Parce qu’il n’y a pas que Black Panther dans la vie, profitons néanmoins de manière putassière et éhontée du dernier avorton de l’écurie cinématographique la plus normative du moment pour revenir un peu sur un monument de la Fantasy épicée avec Imaro. Un personnage avec lequel l’auteur Charles R. Saunders se proposait de « décoloniser » le genre littéraire en créant un personnage capable de botter le « cul blanc de Tarzan»… Il va sans dire que c’est une réussite totale !
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Imaro par Ken Kelly, une image qui aura déclenché la fureur de l'écrivain, bien que je doute que l'illustrateur ait eu les coudés franches sur cette illustration qui transforme notre héros en un ersatz légèrement bronzé de Tarzan... Mercantilisme, quant tu nous tiens...
Avec le déclin de la Hammer, tout un pan de la mythologie vampirique s’écroule. Dracula, en dehors des quelques remakes marginaux, restera un phénomène anglais. Jusqu’à la fin des années 60, les films de vampires appartiendront surtout à la vieilles Europe, puis les Etats-Unis entreront à la fin dans le bal pour apporter une transfusion de sang neuf.
Si le sang et la jouissance perverse appartiennent à l’archétype du vampire, il lui faut une position sociale élevée pour se repaître en toute quiétude de ses proies. Rarement exploitée, l'immortalité demeure une thématique conceptuelle à l’inverse de la hiérarchie et de la sexualité.
Ce n’est pas un hasard si Dracula s’enorgueillit d’origines aristocratiques. Ce cachet lui confère le prestige nécessaire pour s’infiltrer parmi les hommes. Fantasme d’une élite se nourrissant littéralement du peuple, Dracula et ses émules symbolisent les derniers soubresauts d’un pouvoir qui change de mains, les nobles passant au second plan dans la direction du monde.
Avec la chute de la maison de production Hammer, le vampire se quitte les oripeaux de sa condition de gentilhomme. Ainsi Roman Polanski fait tomber de son piédestal dans le Bal des Vampires, se jouant de nobliaux poussiéreux incapables de planter leurs crocs dans le cou d’un Van-Helsing souffreteux. George.A.Romero, le maître du zombie consumériste cannibale remonte même aux sources psychopathologiques du mythe en le déboulonnant dans le trop méconnu Martin transformant le vampire en un adolescent fluet et complexé.
Pendant les années 70, malgré de nombreux films reprenant tant bien que mal les recettes éprouvées, le vampire sera trituré, assaisonné à toutes les sauces. Du surréalisme érotique et envoûtant d’un Jean Rollin aux comédies « prout-prout », le personnage va perdre ses canines et essuyer des plâtres au box-office. Face à la modernité, notre saigneur se métamorphosera en un épouvantail ringard qui sera rangé avec ces comparses monstrueux de la Universal au fond du placard.
Commencera dans le cinéma fantastique et d’horreur le règne des psychopathes et des zombies. Seul le film Lemora : A Child’s Tale of the Supernatural de Richard Blackburn reviendra aux sources du mythe avec l'évocation d'une troublante comtesse sanglante dont les inclinaisons sexuelles déviantes la poussent à s’attaquer à… des enfants ! Cette production hardie écopera longtemps d’interdits dans plusieurs pays. Son auteur ne concrétisera plus d'autres projets pour le grand écran après ce coup d'éclat.
Pendant quelques années les vampires déserteront le paysage cinématographique. Ils renaîtront de leurs cendres, transcendés, au début des années 80 avec Les Prédateurs de Tony Scott. Désormais regroupés en corporations ou en tribus, les vampires adopteront le style de vie des yuppies…
Jonathan Frid cabotine un maximum dans le rôle
du vampire Barnabas Collins dans Dark Shadow.
Le vampire n’échappe au petit écran, même si les règles de censures qui régissent son univers rendent délicate la mise en scène d'histoires d’horreur efficaces. Néanmoins, certains créateurs de série parviendront à s’extraire de l’épais carcan des productions télévisuelles.
Dark Shadow narre les aventures d’une famille dysfonctionnelle, les Collins, dont l’un de leurs membres est un vampire dans la grande tradition du genre. Soap-opera fantastique, cette œuvre OVNI comporte 1225 épisodes. La mise en scène catastrophique, dût aux délais effrénés de tournage laisse apparaître les perches, les trucages approximatifs et autres sautes d’axes intempestives. Ce traitement lapidaire l’empêche d’être accessible au public d’aujourd’hui. Elle connaîtra néanmoins le succès grâce à l’acteur Jonathan Frid qui conférera au vampire Barnabas Collins sa folie et son cabotinage ainsi qu’à des scénarios débordant de fantasmagories, compensant des moyens financiers lacunaires.
La série donnera naissance à deux adaptations cinémas qui sortiront en 1970 et 1971 [1]. Elle sera remaniée en 1991 dans une nouvelle saga condensant les différentes trames principales en 12 épisodes. Enfin, Tim Burton réalisa sa propre version en 2012.
1967 : Le Bal des Vampires de Roman Polanski.
Roman Polanski signe ici un film important qui marquera les débuts d’une dérive du genre en posant la thématique des sociétés vampiriques. Initialement dépeint comme une figure du mal solitaire, Polanski métamorphose les vampires en êtres sociables se réunissant en grande fratrie de saigneurs.Anne Rice et d'autres écrivains puiseront à cette source pour créer leurs univers, construisant une approche communautaire qui va se révéler déterminante dans l’avènement de la Bit-Lit.
