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    dimanche 23 juin 2019

    Bibliothèque des Ombres : Panaché ! (ouvrages en vracs...)

    Après plusieurs mois consacrés à la bêta-lecture et à l’achèvement de deux romans, j’ai forcément pris du retard dans mes chroniques littéraires. Séance de rattrapage donc, avec un principe lapidaire : plus ou moins 10 lignes pour vous donner envie de jeter un œil (ou pas) à ces quelques opuscules.

    Littérature :

    1/Women in Chains : petite pentalogie de la violence faite aux femmes (ActuSF ; 2012) & La Maison aux fenêtres de papier (FolioSF ; 2009) de Thomas Day
    Je triche dès le premier sujet puisqu’il s’agit de deux ouvrages. Comme je les ai lus il y a cinq mois leurs intrigues demeurent assez vagues dans mon esprit. Reste la mélopée gracieuse de la plume de Day, sa pureté stylistique et son esthétique de la cruauté exemplaire. Le roman, s’inspirant en partie des Yakuza-eiga[1] des années 70, ne comporte aucune ligne, aucun mot qui ne soit pas indispensable à sa compréhension. Les scènes s’enchaînent à une vitesse faramineuse et l’auteur à la bonne idée de relier les péripéties aux événements traumatiques d’Hiroshima & Nagasaki. Une symbolique très forte donc, que Thomas Day affronte à bras-le-corps. Quant à WIM, si certaines nouvelles m’ont marqué – la première avec sa résurgence des sacrifices incas est impressionnante – d’autres m’ont laissé de marbre. 



    2/Le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas (Édition Fabbri, 2003)
    Une saga rondement menée qui revient sur une période de l’histoire de France assez peu exploitée : le basculement de l’empire napoléonien dans la monarchie et ses nombreuses bisbilles politiques. Aprsè lecture, j’ai la sensation que ce texte est plus cité sur une connaissance empirique de son contenu que sur ce qu’il s’y trouve réellement écrit. Edmond Dantès fomente bien une revanche cruelle, néanmoins exempte de violence inutile. Usant de sa fortune, le Comte manipule, marchande avançant patiemment ses pions sur un échiquier de relations sociales hypocrites liant tous les personnages. Dans ce contexte délétère, Alexandre Dumas dépeint son protagoniste comme une calamité divine ensevelissant ses ennemies sous le poids de leurs propres péchés[2].

    Souvent comparé à un vampire dans la deuxième partie, Edmond Dantès en endosse tous les attributs, moins l’absorption de sang. Sa séduction ravageuse et sa faculté d'apparaître dans les moments les plus opportuns tendent à faire basculer le roman dans les ornières du fantastique. À la manière du Dracula de Bram Stocker, Edmond Dantès est l’étranger qui apporte le malheur et la maladie sur ses adversaires, l’antagoniste puissant qui se dissimule en pleine lumière ! Ce traitement surnaturel du personnage est renforcé par une ambiance gothique flamboyante qui explose lors des nombreuses séquences oniriques qui parsèment le récit.[3]

    Bande-Dessinée :

     


    3/Renjoh Desperado de Ahndongshik (Kurokawa ; 2018)
    Un univers délirant peuplé de mygales à tête de chats et de vers des sables ; un désert tout droit sorti d’un film de Sergio Leone parcouru par des brutes épaisses ; et enfin une guerrière, handicapée de surcroît, qui trace sa route au fil de sa lame. Un bon petit manga biberonné aux séries B, aux westerns décomplexés et autres bisseries italiennes. Tout pour me plaire ! Les pérégrinations de notre héroïne Monko, dont le cœur d’artichaut l’amène à se fourrer tête la première dans les pires ennuis, sont réjouissantes à suivre, pour peu que vous aimiez ce mélange des saveurs. Cerise sur le gâteau déjà bien crémeux le découpage est impeccable, ce qui devient une denrée assez rare dans les productions nippones récentes. L’œil n’est jamais perdu dans la page et l’auteur a le bon goût de tracer des paysages pour poser l’espace de ses scènes d’action. Enfin, loin de nous faire avaler un personnage féminin fade, gavé au nouveau « girl-power » qui entend dépouiller les protagonistes de la moindre faiblesse pour en faire des icônes en titane — donc des monstres — Monko trébuche, commet des bourdes énormes, souvent à cause de ses appétences amoureuses… mais elle se relève toujours. Même avec un bras en moins…




