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    lundi 11 septembre 2017

    Bibliothèque des Ombres : Brigitte Lahaie : les films de culte/Cédric Grand Guillot, Guillaume Le Disez

    Un livre de cinoche un peu particulier pour ce mois-ci qui ne se contente de lever le voile sur le grivois, mais aussi sur un tout un pan d'une certaine cinéphilie bis made in France.


    Ce grand livre se propose de faire un état de la carrière de l’actrice Brigitte Lahaie. Ce qui aurait pu être une idée saugrenue se transforme dans ses pages en un voyage dans un cinéma français autre dont peu de cinéphiles soupçonnent l’existence… Mais pour que cela aboutisse, il aura fallu aux auteurs passés par l’étape presque obligée aujourd’hui du crowdfunding. Une aubaine pour Panama Jack qui semble s’être ici approprié le projet lorsque celui-ci s’est avéré viable, alors même que l’éditeur a les reins assez solides pour supporter un projet éditorial risqué. Cela commence à devenir une manie de la part de Panama Jack de procéder à de telles manœuvres mercantiles, cherchant dans les dérivés de l’économie électronique le moyen de se faire plus de beurre en conservant ses billes dans des comptes offshores. Soit exactement l’inverse du métier d’éditeur. Mais passons outre. Brigitte Lahaie a sans doute été une actrice très sculpturale, mais méritait-elle pour autant un ouvrage ?

    Le livre ne revient tant pas sur la personnalité de « la Scandaleuse » que sur son parcours dans les courants souterrains du cinéma français. Tout un monde se divisant entre producteurs fauchés et réalisateurs s’étant trouvés à un moment ou à autre de leurs carrières obliger de tourner de l’alimentaire pour boucher les fins de mois. Un univers d’artisans parfois besogneux, parfois talentueux auquel le porno aura donné l’opportunité de s’exercer sous le masque de pseudonymes goûteux. Car la (re)-naissance en France de la pornographie en tant que genre à part entière aura été l’occasion d’une dizaine d’années d’énergie créatrice dont ce livre se veut – à travers la figure de Brigitte Lahaie – un témoignage non complaisant.

    Le porno dont il est question n’a pas grand-chose à voir avec les capsules filmées à la sauvette que l’on peut trouver par palettes entières dans les boyaux du Oueb 2.0. Ici, l’on parle de mise en scène, de techniques d’éclairage et même de travail avec les acteurs. Oh ! Rien qui ouvre les sésames des festivals cinématographiques guindés, mais une manne qui aura néanmoins permis à des artisans de peaufiner leurs arts et d’accoucher de pellicules dignes d’intérêt autres que masturbatoires. On sera étonné – ou pas – de l’exigence et de l’ambition de certains réalisateurs qui ont œuvré dans cette courte période allant de 1975 à 1981.

    Les films-clés sont à ce titre tous décortiqués, laissant transparaître des scripts réussissant parfois à placer la question de la sexualité — dans son spectre le plus large, tant excitant qu’intellectuel — au sein d’une dramaturgie qui lui aura été adaptée. Nous sommes assez loin du film de boules fade et les ténors du genre chiadent les scénarios qui enrobent les coïts. L’occasion de découvrir que ce cinéma honni par-dessus tous – au point de mériter une taxation disproportionnée avec la fameuse loi X qui mettra in fine un arrêt économique à toute cette aventure – aura attiré des personnalités de tous bords telles Gérard Kikoïne, Jean Rollin (pour des raisons pécuniaires) et des compositeurs émérites comme Alain Goraguer.

    Le livre se penche avec un égal intérêt sur la carrière hors boulard de l’actrice, avec – évidemment – la présence indispensable de Jean Rollin comme tête de proue d’une filmographie bigarrée, naviguant aux franges d’un cinéma français classique qui s’enfoncera, lui, toujours plus profondément dans sa sclérose intellectualisante. Des collaborations érotiques avec l’inénarrable stakhanoviste de la caméra Jess Franco, en passant par les comédies pouêt-pouêt de Jean-Marie Pallardy ou Max Pécas, c’est à un voyage dans une dimension souterraine d'un imaginaire hexagonal que nous invite cet ouvrage rétrospectif. Un cinéma comme on l’aime : outrancier, raté, fauché, fantaisiste et souvent poétique.