Comédie virtuose, le Bal des Vampires détourne avec un humour mordant les poncifs des productions Hammer tout en respectant le genre. Les décors, la prestation des acteurs ou la narration languide que Polanski pousse à l’extrême les poncifs du fantastique gothique. Habile, le scénario installe un réel suspens et des enjeux fatals pour les tueurs de vampires maladroits. Les mimiques grotesques d’un vampire homosexuel peuvent, le temps de quelques séquences, devenir terrifiantes.
Autre signe de l’esprit de divorce avec la tradition, Polanski va accorder le mot de la fin aux créatures de la nuit. Cette rupture avec la tradition provoquera l'émergence d'un nouveau comportement pour nos créatures. L’ambition première de Polanski de clouer une bonne fois pour toutes le cercueil du vampire engendrera ironiquement un profond bouleversement dans les us et coutumes du monstre.
Tourné en noir et blanc pour la modique somme de 300 000 francs français, ce film peut-être considéré comme la première production touchant aux vampires dans le paysage français. Doté d’un scénario labyrinthique construit au jour le jour, Jean Rollin y rend un vibrant hommage aux feuilletonistes du 19e siècle. Il se débrouille avec les moyens du bord pour insuffler à ses pellicules une ambiance bizarre à nulle autre pareille. L'érotisme léger et le jeu ampoulé des acteurs bâtissent un monde atemporel dans lequel tout devient possible.
Les monstres de Jean Rollin sont manipulées par des humains espérant obtenir l’immortalité. La lumière du jour aveugle ses créatures, les privant de leurs pouvoirs. Cette image récurrente du vampire à la fois victime et prédateur se propagera sur une bonne part de sa filmographie. Fantasques, aussi amorales que fragiles, les vampires de Rollin ne tirent guère de profit de leurs conditions.
Phillipe Druillet, ami de Jean Rollin,
réalisera la majorité de ses affiches.
Ces variations poétiques sur le thème vampirique sortent le personnage de ses stéréotypes pour s’aventurer hors des sentiers battus. Le réalisateur prolongera son univers dans des romans qui lui permettent de ciseler des péripéties spectaculaires qu’ils n’auraient jamais pu concrétiser sur grand écran, ses tournages dépendants surtout du système D.
Méprisé en France, Jean Rollin connaîtra un petit succès en Angleterre, mais sa vision particulière du vampire, onirique et érotique, ne perdurera pas. Seul contre tous, en pleine explosion de la nouvelle vague, Jean Rollin s’accrochera à ses légendes, composant des métrages touchants, empreints d’une langueur poétique avec des miettes de budget… Jusqu’à sa mort.
Avec son contexte de sexualité hypertrophié, il était logique que le vampire rencontre quelques auteurs portés sur la fesse facile. C’est chose faite avec Jess Franco qui réalise ici un navet insupportable dont l'unique signe de vampirisme demeurera une tâche de confiture de framboise sur un rideau. La bande originale ravira les oreilles des amateurs d’obscurs groupes des années 70 mais il n’y a rien à sauver de cette catastrophe dont la signature stylistique à base de zooms fulgurants donne vite la nausée…
Avec Jean Rollin en France, Harry Kümel est l’un des rares réalisateurs européens a s’aventurer dans le film de genre. L'action des Lèvres Rouges se déroule à Ostende dans laquelle Erzébeth Bathorys’installe avec sa suivante. Dans un style onirique, le flamand conte les méfaits de la comtesse qui se prend d'une passion dévorante pour une jeune mariée.
Harry Kümel soigne ses ambiances bariolées pour obtenir un onirisme baroque traversé par un zeste d’érotisme feutré. Le cinéaste offre à la Comtesse Sanglante un bel écrin où les éclairages à dominante rouge marquent les apparitions de la vampire. Il filme la ville d’Ostende comme un sinistre dédale vidé de sa population qui se métamorphose vite en un gigantesque château, lequel obéit aux volontés de la comtesse et égarent les inconscients promeneurs…
Si l’œuvre souffre de quelques longueurs, le réalisateur n’en essaye pas moins de redorer avec un certain panache le blason du vampire.
Production tardive de la Hammer dont l'ambiance foraine rappelle le roman de Ray Bradbury : La Foire des Ténèbres. Cette inspiration offrira quelques scènes oniriques du plus bel effet. La narration hésite entre le soutien aux monstres et le camp des villageois. Tout comme dans le Bal des Vampires, les créatures vivent en groupe et chassent ensemble.
La thématique communautaire s’introduit lentement dans les fictions vampiriques. Malgré tout le savoir-faire de son réalisateur, le Cirque… demeure une petite production handicapée par un manque de budget flagrant. Ces écueils économiques ne modifient cependant pas la qualité d’une intrigue solide et d’une réalisation efficace.
1972 : Blacula de William Crain.
Adaptation à la mode Blaxploitation de Dracula, Blacula ne vaut pas grand-chose. Malgré un très beau générique animé, le film n’apporte pas de grandes innovations au mythe. Seules quelques scènes musclées, dont le massacre des goules par un groupe de Van-Helsing en coiffure afro, réveillent notre intérêt… Maigre bilan.