    4/Marshal Law de Pat Mils & Kevin O’Neil (Urban Comics, 2019)
    San-Futuro, anciennement San Francisco, est devenue la capitale d'une population bigarrée de « super-héros » éprouvettes. Leur existence résulte de la superscience du docteur Shocc, un ex-nazi tendance Mengele, qui a vendu ses recherches au gouvernement américain pour bénéficier d'une amnistie. Engagé volontaire dans la guerre du Viêt Nam après avoir gobé la propagande de l’Esprit-Civique (le Superman local), notre anti-héros se métamorphose en « Marshal Law ». Engoncé dans son costume de cuir aux relents de 3e Reich, il traque la vermine super-héroïque dans une ville en proie à la dépravation. Son credo : « Des héros ? Je n’en ai jamais vu ! »

    Les deux auteurs anglais de ce comics aux allures punk adressent un sublime doigt d’honneur aux encapés. Le dessin de Kevin O’Neil, au diapason du propos anarchiste, surchargent les cases de graffitis absurdes et de personnages minuscules se bastonnant à mort. C’est souvent cruel, atroce, bourrés d’un humour au vitriol et qu’est ce que cela fait du bien en cette période de Marvelerie extrême ! La déconne exacerbée n’empêche cependant pas Pat Mils de délivrer quelques saillis sur les pires travers de l’Oncle Sam et son impérialisme meurtrier. Pour le scénariste anglais, les super-héros renvoient à une idéologie gangrénée par le fascisme. Cette idée sert de fil rouge à Marshal Law qui gratte le verni de cette nouvelle mythologie. Parce qu’à l’inverse des Marveleries mises en boîte par la souris aux grandes oreilles, nous sommes ici en présence d’auteurs qui n’oublient pas de mêler un propos pertinent dans leurs divertissements. Cela s'appelle un chef-d’œuvre provocateur, et c'est aussi rare qu'une vierge dans un bordel !


    5/Slaine : l’aube du Guerrier de Pat Mils, Angie Kincaïd, Mike McMahon… [et al.] (Delirium, 2019)
    Avant d’être dessinée par Simon Bisley, Slaine a parcouru les pages du magazine 2000 A.D.[4]. Créé en commun par Pat Mils et sa femme Angie Kincaïd, les aventures du barbare se déroulent dans une Bretagne celtique imaginaire dans laquelle les romains n’ont pas encore posé un pied. La sélection des épisodes clés proposés par les éditions Delirium met en lumière des styles aussi hétéroclites qu’efficaces, qui rehaussent un scénario primitif à souhait. Dommage que les planches charbonneuse de Kincaïd n’eussent pas été plus nombreuses, tant celles-ci confèrent au récit une esthétique impressionnante.[5]

    MikeMcMahon de son côté compose des affrontements guerriers dans des planches impressionnantes, s'agençant en une myriade de cases, moments de tensions extrêmes figés par le dessin. Si le scénario manque parfois d’une réflexion aboutie sur les thématiques mythologiques qu’il met en scène – nous sommes dans une fantaisie de pur divertissement dans laquelle on ne retrouve pas les échos des interrogations d’un Robert E.Howard par exemple – l’aspect esthétique de l’ouvrage offre à l’amateur du genre son content de combats épiques, de sorciers maléfiques et de trognes en tous genres.


    6/Conan : les comics-strips inédits : 1978-1979 de Roy Thomas, Ernie Chan & Steve Buscema (Neofelis éditions, 2018)

    Conan, puisqu’on en parle… J’ai toujours louvoyé dans l'orbite des adaptations de Roy Thomas pour le compte des éditions Marvel, craignant sans doute une aseptisation du propos initial de Howard. Pourtant, le graphisme de Steve Buscema m’attirait. Cette réédition forte à propos des éditions Néofélis, qui font dans le comics « vintage », m’a décidé à l’achat. Que je ne regrette pas ! Outre le trait élégant de Buscema et d’Ernie Chan, les scénarios de Roy Thomas s’avèrent souvent très bons, respectant l’esprit du personnage en essayant de ne pas trop l’édulcorer. Ce qui arrive tout de même une fois ou deux, Marvel veillant au grain, je suppose. On retrouve donc la dichotomie entre le barbare et le civilisé corrompu, cher à Howard, traduite dans le langage de la bande dessinée.