    De poésie, il en est question avec Jean Rollin qui fera de Brigitte Lahaie sa muse. Les budgets anémiques dont disposa le réalisateur ne l'auront jamais empêché de créer des séquences suintant d’une aura bizarre et étrange. Au sec cartésianisme, Jean Rollin oppose des ruptures de tons abrupts, des dénudés surréalistes, des femmes vampires mélancoliques et une ambiance autre, exigeant parfois l’impossible de ses acteurs. La collaboration Rollin-Lahaie finira par laisser des traces dans les mémoires de certains cinéphiles, amenant avec le temps à une reconsidération de l’œuvre de cet auteur atypique. N’oublions pas de mentionner le bref attachement entre Lahaie et le distributeur roublard René Château (les films que vous ne verrez jamais à la TV) et quelques participations à des zéderies comme ce film de guerre tourné à l’économie par Jess Franco, produit par firme Euro-ciné célèbre pour sa pingrerie et dans lequel Lahaie croisera le comte Dracula en personne : Christopher Lee.

    Un ouvrage fort épais et distrayant donc, illustré de photographies des différents films et de documents inédit. Ceux qui veulent déflorer une part non reconnue de notre cinéma hexagonal en auront pour leurs investissements. On y dénichera pêle-mêle des parties de jambe en l’air épicées, des proto-giallis, du gore, du polar musclé et des vampires romantiques. Bien plus que l’actrice en elle-même, c’est à un voyage dans un imaginaire passé que nous invitent les auteurs.

    Le DVD accompagnant le livre n’est hélas pas à sa hauteur avec sa conférence dont la prise de son est hélas assez médiocre. Cela n’arrêtera pas les plus motivés, mais cela fut un vrai frein en ce qui me concerne.
     

    dimanche 24 mai 2015

    Bibliothèques des Ombres : Redneck Movies : Ruralité et dégénérescence dans le cinéma américain/Maxime Lachaud



    En voyage dans les terres de l’Oncle Sam, vous dérivez dans un paysage fait de bicoques délabrées sous un soleil de plomb. Vous conduisez depuis des lustres, avec pour seules compagnies les cactus, les mouches et les cadavres de tatous achevant de se dessécher dans la poussière de la route rectiligne. Vous êtes paumés dans un décor désertique échappé d’un film post-apocalyptique. Vous allez bientôt tomber en panne d’essence. Vous vous arrêtez dans une station-service, vraisemblablement la dernière dans ce qui semble être le trou du cul du monde. La lumière est aveuglante, gluante. Elle colle aux objets, imbibe de sueurs rances la moindre surface. Vous dégoulinez, vos mains sont moites. Ce superbe guide GPS avec sa voix d’actrice porno intégrée vous a fielleusement claqué dans les doigts, la chaleur ayant achevé de griller ses fragiles entrailles électroniques. Vous voilà obligé de chercher votre chemin sur la vieille carte usagée de votre arrière grand-père, laquelle n’est plus à jour depuis des siècles. Vous êtes dans la merde.

    Autant demander votre route aux autochtones. Alertés par les soubresauts asthmatiques de votre moteur, ils sortent de leurs bicoques en tôles ondulées, s’avançant d’un pas chaloupé sous le cagnard. Ils chassent devant eux quelques poules faméliques qui caquètent en s’enfuyant entre leurs jambes, peinant à prendre leur envol. Le grand type au nez cassé vous observe d’un air mauvais. Ses yeux porcins vous scrutent tandis que sa bouche aux chicots moisis exhale une puanteur d’alcool frelaté. D'ailleurs, un petit panneau en ruine, écrit à la main avec du saindoux sur lequel vrombit un essaim de mouches vertes, annonce que vous trouverez dans cette station le meilleur « Moonshine » de la région. Derrière son père peu ragoutant avec sa salopette maculé par plusieurs couches de tâches suspectes, la transformant en une toile de Pollock inquiétante, sa fille – à moins que ça ne soit sa sœur – aux formes plantureuses vous regarde avec intensité, dissimulée dans l’ombre de son stetson. Elle fait plusieurs va-et-vient entre le vieux distributeur rouillé de sodas et l’ombre du porche, roulant des hanches, mettant en valeurs ses énormes seins que la sueur imprime sur son tee-shirt.