Pantalonnade qui déboulonne le Comte Dracula, ce film a surtout bénéficié de la caution artistique de son instigateur, Andy Warhol. D’art il n’est point question ici puisque le réalisateur assure à peine le minimum vital pour garder éveillé son spectateur. La trame, simpliste, fait de notre vampire préféré incarné par Udo Kier en roue libre, une créature malingre que le manque de femme vierge a condamnée à l’inanition.
Réduit à lécher le sang des menstrues dans les latrines, le comte finira sa pathétique existence sous les coups de hache d’un bellâtre, piteux ersatz de chasseur de vampire… Grotesque, mal tourné et saupoudré d’effets spéciaux cheaps, ce film ressemble à une gueule de bois après une longue soirée de beuverie.
1975 : Lemora : A Child’s Tale of the Supernatural de Richard Blackburn.
Métrage méconnu d’un auteur qui ne remettra le couvert que pour la courte série « Tales from the Darkside », ce film s’attirera les foudres de la censure dans plusieurs pays à cause de son intrigue. Exhumé en France par une poignée de distributeurs, le film de Richard Blackburn deviendra un film culte. Sa réputation sulfureuse provient de son intrique ; à la recette de lesbianisme qui accompagne toutes les apparitions des femmes vampires, Blackburn fera de sa créature une ogre se repaissant de la jeunesse et l’innocence d’enfants.
Dès les cinq premières minutes un univers envoûtant suinte de la pellicule. On assiste à un croisement entre les ambiances à la manière de Lovecraft pour la ville hantée par des habitants déformés et celui d’un Lewis Carroll cauchemardesque lorsque la petite héroïne, sur les traces de son père, tombe de Charybde en Scylla. Si certains réalisateurs choisissent l’angle de la comédie, Blackburn exploite son sujet avec un sérieux papal. Il adjoint aux mythes vampiriques quelques idées tirées de ses influences, ce qui finit par créer une alchimie inédite et redoutable. Ainsi les villageois d’Astaroth, un nom lourd de signification, sont-ils tous victimes des maléfices de Lemora. La démarche claudicante et le faciès grisâtre de ces goules d’un nouveau genre évoquent ceux de la nouvelle Le Cauchemar d’Innsmouth de Lovecraft dans laquelle tous les habitants d’un port de pêche se métamorphosent en monstres sous l’influence de créatures venues de la mer !
Sublimé par un magnifique technicolor, Lemora propose une variation intéressante sur le thème du vampire qui, plus que du sang, vole la jeunesse de ces petits prisonniers.
Film maudit pour avoir osé jouer avec le feu en mettant en scène des enfants dans une situation horrible, Lemora n’en est pas moins un authentique chef-d'œuvre. L’atmosphère sulfureuse et onirique qu’il dégage comme un parfum capiteux entraîne le spectateur dans un cauchemar éveillé. Richard Blackburn respecte le fantastique et son unique long-métrage rappelle les meilleures nouvelles des classiques littéraires du genre.
1977 : Martin de George.A.Romero[2].
(Selon Romero, la Nuit des Morts-Vivants est une adaptation officieuse de l’excellent roman de Richard Matheson : Je suis une Légende. Cette histoire subira l'outrage de plusieurs adaptations cinématographiques qui n'égaleront jamais la beauté vénéneuse de sa conclusion nihiliste. Le créateur des zombies cannibales était amené à croiser sur sa route le vampire pour lui refaire une santé.)
Avec une réalisation proche du naturalisme, Romero dépeint son héros, Martin, comme un adolescent tourmenté se prenant pour un vampire après qu’un oncle vicelard, sorte de Van Helsing du pauvre, lui eût truffé l’esprit de superstition. Une antique malédiction poursuivrait sa famille transformant ses membres en vampire. Martin absorbera ce conte de fées morbide avec un peu trop de sérieux, ce qui l’obligera à se nourrir de sang. À moins que Martin ne soit effectivement un vampire muni d’une âme séculaire enfermée dans un corps encore imberbe ?
Romero nous projette dans l’esprit de son antihéros dont les souvenirs de « vampires » remontent au 19e siècle. Ces fragments de mémoire sont-ils réels ou engendrés de la psyché déséquilibrée de Martin, sa solitude le rendant sujet aux fantasmes les plus débridés ? Romero nous donne une piste en contaminant les images de l’univers intérieur de Martin d’allusions aux productions de la Hammer. Alors que le réalisateur filme la plupart des scènes de façon naturaliste, les réminiscences du passé de Martin ont recours à l’utilisation de tout un panel d’effets issus des classiques du genre tels que des châteaux de carton-pâtes, des rideaux battus par le vent et des châtelaines vêtues de mousseline.
Sans crocs, usant de sédatifs pour endormir ses victimes, Martin n’a rien d’un monstre terrifiant. Son comportement se rapproche de ceux des tueurs en série. Romero ne nous épargne rien de la difficulté qu’éprouve Martin à capturer ses proies. La mise en scène devient neutre, renforçant un malaise déjà pesant dès la première bobine.
