qui saisit les tourments du personnage.
Une vue de l’auberge. Pas une mauvaise suggestion, mais sans personnage autour, le dessin est « vide » de toute présence. J’ai conscience qu’un bâtiment isolé, quant il est en plus sublimé par un cadrage ou un éclairage idoine, peut apparaître comme un être à part entière – par exemple Hill House dans le film The Haunting de Robert Wise (1963) ou la maison coloniale de la saga cinématographique Amityville —, mais ici l’auberge n’est qu’un décor parmi d’autre et elle n’a pas d’incidence majeure sur le récit si ce n'est d'être le point de départ des pérégrinations de nos héros, comme dans tout bon gidéaire qui se respecte.
Croquis adoubé, même si la composition est très classique. En même temps l’exercice de la couverture limite les possibilités délirantes, c’est à la fois sa limite et le sel de l'exercice. Être immédiatement lisible entraîne souvent une réduction du champ créatif. L’auberge reste en arrière plan. Elle conserve ainsi son rôle d'abri et de lieu à protéger de la violence des hommes. Au second plan le trio de personnage le plus notable, prêt à en découdre. Les seconds couteaux passent à la trappe pour ne pas surcharger l'image d'information, d'autant plus qu'il faut placer les titres. Le premier plan est une masse indistincte de guerriers qui marchent sur le bâtiment et ses défenseurs. Ça fonctionne !
Couverture avec les titres. Il y a quelques retouches par rapport à l’image d’origine : les flocons de neige ont été atténués pour ne pas gêner la lisibilité du titrage.
Après plusieurs mois consacrés à la bêta-lecture et à l’achèvement de deux romans, j’ai forcément pris du retard dans mes chroniques littéraires. Séance de rattrapage donc, avec un principe lapidaire : plus ou moins 10 lignes pour vous donner envie de jeter un œil (ou pas) à ces quelques opuscules.
Littérature :
1/Women in Chains : petite pentalogie de la violence faite aux femmes (ActuSF ; 2012) & La Maison aux fenêtres de papier (FolioSF ; 2009) de Thomas Day Je triche dès le premier sujet puisqu’il s’agit de deux ouvrages. Comme je les ai lus il y a cinq mois leurs intrigues demeurent assez vagues dans mon esprit. Reste la mélopée gracieuse de la plume de Day, sa pureté stylistique et son esthétique de la cruauté exemplaire. Le roman, s’inspirant en partie des Yakuza-eiga[1] des années 70, ne comporte aucune ligne, aucun mot qui ne soit pas indispensable à sa compréhension. Les scènes s’enchaînent à une vitesse faramineuse et l’auteur à la bonne idée de relier les péripéties aux événements traumatiques d’Hiroshima & Nagasaki. Une symbolique très forte donc, que Thomas Day affronte à bras-le-corps. Quant à WIM, si certaines nouvelles m’ont marqué – la première avec sa résurgence des sacrifices incas est impressionnante – d’autres m’ont laissé de marbre.
2/Le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas (Édition Fabbri, 2003) Une saga rondement menée qui revient sur une période de l’histoire de France assez peu exploitée : le basculement de l’empire napoléonien dans la monarchie et ses nombreuses bisbilles politiques. Aprsè lecture, j’ai la sensation que ce texte est plus cité sur une connaissance empirique de son contenu que sur ce qu’il s’y trouve réellement écrit. Edmond Dantès fomente bien une revanche cruelle, néanmoins exempte de violence inutile. Usant de sa fortune, le Comte manipule, marchande avançant patiemment ses pions sur un échiquier de relations sociales hypocrites liant tous les personnages. Dans ce contexte délétère, Alexandre Dumas dépeint son protagoniste comme une calamité divine ensevelissant ses ennemies sous le poids de leurs propres péchés[2].