    Troublé par la créature dont les chairs alanguies par la fournaise sont autant d’appels à une bestiale copulation, vous demandez votre chemin à « Father Fred ». Tirant sur son cigare éteint et mâchonné depuis trois longues heures, celui-ci vous assène d’abord une mauvaise nouvelle. Bien que bardé d’équipement ultra-moderne, votre voiture vient de rendre son dernier soupir. Et il ne faudra pas espérer avoir une pièce de rechange dans les prochains jours. Mais qu’à cela ne tienne, vous allez profiter de la générosité des bons gars du Sud (et peut-être avoir la chance de culbuter Sassy-Sue dans la paille…). Dans trois jours, on organise le festival de la viande de porc dans la ville voisine. Un beau moment de convivialité où vous pourrez tâter le cul des vaches (et des fermières) tout en dégustant des produits locaux…

    Vous êtes bien naïf…
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    Cette introduction en forme d’hommage vous prépare à entrer dans le monde merveilleux des Rednecks Movies ! Vous allez explorer les méandres les plus insalubres d’une mythologie contemporaine que le cinéma d’horreur des années 70-80 a contribué à installer dans notre inconscient collectif. Qui ne connaît pas le Redneck Movie et ces poncifs ?

    Popularisés par une pléthore de survivals bas du front dans lesquels des teenagers débiles se perdent chez les pécores locaux, tous consanguins et forcément cannibales, ces films sont farcis de stéréotypes que des légions de mercenaires de la pellicule ne cessent de recycler de remakes en reboots (mais si, vous voyez de qui je parle…). Et pourtant, cette forme de scénario abêti n’est que la pointe de l’iceberg que cet ouvrage vous propose d’aborder.

    En remontant aux racines socio-économiques de ces récits, Maxime Lachaud démontre, si besoin était, que la fiction contient en son cœur une vérité cachée. Partant de l’histoire du Sud des États-Unis et de leurs rapports avec l’esclavage, l’auteur revient sur les conséquences méconnues qu’a eues l’afflux de cette population sur les ouvriers agraires. Reléguées en dessous des esclaves, virées de leurs champs comme des malpropres, ces communautés rurales appauvries se sont refermées sur elles-mêmes. Survivant parfois en autarcie, elles ont développé un chauvinisme et une bigoterie exacerbés.

    Envie, colère et paupérisation ont jeté les dès d’un jeu morbide entre les blancs et les noirs sous les regards amusés des grands capitalistes de l’époque. Le Ku-klux Klan – de sinistre mémoire – a prospéré sur les ruines morales de toute une population électrisée par des prédicateurs proches de la démence. Dans cette ambiance mortifère, il n’était pas rare que le plus petit incident soit monté en épingle et aboutissent à des lynchages cathartiques d’une violence inouïe perpétrés par des groupes hystériques et bigots. Femmes et enfants participaient parfois à la mise à mort du bouc émissaire et l’on faisait ripaille sous les arbres à pendus. La guerre de Sécession et la catastrophe économique qui en a résulté ont accentué l’image d’un Sud déliquescent. Immaculés et pimpants, les manoirs des grands propriétaires terriens ayant fait faillites se sont transformés en ruines inquiétantes, hantées par une noblesse décatie s’enfonçant dans la folie et la consanguinité.

    En passant en revue tous ces soubresauts, parfois peu perceptibles par le grand public que nous sommes, Maxime Lachaud nous dépeint les États-Unis du Sud dans toutes leurs complexités : un territoire où la violence du Far-West est encore de mise. Un endroit fait d’une multitude de luttes perdues, de strates de rancœurs enkystées dans les âmes et la poussière.

    La Nature joue un rôle non négligeable dans ces fictions. Indifférente aux destins des créatures qui se battent à sa surface, elle est hostile, engendre dans la boue des marais des sangsues géantes et des monstres de Gila dans le désert. Impitoyable, le soleil grille la couenne des touristes. Les mouches et les moustiques pullulent et harcèlent hommes et bêtes. La chaleur décompose tout, exhale des odeurs fétides, gonfle les chairs et brûle les cerveaux, nous rappelant à notre état de primate. Les coïts ne sont que d’horribles viols collectifs, le moindre mot de travers peut entrainer une spirale de violence sans fin. On ne survit là-dedans qu’en biberonnant un alcool capable d’assommer un bœuf en deux verres…

    Si la nuit, le vent et la tempête se faisaient les complices des vampires, des fantômes et des savants fous aux belles heures de la Hammer Film et du cinéma gothique, la fiction sudiste s’empare du jour. Les monstres ne se cachent plus dans les ténèbres. Toutes les horreurs imaginables ont lieues dans la lumière du soleil qui cesse dès lors de devenir un astre d’espoir.