Romero joue de l’impact des images avec intelligence. Lors de ces séquences, le spectateur se découvre installé à la place d’un voyeur assistant à un meurtre aussi effroyable que grotesque. La maladresse de Martin allonge de façon insupportable la durée des plans. Nous pensions naïvement visionner une énième itération du film de vampires, mais les scènes de violences glaciales nous désarçonnent. Romero nous plonge dans la réalité de Martin, dans son horrible solitude. Toutes ces techniques de narration préfigurent les films de serial-killer qui vont exploser lors de la décennie suivante et qui se claqueront sur le modèle de Romero. Cette méthode sera reprise le cas dans Maniac ou Henry, portrait of a Serial-Killer et Schizophrénia, entre autres films de tueurs en série.
Martin ne possède plus les spécificités d’un film de vampire. On y chercherait en vain les crocs, la transformation en chauves-souris, la cape et le lugubre donjon. Romero efface le folklore hérité de la Hammer use du vampirisme pour le pervertir. Martin appartient plus aux films de serial-killer. Mettant en scène à la première personne des désaxés homicides, ce genre cinématographique va peu à peu supplanter les films de créatures imaginaires tout en conservant quelques caractéristiques proches telles que l’omnipotence de son monstrueux protagoniste et la fascination qu’il entraîne sur ses victimes. Les thrillers américains useront avec abus de ces techniques narratives jusqu’à faire des tueurs en série des personnages omnipotents à l’intelligence démesurée et au charisme décuplé.
Romero va garder son spectateur les pieds rivés au plancher des vaches. Martin, toujours pris en légère plongée, ne domine jamais ses victimes. Pire, le cadrage l’isole systématiquement de ses contemporains, accentuant sa solitude. Sa condition le condamne à une pitoyable lâcheté. Romero n’a conservé que l’habillage de film de vampire. Son œuvre ressemble à l'étude d’un cas de tueur en série atteint de vampirisme qui finira de manière bien malheureuse, mais logique sa trajectoire.
En signant ce film indépendant, Romero prouve qu’il n’est pas que l’auteur des morts-vivants, mais un grand cinéaste atypique dont les métrages les plus novateurs et iconoclastes sont parfois dissimulés par ses chers zombies.
Désuet, le comte Dracula atterrit dans cette comédie poussive qui ne suscite qu’un bâillement poli. La littérature tord le mythe via la publication en 1976 d’Entretien avec un Vampire d’Anne Rice. Les vampires cinématographiques, eux, sont toujours compromis dans des navets. Symptomatique de ce déclin, le nanard comique de Dragoti plonge un Georges Hamilton en vampire hurluberlu dans la citadelle de New-York. Après cette oeuvre navrante les vampires ringardisés à outrance tendent à disparaître.
Tobe Hooper tente de s’affranchir des lourdes contingences télévisuelles dans ce téléfilm, mais le roman apathique de Stephen King plombe le récit. Quelques nouveautés émergent puisqu'une des règles du vampirisme est mise à mal : l’efficacité de la croix dépend de la conviction religieuse de celui qui la brandit. Sans une foi religieuse digne d’un Torquemada des temps modernes, brandir une croix contre un vampire ne sert à rien.
Pour dynamiser son intrigue, Tobe Hooper offre aux spectateurs un vampire répugnant.Le comte Barlow empreinte à Nosferatu un visage disgracieux à des antipodes de la fameuse « beauté » des vampires. Quelques effets visuels astucieux rendent les apparitions des morts-vivants inquiétantes mais le film demeure bancal. La démarche honore au moins les instigateurs de ce projet dans leurs volontés de proposer une fiction tentant d’intégrer le vampire au cœur du 20e siècle. On a pourtant des difficultés à reconnaître la patte de l’auteur de Massacre à la Tronçonneuse.
Le réalisateur allemand Werner Herzog s’empare du classique du Murnau pour en tirer un remake à sa manière. Là où l’œuvre originale utilisait toutes les orgues de l’expressionnisme allemand, Herzog opte pour une approche naturaliste, respectant la volonté première de Murnau en allant chercher l'écho du vampire sur ses territoires d'origine.
Le script suit à la virgule près la trame de son modèle, mais les décors, magnifiés par une photographie admirable, dégagent une ambiance irréelle que la musique hypnotique de Popol Vuh sublime, tissant une toile envoûtante pour favoriser l’irruption d’un fantastique cruel. Klaus Kinski plus spectrale que jamais dans le rôle de Nosferatu est aidé dans sa prestation par un maquillage reprenant les caractéristiques repoussantes du monstre de Murnau.L’acteur compose un vampire inédit, balançant entre les extrêmes de la cruauté et du pathétique.
Plus qu’à un stupide remake, on a affaire ici à une relecture d’une œuvre par le prisme d’un auteur jusque-là peu habitué aux envolées lyriques. La greffe fonctionne, mais le spectateur doit accepter le rythme languissant du cinéma de Werner Herzog.
Malgré un visuel irréprochable, le film n’apporte pas d’innovation par rapport à la figure du vampire. ______________________________
[2] SelonRomero,la Nuit des Morts-Vivantsest une adaptation officieuse de l’excellent roman deRichard Matheson:Je suis une Légende. Cette histoire subira l'outrage de plusieurs adaptations cinématographiques qui n'égaleront jamais la beauté vénéneuse de sa conclusion nihiliste. Le créateur des zombies cannibales était amené à croiser sur sa route le vampire pour lui refaire une santé.