    Perdues aux quatre vents, les planches sont issues de matériaux parfois dégradés, et cela se ressent à l’impression. Publiées dans les journaux à une cadence quotidienne, ce qui représente un travail harassant, les planches originelles n'ont pas bénéficié d'une conservation qui les aurait préservées. Vendues ou abîmées par les aléas de la vie, elles ne sont plus disponibles, il faut donc se débrouiller avec l'impression médiocre en vigueur dans les quotidiens, ce qui explicite des empâtements et des défauts inévitables dans le produit fini.

    En regard de la cadence de travail infernale, la cohérence narrative et graphique de l'ensemble force encore plus le respect. Par économie de temps, les dessinateurs se débarrassent des détails pour se concentrer sur l’action, le rythme. Cette méthode par l’épure aboutit à un découpage nerveux, sec comme une trique qui sied à merveille au style de R.E.Howard, lequel ne s’embarquait pas non plus de fioriture inutile. Peut-être une des meilleures adaptations des pérégrinations du barbare.

    Beaux livres :



    7/Dungeons & Dragons : Art & Arcanes : toute l’histoire illustrée d’un jeu légendaire de Michaël Witwer, Kyle Newman, Jon Peterson… [et al.] (Huginn & Muninn, 2018)

    Bonne idée des éditions Huginn & Munnin de déterrer les faits les plus saillants de l’histoire de AD&D. Partant de la base, avec la confection du jeu dans le sous-sol de Gary Gygax et Dave Arnesson, le livre se présente comme une encyclopédie exhaustive de cet univers foutraque qui pioche dans tous les classiques de la fantasy et dans toutes les mythologies. L’occasion de constater que, plus que l’influence trop vite identifiée de Tolkien, Gygax s’abreuvait bien plus aux récits de Howard (encore !) mais aussi aux Cycles des Épées de Fritz Leiber. Du wargame au jeu de rôle, en passant par le jeu vidéo, les auteurs démontrent l’ascendant du grand-père de la culture populaire du XXe et du XXIe siècle. L'ouvrage détaille avec une iconographie pléthorique les étapes de la croissance et de la chute de TSR. Le style un peu trop hagiographique et complaisant nuit parfois au propos, de même que les différents flyers et publicités de l’époque n’apportent pas grand-chose au texte. En revanche les nostalgiques des Royaumes Oubliées et de Dark Sun pourront se régaler des illustrations pleines pages de Jeff Easley, Brom, Larry Elmore & quelques autres qui, par leurs talents, ont contribués à installer durablement AD&D dans l’imaginaire collectif. Un ouvrage sympathique, qui trouvera sa place dans les étagères des vieux rôlistes…

    ___________________________________________________________

    [1] — Films mettant en scène des yakuzas s’entretuant dans des guerres de territoires sanglantes. Le pinacle de ce sous-genre du polar est porté par des réalisateurs comme Kinji Fukasaku, Seijun Suzuki et certains films de Takashi Miike.

    [2] — Le juge voit sa femme devenir une meurtrière grâce à d’habiles suggestions toxicologiques du Comte, le banquier est acculé à la banqueroute, le militaire déshonoré…

    [3] — L’adaptation en anime, Gankutsuou de Mahiro Maeda, se souviendra de ce rapprochement pour creuser encore plus le sillon du gothique débridé grâce à un choix graphique inédit et audacieux tout en franchissant allégrement la frontière du fantastique, le Comte se métamorphosant en authentique vampire.


    [4] Magazine de BD anglais mythique, hanté par des titres hauts en couleur de la contre-culture comme Marshal Law, Judge Dreed, la Balade de Halo Jone etc..
     