    Le « Gothique sudiste » comme le dénomme Maxime Lachaud n’est pas récent. Ses racines se trouvent dans la littérature. Et quelle littérature ! À l’inverse de bons nombres d’érudits qui tendent à séparer de manière un peu pédante la Culture avec les œuvres d’exploitation, le journaliste les unit en une même unité. La plus fine plume américaine a ainsi donné naissance à ce genre : des auteurs comme Tennessee Williams, Marc Twain, William Faulkner ou Truman Capote. Plus contemporains, Cormac Mc Carthy, Harry Crew ou Joe R. Lansdale continue de creuser ce sillon où l’hyperréalisme des descriptions participe à l’élaboration d’une esthétique de la décrépitude. Fasciné par le monstre humain, ces auteurs ne s’embarrassent pas de mort-vivants ou d’un folklore faisant appels aux vieilles légendes usées jusqu’à la corde. L’horreur des carcans moraux, la ferveur religieuse et la promiscuité forcée face à un environnement hostile forment un terreau bien plus brut et effrayant pour les écrivains.

    Dès les années 20,le genre s’affiche sur les cinémas pour colorier en rouge les rêves des spectateurs. Oscillant au fur et à mesure de ses incarnations entre le cinéma d’auteur et la série B poissarde, il donne naissance à quelques chefs-d’œuvre pelliculés. Des cinéastes comme John Huston (La Nuit de l’Iguane, Reflet dans Œil d’or [1]) ou Elia Kazan (Baby-Doll) retranscrivent le soufre qui hante les classiques littéraires en se jouant de la censure de l’époque, ouvrant la voie à d’autres réalisateurs qui repousseront les limites de la violence et du bon goût.

    Tout comme le western, dont il est le rejeton turbulent, le gothique sudiste conserve dans son discours le thème de la Frontière. Frontière physique avec ses territoires inhospitaliers martelés par un soleil de plomb, mais aussi frontière corporelle. La question de la sexualité débridée et de la viande hante le genre de manière maladive. Tendant volontiers le cou aux censeurs de tous poils, les différents réalisateurs ont affronté de front pléthore de sujets tabous, se livrant à une radioscopie de l’inconscient glauque de l’Amérique profonde. Pédophilie et viol sur fond de noblesse décatie (Baby-Doll), viol homosexuel (Délivrance de John Boorman), cannibalisme (Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper), zoophilie… Les rejetées de Dieu se vengent sur les citadins privilégiés, le Sud viole, démembre et détruit le Nord le temps d’une illusion née de la chaleur étouffante.

    Mais Maxime Lachaud ne s’arrête pas à ses classiques, nous entraînant loin dans les méandres des productions locales dont les comédies sudistes mettant en vedette Burt Reynolds. Bâties sur le folklore du bouilleur de cru pourchassé par le shérif et ses sbires tentant d’appliquer les lois de la prohibition, ces films révèlent une vraie culture locale avec ses propres mythes. Le Moonshine, alcool frelaté fabriqué grâce à la lumière de la pleine lune et capable de rendre aveugle celui qui le consomme sans précaution est au cœur de ces légendes.

    Le temps d’une étape dans la gaudriole et nous découvrons que les archétypes du gothique sudiste ont infecté tous les cinémas. De l’Australie (Razorback de Russel Mulcahy, Réveil dans la Terreur de Ted Kotcheff) en passant par la France (La Traque de Serge Leroy, Canicule d’Yves Boisset) et la Belgique (Calvaire de Fabrice du Welz), les ploucs homicides se sont disséminés partout. Ils ont contaminé la nature qui cesse de prendre la pose pour les cartes postales, se transformant en infâme bourbier glacial prêt à nous happer.

    À travers la visite de cet immense pan de la culture cinématographique, l’on s’aperçoit que les horreurs que nous ont infligées les cinéastes, qu’ils soient des génies au sommet de leurs gloires ou de besogneux tâcherons de la série Z, ne parlent que de notre rapport conflictuel avec la nature dans toute son âpreté. Condition de vie hostile et humanité corruptible, encline à toutes les folies font bons ménages pour tisser des marais d’illusions dans lesquelles nous aimons nous enfoncer.

    Derrière nos écrans tactiles, notre belle assurance, nos gratte-ciels symbole de notre égotisme, se cache un barbare sans foi ni loi.

    Un livre indispensable pour tout amateur du genre qui en découvrira tous les soubassements et pour les néophytes qui pourront se régaler d’une prescription abondante de films (et de romans…).

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    [1] Reflet dans Œil d’or : Une petite perle du genre avec un Marlon Brandon en général homosexuel confit dans sa frustration, se rinçant l’œil sur les corps d’éphèbe de ses sergents tandis que sa femme délaissée s’envoie en l’air avec toute la caserne…

    samedi 16 juin 2012

    Foutage de Gueule Ultime : Prometheus.


    Un film sur les grosses têtes....