Pour cette fois-ci, la critique ne concernera pas le film en lui-même puisque Django Unchainedoffre aux spectateurs un honnête divertissement. Certes il ne s'agit pas du chef-d’œuvre du siècle, mais après une année de films de merde encensés de manière exagérée par la presse, voir une série B décomplexée qui n’en oublie pas de placer dans la ligne de mire de ses exigences les plaisirs multiples du dialogue et de l’écriture avant de discuter avec les colts, ça donne le moral ! Quentin Tarantino cisèle avec un soin d'orfèvre ses répliques, obsédé par la musicalité des mots au point d’inviter l’Allemand et un peu de Français dans sa narration.
Les ennuis du film proviennent me semble-t-il d'une série de mauvaises interprétations des intentions de Tarantino. Ainsi, Spike Lee, un réalisateur engagé sur la cause des Afro-Américains, se pose en détracteur outré, choqué par l’utilisation d’un contexte historique et du maniement du mot « nigger ». Et tant pis si le film bonnis par ses malédictions semble fédérer les spectateurs. Le fait que Spike Lee appartienne à la communauté Afro-Américaine lui donne t-il forcément le pouvoir de condamner de façon péremptoire le travail de Tarantino ? La lecture d’une œuvre par son biais communautaire comme unique critère de jugement est-elle recevable ?Dans cette optique, nombreux sont ceux qui accusent Tarantino de « racisme » ou de complaisance dans la violence. Toutes ces allégations me paraissent infondées, inspirées par une grille de lecture critique étroite en porte à faux avec le véritable contenu de cette série B de haute tenue. Quentin Tarantino choisit le cadre de l’esclavagisme dans les états du Sud car ces sombres événements lui donnent l’occasion de s’adonner à deux genres en une seule histoire, manipulation formelle déjà à l'œuvre tout au long de sa filmographie. En le formulant de manière plus correcte, la sélection de l’époque lui a été probablement dictée par ses envies de cinéma. Dans Django Unchained il exhume le Western Spaghetti[1] et la Blaxploitation et tout comme les westerns ritals situaient leurs scénarios les plus gauchistes durant la révolution mexicaine, Tarantino utilise un schéma similaire pour traiter son sujet. Analysons un peu plus en détail les genres[2].
Western Spaghetti : contrairement à de nombreux westerns de l’âge d’or américain, Tarantino concentre sa narration sur un chasseur de prime : le docteur King Schultz (Christoph Waltz). Hors, l’archétype du chasseur de prime n’a que peu été prisé par le western américain. Pratiquant la justice expéditive, ces sinistres personnages nuisent à la mythologie des westerns classiques qui lui ont préféré les figures du bandit repentant et du shérif. Si John Ford a parfois dépeint la face sombre de la conquête de l’ouest, il a toujours conservé une touche de déférence pour le mythe du Pionner [3].
Chez les Italiens cette révérence pour les origines de l’Amérique n’existe pas. Ils n’ont pas hésité à salir le western, à le rouler dans la boue. Le cadre historique sert de prétexte pour explorer des narrations singulières, aussi le western se métamorphose-t-il en tragédies antiques, en histoire relevant du fantastique gothique ou lorgnant sur le manifeste politique dans le sous-genre nommé ironiquement Western Zapata. C'est donc ce Chacal des grandes plaines de l’ouest, le chasseur de prime qui sera choisi comme personnage emblématique pour désacraliser de façon iconoclaste le stéréotype du cowboy, le replaçant dans un contexte brutal et paradoxalement bien plus proche de la vérité que les anciens westerns à la John Wayne.
Django Unchained s’inscrit dans cette tradition, mais signalons qu’à l’inverse de ce que supposent nombre de ses détracteurs, Tarantino ne se réfère nullement au maniérisme de Sergio Leone, géant rapidement adoubé par les défenseurs du bon goût [4]. Tarantino exhume des cinéastes dans les franges les plus méconnues du western à l'italienne, naviguant entre exploitation pure et expérimentation tous azimuts pour donner naissance au meilleur de la série B. Il préfère au maestro la mise en scène brut de décoffrage de Sergio Corbucci à qui l’on doit le premier opus de « Django » ainsi qu’un des chefs-d'œuvre du genre, le Grand Silence . Un film glaçant dans tout les sens du terme qui revient sur une des pires pages de l’histoire des États-Unis en contant le massacre de toute une ville par des chasseurs de prime menés par un Klaus Kinski psychopathe.
Quentin Tarantino suit donc les codes du Western Zapatadans lequel un étranger (ici le chasseur de prime Schultz) prend sous son aile un pauvre péon mexicain (ici l’esclave « Django ») pour lui enseigner les rudiments de la révolution. Souvent, les intérêts des protagonistes ne se rejoignent pas et le péon doit faire face à son mentor pour le tuer. Dans Le Dernier Face à Face de Sergio Solima, un enseignant (Gian Maria Volonté) est pris en otage par un bandit (Tomas Milian) se battant pour la cause des péons. Chemin faisant les deux hommes sympathisent. Très vite l’enseignant prend goût à cette vie et s’il aide volontiers les rebelles aux débuts, ses appétits augmentent. L’homme timoré que la violence du bandit terrifiait fait place à un général assoiffé de sang et de sadisme. Tarantino ne cite pas ce film précis, mais le duo Schultz/Django use de cette dichotomie.