    [5] — J’ajoute aussi que le travail accompli par cette dessinatrice renvoie au tapis nombre d’autres de ses consœurs qui pleurent à longueur d’éditos geignards sur l’absence de femmes dans les nominations angoulémoises. Outre que je me moque éperdument du sexe d’un artiste, je souligne ici que le fait que réclamer des quotas ne va pas sauver ces belles personnes de la médiocrité graphique dans laquelle elles se complaisent. Que ce soit une Angie Kincaïd qui donne dans la fantasy bourrine ou une Chantal Montellier, il existe des femmes talentueuses qui méritent d’être reconnues. Mais c’est étrange, ces virtuoses de la plume et du pinceau ne perdent pas de temps en trémolos outrés sur Twitter. Elles bossent !

    vendredi 22 juin 2018

    Bibliothèque des Ombres : Kane : intégrale, vol.2/Karl Edward Wagner

    Deuxième livraison de cette intégrale avec quelques belles nouvelles qui font honneur au genre, comme quoi la longueur ne fait pas la qualité, surtout en Fantasy... Une lecture idéale, à la fraîche pour les longues soirées languissantes d’été… De préférence devant un sommet montagneux.

     Éditeur : Gallimard
    Collection : Folio SF : Fantasy
    Traduit par Patrick Marcel
    688 p.

    Ce deuxième volume comporte l'ultime roman consacré au personnage, six nouvelles et d'un poème, sur lequel je ne reviendrais pas tant l’appréciation de cette forme littéraire est sujette à la subjectivité de chacun.

    — Le Château d’Outre-Nuit
    Troisième roman de la saga de Kane et peut-être le plus faible des trois en ce qui me concerne. On retrouve néanmoins la fameuse « touche gothique » exacerbée de Wagner avec plaisir, d’autant que le titre, dans sa version française, semble renvoyer « Au Château d’Otrante » d’Howard Walpole.

    Un empereur paranoïaque, habitué des purges politiques, commet l’erreur de laisser vive une sorcière – Efrel –, quoique dans un sale état après une séance de torture excentrique. Replié sur son île pour panser ses atroces mutilations, Efrel ourdit complots et conjurations contre le royaume de son ennemi et Kane pourrait être la pierre d’achoppement de sa vengeance… Un Kane qui de son côté compte bien profiter d’Efrel pour s’asseoir sur le trône…

    En dépit du retour d’un Kane menaçant et d’entités marines sur lesquelles planent l’ombre du maître de Providence, ce récit est plombé par une intrigue qui manque de substance et un recours parfois évident aux clichés les plus éculés de l’héroïc-fantasy comme cette princesse attachée nue lors d’un sacrifice…

    Malgré cette baisse de régime, le roman possède quelques fulgurances, fonctionnant surtout autour du personnage d’Efrel et de sa relation avec un Kane prêt à tout, vraiment TOUT, pour asseoir son pouvoir…

    Les nouvelles oscillent quant à elle entre le meilleur et le plus passable. Je me contenterais de citer celles qui ont eu le plus d’impact sur moi :

    — Lame de Fond.
    Kane nous apparaît en redoutable thaumaturge protégeant ses amantes contre la mort, quitte à se débarrasser d’elle lorsqu’elles se rebellent contre lui. Une histoire qui exhale un parfum de romantisme noir et qui établit les ravages du temps sur l’esprit de notre immortel.

    — Deux Soleils au Couchants.
    Kane et un géant – Dwasslir – recherchent le tombeau du dernier roi des géants. Sur fond de discussion sur les tentants et les aboutissants de la civilisation, évoquant un débat qui aura fait couler un fleuve d'encre entre R.E. Howard et H.P. Lovecraft, Wagner dépeint le crépuscule d’une race dont Kane se fait le témoin silencieux. Une nouvelle empreinte de mélancolie dans laquelle la malédiction de l’immortalité devient tangible, tant Wagner nous amène à ressentir le vertige qu’entraîne une vie sans fin qui voit s’écrouler tous les rêves et les espoirs des vivants dans la poussière de la décomposition. Kane apparaît très humain, brouillant l’idée que l’on se fait de ce personnage aux multiples facettes.