    Autrefois, lorsque j’étais enfant, mon père, un fan de SF autant littéraire que filmique me montra Alien. Ce film fut un véritable choc. J’en ai fait des cauchemars, des visions d’horreur : spécialement la chose nommée « Face-Hugger », inquiétante combinaison d’une main, d’une araignée et d’un scorpion. Une créature qui par son design peu ragoutant a fait date dans l’histoire du cinéma.

    Par la suite, j’ai suivi tous les autres films de la saga. Quelques peu inégaux, présentant toujours certaines idées bien barrées, cette série a bercé toute une partie de ma jeunesse, jusqu’à l’adolescence. Principalement cet étrange vaisseau, perdu sur une planète de cauchemar, contenant dans sa soute les redoutables choses qui n’ont jamais censé de faire carburer mon imagination.
     
    Alien est un conte d’horreur dans un univers appartenant à la SF que son approche sensitive place dans une optique très particulière, celle de la terreur matérialiste. Il n’y a pas de fantôme et pas de divinité à laquelle se raccrocher. Contenant une complexe histoire sous-jacente que le scénariste Dan O’Bannon s’est bien gardé de nous révéler, le film envoie le spectateur et ses personnages dans un univers glacial. C’est l’histoire d’une rencontre du troisième type qui bascule dans le cauchemar. L’Autre est une chose incompréhensible et destructrice, une créature en constante mutation dont on ignorera tout. Cette manière d’envisager les rapports de force entre extraterrestres et humains n’est pas loin de l’approche de l’horreur de H.P.Lovecraft.

    La présence d’une technologie reposant sur un concept aussi monstrueux que le mélange de la chair à la mécanique a engendré toute une pléthore d’œuvres parallèles. Il est à parier que nombres de monstres de jeux vidéos, de bandes-dessinées, voire même de romans doivent beaucoup à ce film. Et je ne parle même pas du cinéma bis qui a enfanté une armada de pellicules pompant allègrement le schéma scénaristique du premier Alien (Métamorphosis : The Alien Factor, Contamination, Créatures, la Galaxie de la Terreur et bien d’autres….)
    Œuvre phare de la Science-fiction adulte Alien, en se vautrant dans la saleté, a fait basculé le genre du space-opera en pyjama dans le cyberpunk. Cette esthétique allait rapidement gagner en popularité dans les années 80. Adieu l’USS Enterprise de Star-Trek, véhicule spatial trop propre sur lui et bonjour le vaisseau poussiéreux, hanté par un ordinateur de bord aux ordres d’une multinationale aussi rapace que tentaculaire. Adieu équipage trop souriant, trop poli, portant sur eux des joggings ou des combinaisons inadéquates. Dans Alien, on a droit à un équipage de prolos de l’espace. Des personnages bien construits, stressés par leurs situations et qui ne pourront qu’improviser face à des événements les dépassant totalement.

    Alien premier du nom a donc été aussi novateur que 2001,l’odyssée de l’espace, dans un tout autre style. Le scénariste a fait le pari payant de bétonner son univers, jouant avec l’imagination du spectateur pour lui suggérer le pire.

     Aidé par la réalisation de Ridley Scott alors au zénith de son talent, nous sommes embarqués dans ce monde menaçant, fait d’ombres où la lumière est une denrée aussi précieuse que trompeuse, le clair-obscur dissimulant sournoisement le danger. L’excellent travail sonore comportant tout un jeu de sons feutrés, lesquels seront distincts selon les différents secteurs du Nostromo, contribuera à nous immerger dans une atmosphère angoissante. Ajoutons à cela une musique discrète mais inspiré de Jerry Goldsmith et vous avez un classique de la SF horrifique qui demeure toujours d’actualité 33 ans après sa production.

    Cette longue introduction sert à faire le parallèle entre deux périodes de la saga qui nous permettant d’assister à l’agonie d’un certain cinéma puisque Prometheus est la préquelle de Alien. Tourné en 2012 et en 3D, Prometheus sent déjà la naphtaline.
     
    A 30 minutes à peine du début, impossible de rester de marbre face à un massacre intégral : acteurs de seconde zone, déluge d’incohérences, scènes ratées, raccord avec le film original capillotracté, réalisation molle…. L’impression d’avoir été pris pour un crétin est intense… Logique d’une époque de capitaliste triomphant qui biaise par le bas tout ce qu’elle touche. On n’est plus là pour rêver mais pour consommer.