Une partie des citations filmique me paraissent provenir de Lucio Fulci dont Tarantino partage la fascination pour la violence expressionniste et les ambiances poisseuses. Plus connu pour ses films de zombies, Fulci a œuvré dans tous les genres du cinéma italien. Les westerns de l’époque lui procurent un terrain d’expérimentation pour visualiser des cauchemars. Son western Le Temps du Massacre comporte quelques scènes typiques de son approche frontale du malsain : le fils dégénéré d’un riche propriétaire foncier dont la démarche de zombie exagère l’aura maléfique s’amuse à jeter des paysans en pâture à ses chiens, manipule son père et enfin parvient à vaincre une première fois le héros, nous offrant une longue séquence de quinze minutes de sadisme gratuit durant lequel notre cowboy sera fouetté à mort lors d’une réception mondaine. Django Unchained reprend ainsi certains de ces passages clés en les réinterprétant. Entre Sergio Corbucci et Lucio Fulci, Tarantino va chercher ses références dans le bis craspec plutôt que chez le plus acceptable Sergio Leone.
Depuis quelques lignes déjà j’écris « Django » entre guillemets. Il y a une explication assez simple, et qui porte un autre regard sur la signification du titre du dernier Tarantino. Succès-surprise, le premier Django de Sergio Corbucci, a poussé les producteurs italiens à inscrire leurs créations en cours dans l’ornière de ce film. Sans logique le nom de Django a été apposé à toute une pelleté de pellicules n’ayant que peu ou pas de rapport avec le Django premier du nom. Le western gothique Tire encore si tu peux de Giulio Questi[5] est aussi connu sous le nom de Django tire encore si tu peuxsans que Django (Franco Nero) n’y apparaisse. On peut encore citer : Quelques dollars pour Django ; Django tire le premier ; Django prépare ton cercueil ; Django le justicier ; Poker d’as pour Django ; Le retour de Django ; Avec Django la mort est là ; Django porte sa croix ; Django prépare ton Cercueil ; Avec Django ça va saigner ; etc.…
Ainsi le nom de Django est-il un autre synonyme pour « l’homme sans nom » de Sergio Leone. Au fond Django est presque une fonction, c’est l’homme qui apporte la violence. Le « Django » incarné par Jamie Foxx n’est rien d’autre qu’une nouvelle matérialisation de cet esprit vengeur dont nous ne connaîtrons jamais le véritable nom… Pas un hasard si Quentin Tarantino a choisi ce titre pour son film et comme patronyme pour son héros. En procédant de cette manière il s’inscrit dans la droite ligne de la mythologie héritée du western italien.
Blaxploitation : Dans le petit monde de la blaxploitation qui, il me paraît nécessaire de le rappeler a été principalement créé par les américains d'ascendance WASP pur jus à des fins bassement mercantiles, c'est-à-dire s’attirer les faveurs du public noir, les héros sont noirs. Les blancs sont cantonnés au rôle de sous-fifre ou de pourris ultime. Le mot « Nigger » fuse dans toutes les phrases. Le plus célèbre des films de Blaxploitation, Shaftde Gordon Parks voit son protagoniste éponyme aider une police impuissante à enrayer les cartels de la drogue. Shaft arrive à ses fins non sans oublier de coucher avec une blanche, pour l’humilier une scène plus loin. Si les films de Blaxploitation se déroulent fréquemment dans des environnements urbains, certains sont cuisinés à d’autres sauces, dont celle du western. En montrant son héros triompher des blancs, Tarantino inscrit son œuvre dans cette tradition. Mais si Quentin Tarantino aime à se délecter de ce type de cinéma, il en connaît les étroites limites. Le propos racial unidimensionnel dessert souvent ces productions dont l’intérêt purement mercantile n’est que rarement transcendé. Aussi l’accole-t-il à d’autres genres, le film d’amour dans Jackie Brown ou le western spaghetti dans Django Unchained. D’autant que la musique fait clairement référence à tout un pan de la culture afro-américaine, depuis le funk jusqu’au rap.
On reproche au réalisateur de ne jamais se séparer de sa cinéphilie. Cependant même s’il reste fasciné comme un gamin par ces prédécesseurs, Tarantino est loin d’être un plagiaire. À l’inverse d’un Ridley Scott frappé par Alzheimer, ses références sont digérées pour construire un univers cohérent avec une dramaturgie fonctionnant à plein rendement.
Que raconte Django Unchained d’ailleurs ? Simplement la quête d’une des nombreuses incarnations de « Django » à la recherche de sa femme prisonnière des enfers. Le film est à peine commencé depuis dix minutes que le réalisateur nous donne les clés pour comprendre ses intentions. Il transpose l’histoire de Siegfried ou, tout du moins une de ses variations, dans le cadre du western. Ainsi « Django », comme Siegfried doit-il traverser les enfers et combattre un dragon pour grimper au sommet de la montagne et délivrer Broomhilda (Kerry Washington).
L’adjonction du personnage de Schultz à « Django » ne fonctionne pas dans une transmission du savoir du type « du maître blanc vers son gentil sauvage ». Schultz n'utilise de paternalisme condescendant envers Django. Tout au plus lui donne-t-il les armes et lui enseigne-t-il à jouer un rôle qui lui permettra d’accomplir sa quête. Personnage égaré, issu de la culture germanique, à l’époque en plein essor, Schultz se situe en total décalage avec le monde qui l’entoure. Si Django demeure mutique durant la première heure, il faut comprendre qu’après avoir été battu comme du plâtre et avoir été métamorphosé en bien de consommation, il ne lui reste plus que quelques oripeaux épars de confiance en son prochain. L’association Django/Schultz commence comme par un échange de service, mais elle évolue en une profonde amitié. Schultz traite Django en égal, voire en un membre de sa famille. Ce résidu d’humanisme, inutile dans l’univers brutal du western, que porte en lui le chasseur de prime signera son arrêt de mort.