    — La Muse Obscure.
    Opyros se tue à la tâche, cherchant dans ses manuscrits raturés la trace qui le mènera au poème parfait. Pris dans les affres d'une rédaction qui lui résiste et le met au supplice, il ouvre son cœur à son ami Kane qui s’avère un fin connaisseur des subtilités littéraires... Wagner nous offre ici une histoire qui tourne autour de considérations sur l’acte d’écriture et des difficultés inhérentes à toutes pratiques créatives. Un texte salvateur pour tous ceux qui tâtent de la plume, du pinceau ou même du marteau dans la manière dont l'auteur envisage ce travail très particulier, qui tient de l'ascèse volontaire et de la recherche de perfection passant par une remise en question permanente. Mais l'art est une maîtresse exigeante et Kane propose à Opyros une aide surnaturelle en lui signifiant néanmoins que celle-ci n’est pas sans danger. Si par la suite le récit se perd dans des péripéties martiales annexes, il s’achève par la folie et un Kane amer, condamné à reprendre la route en solitaire.

    — Miséricorde.
    Kane est employé par une jeune femme ambitieuse pour voler une couronne aux mains de quatre frères versés dans les poisons et la magie noire. Si les forces en présence dépassent le guerrier roux, celui-ci dispose d’un avantage non négligeable : son immortalité. C’est avec une parfaite connaissance du terrain que Kane piège ses adversaires avant de les enrôler sous sa coupe. Une nouvelle distrayante dans laquelle Wagner fait la démonstration des privilèges qu’offre le temps à son personnage. Très « western » dans son esprit, c’est une récréation bienvenue au sein de textes plus graves.

    — Lynortis.
    Pour avoir sauvé une certaine Sessi, Kane se retrouve impliqué dans une chasse au trésor dans les ruines de l’antique Lynortis, une ville détruite par un long et atroce siège auquel a pris part Kane. Cette nouvelle comporte deux versions : une ébauche composée par Wagner lors de son adolescence – qui se trouve dans le troisième tome – et celle qui fut éditée dans le deuxième volume. Le premier jet nous amène à rencontrer un Kane enamouré, ce qui fait un choc ! Outre que le style flamboyant est déjà là, cette première variante demeure bien fade et se complaît souvent dans les pires travers de l’héroïc-fantasy. Ce qui n’est pas le cas de sa reprise, qui se concentre ici sur les conséquences de la guerre à travers des descriptions apocalyptiques, dont la présence de mutilée et surtout d’anciennes mines « magique » explosant sans prévenir sous les pas des infortunés explorateurs et dont le fonctionnement n'est pas si éloigné de nos armements chimiques…. Dans une ambiance proche des westerns spaghettis – avec ces bandes de mercenaires sans foi, ni loi et son chimérique trésor – ce texte s’enorgueillit d’une belle montée en puissance et d’une atmosphère poisseuse, en harmonie avec son atroce sujet.

    L’ensemble du volume dégage toujours autant de puissance dans sa narration, même si l’auteur sacrifie la chute de ses nouvelles au profit de la création d’une atmosphère vénéneuse. Chez Wagner, seul le chemin compte, et emprunter le pas de Kane amène le lecteur dans le tourbillon du temps qui demeure le principal ennemi de notre personnage, son monde ne cessant de se décomposer. Cette déliquescence permanente est palpable dans la plupart des textes et explicite souvent en creux les actes extrêmes de notre protagoniste.

    dimanche 27 mai 2018

    Bibliothèque des Ombres : Kane : intégrale, vol.1/Karl Edward Wagner

    L’été et sa moiteur étouffante me paralysant, il est temps de dégainer les gros volumes pour égrainer les heures chaudes durant lesquels j’ai autant d’énergie qu’une larve neurasthénique bourrée au Vitallium250gr. Et comme on a parcouru la piste du Cush en compagnie de Charles R. Saunders, autant enchaîner sur la création de son volubile et alcoolique comparse : Kane ! Un colosse d’Héroïc-Fantasy cruelle sur lequel j’aurais bien plaqué la moustache blonde de Franco Nero dans une adaptation cinématographique qui demeurera de l’ordre du fantasme…

    Éditeur : Gallimard
    Collection : Folio SF : Fantasy
    Traduit par Patrick Marcel
    735 p.
     
    Tout à la fois sorcier, poète et guerrier, Kane a été maudit par un dieu fou à l’éternité. Il distrait son inextinguible ennui en tentant de bâtir des empires… qui ne cessent de s’écrouler en monticules de sable sous ses doigts. Mais cette vaine quête n’est-elle pas celle d’un adversaire à sa mesure, capable de le délivrer de la prison du temps ?