Souvent comparé à un vampire dans la deuxième partie, Edmond Dantès en endosse tous les attributs, moins l’absorption de sang. Sa séduction ravageuse et sa faculté d'apparaître dans les moments les plus opportuns tendent à faire basculer le roman dans les ornières du fantastique. À la manière du Dracula de Bram Stocker, Edmond Dantès est l’étranger qui apporte le malheur et la maladie sur ses adversaires, l’antagoniste puissant qui se dissimule en pleine lumière ! Ce traitement surnaturel du personnage est renforcé par une ambiance gothique flamboyante qui explose lors des nombreuses séquences oniriques qui parsèment le récit.[3]
Bande-Dessinée :
3/Renjoh Desperado de Ahndongshik (Kurokawa ; 2018) Un univers délirant peuplé de mygales à tête de chats et de vers des sables ; un désert tout droit sorti d’un film de Sergio Leone parcouru par des brutes épaisses ; et enfin une guerrière, handicapée de surcroît, qui trace sa route au fil de sa lame. Un bon petit manga biberonné aux séries B, aux westerns décomplexés et autres bisseries italiennes. Tout pour me plaire ! Les pérégrinations de notre héroïne Monko, dont le cœur d’artichaut l’amène à se fourrer tête la première dans les pires ennuis, sont réjouissantes à suivre, pour peu que vous aimiez ce mélange des saveurs. Cerise sur le gâteau déjà bien crémeux le découpage est impeccable, ce qui devient une denrée assez rare dans les productions nippones récentes. L’œil n’est jamais perdu dans la page et l’auteur a le bon goût de tracer des paysages pour poser l’espace de ses scènes d’action. Enfin, loin de nous faire avaler un personnage féminin fade, gavé au nouveau « girl-power » qui entend dépouiller les protagonistes de la moindre faiblesse pour en faire des icônes en titane — donc des monstres — Monko trébuche, commet des bourdes énormes, souvent à cause de ses appétences amoureuses… mais elle se relève toujours. Même avec un bras en moins…
4/Marshal Law de Pat Mils & Kevin O’Neil (Urban Comics, 2019) San-Futuro, anciennement San Francisco, est devenue la capitale d'une population bigarrée de « super-héros » éprouvettes. Leur existence résulte de la superscience du docteur Shocc, un ex-nazi tendance Mengele, qui a vendu ses recherches au gouvernement américain pour bénéficier d'une amnistie. Engagé volontaire dans la guerre du Viêt Nam après avoir gobé la propagande de l’Esprit-Civique (le Superman local), notre anti-héros se métamorphose en « Marshal Law ». Engoncé dans son costume de cuir aux relents de 3e Reich, il traque la vermine super-héroïque dans une ville en proie à la dépravation. Son credo : « Des héros ? Je n’en ai jamais vu ! »
Les deux auteurs anglais de ce comics aux allures punk adressent un sublime doigt d’honneur aux encapés. Le dessin de Kevin O’Neil, au diapason du propos anarchiste, surchargent les cases de graffitis absurdes et de personnages minuscules se bastonnant à mort. C’est souvent cruel, atroce, bourrés d’un humour au vitriol et qu’est ce que cela fait du bien en cette période de Marvelerie extrême ! La déconne exacerbée n’empêche cependant pas Pat Mils de délivrer quelques saillis sur les pires travers de l’Oncle Sam et son impérialisme meurtrier. Pour le scénariste anglais, les super-héros renvoient à une idéologie gangrénée par le fascisme. Cette idée sert de fil rouge à Marshal Law qui gratte le verni de cette nouvelle mythologie. Parce qu’à l’inverse des Marveleries mises en boîte par la souris aux grandes oreilles, nous sommes ici en présence d’auteurs qui n’oublient pas de mêler un propos pertinent dans leurs divertissements. Cela s'appelle un chef-d’œuvre provocateur, et c'est aussi rare qu'une vierge dans un bordel !
5/Slaine : l’aube du Guerrier de Pat Mils, Angie Kincaïd, Mike McMahon… [et al.] (Delirium, 2019) Avant d’être dessinée par Simon Bisley, Slaine a parcouru les pages du magazine 2000 A.D.[4]. Créé en commun par Pat Mils et sa femme Angie Kincaïd,
les aventures du barbare se déroulent dans une Bretagne celtique
imaginaire dans laquelle les romains n’ont pas encore posé un pied. La
sélection des épisodes clés proposés par les éditions Delirium met en
lumière des styles aussi hétéroclites qu’efficaces, qui rehaussent un
scénario primitif à souhait. Dommage que les planches charbonneuse de
Kincaïd n’eussent pas été plus nombreuses, tant celles-ci confèrent au
récit une esthétique impressionnante.[5]
MikeMcMahon
de son côté compose des affrontements guerriers dans des planches
impressionnantes, s'agençant en une myriade de cases, moments de
tensions extrêmes figés par le dessin. Si le scénario manque parfois
d’une réflexion aboutie sur les thématiques mythologiques qu’il met en
scène – nous sommes dans une fantaisie de pur divertissement dans
laquelle on ne retrouve pas les échos des interrogations d’un Robert E.Howard
par exemple – l’aspect esthétique de l’ouvrage offre à l’amateur du
genre son content de combats épiques, de sorciers maléfiques et de
trognes en tous genres.
6/Conan : les comics-strips inédits : 1978-1979 de Roy Thomas, Ernie Chan & Steve Buscema (Neofelis éditions, 2018)
Conan, puisqu’on en parle… J’ai toujours louvoyé dans l'orbite des adaptations de Roy Thomas pour le compte des éditions Marvel, craignant sans doute une aseptisation du propos initial de Howard. Pourtant, le graphisme de Steve Buscema m’attirait. Cette réédition forte à propos des éditions Néofélis, qui font dans le comics « vintage », m’a décidé à l’achat. Que je ne regrette pas ! Outre le trait élégant de Buscema et d’Ernie Chan, les scénarios de Roy Thomas s’avèrent souvent très bons, respectant l’esprit du personnage en essayant de ne pas trop l’édulcorer. Ce qui arrive tout de même une fois ou deux, Marvel veillant au grain, je suppose. On retrouve donc la dichotomie entre le barbare et le civilisé corrompu, cher à Howard, traduite dans le langage de la bande dessinée.