    Les auteurs n’auraient-ils pas revu leur copie avant de s’atteler à la rédaction de ce truc ? Il y avait pourtant matière à introduire une dose de folie en partant de la découverte du vaisseau transportant les œufs d’Aliens. Pourquoi les créateurs des humains et des Aliens sont-ils de foutus anthropomorphes quand tout semble suggérer le contraire ? Est-ce que cela n'aurait pas eu plus de sens de faire ressembler les extraterrestres à des formes évoluées de la célèbre créature de Giger, ce qui paraissait suggéré dans le premier film plutôt qu'à des fans de SM ?? Quid de leurs origines biomécaniques ? Sont-ils à base de silicium ?? Etc… Ne cherchez pas une once d’imagination durant ces 2 heures 10 de film.
    Un "Ingénieur" donc....
    Le scénariste Damon « Lost » Lindelof[1], appliquant la recette de sa série à succès sans réfléchir, multiplie les personnages sans ne jamais en développer aucun. Il en sera de même pour les idées qui parsèment le film : Je suis à peu près certains que mieux présentées certaines d’entre elles auraient pu aboutir à quelque-chose, un embryon de long-métrage plus intéressant. Cette méthode engendre une quantité invraisemblable d’incohérences de toutes sortes, à un tel point qu’on se demande si le film n’a pas été rédigé par un adolescent sous cocaïne !! Le malheureux spectateur, attiré par la promesse d’un bon film de SF grâce à la force du marketing virale a le droit à une enfilade incroyable de stéréotypes éculés.

    La caractérisation des personnages donnent la nausée. Ce qui est fort dommageable puisque pour que le suspens fonctionne, nous devons impérativement nous attacher à eux.

    Holloway (Logan Marshall-Green) est un scientifique au look de GI, passant la moitié du temps à biberonner de la vodka tout en enfreignant au moins 250 000 protocoles scientifiques. Interprété par une endive cuite. Holloway affichera un air blasé jusqu’à sa mort. Sa seul motivation demeurera de s’envoyer en l’air avec « sa meuf parce qu’elle est bonne… ». Les extraterrestres ne lui arracheront qu’un haussement d'épaule blasée. Que voulez-vous, il en a vu de dur dans le 9-3. Figure autrefois récurrente du cinéma de Luc Besson, il semble que le « jeune de banlieue », ou son avatar fantasmé par les médias dont le GI n’est qu’une variante issus de la culture américaine, a infecté peu à peu tout l’espace de la fiction contemporaine. Avec son attitude méprisante, sa haine viscérale de la culture sous toutes ses formes, sa misogynie prononcée, ce personnage est parvenu à s’imposer comme porte étendard de toute une génération laissée à la dérive. Il y aura, je le souhaite, des universitaires masochistes qui se pencheront sur cette période noire de notre septième art pour étudier sociologiquement ce nouvel archétype de « héros » et la manière dont son idéologie faite d’opportunisme s'est infiltrée dans la fiction comme étant la seule manière d’être pour l’homme moderne. 

    N’échappant pas à ce nivellement par le bas, le personnage féminin central, Elisabeth Shaw (Noomi Rapace) sera soumise à son mari GI, catholique et aussi ignorantes des règles de sécurité que son mari. Ayant la foi, elle pourra se remettre très rapidement d’une grossesse poulpesque expresse ainsi que d’une césarienne tout aussi rapide que propre[2]. Ses agrafes ne partiront pas et ses entrailles ne se dérouleront pas sur le sol. C’est merveilleux d’avoir la foi…. rappelons une règle de base pour scénariste débutant : lorsque l'on fait un film censé faire peur, il faut que les personnages soient VULNÉRABLES et pas immortels !! Entre une Ellen Ripley (Sigourney Weaver) qui, dans les années 70', incarnait une femme assez forte pour survivre dans un milieu hostile et Elisabeth Shaw qui tire sa force non pas d’une quelconque intelligence mais bien de la foi !! 

    Sans prendre en compte qu’un équipage mixte est une aberration à cause des tensions sexuelles que cela peut engendrer et qu’il aurait été plus malin d’avoir un casting unisexe regardons un peu les quelques compagnons de voyage de nos valeureux scientifiques. Cela ressemble à une liste digne d’un inventaire à la Prévert oscillant entre un cartographe punk n'ayant pas le sens de l'orientation ; L’obligatoire blonde platine frigide dont la présence s’avérera inutile ; un équipage de militaire « United color of Bandes de con » pour compléter les quotas raciaux et dont l’implication dans toute cette histoire est à la hauteur de l’ennui qui traverse de part en part le malheureux spectateur ; un androïde nazi perfide aux motivations mystérieuses, à moins que l’on est oublié de brancher quelques fils dans son cerveau positronique et des figurants qui serviront de chair à canon. On a l’impression d’assister à un slasher de base avec la bande d’ados attardés crispantes dont on attend avec impatience le sordide trépas tant est grande l’envie de les occire nous-mêmes. Seul Michael Fassbender incarnant David le robot défaillant sort son épingle de ce jeu de massacre.
    Image de Rest-Gestae
    Cette bande de branquignol ne cessera de se foutre sur la gueule tout au long du trajet. Etant donné qu’il s’agit d’un voyage d’exploration, probablement avec un décalage temporel vis-à-vis de ceux restés sur Terre à quelques années-lumière, n’est-il pas plus logique de penser que les membres de l’équipage auraient eu le temps de se connaître lors d’entraînements spécifiques ? Ne fait-on plus passer des batteries de tests physiques et psychologiques pour les missions spatiales ??