    La collection Folio-SF a réédité les romans, les nouvelles et les poèmes composant le cycle de Kane en trois épais volumes, donnant l’occasion aux lecteurs français de se plonger dans des aventures empreintes de spleen et d'une brutalité peu commune dans le genre de la fantasy. Wagner n’a pas peur des mélanges – c’est le moins que l’on puisse dire – et si le style s’avère inégal, il émane de cette fiction l'indéniable fascination que l'on éprouve pour des œuvres frôlant l'excellence et le génie. Son protagoniste principal, au carrefour des influences, synthèse parfaite de Conan et de Sauron, participe à l'aura de ces textes ambigus au sein desquels la morale est plus d'une fois retournée, le cul par-dessus tête.

    Mais avant de plonger de plain-pied dans le contenu de ces trois énormes volumes, survolons le bouillon de culture dans lequel baigne l’auteur et qui a présidé à la naissance de cet antihéros. Comme il le révèle dans une courte postface du troisième tome, Wagner aura longtemps muri sa création dans le creuset de ses différentes lectures. Ce seront d’abord les classiques du gothique anglais – Melmoth ou l'Homme Errant de Mathurin en particulier – qui auront nourri sa réflexion sur l’importance des seconds rôles « négatifs » qui emmènent l’intrigue, éclipsant fréquemment des protagonistes principaux s'avérant fades dans leurs actions et consensuels dans leurs morales.

    De cette influence, il conservera une fascination pour un environnement hostile reflétant souvent les sentiments des personnages ainsi qu’une tendance à la grandiloquence. Il usera de Kane pour se livrer à toutes sortes d’expérimentations, cherchant à construire un style qu’il définira comme étant du « gothique sous acide ». Une taxinomie adaptée aux dernières aventures de Kane qui le verra atterrir dans les années 70…

    La littérature « pulp » des années 30 a également joué un grand rôle dans l'établissement de la charte esthétique de Kane. On retrouve dans les textes de Wagner la patte de l’inévitable Robert E. Howard pour le côté sec et brutal des scènes d’action. Souhaitant donner à son monde un lustre réel, factuel, Wagner compose des dialogues rudes et crus qu’il privilégie aux déclamations ampoulées qui plombent les récits des continuateurs de Tolkien et qui tendent, selon lui, à décrédibiliser le genre. D’autant plus que Kane – même s’il fréquente parfois des têtes couronnées – passe plus de temps en compagnie de mercenaires et de grouillots de guerre, qui jurent plus qu’ils ne débitent des logorrhées shakespeariennes. Une option stylistique boudée par les thuriféraires de la fantasy que j’applaudis, tant cette trivialité confère, paradoxalement, plus de force à l'imaginaire. 


    Amis écrivains, la boue, la poussière, la merde et le langage fleuri des charretiers sont vos meilleurs outils pour solidifier votre charpente de mots.

    Évoquons aussi la mythologie chrétienne dans le bagage de notre personnage. Karl Edward Wagner ne s’appesantit pas sur la question, pour lui Kane [1] est Caïn ! Outre son immortalité, il possède dans ses yeux une étincelle de folie, la fameuse marque infamante, qui l’éloigne de l’humanité. Très discrète, cette référence à une religion contemporaine existante va infuser dans différentes nouvelles, aboutissant aux meilleurs textes de l'auteur.

    Enfin, difficile de parler de Kane sans évoquer les récits qui le mettent en scène et l'évolution de son statut dans ce qui a été l’œuvre d’une vie.

    Le premier volume comporte deux romans :

    La Pierre de Sang :


    Illustration par Frank Frazetta
    Première apparition de Kane, bien que cette histoire fut publiée après le Château d'Outre-Nuit. Il flotte sur cette épopée barbare l'influence d' H.P.Lovecraft, tant dans son intrigue que dans des descriptions rivalisant d’adjectifs, parfois jusqu’à la surenchère.