Perdues aux quatre vents, les planches sont issues de matériaux parfois dégradés, et cela se ressent à l’impression. Publiées dans les journaux à une cadence quotidienne, ce qui représente un travail harassant, les planches originelles n'ont pas bénéficié d'une conservation qui les aurait préservées. Vendues ou abîmées par les aléas de la vie, elles ne sont plus disponibles, il faut donc se débrouiller avec l'impression médiocre en vigueur dans les quotidiens, ce qui explicite des empâtements et des défauts inévitables dans le produit fini.
En regard de la cadence de travail infernale, la cohérence narrative et graphique de l'ensemble force encore plus le respect. Par économie de temps, les dessinateurs se débarrassent des détails pour se concentrer sur l’action, le rythme. Cette méthode par l’épure aboutit à un découpage nerveux, sec comme une trique qui sied à merveille au style de R.E.Howard, lequel ne s’embarquait pas non plus de fioriture inutile. Peut-être une des meilleures adaptations des pérégrinations du barbare.
Beaux livres :
7/Dungeons & Dragons : Art & Arcanes : toute l’histoire illustrée d’un jeu légendaire de Michaël Witwer, Kyle Newman, Jon Peterson… [et al.] (Huginn & Muninn, 2018)
Bonne idée des éditions Huginn & Munnin de déterrer les faits les plus saillants de l’histoire de AD&D. Partant de la base, avec la confection du jeu dans le sous-sol de Gary Gygax et Dave Arnesson, le livre se présente comme une encyclopédie exhaustive de cet univers foutraque qui pioche dans tous les classiques de la fantasy et dans toutes les mythologies. L’occasion de constater que, plus que l’influence trop vite identifiée de Tolkien, Gygax s’abreuvait bien plus aux récits de Howard (encore !) mais aussi aux Cycles des Épées de Fritz Leiber. Du wargame au jeu de rôle, en passant par le jeu vidéo, les auteurs démontrent l’ascendant du grand-père de la culture populaire du XXe et du XXIe siècle. L'ouvrage détaille avec une iconographie pléthorique les étapes de la croissance et de la chute de TSR. Le style un peu trop hagiographique et complaisant nuit parfois au propos, de même que les différents flyers et publicités de l’époque n’apportent pas grand-chose au texte. En revanche les nostalgiques des Royaumes Oubliées et de Dark Sun pourront se régaler des illustrations pleines pages de Jeff Easley, Brom, Larry Elmore & quelques autres qui, par leurs talents, ont contribués à installer durablement AD&D dans l’imaginaire collectif. Un ouvrage sympathique, qui trouvera sa place dans les étagères des vieux rôlistes…
[1] — Films mettant en scène des yakuzas s’entretuant dans des guerres de territoires sanglantes. Le pinacle de ce sous-genre du polar est porté par des réalisateurs comme Kinji Fukasaku, Seijun Suzuki et certains films de Takashi Miike.
[2] — Le juge voit sa femme devenir une meurtrière grâce à d’habiles suggestions toxicologiques du Comte, le banquier est acculé à la banqueroute, le militaire déshonoré…
[3] — L’adaptation en anime,Gankutsuou de Mahiro Maeda, se souviendra de ce rapprochement pour creuser encore plus le sillon du gothique débridé grâce à un choix graphique inédit et audacieux tout en franchissant allégrement la frontière du fantastique, le Comte se métamorphosant en authentique vampire.
[4] — Magazine de BD anglais mythique, hanté par des titres hauts en couleur de la contre-culture comme Marshal Law, Judge Dreed, la Balade de Halo Jone etc..
[5] — J’ajoute aussi que le travail accompli par cette dessinatrice renvoie au tapis nombre d’autres de ses consœurs qui pleurent à longueur d’éditos geignards sur l’absence de femmes dans les nominations angoulémoises. Outre que je me moque éperdument du sexe d’un artiste, je souligne ici que le fait que réclamer des quotas ne va pas sauver ces belles personnes de la médiocrité graphique dans laquelle elles se complaisent. Que ce soit une Angie Kincaïd qui donne dans la fantasy bourrine ou une Chantal Montellier, il existe des femmes talentueuses qui méritent d’être reconnues. Mais c’est étrange, ces virtuoses de la plume et du pinceau ne perdent pas de temps en trémolos outrés sur Twitter. Elles bossent !