    Malgré un terreau fertile pouvant supporter une trame faite de ramifications sinueuses, les enjeux narratifs de Prometheus tiennent sur un modeste feuillet de papier toilette :

    Le vieux Weyland[3] décide de faire confiance à un couple d’archéologues aux théories fumeuses exposées en cinq secondes chronos : l’être humain a été créé par des extraterrestres, à son image. Malgré le peu de preuves qu’ils fournissent au vieil industriel, celui-ci met sur pied une expédition coûteuse pour aller explorer une lointaine planète située à quelques millions d'années-lumière dans le but d’obtenir la vie éternelle. Bien-sûr le vieillard sera du voyage pour surgir de sa boîte, tel un diable rouillé, à quelques minutes des révélations finales.

    Guy Pearce (Weyland), qui sera maquillé à la truelle dans le film.
    Les effets de maquillages ont bien régressé
    depuis l’avènement du numérique. 
    Là où Alien avait l’intelligence de conserver une unité de temps et de lieu pour mieux développer les relations entre les personnages, Prometheus nous fait subir des changements de lieux aussi nombreux qu’incohérents, éclatant tout azimut un scénario déjà gravement handicapé par des personnages creux. A tenter par tous les moyens de dynamiser le récit, les auteurs s’éparpillent et multiplient les erreurs de scripts aberrantes : deux des personnages, le cartographe et un collègue qui sera rapidement tué, se perdent dans le vaisseau Alien alors qu’il était censé en sortir. Il faut savoir qu’à l’intérieur du Prométhéus existe une carte en 3D du vaisseau et que celui-ci est composé d’un seul couloir et de pièces attenantes. Trop occupé à draguer la frigide, le capitaine qui supervise les opérations n’avertira pas les hommes qu’une présence de vie se manifeste près d’eux…. Ces enchainements de péripéties navrantes se poursuivront durant tout le métrage.

    Je ne vais pas oublier ma bourde scénaristique préférée. Holloway GI enlève son casque trente seconde après avoir constaté que l’air est respirable…. Contaminant de manière définitive toute l’atmosphère de la caverne, sans oublier de se contaminer lui-même avec de possibles virus étrangers. Si seulement l’histoire avait pu partir sur ces rails-là, c’eût été très plaisant….

    Le "Space Jockey" de 1979....

    Centre de toutes nos attentions, l’expédition chaotique de nos glorieux savants nous amènera à découvrir des « obus » au lieu d'œufs. Ces objets cylindriques exsudant un liquide noir donnent logiquement naissance à :

    - Un proto-alien, sorte de tentacule ressemblant à un phallus géant se comportant comme un cobra. Agressive, la chose s’introduit sous la peau du cartographe punk. Une fois infecté celui-ci se transforme en une version encore plus moche de Hulk.

    - Si ce liquide infecte un humain et que celui-ci a des rapports sexuels non protégés avec une humaine on obtient une pieuvre qui se transforme en « Face-Hugger » géant..... Comment une petite créature devient-elle grande sans rien ingérer, mystère….

    - Un « Ingénieur », race d’être censément supérieur se mettant à agir comme le premier bourrin venu en exterminant tout le monde….

    - La carte des étoiles fait atterrir les humains sur la planète militaire des Ingénieurs. Pourquoi des êtres ayant décidé de nous métamorphoser en Hulks ratés nous confieraient-ils une carte menant à leur base militaire ?

    - La représentation de la terre est conforme à son aspect actuel alors qu’avec le décalage temporel, en tenant compte de la dérive des continents, ceux-ci devraient avoir une autre disposition, plus proche de la pangée.


    On pourrait continuer des heures à relever tous les égarements de ce film qui sous-estime gravement l’intelligence de ses spectateurs. Les changements apportés à l’univers des premiers Aliens ne s’arrêtent pas là. L’esthétique générale pâtit d’une nette régression artistique.
     