    Après une courte scène introduisant Kane en voleur, nous le voyons mettre sur pied une expédition dans de lointains marais, promettant d'arracher à la vase des tonnes d'or au potentat local. Trahissant à tour de bras, Kane s'empare du trésor des Rillytis – une race d’hommes crapauds abâtardit – : une Pierre de Sang. L’énorme joyau cache en son cœur une technologie oubliée qui fait du cristal une intelligence artificielle, bâtit par les ancêtres des Rillytis du temps de leurs splendeurs. En constante expansion, tirant son énergie du vide sidéral, cet artefact confère un pouvoir inimaginable à son possesseur... À moins, que celui-ci soit, in fine, l’outil de l'esprit de froide logique lovée dans le minéral…

    Un récit nerveux, dense, parfois desservi par un excès d’images et de répétitions reprises dans une traduction ( ?) que je supposerais un peu trop déférente, quoique paradoxalement excellente dans son ambition de retranscrire l'ambiance que distille Wagner. Malgré ces petites scories, ce roman pose les jalons de la saga : une atmosphère empreinte de déliquescence, des royaumes pourrissants menés de main de fer par des soudards sans scrupules et des mystères surnaturels sur lesquels se devine l’ombre du maître de Providence.

    Ce qui nous vaut d'énormes paragraphes hallucinatoires lorsque Kane tente de contrôler l’intelligence artificielle dormant dans la Pierre de Sang ainsi que des descriptions gourmandes en décrépitudes de toutes sortes. Wagner plonge sa plume dans l'encre d'un romantisme noir, quelque-part entre Edgar Allan Poe et les décadentistes français pour peindre un monde flottant où les passions sont excessives et où les réalisations humaines ont autant de consistances que des châteaux de sable érodés par les alizées.

    L’horreur, qu’elle soit de nature diffuse ou plus frontale, est dispensée avec générosité, trouvant sa pleine puissance dans des affrontements dantesques n'hésitant jamais à verser dans la démesure et les flots de tripailles.

    Une parfaite introduction à l’univers tourmenté de Kane.

    La Croisade des Ténèbres :


    Illustration par Frank Frazetta
    Deuxième morceau d’anthologie de cette première intégrale qui confronte Kane à une secte vindicative se répandant comme une peste sur les royaumes voisins. Profitant de la crédulité du « Prophète » meurtrier, Kane intégrera les rangs de son armée de va-nus pieds, et usera de ses talents pour discipliner une assemblée disparate de bandits en une redoutable meute organisée. Son plan pour s’arroger le trône sera contrecarré par le général de la ville adverse, victime dans un premier temps de son orgueil, puis retournant sur les lieux de sa défaite comme un phénix pour démanteler la cabale d'un Kane en mauvaise posture, ses machinations se heurtant à la nature d’outre-monde de l'entité téléguidant la secte…

    Un roman dense, touffu, plein de fureur et d’horreur dont la moindre n’est pas celle de cette religion étouffante dont les exactions et l’ignominie au quotidien ne sont pas sans évoquer avec quelques décennies d’avance les atrocités des fous de Dieu de l’État Islamique. L’auteur utilise toutes les ressources de la fiction pour proposer des images qui vous collent dans le crâne comme cette partie de football entre enfants… avec la tête d’un incroyant !

    Dans cette atmosphère de paranoïa constante et de massacres gratuits, la menace que représente un Kane est minimisée, au point que notre personnage paraisse presque insignifiant face à une foule hystérisée par des préceptes absurdes. D'ailleurs, notre antihéros charismatique ne devra sa survie qu’en pénétrant dans l’antre de l'entité derrière cette vague de fanatisme, ce qui nous vaudra une longue scène psychédélique, au cours de laquelle l’immortalité de Kane sera mise à rude épreuve.

    Morceau monstrueux de Dark Fantasy aux échos – hélas – bien réels, ce second volet des aventures de Kane disserte sur la nocivité de la croyance instrumentalisée sans oublier de poursuivre ses expérimentations littéraires.

    Une pièce maîtresse du genre.
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    [1] – Caïn se prononce Kane à l’américaine…

    vendredi 26 janvier 2018

    Bibliothèque des Ombres : Agnès la Noire/Robert E. Howard (in Psychovision)

    Retour sur une œuvre mineure dans la pléthorique production de « Two-Gun Bob » pour ce début de 2018, qui m’aura marqué par son rythme ahurissant alliant une narration menée tambour battant à un débordement de violence assez ahurissant. À l’inverse de certaines égéries modernes de la pop-culture, Agnès la Noire ne fait pas vraiment dans le détail lorsqu’il s’agit de tailler dans le vif du sujet…

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