L’esclavagisme en Amérique et sa cohorte d'horreurs se transforment sous la caméra du réalisateur en un enfer ou l’hypocrisie de la civilisation dissimule la bêtise et sa compagne, la barbarie. L’utilisation des abominations d’une époque n’est qu’un outil narratif pour poser des barrières infranchissables à son protagoniste. Tarantino ne souhaite aucunement nous expliquer que l’esclavagisme c’est mal par une démonstration dramatique ! Il confie ce bourbier à d’autres [6] (dont Steven Spielbergqui avait déjà traité le sujet avec emphase et force séquences larmoyantes dans Amnistad). Tarantino compte sur la jugeote des spectateurs pour conserver à l’esprit qu'il réalise une fiction et non une reconstitution scrupuleuse. Les hectolitres de sang nous assurent que ceci est très exagéré.
La violence, cet objet de détestation du cinéma de genre par les défenseurs du bon goût a toujours été pointé du doigt depuis l’apparition des premiers films d’horreur jusqu’à maintenant. Elle continue pourtant d’être l’objet d’un désir cynégétique de la part de nombreux cinéastes, dont certains très respectables.[6] En cinéaste chevronné, Tarantino s’en sert avec un art consommé. Sa connaissance des différentes méthodes utilisées dans sa représentation à l’écran lui permet de mêler deux niveaux de mise en scène. Le premier et le plus visible éclate lors des scènes de fusillades durant lesquelles les crânes et les corps explosent, balayés par des impacts surpuissants dans des gerbes de sang numériques hallucinantes. De telles hémorragies monstrueuses dédramatisent et théâtralisent les échanges de coups de feu, les métamorphosant en un ballet morbide exécuté avec maestria. Le deuxième niveau intervient à l'intérieur de deux scènes : le combat des « mandigos » et celle du dépeçage d’un pauvre bougre par des chiens enragés. Quentin Tarantino découpe ces actes de barbarie en flashs épars les épiçant de bruitages liquides immondes. Cette méthode relève de la suggestion, une approche efficace et terrifiante.Notre imagination aiguillée par l’enchaînement syncopé des gros plans construit une action bien plus redoutable que celle que pourrait visualiser le cinéaste en nous dévoilant tout (ce qui en outre ressemblerait à de la provocation gratuite et peu intelligente tout en banalisant des agissements inhumains). En procédant de la sorte, Tarantino nous envoie une note d’intention imagée qui dit ceci : « J’use de la violence comme outil narratif mais je ne m’octroie pas le droit de basculer du côté de la basse exploitation. » La violence réelle, ayant existé ou ayant pu exister, bénéficie d’un traitement elliptique qui la rend terrifiante à nos yeux. La violence de « Django » au contraire trouve ses racines dans le domaine du grotesque, du Grand-Guignol. Les hectolitres de sang la dédramatisent immédiatement. Nous savons que tout cela est impossible, qu’il s’agit d’un ballet épique qui nous soulage de ce que nous avons subi précédemment.
S’il faut voir un propos politique dans ce film, il n’entre à aucun moment dans des considérations sur les rapports raciaux. Quentin Tarantino situe ces derniers rebondissements dans un enfer qui se nomme Candyland.Un nom de parc d’attractions pour suggérer que la folie et la bêtise se drapent dans d’hypocrites oripeaux de bienséances. Que l’enfer au quotidien modèle les hommes pour les métamorphoser en démons dociles qui règnent d’une main de fer sur le petit royaume que leur octroie dédaigneusement le maître des lieux. Dans la scène clé du film qui oppose ainsi Django et Schultz à Léonardo DiCaprio, le véritable dragon trouve son incarnation dans le vieux serviteur Stephen (Samuel L. Jackson), un personnage ingrat impeccablement interprété par Samuel L Jackson, un laquais enfermé depuis si longtemps dans son rôle que les vexations et les humiliations sont devenues la seule satisfaction de son existence. Stephen modèle ses comportements pour plaire à son maître et parfois le manipuler pour jouir de ses sautes d'humeur.
À ce moment de l’histoire, le réalisateur nous a suffisamment triturés pour qu’on soit sur ses gardes. Chaque phrase prononcée lors d’un interminable dîner se métamorphose en un duel plus violent que tous ceux auxquels nous avons assisté. Poussé à bout, Schultz finit par exploser et descend l’infâme Calvin Candie. Il libère la violence que nous avons accumulée pendant deux heures. La suite se situe en droite ligne d’une catharsis qui était attendue depuis longtemps. Le réalisateur ne nous ment plus sur sa manière classique de procéder. Tarantino s’est débarrassé des derniers oripeaux de sophistication qui hantait ses précédents opus pour nous faire croire à nouveau à une histoire simple.