    Le Nostromo de Alien était un vaisseau sale, anxiogène de par son immensité abyssale. En comparaison, le Prometheus est un vaisseau propre, lumineux. L’ensemble est si aseptisé qu’on en vient à sentir des relents de décor de studio et de « carton-pâte ». Un retour en arrière phénoménal pour une saga qui a toujours mis en avant la saleté. On peut aussi se demander pourquoi certaines technologies présentées à l’écran n’apparaissent pas dans le premier Alien alors que Prometheus se déroule AVANT ? Pourquoi les scaphandres ont-ils un aspect design, contemporain, là ou ceux d’Alien ne s’encombraient pas de superflu, les auteurs ayant privilégié une approche fonctionnelle dans la conception des différents objets ? Cet effort de recherche s’avère payant sur le long terme puisque le film ne s’inscrit pas dans une période donné mais dans un temps imaginaire. Un avantage que n’aura pas sa préquelle qui prendra dix ans dans les mâchoires seulement 15 jours après sa sortie.

    J’ignore si H.R.Giger a participé à ce carnage mais si les décors du premier Alien en imposaient, ceux de Prometheus sont d'une pauvreté absolue. Exit les mattes-painting peints sur plaque de verre et les effets d'optique qui permettaient d'obtenir un résultat bluffant. Le numérique ne donnent à voir que des images lisses. La reprise des décors biomécaniques issus directement d’Alien provoque l’inévitable comparaison entre les deux films, au détriment du plus récent. Du risible tableau de bord du vaisseau des ingénieurs, en passant par le « Space-Jockey » qui perd quelques mètres entre les deux films, tout est à l’avenant. Le vaisseau de Giger se démarquait par son gigantisme, celui de Prometheus paraît petit…. 

    Le "Space Jockey" de Prometheus.... Il y a pas comme un problème...
     
    Je me demande donc comment un réalisateur un minimum doué peut-il approuver un script d’une telle indigence ? En étant bon public, on pourrait croire que celui-ci a été écrit par un adolescent de 15 ans !! Comment une équipe a-t-elle pu penser que cela avait un quelconque intérêt, hormis pécunier ? Ridley Scott a t-il perdu tant d’argents lorsque Facebook est entré en bourse pour accepter d’être le mercenaire de producteurs avides ?

    Il me fallait manifester ma mauvaise humeur après avoir subi cette arnaque. Depuis quelques temps déjà les affiches des multiplexes ne proposent plus que des blockbusters acéphales ou des films essayant de flatter l’intelligentsia[4]. Vendu comme la prequel d’un classique du cinéma en capitalisant sur la renommé d’un réalisateur autrefois doué, Prometheus est, comme beaucoup d’autres films récents[5], un gloubi-goulba atroce. Voulant à tout prix capitaliser des franchises exsangues sans prendre de risque, les grands studios ne laissent aucune idée originale franchir les portes de leurs bureaux, fournissant au public des films neutres au potentiel artistique proche du zéros absolu.

    Je me suis laissé avoir par la promesse de passer un bon moment de cinoche, poussé par des critiques de presses dithyrambiques, le souvenir d’un premier film comptant parmi les grandes réussites du cinéma de science-fiction… Maintenant, aux spectateurs avertis de ne plus se laisser avoir, de ne plus cautionner ce type de film creux aux discours putrides. Il y a encore tant de bons films à chercher ailleurs, là où les majors ne tournent pas leurs regards corrupteurs…

    Mauvaise nouvelle : Ridley Scott prépare le remake
    de Blade-Runner.... 
                                                                                       

    [1] - Même si je peux deviner que beaucoup d’entre vous se sont souvent pâmés devant les élucubrations d’une histoire montée au jour le jour avec pour unique technique de narration la méthode du marabout bout-de-ficelles, soyons honnête un moment, Lost a tout du pire nanar italien sans en avoir la folie qui permet de faire tenir debout leurs énormités sans s’attirer les foudres des spectateurs.

    [2] - Un comble pour la saga Alien qui n’a jamais craché sur les scènes gores !!

    [3] - Fondateur de la Weyland compagnie, une multinationale tentaculaire que l’on retrouve dans les premiers Alien.

    [4] - Je me fendrais d'un autre billet plus-tard, concernant la Handicaploitation qui fait fureur en France.....

    [5] -  Avatar  – Inceptionla planète des singesThe Thing, le remake…. Les exemples sont trop nombreux pour qu'on puisse se souvenir de tous....