Alors, qu’en est-il des accusations de racisme ? Comme nous l’avons vu, le réalisateur a choisi son contexte en fonction des scènes qu’il voulait y mettre. Il a soigneusement balisé le terrain en nous faisant confiance pour pouvoir digérer cette époque et ces mœurs antédiluviennes, mais dont les spectres se sont enracinés dans les cervelets de n’importe quels êtres humains. Non, Django Unchained n’est pas une fiction raciste au sens où l’entendent ses détracteurs du Net qui veulent l'analyser au moyen d’une seule grille de lecture. Cette méthode demeure toujours réductrice des nombreuses idées qui traversent une œuvre.
S’il fallait chercher une lecture idéologique au travail d’écriture de Tarantino, il reposerait en partie sur des personnages bien construits qui symbolisent chacun à leurs manières des tournures d’esprit différentes. Tarantino va s’échiner pendant tout le film à opposer deux individus isolés, le couple de déracinés Django/Schultz, capables de réflexion et de raison vis-à-vis de leurs entourages, à des brutes ignares dont le manque d’intelligence décidera de leurs perte.
Sous ses aspects de western sanguinolent, Django Unchained ne discute que de cela. Schultz et Django s’adaptent à leur monde de diverse manière tout en faisant preuve d'imagination et de panache, les personnages qui les entourent demeurent coincés dans leurs certitudes et leurs habitudes, incapable d’évolution. Ils ne voient pas d’autres ressources que les schémas comportementaux de leurs ancêtres. Ce sont tous des moutons de panurge qui ne savent pas se remettre en cause.
À ce titre, Stephen est emblématique puisqu’il représente une fonction et a laissé son humanité se fossiliser pour conserver son poste de petit dieu de son univers étriqué. Stephen constitue l’ennemi le plus important du film et sans lui le métrage aurait perdu de sa dimension complexe. Il renvoie à toutes les personnes qui ont aidé servilement l’oppression : par crainte du fouet, de la mort, puis par habitude et enfin par sadisme. Quant à Calvin Candie si celui-ci est éduqué il se fourvoie dans une fausse science, la phrénologie, tout en disposant d’une immense bibliothèque (symbole du savoir) qui ne lui sert que de décoration là où Schultz connaît les livres et leurs auteurs…
En terminant sur une note cynique, l’image des deux esclaves qui restent dans leur cage malgré la porte ouverte, le film achève de démontrer que la plupart des hommes ont les plus grandes difficultés à se sortir des schémas que leur impose la société qu’ils s’approprient [7]. Qu’on ne s’y trompe pas, tous les personnages de cette histoire recèlent leurs parts d’ombre. Bien qu’ils possèdent un code de conduite, nos deux héros restent des loups pour leurs prochains de par l’activité qu’ils exercent. Schultz cherche certes à se racheter en assistant Django mais il pratique une profession qui parodie la justice.
Non, Django Unchained n’est pas un film qui se veut une réflexion sur l’esclavagisme ou la lutte des races, mais juste un conte de fées pour adulte qui démontre qu’entre la barbarie et la civilisation, il n’y a qu’une mince couche de vernis qu’il suffit de gratter pour révéler notre véritable et sombre nature. Un très bon film donc, au scénario efficace et qui, même sans forcément connaître tout le faisceau des influences de Quentin Tarantino [8] (On ne reproche pas à Martin Scorcese d’être lui aussi un recycleur d’image en puissance alors qu’il se réfère tout autant à ses prédécesseurs que Tarantino) possède une réalisation élégante, une photographie léchée et une narration sans faille.
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[1] Ouvrage que je recommande chaudement à ce sujet, pourvu d'une iconographie exhaustive : Il était une fois le Western Européen de Jean-François Gire aux éditions Bazaar & co.
[2] "Le genre devient intellectuellement stimulant lorsqu'il implique une codification rigide, une série de conventions contre lesquelles s'insurger. Établissons d’emblée les règles à dérégler puisque c'est souvent en dérogeant à un système établi que le film de genre produit son discours..." in Vies et morts du Giallo de 1963 à aujourd'hui dirigé par Alexandre Fontaine Rousseau pourPanorama Cinéma p. 22.
[3] « l’Esprit Pionner » comme l’a surnommé Stephen King sur le ton de la plaisanterie dans son excellent essai Anatomie de l’horreur pour définir ce qui imprègne les fictions des années 50-60…
[4] Je ne remets pas en cause l’excellence des films de Leone, mais son ombre gigantesque a enterré un peu vite des perles du cinéma de genre.
[5] Western totalement barré et que je vous conseille fortement, cher lecteur…
[6] Il y aurait de très nombreuses observations à faire à ce sujet, mais si un film idiot peut résumer le débat, Funny Game de Michael Haneke se pose là. Le cinéaste s’échine durant deux heures à exécuter une œuvre « dégoutante » tout en conservant une réalisation classieuse qui… enjolive les actes odieux de ses antihéros. Du cinéma prétentieux qui ne considère les productions horrifiques qu’en fonction de leurs définitions la plus primaire. Haneke ignore que la représentation de la violence dépend de plusieurs gradation graphique en fonction de l’effet voulu…
[7] A ce sujet je pourrais disserter quelques temps de l’aliénation au quotidien. Du glissement sémantique qui c’est établi entre la dénomination chômeur et demandeur d’emplois ou dans le fait que ce sont les chômeurs qui doivent se vendre sur le marché du travail… En poussant pas trop loin le raisonnement on pourrait presque constater que le salariat prend la forme sournoise d’un auto-esclavage…